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mercredi 11 février 2015

Epilogue

Epilogue
- Dites-moi, Ophélie, pourquoi faites-vous tout ça ?

La question d’Hector plonge Ophélie dans une incertitude. Elle tient fermement un scalpel sur la jugulaire du professeur Stauros, tandis qu’il a le canon de son arme sur la tempe de David Tennant. La tension est à son comble. Mais le vieil homme semble vouloir lui faire entendre raison.

- Qu’est-ce que ça peut vous faire ? Si vous le tuez, ma vie ne vaudra plus rien, alors autant partir avec le prof. Après tout, tout est de sa faute.

- Comment ça de ma faute ? Intervient Stauros.

- Si vous ne vous étiez pas lancé dans cette folle expérience, Elliot Guerréor serait mort. David aurait consolé sa femme pendant un moment, mais il serait vite revenu vers moi. Il le fait toujours. Il en a envie mais elle n’est pas son genre, trop larguée comme meuf.

- Évitez de parler comme ça de ma bru, il se pourrait que mon index se crispe subitement.

- Allez-y le vieux, vous faites le mariole, mais tuer de sang-froid, ça n’est pas donné à tout le monde.

Tandis qu’Ophélie en était à presser la lame sur la chair tendre du cou, au point de faire perler une goutte de sang, Hector remarqua le discret point rouge sur l’épaule de l’infirmière. Comprenant qu’il devait faire son possible pour écarter la menace pesant sur Stauros, il prit le problème autrement :

- Ok, vous avez sans doute raison, je baisse mon arme et vous faites de même.

Ce revirement soudain fit froncer les sourcils de la blonde. Mais tant qu’elle fixait son attention sur Hector, elle ne remarquait pas la menace. Il baissa doucement le revolver en l’écartant suffisamment pour qu’il ne braque personne. Elle lui demanda de le lancer sur le bout de son lit, en guise de bonne foi. Comme on le dirait dans un poker, Hector misait son tapis. Il s’exécuta. Le temps de déglutir lui parut interminable. Ophélie finit par baisser la main. Au même instant, alors que la lame se trouvait encore à une dizaine de centimètres du cou de Michel Stauros, une détonation déchira le silence. Sans comprendre ce qui lui arrivait, Ophélie lâcha le scalpel. Elle hurla de douleur et de surprise. Le coup de feu donna le signal à l’inspecteur Egala qui enfonça la porte encore verrouillée.

Cinq minutes plus tard, Stauros était détaché, Ophélie menottée. Alicia, alertée par les inspecteurs, était auprès de son beau père les yeux en larmes. Ce dernier lui posa un baiser sur le front et lui souffla :

- Ne vous inquiétez pas Alicia, c’est un battant, je l’ai vu, il va s’en sortir.

C’est sur cette phrase que Michel Stauros entra de nouveau dans la pièce. Il venait de recevoir des soins suite au méchant coup sur la tête qu’il avait reçu. Entendant les paroles d’Hector, il poursuivit :

- Je présume Hector que vous avez pu vous en rendre juge.

- Il raconte quoi l’autre crispé du bulbe ?

Mégère parvint à faire sourire son hôte. Mais il préféra répondre d’une autre manière :

- Plaît-il ? De quoi me serais-je rendu juge ?

- Eh bien, du fait qu’Eli soit un battant pardi. Vous l’avez rencontré, non ?

Alors que le professeur, sa bru et l’inspecteur Egala l’écoutait, Hector Guerreor raconta son voyage dans le rêve de son fils. Il ne se montra pas avare de détails, ce qui, pour un archéologue, aurait été un comble. Mégère lui soufflait parfois certains faits et il lui rendit la politesse en appuyant le « pat » (figure des échecs rendant la partie nulle) de leur combat. Quand il arrêta, les trois auditeurs rejoints en cours de route par l’inspecteur Landry, étaient figés, ébahis. 

- L’esprit humain ne cessera de me surprendre. Le scénario que j’ai écrit est une plaisanterie à côté de la version que vous nous contez.

- Certes, par contre, Inspecteur, comment en êtes-vous arrivé à sonner la charge ?

Tous les regards convergent vers Mike Egala. Ce dernier préféra laisser sa collègue raconter :

- Nous avons serré le directeur de l’hôpital qui entretenait une liaison avec Ophélie. Dès que nous lui avons mis la pression, il est devenu très bavard. En fait de liaison, la belle le faisait chanter. Il obtenait ses faveurs mais devait, en échange, altérer le scénario que vous implantiez à votre patient. Jusqu’au jour où la vidéo révéla une présence incongrue.

