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mardi 21 octobre 2014

Partie 5 - Chapitre 8 - Alcinoa

Partie 5 - Chapitre 8 - Alcinoa.
Éli m'inquiète beaucoup. Il est de plus en plus taciturne. On dirait qu'il s'éloigne de nous, de moi. À chaque fois qu'il se réveille, il met de plus en plus de temps à émerger. Je tente de l'inciter à me parler, mais il me répond toujours la même chose :
- Ce ne sont que des rêves.
Des cauchemars, oui ! Il est en sueur. Le regard qu'il porte quand il ouvre les yeux est celui d'un homme égaré. Au départ, lors de notre arrivée dans ce monde, j'avais perdu tous mes sens. Aujourd'hui, j'ai récupéré quatre d'entre eux. Il ne me reste que la vue à retrouver. Pourtant, elle me manque moins qu'au début. J'ai d'abord vu Stauros, puis Basile et maintenant je vois également Éli. Je parviens à distinguer tout ce qui a trait aux éléments, mais je ne vois pas les monstres, ni le décor dans lequel nous évoluons. J'ai bonne espoir de voir à nouveau, dans quelques temps, quand nous aurions vaincu le Jarkore. Mais pour l'heure, c'est l'esprit d'Éli que j'aimerais pouvoir cerner.
Basile est parti en reconnaissance dans la ville avec quelques soldats du général Léonidas. Cela nous sera utile afin de ne pas tomber dans une embuscade. Je tente à nouveau de m'approcher de mon amant.
- Éli. Je t'en prie, il faut que tu m'expliques ce que tu ressens. Raconte-moi ton rêve.
- À quoi bon. Je ne vois pas en quoi ça pourrait nous aider.
- Détrompe-toi. L'oracle a dit que nous ne pourrions réussir que si nous ne formions qu'un. Or, si tu t'enfermes seul avec tes pensées, voir tes craintes, je ne peux t'aider.
Éli me fixe intensément. Est-ce-qu'il me jauge ? Peut être pèse t-il le pour et le contre. Il me sourit, tend la main et me caresse la joue du revers.
- Et si ce que je rêve t'était insupportable ? Ferais-je preuve d'amour en te faisant porter mon fardeau ?
- Une charge est plus facile à porter quand on est deux non ?
- Soit. Seulement, il faut que tu me promettes de me dire exactement ce que tu ressens également.
- Ça parait évident.
- Bien, je vais te faire part de mes deux dernières escapades.
L'utilisation de ce mot me fait déjà peur. Éli n'est pas de ceux qui se fourvoient dans le langage. Chaque mot est choisit avec soin. Il se met à me raconter son rêve. La pièce dans laquelle il se trouve. La sensation désagréable d'être prisonnier de son corps. La présence de Stauros. À chaque fois qu'il termine une phrase, j'ai l'impression qu'il m'ajoute du poids sur les épaules. Il ne plaisantait pas quand il a parlé de fardeau. Il est tout bonnement en train de me dire qu'il serait dans un rêve quand il se trouve avec moi. Ce qui voudrait dire que tout ce en quoi je crois n'est que mirage. Impossible ! Nous avons risqué la mort à de trop nombreuses reprises pour n'être que des chimères. Quand il achève son récit, je reste prostrée. La façon dont il décrit les sensations qu'il a dans ces deux rêves est saisissante. Comment ne faire qu'un avec quelqu'un qui vous apprend que vous n'êtes pas réel.
Lorsqu'il achève son récit, c'est à mon tour de rester prostrée. Il me dévisage en attendant que je respecte ma part du marché. C'est au-dessus de mes forces. Je ne sais que dire. Il le voit et regrette déjà de s'être ouvert ainsi.
