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lundi 25 août 2014

Partie 5 - Chapitre 3 - Alicia

Partie 5 - Chapitre 3 - Alicia.
Je viens à peine de quitter la chambre de mon mari qu'il me revient à l'esprit que David ne devrait plus tarder. Deux solutions s'offrent à moi : Soit je me cache pour voir ce qu'il va faire, soit je lui fais face. Je suis prise de tremblements comme-ci le froid me saisissait. Les nerfs, je suis à bout de nerf. Je décide d'entrer juste à temps dans un local d'entretien. Je vois David passer tout droit, il ne m'a pas vu. S'il va jusqu'à la chambre d'Éli, il va rencontrer le professeur. Il va lui dire qu'il a dû me croiser. J'entrouvre la porte du local pour m'assurer que le couloir est désert et je cours. Je tourne au coin puis me précipite dans les escaliers. Je descends les marches comme une folle afin de parvenir au plus vite au parking souterrain. Je manque de bousculer un interne qui peste par mécontentement. Je pousse violemment la porte pour tomber nez à nez avec l'inspecteur Égala qui revenait sur ses pas.
- Que se passe-t-il ? Vous avez des ennuis ?
Je le vois porter la main à son 9mm en ceinture.
- Non, non, je veux juste quitter cet endroit qui me flanque le moral à zéro.
- J'aime mieux ça. Est-ce en rapport avec le sms "il est mort" ?
Quelle idiote, faut vraiment que j'arrête de paniquer. J'ai qu'une demi-seconde pour réfléchir à une explication tangible.
- Vous avez reçu ce message ? Ça n'était pas pour vous. Je voulais informer une collègue que l'animal de compagnie de mon patron est mort. Je me suis tromper de destinataire, c'est tout.
Je lui souris en haussant les épaules pour accentuer le fait d'être désolée. À voir la tête de l'inspecteur, je ne suis pas sûr qu'il soit convaincu. C'est dans ces grands moments de solitude que, parfois, il se passe quelque chose qui vous sauve la mise. En l'occurrence, le téléphone de l'inspecteur retentit. Il s'excuse et s'écarte. Comme je m'avance pour gagner ma voiture, il croit bon d'ajouter :
- On en reparle demain ok ?
Je réponds d'un signe de la main le pouce relevé et m'engouffre dans ma voiture. Je démarre le moteur. Je fais mon plus beau sourire en passant à sa hauteur. Derrière lui, je vois la porte s'ouvrir. Dans l'encadrement de la fenêtre, je distingue nettement David. J'accélère vers la sortie sans regarder dans mes rétroviseurs de peur de la voir me faire un appel. Au dernier moment, je n'y tiens plus, je jette un œil. Il n'y a plus personne.
En débouchant sur la rue, je me dis que j'ai dû rêver. On ne peut pas disparaître de cette façon. Il doit se passer quelque chose ! Ni une ni deux, je tourne brusquement dans une rue adjacente. Je stoppe ma voiture et en sors manquant de me faire arracher la portière. Je cours vers le coin de la rue sans prêter attention aux insultes de l'automobiliste. Je regarde vers la sortie du parking. La voiture de l'inspecteur ne devrait plus tarder à sortir. Avisant que je serais mieux cacher derrière l’abri bus, je fais quelques pas sans quitter des yeux la sortie. Les secondes deviennent des minutes, toujours rien.
Je suis sûre d'avoir vu David derrière la porte. Et s'il avait assommé l'inspecteur. Je commence à imaginer le pire des scénarios. Seulement, je n'ai pas envie de retourner seule. Oui, mais il a peut être besoin de moi. Je regarde la montre. Ça fait déjà cinq minutes. À moins que ce soit l'inspecteur qui soit entré dans les escaliers pour discuter avec David. Je psychotes.
Soudain, je vois la voiture de David qui s'engouffre dans le parking. Ça doit être Ophélie qui conduit. Je ne pensais pas que David aurait laissé conduire sa voiture par quelqu'un d'autre. Sauf s'il ne peut pas. Elle est sa complice et elle vient le chercher. Ils vont charger le corps de l'inspecteur dans le coffre.
- Non, non, non, arrête de délirer !
Les gens dans l’abri bus se retournent visiblement déranger par mon indignation. Je l'ai laissé échapper tout haut. Je leur dépasse la langue et tourne les talons. Ils vont me prendre pour une folle. Vu qu'on est à côté de l'hôpital, je ne fais pas tâche dans le décor. Je rejoins ma voiture hésitant entre y retourner ou non. À peine suis-je assise au volant que je vois le coupé sport de David qui quitte le parking. Cette fois, c'est lui qui conduit, Ophélie étant assise à côté. Il démarre sur les chapeaux de roues. Pas moyen pour moi de les suivre. La rue dans laquelle je suis est en sens unique. À moins que...