- Quel rapport entre le directeur et l’agression de mon patron ? Demande Alicia.

- J’y arrive. C’est David Tennant le cerveau de l’histoire. Il avait évoqué les grandes lignes de son plan dans le restaurant ou vous travaillez. Sans doute que votre patron aura entendu quelque chose. Nous le saurons peut être quand il sortira du coma.

- Professeur, pensez-vous qu’on puisse débrancher David Tennant ? Questionne Mike Egala.

- Je crains que non. Il va nous falloir attendre. Le plan de cet homme n’est pas sans faille. Elliot Guerréor est alimenté, par intraveineuse certes, mais tout de même. Ce qui n’est pas son cas. Or, il va vite décliner, manquant ne serait-ce qu’à boire. Etant donné sa situation de stress, les surrénales s’épuisent provoquant une insuffisance. Cette dernière peut aller jusqu’au choc hypovolémique.

- Peut-on accélérer le processus ?

- Oui inspecteur Landry, mais ça peut être dangereux, répond Stauros, pour lui, mais aussi pour Elliot.

- Parce que vous trouvez que mon fils ne souffre pas assez ?

Bizarrement, tous se tournent vers Alicia, qui n’intervient pas. Mentalement en train de peser le pour et le contre entre la situation actuelle et la proposition de l’inspecteur. Il n’y a pas besoin d’avoir fait médecine pour savoir qu’un corps mal hydraté ne donne pas tout son potentiel. Sans compter que l’esprit est lui-même impacté par la faiblesse physique. Ses sourcils se froncent, ses lèvres s’écartent, puis se referment. Quand soudain, elle se lève et sort. Les autres la suivent du regard, seul Michel Stauros lui emboîte le pas.

- Je vous demande de tout faire pour qu’on déconnecte David d’Eli. Je ne veux pas que ce malade passe plus de temps dans son esprit.

- Vous rendez vous compte de ce que vous me demandez Alicia ! Provoquer une hyperthermie est enfantin, il suffit de pousser les radiateurs à fond. Mais le risque se situe dans la réaction face à l’accélération de la déshydratation.

- Eli risque-t-il quelque chose ?

- Étant donné qu’il est hydraté par intraveineuse, je dirais qu’à priori non. Mais je ne peux pas le cautionner. 

- Michel, je pense que vous devriez aller vous faire de nouveau examiner, vos pupilles sont dilatées, vous devez avoir une commotion.

Le professeur comprit le message. Son serment ne lui permettait pas de mettre en danger la vie, fusse-t-elle d’un tueur. Alicia fit sortir tout le monde et demanda à un infirmier de prendre en charge Hector. Ce dernier avait vu la détermination de sa bru. Il fit taire Mégère et donna son assentiment. Mike Egala prit tout de même la précaution de menotter David Tennant. Tous entrèrent dans le bocal pour suivre les événements.

Le thermomètre affiche une température toujours plus élevée. La sueur perle au dessus des sourcils des deux hommes, puis coule en sillons irréguliers. Si la poitrine d’Eli se soulève doucement, on peut remarquer les premiers signes de fébrilité chez David. Sa tête penche en avant, ses épaules se voutent. 

- C’est du sang qui coule de son nez ? Fait remarquer Kat.

- On devrait peut être prévenir Stauros, qu’en pensez-vous Alicia ?

- C’est hors de question inspecteur. Soit il se réveille, soit il meurt, mais il faut que ça cesse !

Les deux inspecteurs se regardent perplexe. Mike Egala reconnaît la lueur qui scintille dans le regard de sa partenaire. Elle va sortir, et prévenir le prof. Si le serment d’Hippocrate empêche Stauros de prendre part à cette expérience, ils ne peuvent cautionner la mort d’un homme. 

X

C’est incroyable ! Basile a l’air d’être carrément ailleurs. Ses coups passent à des kilomètres d’Eli. Son visage est couvert de sueur, son regard est fiévreux. Si au début de l’affrontement, il était impossible de dire lequel avait le dessus, maintenant ce n’est plus le cas. Les deux combattants sont harassés. Eli donne l’impression d’avoir des poings pesant des tonnes. Sa garde est basse et son jeu de jambes fatigué. Basile est marqué par les coups reçus mais aussi par un mal étrange. Ses lèvres sont desséchées. Son teint s’altère, comme s’il était nauséeux. Soudain il se met à crier :

- Tu ne pouvais pas mourir comme le commun des mortels ! Non ! Monsieur Eli s’accroche ! J’ai mis des années à la convaincre de te débrancher ! Et quand elle le fait, tu nous fais une résurgence.