- Je suis désolé Alcinoa. Comme je te l'ai dit, ce ne sont que des cauchemars.
- Pourtant, tu sembles leur accorder un certain crédit.
- Je ne sais plus faire la part des choses.
Alors que je m'approche de lui pour qu'il me touche et me dise ce qu'il ressent, Basile revient. Il est tout excité, au point qu'il ne remarque pas la tension qui imprègne la pièce.
- Le Jarkore ! Je l'ai vu !
Nous reprenons nos esprits de concert.
- Comment est-il ?
Basile éclate de rire. Puis prend un air sérieux pour nous répondre.
- Nous avons battus des monstres bien plus impressionnants. C'est bien ça qui me fait peur. C'est un homme, comme nous. Seulement, il sait se battre. Nous avons assisté à l'un de ses entraînements. Il se bat avec furie. Les monstres qui l'accompagnent meurent avec fierté. Ils doivent prendre ça pour un honneur que de l'affronter. Aucun ne l'épargne, ils l'attaquent avec la rage. Pourtant c'est insuffisant.
- Et tu ne trouves pas étrange qu'il vous laisse assister à ses combats ?
- oh, t'inquiète. Nous étions bien planqués.
Éli se lève d'un bond. L'homme hagard a disparu. C'est le guerrier qui empoigne Basile par les épaules.
- Il n'a jamais regardé, ne serait-ce qu'une fois, dans votre direction ?
La question semble décontenancer Basile. Il fronce les sourcils, cherchant à se souvenir avec exactitude de ce qu'il a vu. Alors qu'il se dégage de la prise d'Éli, son visage marque l'étonnement.
- Si ! Une fois ! Effectivement, il a tourné son masque dans notre direction. J'ai compris pourquoi il porte le surnom de masque de mort. La visière de son casque est faite d'os, d'un os pour être précis. Celui de la face d'un crâne humain.
- Il savait que vous étiez là.
- N'importe quoi. Il s'est tourné vers nous parce qu'il a pris un coup de masse. C'est la dernière chose qu'à fait l'homme-rat qui l'affrontait.
Éli bouscule Basile en le poussant violemment. Le ton est dur, inflexible.
- Réfléchis voyons ! Il savait que vous étiez là. Son numéro n'est là que pour distiller la peur !
Je me lève à mon tour afin de me placer entre Éli et Basile qui n'a pas l'air d'apprécier ses insinuations.
- Du calme les garçons. Nous aurons besoin de toute cette énergie belliqueuse face à lui. S'il parvient à nous diviser, alors il a d'ors et déjà gagné.
Éli tourne les talons en pestant. Basile est vexé.
Je m'approche d'Éli. Il regarde par la fenêtre, les bras croisés. Je lui caresse les épaules puis la nuque. Je lui souffle quelques mots à l'oreille.
- Qu'est-ce qui te permet d'être si catégorique ?
Éli tourne la tête vers moi. Son regard est noir. Il est furieux. En fait, depuis le début, c'est toujours à couteaux tirés avec Basile. Il n'apprécie pas que je me mette entre eux. Seulement, nous ne serons pas trop de trois pour affronter le Jarkore. Éli le sait, mais a du mal à l'accepter.
- Je suis si catégorique parce que j'aurais fait pareil. D'abord tu distilles la peur, ensuite, tu passes à l'attaque.
Au même instant, des cris retentissent. Accompagnés par des bruits de mouvements de troupes, Éli conclu par une courte phrase :

