Partie 3 - Chapitre 6 - Éli.
Je ne
l'aime pas. Je m'en méfie comme de la peste. Quoi de plus normal, vous ne
trouvez pas ? La veille, je me battais contre lui et ses sbires. Aujourd'hui,
je devrais lui faire des gentillesses. Hors de question. Il a quelque chose que
je ne sens pas. L'attitude de quelqu'un ayant un dessein machiavélique. Je vois
bien son petit manège. Il fait les yeux doux à Alcinoa qui le voit, lui !
Attendez. Il
m'a carrément demandé de devenir son maître d'arme. Au début j'ai refusé. Mais
dès le premier groupe de monstres, il est devenu évident que je ne pourrais pas
assurer la sécurité de ce boulet. Je m'en veux encore de ne pas avoir su empêcher
Alcinoa d'être enlevée ou figée dans la glace. Je ne me pardonnerai pas s'il
lui arrivait malheur parce que je protégerai Bacille. Oui je sais. C'est petit
de coller des surnoms péjoratif. Vous n'allez pas me priver de mon seul plaisir
quand même. En tout cas, il est vraiment mauvais en combat. A croire que sa
version concernant l'infection par un monstre soit vraie. J'étais plus fort que
lui, lors de notre premier combat, mais là, il est devenu carrément nullissime.
Il ne le feint pas. Généralement, un combattant protège sa vie. Il en résulte
que certaines passes d'arme prouvent que vous êtes ou non initié. Dans son cas,
soit c'est le meilleur acteur de tous les temps, soit il est tout simplement
néophyte en combat. Je suis convaincu qu'il n'est meilleur en rien. Même son
idée de longer la côte était nulle. C'est sûr qu'on ne rencontre plus de
ménades. A proximité de l'eau, elles ont laissé place aux ichtians, créature
mi-homme, mi-lézard. Ils sont divisés en deux catégories : les guerriers et les
chamans. Les derniers sont les plus dangereux. Ils maitrisent les éléments,
enfin surtout l'eau, et ils voient Alcinoa !
Oui,
d'accord... J'ai compris... Le voyage vous intéresse moins que de savoir ce que
Stauros m'a rendu. Vous êtes curieux attention, c'est un défaut. La première
fois, il m'a restitué les dix premières années de ma vie. Les derniers
souvenirs concernaient la séparation d'avec mon père. La trame reprend à mon intégration
au collège privé Saint Joseph. Comment s'intégrer dans un tel établissement ?
Jusqu'à ce jour, je m'étais habillé selon mes choix, hormis pour l'entrainement
d'aïkido. Là, il fallait porter un accoutrement similaire à celui de tous les
autres. Nous avions un costume par jour. Comme j'étais résident à temps
complet, ça faisait sept panoplie du parfait élève. Cela faisait de la lingerie,
le deuxième poste en matière de travail, juste après le réfectoire. L'uniforme
avait pour but d'effacer les inégalités sociales. Ça partait d'un bon sentiment
de la part de la direction. Mais c'était hypocrite de croire que du tissu
pourrait combler un tel fossé. Sans compter sur le fait que certains élèves étaient
les enfants des principaux mécènes. Vous pensez bien que le fils de
l'archéologue déjanté face aux fils à papa bouffis d'orgueil, ça ne pouvait que
dégénérer. Dès le début, le ton était donné. Au premier appel, les moqueries
ont commencé à fuser. Si la majorité des élèves sont restés impassible à
l'énoncé de mon nom, un petit groupe m'a clairement fait comprendre que je devrais
me soumettre. C'était mal me connaître. Tant qu'il n'y avait que des mots, je
supportais. C'est au premier cours de sport que les choses se sont corsées. Le
prof, un ancien militaire, ne jurait que par la force brute. Il était la
parfaite démonstration qu'un corps humain peut faire des prouesses s'il est
bien entretenu. On aurait pu croire que c'était le genre de brute sans cervelle,
tant s'en faut. Il a repéré le conflit dans les premières minutes. Je suis
convaincu que cela a induit son changement de programme. Il n'était pas prévu
de faire de la boxe en début d'année, pourtant... Je me suis retrouvé sur le
ring face à Arthur De Castel. Fils bien né d'une famille de la noblesse
française. C'était le chef de la bande, le meneur, celui dont la voix compte
double. Vu la vitesse à laquelle il a chaussé les gants, il devait être rompu à
ce sport. Ça lui permit de se moquer de moi jusqu'au gong de départ. Seize