- T’es en train de me dire que tu m’affrontes pour ma femme !

En découvrant cette vérité, Eli est frappé par un tourbillon d’images. Tout ce que Stauros lui a implanté à chaque sens récupéré ressurgit. Mais plutôt que d’être un assemblage décousu d’images, c’est le kaléidoscope de sa vie. Chaque moment, chaque souvenir le frappe de plein fouet jetant à terre ce qu’il prenait pour la réalité. Plongé dans une sorte de transe, il ne doit son salut qu’à la grande faiblesse de Basile qui tombe à genou. Quand le maelström pictural cesse, Eli voit le décor qui l’entoure disparaître. Il ne reste bientôt qu’à deux dans une immensité blanche. Impossible de savoir ou est le haut du bas, rien n’existe plus que les deux hommes agenouillés au sol. L’un est pris de vomissement, tremble comme une feuille. L’autre regarde autour de lui et éclate de rire.

- Basile, ou devrais-je dire David. Jamais elle n’aurait été à toi. Même si j’avais baissé le rideau, elle n’aurait jamais trouvé le réconfort dans tes bras.

- Qu’est-ce qui te fait dire ça ? Répond David entre deux spasmes.

- Simplement parce que c’est la personne la plus pure qu’il m’ait été donné de rencontrer. L’amour qu’elle m’a donné m’a rendu meilleur parce que c’est la plus belle part de sa personne. Et elle me l’a offerte en dot. Si tu avais été un ami, tu n’aurais même pas pu imaginer un tel scénario possible.

- Tu me fais gerber avec ta poésie à deux balles. T’es pitoyable.

- Peut être, mais ce n’est pas moi qui suis à genou en train de vomir mes tripes. Tu as deux solutions, tu te rappelles ta formule : Soit, tu retournes d’où tu viens et tu vis, soit tu restes et tu meurs. Contrairement à toi, je ne te ferai pas souffrir, mais tu ne peux plus rester dans ma tête.

A peine Eli a-t-il finit sa phrase qu’il se met à grandir, il devient colossal. David se lève tant bien que mal et se met à courir dans la direction opposée, le bras soutenant son ventre. Quand il se retourne, il aperçoit un géant haut comme un immeuble de trois étages. La panique le gagne, d’autant plus qu’il le voit faire un pas vers lui. Alors qu’Eli se met à courir, David disparaît, comme s’il était tombé dans un trou. A ce moment précis, l’immense décor d’un blanc uni commence à s’estomper, laissant apparaître des formes. Il comprend qu’il recouvre la vue. Les ombres nimbées d’un halo se précisent. Il y a quelqu’un assis à ses côtés qui lui tient la main. Mais son regard est attiré par du mouvement à sa droite. Alors que les détails se précisent, il voit l’une des dernières personnes qu’il avait vues avant de plonger dans la nuit. Un homme grand, musculeux et quelque peu dégarni. Il emmène son adversaire qui est menotté. Il croise son regard qu’il lui indique l’autre côté avec un clin d’œil.

Alcinoa, non, Alicia est là assise sur le bord du lit. Ses yeux sont pleins de larmes. Elle s’approche et lui pose un baiser sur les lèvres. Puis, dans un sanglot elle lui souffle :

- Bon retour mon amour, tu m’as tellement manqué.

dimanche 25 janvier 2015

Partie 5 - Chapitre 12 - Eli

Partie 5 - Chapitre 12 - Éli.
Jamais il ne m’a été donné d’affronter un tel adversaire. Vif et tout à la fois percutant, il réplique coup pour coup. Nos boucliers résonnent sous les assauts. Nos gladius vibrent dans nos mains, rendant leur prise incertaine. Après quelques minutes, nous sommes tout deux en sueur. Les gouttes dessinent des sillons dans la poussière agglomérée sur notre peau. Aucun de nous deux n’a réussi à percer la défense de l’autre. Pour l’instant, nous alternons les phases de replacement qui permettent de reprendre notre souffle, avec celle d’affrontement violent. 