J'enfonce la marche arrière et entre dans l'artère principale en me faisant klaxonner. C'est le bus qui arrive à son arrêt qui doit piler pour ne pas m'emboutir. Je roule comme une folle essayant de rattraper David. Je passe un premier feu à l'orange bien mûr. Je vois la voiture, elle passe le carrefour suivant. Je dois freiner brusquement car les deux colonnes sont occupées par des véhicules qui s'arrêtent au feu rouge. J'enrage. Je n'arriverais pas à les poursuivre.
Quand la circulation se remet en marche, j'avance sans but, regardant à chaque croisement.
- Faut pas rêver ma vieille.
Ça semble si facile dans les films. Je n'ai plus qu'à rentrer chez moi. Je mets mon clignotant pour sortir de l'avenue principale. Tandis que je suis mon itinéraire, je reçois un texto de David :
- "Suis passé à l'hôpital, ou es tu ?"
Il ne manque pas d'aplomb. En même temps, il voulait me voir. Sans compter qu'il a dû apprendre que j'y étais. Je regarde mon téléphone, posé sur le siège passager. Dois-je lui répondre ? Si oui, quoi ?
Je tourne vers le centre commercial. Après m'être garée, je lui envoi :
- Je fais mes courses.
On verra bien ce qu'il va dire. J'aviserai en conséquence.
- Il faut qu'on parle.
La réponse n'a pas tardé. Me voilà bien maintenant.
- Je veux rester seule, demain ?
Comme-ça je ne l'envoie par carrément sur les roses. Tant que j'y suis, je vais faire quelques courses. Je prends un jeton de caddies, mon téléphone et mon sac à main. Je ne suis pas encore entré dans le magasin que je reçois un nouveau message :
- Désolé, ça ne peut pas attendre.
C'est pas vrai. Je ne vais pas m'en sortir. Le connaissant, il doit déjà être en route. Comme il n'y a pas cinquante magasin sur le chemin, il va d'appliquer ici ventre à terre. J'ai peut être une chance de lui échapper, il y a du monde à cette heure. Je me faufile parmi les clients qui entrent et sortent en direction du kiosque à journaux. C'est le seul rayon du magasin qui permet de surveiller l'entrée discrètement. Je saisie machinalement quelques promotions pour dire d'avoir quelque chose dans mon caddie. Je me poste en bout d'allée afin de m'éclipser facilement. A peine ai-je pris un magazine, j'aperçois Ophélie qui arpente les caisses à ma recherche. Ou a bien pu passer David ? Je fais un pas de côté pour échapper à son regard quand une voix masculine m'interpelle :
- Tout va bien madame ?
J'ai sursauté. Le vigile se place pile face à moi. Au bon moment car David est au bout du rayon. Étant juste derrière une montagne de muscle, il ne me voit pas et continue son chemin vers le fond du magasin.
- Vous m'avez fait peur !
Alors qu'il s'excuse, il réitère sa question.
- Oui, oui, tout va bien. C'est juste que... Enfin non, j'ai dû rêver.
Ayant piqué sa curiosité, l'agent de sécurité insiste :
- C'est juste que quoi ?
- J'ai cru voir un homme mettre un journal dans sa poche de veste.
- Il ressemble à quoi cet homme ?
Je décris la tenue de David et donne la direction qu'il vient de prendre. L'agent transmet le signalement à ses collègues.
- Je ne veux pas d'ennuis, monsieur, je vis seule, vous comprenez ?
- Ne vous inquiétez pas, il n'en saura rien. Merci de votre aide.
Il part à grandes enjambées à la poursuite du faux voleur. Vu qu'Ophélie est à l'autre bout de la rangée de caisse, je file abandonnant mon chariot. Une fois sur le parking, je regagne ma voiture. Je démarre et sors en me disant qu'il faudra que j'évite ce magasin un moment. Il n'est pas question que je rentre chez moi, c'est le premier endroit où il va me chercher. Étant donné qu'il ne va pas être de bonne humeur, il vaut mieux que je trouve un autre endroit.
La pluie s'en mêle. Il tombe de gouttes grosses comme mon pouce. Je peine à voir correctement la route. Ou vais-je bien pouvoir aller ? L'hôpital ? Trop risqué. Mon téléphone sonne. C'est encore David. Il insiste. La messagerie s'enclenche.
- Vous êtes bien sur le portable d'Alicia. Je ne peux vous répondre, alors laissez-moi un message, ciao ciao.
