Partie 5 - Chapitre 8 - Alcinoa.
Éli
m'inquiète beaucoup. Il est de plus en plus taciturne. On dirait qu'il s'éloigne
de nous, de moi. À chaque fois qu'il se réveille, il met de plus en plus de
temps à émerger. Je tente de l'inciter à me parler, mais il me répond toujours
la même chose :
- Ce ne
sont que des rêves.
Des
cauchemars, oui ! Il est en sueur. Le regard qu'il porte quand il ouvre les
yeux est celui d'un homme égaré. Au départ, lors de notre arrivée dans ce
monde, j'avais perdu tous mes sens. Aujourd'hui, j'ai récupéré quatre d'entre
eux. Il ne me reste que la vue à retrouver. Pourtant, elle me manque moins
qu'au début. J'ai d'abord vu Stauros, puis Basile et maintenant je vois
également Éli. Je parviens à distinguer tout ce qui a trait aux éléments, mais
je ne vois pas les monstres, ni le décor dans lequel nous évoluons. J'ai bonne espoir
de voir à nouveau, dans quelques temps, quand nous aurions vaincu le Jarkore. Mais
pour l'heure, c'est l'esprit d'Éli que j'aimerais pouvoir cerner.
Basile
est parti en reconnaissance dans la ville avec quelques soldats du général
Léonidas. Cela nous sera utile afin de ne pas tomber dans une embuscade. Je
tente à nouveau de m'approcher de mon amant.
- Éli.
Je t'en prie, il faut que tu m'expliques ce que tu ressens. Raconte-moi ton
rêve.
- À quoi
bon. Je ne vois pas en quoi ça pourrait nous aider.
-
Détrompe-toi. L'oracle a dit que nous ne pourrions réussir que si nous ne
formions qu'un. Or, si tu t'enfermes seul avec tes pensées, voir tes craintes,
je ne peux t'aider.
Éli me
fixe intensément. Est-ce-qu'il me jauge ? Peut être pèse t-il le pour et le
contre. Il me sourit, tend la main et me caresse la joue du revers.
- Et si
ce que je rêve t'était insupportable ? Ferais-je preuve d'amour en te faisant
porter mon fardeau ?
- Une
charge est plus facile à porter quand on est deux non ?
- Soit. Seulement,
il faut que tu me promettes de me dire exactement ce que tu ressens également.
- Ça
parait évident.
- Bien,
je vais te faire part de mes deux dernières escapades.
L'utilisation
de ce mot me fait déjà peur. Éli n'est pas de ceux qui se fourvoient dans le
langage. Chaque mot est choisit avec soin. Il se met à me raconter son rêve. La
pièce dans laquelle il se trouve. La sensation désagréable d'être prisonnier de
son corps. La présence de Stauros. À chaque fois qu'il termine une phrase, j'ai
l'impression qu'il m'ajoute du poids sur les épaules. Il ne plaisantait pas
quand il a parlé de fardeau. Il est tout bonnement en train de me dire qu'il
serait dans un rêve quand il se trouve avec moi. Ce qui voudrait dire que tout
ce en quoi je crois n'est que mirage. Impossible ! Nous avons risqué la mort à
de trop nombreuses reprises pour n'être que des chimères. Quand il achève son
récit, je reste prostrée. La façon dont il décrit les sensations qu'il a dans
ces deux rêves est saisissante. Comment ne faire qu'un avec quelqu'un qui vous
apprend que vous n'êtes pas réel.
Lorsqu'il
achève son récit, c'est à mon tour de rester prostrée. Il me dévisage en
attendant que je respecte ma part du marché. C'est au-dessus de mes forces. Je
ne sais que dire. Il le voit et regrette déjà de s'être ouvert ainsi.
- Je
suis désolé Alcinoa. Comme je te l'ai dit, ce ne sont que des cauchemars.
-
Pourtant, tu sembles leur accorder un certain crédit.
- Je ne sais
plus faire la part des choses.
Alors
que je m'approche de lui pour qu'il me touche et me dise ce qu'il ressent,
Basile revient. Il est tout excité, au point qu'il ne remarque pas la tension
qui imprègne la pièce.
- Le
Jarkore ! Je l'ai vu !
Nous
reprenons nos esprits de concert.
- Comment
est-il ?
Basile
éclate de rire. Puis prend un air sérieux pour nous répondre.
- Nous
avons battus des monstres bien plus impressionnants. C'est bien ça qui me fait
peur. C'est un homme, comme nous. Seulement, il sait se battre. Nous avons
assisté à l'un de ses entraînements. Il se bat avec furie. Les monstres qui
l'accompagnent meurent avec fierté. Ils doivent prendre ça pour un honneur que
de l'affronter. Aucun ne l'épargne, ils l'attaquent avec la rage. Pourtant c'est
insuffisant.
- Et tu
ne trouves pas étrange qu'il vous laisse assister à ses combats ?
- oh, t'inquiète.
Nous étions bien planqués.
Éli se
lève d'un bond. L'homme hagard a disparu. C'est le guerrier qui empoigne
Basile par les épaules.
- Il n'a
jamais regardé, ne serait-ce qu'une fois, dans votre direction ?
La
question semble décontenancer Basile. Il fronce les sourcils, cherchant à se
souvenir avec exactitude de ce qu'il a vu. Alors qu'il se dégage de la prise
d'Éli, son visage marque l'étonnement.
- Si !
Une fois ! Effectivement, il a tourné son masque dans notre direction. J'ai
compris pourquoi il porte le surnom de masque de mort. La visière de son casque
est faite d'os, d'un os pour être précis. Celui de la face d'un crâne humain.
- Il
savait que vous étiez là.
-
N'importe quoi. Il s'est tourné vers nous parce qu'il a pris un coup de masse.
C'est la dernière chose qu'à fait l'homme-rat qui l'affrontait.
Éli bouscule
Basile en le poussant violemment. Le ton est dur, inflexible.
-
Réfléchis voyons ! Il savait que vous étiez là. Son numéro n'est là que pour distiller
la peur !
Je me
lève à mon tour afin de me placer entre Éli et Basile qui n'a pas l'air
d'apprécier ses insinuations.
- Du
calme les garçons. Nous aurons besoin de toute cette énergie belliqueuse face à
lui. S'il parvient à nous diviser, alors il a d'ors et déjà gagné.
Éli
tourne les talons en pestant. Basile est vexé.
Je m'approche
d'Éli. Il regarde par la fenêtre, les bras croisés. Je lui caresse les épaules
puis la nuque. Je lui souffle quelques mots à l'oreille.
-
Qu'est-ce qui te permet d'être si catégorique ?
Éli
tourne la tête vers moi. Son regard est noir. Il est furieux. En fait, depuis
le début, c'est toujours à couteaux tirés avec Basile. Il n'apprécie pas que je
me mette entre eux. Seulement, nous ne serons pas trop de trois pour affronter
le Jarkore. Éli le sait, mais a du mal à l'accepter.
- Je
suis si catégorique parce que j'aurais fait pareil. D'abord tu distilles la
peur, ensuite, tu passes à l'attaque.
Au même
instant, des cris retentissent. Accompagnés par des bruits de mouvements de
troupes, Éli conclu par une courte phrase :
- Pour
une fois, je n'aime pas avoir raison !