Je n’ai pas utilisé les éléments. Lui non plus. En est-il capable ? Je n’en sais rien. Je ne peux me permettre de laisser vagabonder mon esprit. J’ai l’impression d’être enfermé dans une pièce minuscule avec un félin en furie. Ce qui me dérange le plus, c’est sa capacité à anticiper mes attaques. Il arrive toujours à effectuer la meilleure parade. Mais je lui rends la politesse. Si c’était possible, je jurerai que nous avons eu le même maître d’arme.

Les minutes s’enchainent. Notre respiration devient rauque. Mon gladius et mon bouclier me paraissent bien plus lourds. Je ne comprends pas qu’aucun de nous ne parvienne à toucher l’autre. Il semble que je ne sois pas le seul à en être agacer. Mon adversaire pousse un hurlement sur un fendant parfait qui passe à quelques millimètres de mon abdomen. Je le comprends, j’ai, moi aussi, eu envie de pester quand mon attaque de taille se révéla vaine. Est-ce là sa faille ? Peut être est-il trop impulsif ? Ou alors, il n’a jamais eu à batailler si longtemps. C’est bien souvent le problème quand on excelle dans un domaine. Quand on affronte un de ses pairs, ce n’est pas la technique qui permet la victoire, mais le mental. Il s’est éloigné de moi et tourne comme un lion en cage. Il cherche l’ouverture que je lui refuse. C’est alors qu’il change de direction. Je le suis du regard, aux aguets. Il avance rapidement, un pas à la limite de la course. Je le fixe tellement que ceux qui nous entourent ne sont que des esquisses estompées. Sans me quitter des yeux, il frappe dans la foule. Car, petit à petit, des monstres sont apparus. Ceux qui nous tenaient en joue. Ils ont formé un cercle autour de nous, vociférant des encouragements à leur maitre. Peu habitué à un combat qui dure, ils sont devenus de plus en plus nombreux. Mais pourquoi frapper l’un des siens. Sauf que, mon œil fait le point. La personne qui l’a blessé n’est pas un monstre. C’est Alcinoa !

Il sait exactement ce qu’il fait. Voir ma fée tenir son ventre duquel sort sa lame me fait l’effet d’un électrochoc. La décharge d’adrénaline me rend furieux. Je ne remarque pas de suite que Basile ne fait rien, si ce n’est, hocher la tête en signe d’assentiment. L’autre éclate de rire, tout en parant ma charge. Il utilise ma force pour me déstabiliser. Et pour la première fois depuis le début du combat, il me touche. Une belle estafilade sur la cuisse, qu’importe, je me tourne vers Alcinoa. L’avantage d’être blessé, c’est que ça remet les idées en place. 

- Ce n’est pas profond, Eli. ATTENTION !

Je roule sur le côté. Son arme s’abat sur le sol en y arrachant des étincelles. En peu de mots, elle a tenté de me rassurer. N’empêche que j’ai du mal à m’enlever l’image des yeux. Mon regard passe de mon adversaire à mon amie. Celle avec qui j’ai traversé une partie de la Grèce. Celle pour qui je fais cette quête. Je ne peux pas me relâcher. Tout ce que nous avons enduré se résumerait à un gigantesque fiasco ? La rage monte à nouveau, mais cette fois elle est retenue. Je regarde l’autre fanfaronnait en faisant des moulinets avec son arme. Il l’a lance de façon qu’elle fasse un tour et il l’a rattrape par la garde. J’attends le bon moment, maintenant !

Je balance mon gladius. Il fend l’air en tournant sur lui-même tel un boomerang. Je suis tombé dans son piège. Il voulait que je lance mon arme afin d’avoir l’avantage. Il donne un coup de bouclier et mon épée bifurque vers le sol. Elle se fige dans la pierre, ce qui arrache un rire au Jarkore.

- Bien, je ne sais pas comment tu as fait pour parvenir à me résister si longtemps, mais maintenant, ça va être vite fini.

Je laisse tomber mon bouclier au sol. Ce qui a l’air de le surprendre.

- On dirait que tu veux que ça aille encore plus vite ! Très bien, tes désirs sont des ordres !