- Pour une fois, je n'aime pas avoir raison !

samedi 4 octobre 2014

Partie 5 - Chapitre 7 - Stauros

Partie 5 - Chapitre 7 - Michel Stauros
Ça fait maintenant deux heures que j'essaie de joindre Alicia. Il faut absolument que je la prévienne. Son mari a prononcé, pour la première fois en dix ans, son premier mot. Je me repasse en boucle la vidéo. J'entre dans la chambre afin de réaliser quelques tests cognitifs. Je me vois lui prendre la main, la laisser retomber sur le lit. À l'aide d'un petit marteau, j'administre quelques coups et constate la réaction réflexe. Le tout est bon signe. Son corps réagit bien.
Il m'a fallut revoir deux fois la séance pour déceler l'accélération du pouls. Il était présent, dans son corps. Normal, allez-vous me dire. Oui et non. Il est extrêmement rare d'être spectateur de la genèse d'une résurgence. Mais ça veut dire que mon procédé fonctionne. Le Michel Stauros d'il y a un mois aurait pensé au Pulitzer. Pas celui d'aujourd'hui. Il y a eut trop d'événements depuis le démarrage de cette expérience pour ne pas avoir été changé.
Soudain, un doute m'assaille. Comment savoir si la personne qui a prononcé mon nom est bien Elliot Guerréor ? Depuis le coma de son père, je n'ai pas moyen de savoir quelle conscience émerge. Hector est lui-même plongé dans un coma profond. Il serait mort si Alicia ne m'avait pas obligé à le mettre sous respirateur. En cela, j'ai enfreint la volonté de mon patient pour respecter celle de son plus proche parent, sa bru.
J'échafaude une théorie, déjà pour me convaincre. Ensuite, je pourrais l'expliquer à Alicia. En commutant l'esprit d'Hector à celui de son fils, il est possible que sa conscience ait migrée. Je vois deux raisons à ça : premièrement, la volonté qu'il avait de parler à son fils avant de mourir. Deuxièmement, le désir qu'à tout être de se raccrocher à la vie. Or, son corps étant abîmé par la maladie dégénérative dont il est atteint, il en avait l'opportunité. Le problème reste que dans ce voyage, il faut également pouvoir rester en vie. Puisque je fais subir à Éli un voyage initiatique qui est loin de tout repos, Hector s'est peut être mis en danger. Si la personnalisation d'Hector se fait tuer dans le rêve de son fils, peut-il revenir ? Y-a-t-il un lien entre la conscience de l'être humain et son corps ? La science n'a rien établit sur le sujet. Toujours est-il qu'Hector ne répond à aucuns stimuli réactionnels. Pourrait-il entrer en contact avec moi via le corps de son fils ? Il faut que je me prépare quelques questions pour pouvoir identifier celui qui me parle. Dans l'éventualité ou il me parle à nouveau.
J'ai retracé les différentes séquences du parcours d'Éli. J'en suis venu à être à 70% convaincu qu'il devait dormir dans son rêve. Ce qui induit qu'à son prochain sommeil, il se peut qu'il revienne à la réalité. Cette hypothèse serait factuelle si la conscience d'Hector n'avait pas migré. Qu'est-ce qui pourrait accréditer la thèse de la migration ? Il me faut revoir les vidéos plus anciennes. Celles ou Hector est en contact avec son fils. Si son corps réagit, ça pourrait dire qu'il n'y a pas de migration mais collaboration.
Je glisse le pointeur de mon écran vers un fichier vidéo plus ancien. D'après mes notes, Éli n'est pas encore arrivé à Delphes quand il rencontre son père. Je divise l'écran en deux. À gauche, je mets Éli, et à droite son père.
Les réactions des deux hommes coïncident à plusieurs moments. D'abord de manière fugace, comme si l'un des deux ne partageait pas la rencontre. Puis il y a correspondance. Éli a son pouls qui accélère, alors que celui d'Hector se calme. Il a dû, à ce moment précis, entrer en contact avec son fils. Le fait d'y parvenir le rassure.
Peu après, ils doivent combattre. Chacun est nerveux, leurs corps sont pris de soubresauts. Comment ça a pu m'échapper ? Je n'en reviens pas. Le rêve doit être particulièrement violent. Leurs respirations s'emballent. Soudain, Hector est saisi de spasmes. Il se raidit, chaque muscle de son corps est crispé. Puis il s'affale. Son cœur s'arrête. C'est à ce moment que le personnel intervient pour le réanimer. Il sera intubé car il ne parvient plus à respirer seul.