Elle est vraiment minable cette annonce, il faudra que je la change.
- Alicia ! On dirait que tu fais tout pour m'éviter ! Sympa le coup des agents de sécurité. Heureusement que j'en connais quelques uns. Décroche ! Je sais que tu .... Bip bip...
- Trop long ton message David ! Vu comment tu me parles, je ne vais certainement pas te rappeler.
Voilà que je me mets à parler toute seule à un répondeur. Ça ne me dit pas où je vais passer la soirée. Mon téléphone sonne pour la deuxième fois. Cette fois, c'est Michel Stauros. Je me gare et décroche :
- Oui Michel, que se passe-t-il ?
- Éli entend. Il a réussit la quatrième épreuve. Vous roulez ? J'entends le moteur.
- Je me suis garée ! C'est merveilleux !
Bien malgré moi, ma voix tremble. Il le remarque.
- Vous n'avez pas l'air d'aller bien ?
- Ce n'est rien. Un petit problème dans un magasin.
- Bon, ce n'est pas grave alors. On se voit demain ?
- Oui professeur, à demain.
Je n'ai pas eu le cran de lui demander de m'héberger pour la nuit. Je ne voudrais pas qu'il ait des ennuis à cause de moi. Comment faire pour passer la nuit tranquille ? Il ne reste que l'hôtel. Mais je n'ai pas de quoi me changer. Il faudrait que je passe à mon appartement. Mais non, pas besoin. Il suffit que j’aille chez Hector. David ne viendra pas là-bas et j'y ai encore des affaires.
Je mets mon clignotant, démarre en m'insérant dans la circulation. Une heure plus tard, j'arrive chez mon beau père. La grille s'ouvre après que je me sois identifié. Je me gare devant la maison. Inutile de cacher la voiture, on ne voit rien de la rue. Même s'il avait l'intelligence de me chercher ici, il ne pourrait pas savoir que j'y ai trouvé refuge. Elsa m'ouvre la porte. Bien qu'Hector ne soit pas là, elle reste fidèle au poste. Personne hormis Michel Stauros et moi ne doit être au courant. Ça faisait partie du deal. Je lis dans le regard de cette femme une lueur d'inquiétude. Voilà plusieurs années qu'elle officie. Elle n'a pas réussit à rester neutre. Ces yeux sont emplis d'une affection pour Hector. Je n'arrive pas à garder le silence.
- Il est avec son fils.
Cette simple phrase déclenche un soupir de soulagement. Un timide sourire en guise de remerciement se dessine sur ses lèvres.
- Voilà des années qu'il voulait aller le voir, vous savez. C'est un homme bon malgré tout.
Je trouve que ça résume bien le personnage. Hanté par son combat contre une maladie horrible, il s'est rendu compte de son erreur. Éli avait le droit de savoir. Il aurait pu l'aider. Mais chaque homme a sa fierté. Du coup, chacun a subit la solitude.
C'est à mon tour de sourire. Je souffle un "je sais" qui achève de la rassurer. Il me faut donc garder pour moi l'incertitude de son devenir. Je me lève et pose une main pleine d'empathie sur son épaule. Elle me la saisie, me la serre doucement. Est-ce qu'Hector savait que son aide à domicile l'aimait ? Peut être s'interdisait-il cette relation. Par peur de la faire souffrir elle aussi. Encore un souci de protection qui n'a pas atteint son but.
- Je vais prendre une douche.
- Je vous appelle pour le dîner.
Je monte les escaliers qui craquent à chaque pas. Tandis que je gravis les marches, les souvenirs affluent en moi. Mes yeux laissent échapper des larmes. Ces craquements me rappellent la première fois ou je les ai entendus. Le soir de notre mariage, quand Éli m'a porté jusqu'à notre chambre. J'assiste à notre ascension. Ça a l'air tellement réel. J'ai la tête enfouie dans son cou. Je le couvre de baisers. Il parvient à ouvrir la porte et nous entrons. Je m'en souviens comme-ci c'était hier. La porte se referme sur ce qui sera notre première nuit ensemble.
La sonnerie de mon portable me tire de ma rêverie. J'ai un message d'un numéro que je ne connais pas. J'ai besoin d'une douche. Ça attendra. J'entre dans la salle de bain. J'ouvre la penderie pour en sortir un peignoir de bain. Je me déshabille, laissant mon portable dans la poche de mon pantalon. Je pose mes affaires sur le portant. J'ouvre le robinet d'eau chaude. Je la règle à 37 degrés. Puis je me glisse sous le jet revigorant. Le stress tombe, mes nerfs lâchent, je craque et me recroqueville laissant l'eau couler sur ma tête.


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