Il attaque. Nous avons maintenant une différence notable en termes de poids. Certes, il a une arme et un bouclier, mais moi, j’ai gagné en rapidité de mouvement. Et, je ne sais pas pourquoi, j’ai des souvenirs de mes combats avec mon père qui émerge. Je nous vois en train de nous affronter, l’un armé et l’autre non. Je sais ce qu’il me reste à faire. J’esquive sa charge et administre un petit coup de pied arrière entre ses omoplates pour accroitre son élan dans le sens opposé. Son rire jaune trahit sa surprise et son énervement. Il ne s’y attendait pas. Si je me débrouille bien, je peux peut être récupérer mon arme. 

Je jette un œil vers Alcinoa, elle s’est assise au sol. La tache rouge rubis s’étend davantage. Elle blanchit à mesure qu’elle se vide. Elle n’y survivra pas. Je la vois marmonner. Je profite d’une nouvelle esquive pour m’approcher. Je ne perçois qu’un bout de phrase :

- … car tu ne peux diviser ce qui n’est qu’un…

Je n’ai pas le temps d’y réfléchir. En tout cas, pas autrement que par saccade, entre chaque attaque. Il est vif le bougre, malgré le poids supplémentaire. Mais il a un gros point faible : il est trop sûr de lui. Depuis le début du combat, nous nous affrontions à armes égales. Je n’ai pas voulu me servir des éléments, je ne sais pas l’expliquer. Une sorte de code d’honneur du combattant, allez savoir. Maintenant, c’est différent. Mes doigts fourmillent sous l’afflux électrique. Pourquoi cet élément ? Parce qu’il me booste. Au moment de son attaque, j’accélère mes mouvements, ce qui me permet de lui administrer un gros coup de point dans le masque… 

Aïe…Un masque en métal. Je vais plus vite, mais je ne suis pas insensible. Alors qu’il se récupère de la violence de mon crochet, je réalise que son masque est au sol. Un grondement se fait entendre dans les spectateurs qui nous entourent. Le Jarkore se rend compte que s’il se retourne, je verrais son visage. Le temps est comme figé, quand soudain, il est déchiré par un cri :

- Eli ! Il faut que l’on fusionne ! Maintenant !

Je me tourne vers Alcinoa, elle est allongée sur un côté, livide presque. Comment pouvons-nous fusionner ? Je n’ai pas le temps d’y réfléchir, elle prononce sans voix :

- Fais comme moi !

Elle met ses dernières forces dans une ultime utilisation des éléments. Elle devient l’air. Toujours allongée au sol, elle m’invite à la rejoindre d’une main tendue vers moi. Je fais un pas vers elle en intimant à mon corps de se muer en fumée. Juste à temps pour voir le gladius du Jarkore me traverser. Il enrage devant l’impossibilité de me faire le moindre mal. Sans me préoccuper de sa rage, je m’approche d’Alcinoa. Ses deux bras sont ouverts, on la dirait voulant me donner une dernière étreinte. Seulement, au moment précis ou nous entrons en contact, un vent violent se met à tournoyer autour de nous. Nous sommes l’épicentre d’une tornade. Alors qu’elle nous décolle de terre, tous ceux qui nous entourent tentent de se protéger les yeux de la poussière et du sable qu’elle soulève. Les membres d’Alcinoa s’enroulent autour des miens. Son corps enveloppe le mien. Le bruit de la tornade est assourdissant, pourtant j’entends ses paroles dans ma tête :

- Tu ne peux diviser ce qui n’est qu’un !

Je suis elle, elle est moi, nous ne sommes que les deux faces d’une même pièce. A l’instant où mon cœur enregistre cette information, elle disparait et le vent cesse. Je suis au sol, enfin, l’un de mes genoux. Mes deux poings sont devant moi. En fait, j’ai la position d’un chevalier qui se fait adoubé. J’essaie de mettre de l’ordre dans mes pensées, dans nos pensées, car je l’entends hurler :

- ATTENTION !