J'en conclu que l'esprit d'Hector devait bien être dans son corps. Ce qui induit que c'est Éli qui a prononcé mon nom. Je suis songeur quand je coupe la vidéo. Je laisse l'écran partagé et affiche le direct. Éli est calme, je ne sais pas ce qu'il rêve, mais rien ne semble l'affecter. Par contre, je discerne quelque chose de changer chez Hector. Ses yeux "roulent" sous ses paupières. Je me lève pour aller voir ça de plus près. J'entre dans la chambre et m'approche d'Hector. Il rêve !
- C'est génial ! Il n'est pas mort.
Mon enthousiasme m'a fait parler à voix haute. Je me demande s'il pourrait respirer seul. C'est délicat. Je débranche le tube du respirateur. Rien ne se passe. Je regarde ma montre. Pas plus d'une minute et je rebranche. Tout ce qui se passe autour de moi disparaît pour ne laisser que le cadran de ma montre. La trotteuse franchit le "3". Toujours rien d'autres que les mouvements oculaires. 
"6". Je sens la sueur perler sur mon front. J'aimerais tant que ce vieil homme puisse revenir. Il serait témoin de la résurgence de son fils. Il pourrait lui parler de vive voix. Je n'ai pas le privilège d'être père, mais j'imagine qu'il y a des choses que l'on souhaite dire avant de partir. 
"9" J'approche l'embout du tube du respirateur. 
"10". Quel dommage. 
"11".
- Allez Hector, secoue-toi !
Il prend une grande inspiration, comme un homme qui passe la tête hors de l'eau.
- OUI ! C'est ça, respire !
Le souffle passe par le tuyau. Sa poitrine se soulève et s'abaisse en signe d'une respiration, fébrile certes, mais tout de même.
J'ai bonne espoir que son esprit revienne et qu'il reprenne connaissance sous peu. Je prends une chaise et m'assoie à proximité. Je souffle en m'adossant. Qui a dit que les médecins avaient une vie tranquille ?
Il faut que j'arrive à joindre Alicia. Je choisi de lui envoyer un texto, il est quand même deux heures du matin. Je vais devoir veiller toute la nuit.
Tandis que je laisse mon esprit vagabonder, Éli entre dans une phase de rêve. Il s'agite sur son lit. Sa tête tourne d'un sens puis d'un autre. Qu'est-ce qu'il voit ? Il a dû arriver à Athènes. À moins qu'il ne soit en train de traverser, les lignes ennemies. Non, j'ai remarqué que quand il combat, ses poings se crispent. Ce n'est pas le cas. Je me lève pour m'approcher. Sa tête s'immobilise. Son pouls s'accélère à nouveau. Je m'approche. Au moment ou je tends la main vers son visage pour soulever une de ses paupières, il le saisi le bras fermement. Je sursaute.
- Stau....ros...
- Éli, vous m'entendez ?
- O... Oui !
- Excellent ! Savez-vous ou vous êtes ?
- Athènes...
- Oui, enfin, non, ici, savez-vous où vous êtes ?
- Jarkore... Qui est...
- Éli, Athènes est un rêve. Là, vous êtes dans le monde réel.
La pression de sa main se relâche. A-t-il compris ce que je lui ai dit ? Alors que j'essaie de me dégager, l'étau se resserre.
- Stauros... Je vous haïe.
La prise se rompt. Il laisse tomber son bras sur le lit. Sa dernière phrase m'a glacé le sang. Alors qu'il me tenait le poignet, ses paupières se sont ouvertes. Il m'a toisé d'un regard absent mais particulièrement méchant. C'est dingue ! Je jurerai qu'il était aveugle. Ce constat signifie qu'il n'a pas encore récupérer la vue. Par contre, il faut à tout pris que je parvienne à lui implémenter des pensées moins belliqueuses à mon égard.
Il faut que je retourne à mon labo. Que je prépare la dernière phase. Autant dire que j'ai intérêt à être convaincant ! Je jette un œil vers Hector. Ses constantes sont régulières.
- Je peux continuer à le surveiller du bocal.
Je me précipite vers mon bureau afin de ne pas rompre la surveillance trop longtemps. J'entre, referme la porte derrière moi et m'assoit devant mon écran. En voyant une silhouette en reflet, je percute qu'il y a quelqu'un derrière moi. Je n'avais pas fermé quand je suis sorti voir Hector.
Trop tard !
Ma dernière sensation est une horrible douleur à la tête.

Tout devient noir...