Je me détends en envoyant mon pied en arrière, à l’aveugle, quoique sachant exactement ou frapper. Je touche le Jarkore à l’abdomen, mon talon écrasant le plexus. J’entends arme et bouclier tombé au sol, puis mon adversaire qui s’affale, manquant d’air. Je me redresse doucement. Une fois debout, je fusille du regard tous ceux qui m’entourent. Chaque monstre a un mouvement de recul. Jusqu’à ce que je croise les yeux de Basile. Il a un sourire aux lèvres. Il n’est plus le monstre, ni celui qui me devait la vie. Pourquoi l’ai-je délivré de sa prison de pierre ? Parce que je suis un humain. Comment l’oracle a-t-elle parlé de lui ? Un parasite ! « Même si sa présence ne s'explique pas, il participera à votre victoire. Car celui qui l'a amené parmi vous ne peux plus l'affecter ». Il semblerait que ‘celui qui l’a amené’ a décidé de venir en personne. Tout en gardant son sourire, il se saisit d’une lance et la précipite dans un geste. Je m’écarte prestement, mais je suis surpris par le bruit sourd qui retentit. Je me tourne. Le Jarkore est empalé, la lance en pleine poitrine. C’est à ce moment que je saisi l’horreur du spectacle. Le Jarkore, c’est moi ! Il chancelle, je me tends pour l’empêcher de basculer en avant. Quand mes mains entrent en contact avec sa peau, le décor qui nous entoure s’efface comme un dessin sur le sable. Nous sommes debout, au milieu d’une pièce étrange, une chambre d’hôpital. Le Jarkore, moi, suis allongé dans un lit. A côté de moi, Basile ! Il est relié à moi par une série de câbles. Il est dans ma tête. Un peu plus loin, sur le lit d’à côté, mon père, vivant ! Il tient en respect une… une infirmière ? Mon attention revient sur le Jarkore qui me parle en gargouillant :

- Je viens de te rendre la vue… C’est… la vraie vie… Mais si tu meurs… Tu ne la retrouveras… jam…

Le décor est à nouveau la place au pied des Propylées. Le Jarkore disparaît en poussière. Seule la lance touche le sol dans un bruit qui me transperce. Ainsi, mon père avait raison. Tout ceci n’est qu’un rêve.

- Un rêve dont il faut te réveiller. 

Cette voix dans ma tête, Alcinoa ! Je suis abattue. Toutes ces épreuves, ça n’est que du vent. Pourquoi m’avoir fait endurer tout ce cinéma ? J’ai bien d’autres questions en tête, mais le rire de Basile me ramène à ma réalité : un combat plus âpre encore.

- Alors Eli, comment tu vas ? Ton adversaire est mort, grâce à moi ! Ta fée…, n’est plus de ce monde. En fait, tout ton monde s’écroule. Il ne te reste plus qu’une chose à faire. Comme tout capitaine de navire, tu dois sombrer avec. Tu as donc deux choix : le premier, tu t’agenouilles, je te tue sans que tu ne souffres. Le second : tu veux te battre, et là, et bien, comment dire ? Je ne peux pas te garantir que tu ne souffriras pas. Alors, que choisis-tu ?

Je suis toujours désarmé. J’ai la lance à mes pieds, et mon gladius a quelques mètres. Par contre, Basile est frais comme un gardon, il a son arme à la main et il ne s’attend pas à ça. Il prend mon poing en pleine figure. Mon geste a eu une telle rapidité qu’il en bascule en arrière. Je place mon pied sous la hampe de la lance et je me la redresse pour la saisir tout en répondant à son choix : 

- Je choisis le deux ! Mais je ne vais pas être celui qui va souffrir.

Je crie en grecque ancien aux monstres qui sont toujours autour de nous :

- Il a tué votre maître ! Allez-vous le laisser faire ? Celui qui le tuera aura sa force !

Ce dernier argument fait bouger les choses. Mais c’est sans compter sur la sauvagerie de mon adversaire. A peine est-il sur ses pieds qu’il donne quelques coups aux plus téméraires qui disparaissent en poussière. Du coup, les autres se contentent de le tenir en respect en maintenant le cercle autour de nous. Sans doute me pensent-ils capable d’en venir à bout.

- Bien essayé ! Mais ce ne sont que des animaux. Quand tu poutres les plus courageux, les autres s’écrasent. Maintenant, à nous deux, et comme des hommes.

Contre toute attente, il laisse tomber ses armes et armures. J’ai toujours la lance en main, il ne me faudrait qu’un geste pour en finir. Mais je la plante dans le sol. C’est un combat à mains nues. Je me mets en garde, attendant son attaque.

lundi 12 janvier 2015

Partie 5 - Chapitre 11 - Hector

Partie 5 – Chapitre 11 – Hector.
- Réveille-toi ! Allez !
- Hum…
- ALLEZ LE VIEUX, réveille-toi ! MAINTENANT !
- Allons bon, j’étais certain de l’avoir poutrer cette mégère !
- Autant à ton service, vieux bouc, je me rappelle d’un double impact. Personne n’en est sorti vainqueur.
Mégère arrive, pour la première fois, à me soutirer un sourire. La sensation est extrêmement désagréable. On dirait que ma bouche est en carton. Suis-je assoiffé à ce point ? A moins que c’est d’avoir été changé en arbre ?
En entendant Mégère me répondre mentalement, la scène de notre mort me revient à l’esprit. Soudain, je me rends compte que les premières paroles n’étaient pas les nôtres. Non, d’ailleurs, la conversation continue :
- Aïe ! Qu’est-ce que vous m’avez fait ? Pourquoi suis-je attaché ?
Je reconnais cette voix, c’est celle du Professeur Stauros. L’autre, la voix de femme, doit être son assistance. En tout cas, elle porte le même parfum entêtant.
- Vous êtes attaché pour ne pas gêner l’opération.
- Quelle opération ? De quoi parlez-vous ?
J’aimerais bien le savoir aussi. Seulement, la prudence me dicte de ne pas ouvrir les yeux. Il faut que j’arrive à les situer dans la pièce pour agir au bon moment. Je fais un effort violent pour me souvenir de la pièce. Mégère ne me rend pas la tache facile.
- Il est trop tard de toute façon, le mal est fait. Je ne peux pas réparer les torts causés.
Je ne le sais que trop. C’est déjà en soi un miracle que je sois encore en vie. Je dois encore le rester, pour Eli. J’ai beau réfléchir, pas moyen de me souvenir. Les images dans ma tête sont celles de la Grèce antique.
- Comment tu sais que c’est de la Grèce antique ?
Voyons, Mégère, tu sais bien que nous nous sommes affrontés dans la périphérie de Delphes. Une première fois avant qu’Eli n’y entre et la seconde, après qu’il en soit sorti.
- Décidément, il faut que je fasse tout à ta place ! Et peux-tu m’expliquer pourquoi nous ne sommes plus dans l’antiquité ?
Le rêve ! Bien sûr, merci Mégère, ça me revient. On est venu à l’hôpital pour entrer dans le rêve d’Eli. C’est Stauros qui lui a créé un rêve artificiel basé sur la Grèce. Tu étais la chimère et moi, Bellérophon.
- Piètre héros.
Je ne relèverai pas ton sarcasme. Donc, si les choses sont dans le même état qu’à notre arrivée, je dois être dans le lit contre le mur et Eli dans celui le long de la fenêtre. Stauros doit être plutôt vers le bout de mon lit et son assistance vers la fenêtre. Oui, c’est ça, d’ailleurs elle est ouverte. Parce qu’elle fume. Je n’ai donc qu’à attendre qu’elle recrache sa bouffée pour ouvrir les yeux. Maintenant !
C’est bien ça. Par contre, je ne connais pas le gars qui est entre nos lits. Il est relié à Eli par les connections cérébrales que j’ai utilisé pour entrer dans son rêve. L’assistante doit être de mèche avec lui, elle le protège, c’est pour ça que Stauros est attaché. Comment vais-je pouvoir l’aider ? Pas question de bondir du lit, la distance est trop importante. De plus, elle est armée. Faut que je regarde à nouveau.
Voilà. Eli a le sommeil agité, c’est pas bon signe. Il doit être dans un combat. Par contre, l’autre a le sourire aux lèvres. Qu’est-ce que ça veut dire ?
- A ton avis ? Qu’il assiste à quelque chose qui lui plait !
Elle a raison. Il n’est donc pas là pour aider Eli. Il faut que je fasse quelque chose.
- Bien sûr, un dernier acte héroïque. Mais regarde de toi ! On est plus en Grèce antique. T’es tout vieux et tremblant. Si tu te lèves, je suis sûr que tu t’écroules.
 Merci Mégère. Encore une fois, tu me donnes la solution.
- Comment ça ? Je ne comprends pas. Explique-toi vieillard.
Je n’ai peut être pas la force de lui sauter dessus, mais je peux utiliser ma faiblesse pour l’amener à moi. Il me suffit de feindre un malaise, elle se rapprochera. Quand elle posera son arme pour me soigner, je la lui prendrais. C’est simple.
- Tu te rends compte que tu débloques grave ?
Voyons, un peu de salive, et quelques suffoquements.
- Ophélie, Hector Guerreor s’étouffe. Il doit avoir un œdème des suites d’avoir été intubé.
- Je m’en fiche, il n’a qu’à crever le vieux. Je dois surveiller que tout se passe bien pour David. Le reste n’a aucune importance.
- Vous ne pouvez pas dire ça ! Ce n’est pas vous. Ophélie, vous avez fait vos études de médecine. Qu’on soit médecin ou infirmière, on se voue à la santé des patients. Vous ne pouvez pas tout sacrifier pour un mec.
- C’est vous qui m’avez jeté. Je ne fais plus parti de l’effectif de cet hôpital. Vous aviez qu’à y réfléchir avant de me virer.
- Je ne voulais pas vous virer, j’y ai été contraint par la direction.
- Vous mentez, le directeur ne m’aurait pas viré, il aurait eu trop peur…
- Trop peur de quoi ?
- Laissez tomber.
- Non, je ne laisserais pas tomber. Sauvez cet homme. Je vous en prie ! Sinon, détachez-moi.
- Et puis quoi encore.
- Qu’est-ce que vous risquez ? Vous êtes armée, pas moi. SAUVEZ LE OU DETACHEZ MOI !
- Tu vas la fermer !
Pauvre Stauros, il se prend un coup. Mais il arrive à ses fins. Elle s’approche de moi. Je m’arc-boute pour accentuer l’impression que je m’étouffe. Bingo ! Elle pose le flingue sur le lit, juste à côté de ma tête.
- Elle va voir que tu simules !
La réflexion de Mégère me donne une décharge électrique. Le stress m’envoie de l’adrénaline. Sans réfléchir, je donne un violent coup de tête en avant. Mon coup de boule est loin d’être académique, mais il frappe en plein sur le zygomatique, l’os sous temporal. Surprise tant par le geste que par la douleur du choc, Ophélie recule d’un pas en se prenant le visage dans les mains. Ce n’est pas une criminelle. Elle n’a pas le réflexe de prendre son arme. J’en profite. Quand elle ouvre à nouveau les yeux, c’est pour découvrir que je tiens son flingue. Enfin, pour l’instant. Il est lourd et je suis beaucoup plus faible que je ne le pensais.
- Rend moi cette arme vieillard. Tu risques de blesser quelqu’un.
Ce n’est pas une criminelle, mais elle a de la suite dans les idées. Elle approche. Je tire. Le son est étouffé pas le silencieux mais Eli et celui qui à côté sursautent. Le carreau dans lequel j’ai tiré vol en éclat. J’ai réussi ce que je voulais, elle recule.
- Détachez-le !
- Vous rigolez ? Vous avez à peine assez de force pour tirer une balle dans une fenêtre. Vous n’aurez pas le cran de me tirer dessus. Vous n’êtes pas un tueur. Alors, vous pouvez garder l’arme, je n’en ai pas besoin. Bientôt David rejoindra votre fils et le tuera. Mourir dans son rêve fera de lui un légume, ce qui en soit, ne le changera pas beaucoup.
- Ecoutez le Ophélie, je ne porterais pas plainte, souffle Stauros.
Je me rends compte que mon baroude d’honneur n’a pas servi à grand-chose. Certes, j’ai l’arme, mais je n’ai pas la force de m’en servir comme il faudrait. Elle a raison, je n’ai pas envie de la flinguer en lui tirant dessus.
- Ahahah ! Quel pitoyable tableau ! T’as réussi à lui piquer son arme, mais tu ne peux pas t’en servir. Du coup, ton fils va mourir sans que tu ne puisses rien faire.
Encore une fois, la phrase acerbe de Mégère me transperce. Mon cerveau amoindri va à cent à l’heure. Comment vais-je pouvoir aider Eli ? Je ne veux pas rester le spectateur de son trépas.
- C’est pourtant ce qui va se passer, sauf si tu as un regain d’énergie.
Pas besoin d’un regain d’énergie. Je tourne l’arme vers la tête de mon voisin. Le regard d’Ophélie marque la surprise. Je lui dois bien une explication :

- Vous n’êtes pas sans savoir que je suis un mort en sursis. Il ne me reste plus longtemps à vivre. S’il y a une chose que je peux encore faire, c’est permettre que mon fils me survive. Votre partenaire doit rejoindre mon fils, dans son rêve, pour le tuer. Si je le tue avant qu’il n’atteigne son but, mon fils vivra. Qu’avez-vous à répondre à cela ?