secondes plus tard, il était KO. Malgré le casque, je lui ai explosé le nez. Pensez-vous
que cela allait me permettre de jouir d'une tranquillité bien méritée ? Je
venais de signer pour une année de tribulations. Il vous faut savoir que
l'établissement dans lequel je venais de rentrer a un règlement très
particulier. Chaque pensionnaire, en plus de ces heures de cours, doit participer
à la vie collective en assumant une tâche attribuée dès le début d'année. Le
sort détermine ce que vous aurez à faire. Je me suis retrouvé à la lingerie. J'aurais
pu tomber sur pire, genre entretien. Mon adversaire s'est, comme par hasard, retrouvé
à la cuisine, avec ses principaux lieutenants. Chaque attribution a ses
avantages et ses inconvénients. La cuisine permet de manger autant que l'on
veut, parfois même, quand la cuisinière est de bonne humeur, de se faire son
menu. L'inconvénient, on mange les derniers et on se tape la vaisselle. La
lingerie, c'est assez tranquille, une fois qu'on a pris le rythme. L'inconvénient,
les odeurs du linge sale. Allez savoir pourquoi, le responsable de la lingerie
était un homme. Rustre certes, mais pas tombé de la dernière pluie. Il a eut
tôt fait de comprendre qu'un des gars qu'il avait dans son équipe était le
vilain petit canard. D'autant qu'Arthur avait ses espions partout. Il suffisait
de vouloir du rab ou plusieurs desserts pour lui être redevable. De ce fait,
n'importe qui pouvait être à sa botte. Comme j'étais dur à la tâche, Émile, le
responsable de la lingerie, me confia les clés. Je pouvais ainsi, arriver plus
tôt ou partir plus tard pour m'entrainer. L'aïkido m'avait donné la souplesse
et la rapidité. C'est ce qui m'a permis de triompher lors du premier combat
contre Arthur. Reste qu'il me fallait acquérir de la force. Émile ne manquait
jamais d'idées. Genre : décharger d'un camion, une palette de paquets de
25 Kg de lessive, à la main. Au début, j'ai cru qu'il m'en voulait. Seulement,
après un mois de ce traitement, même le prof de sport a vu la différence. Au
deuxième combat contre Arthur, j'ai été moins vite, certes, mais je l'ai couché
une seconde fois.
N'allez
surtout pas croire que cette deuxième victoire me protégerait de sa bande. A compter
de ce moment, mes repas étaient souillés. Insectes, trop salé, jusqu'à ce que
mes résultats s'en fassent sentir. J'ai bien essayé de me venger : poil à
gratter dans les uniformes ou excès d'amidon pour des tenues en cartons. Mais Émile
n'a pas apprécié.
- Couche-le
autant que tu veux sur le ring, tu agis en homme, face à ton problème. Use de
moyens détournés, tu deviens faible comme eux.
Pour une fois,
Émile monta au créneau. Il prit à partir la direction qui ferma les yeux. Du
coup, comme la cuisinière était une amie, il s'arrangea pour que je puisse
avoir à manger. De son côté, elle prit en flagrant délit un des lieutenants
d'Arthur en plein saccage de repas. Il fût viré de ce poste pour atterrir à
l'entretien des toilettes.
Je dois
interrompre mon récit car nous arrivons à une grotte étrange. La falaise qui borde
la plage est sculptée en forme de visage monstrueux. Ça ne présage rien de bon.
Une odeur pestilentielle en sort et maintenant qu'Alcinoa a récupéré l'odorat, elle
ne manque pas de faire la remarque. Le corps d'un satyre en très mauvaise état
ajoute à l'atmosphère lugubre.
- On
devrait rentrer là-dedans.
- Visiblement
c'est occupé par quelqu'un de peu hospitalier. Pourquoi veux-tu qu'on y entre ?
On continue à longer la plage jusqu'à Mégare comme tu nous l'as suggéré,
Basile.
- Écoute
Éli, tu n'as pas prononcé un mot depuis des heures. Tu agis mécaniquement comme-ci
ton esprit n'était plus vraiment parmi nous. Regarde autour de toi ! Il va
faire nuit. Il nous faut un abri...
- Tu crois
vraiment que tu vas me faire gober que tu proposes ça parce que tu te soucies
de nous ?
A ce
moment précis, je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai dégainé. Je me suis mis à
l'accuser d'avoir tout planifié. De vouloir nous attirer dans un piège afin de
se débarrasser de moi. Alcinoa tenta de me faire entendre raison, en vain.
- Basile, prend
ton arme !
- Hors de
question. Tu veux me tuer, fais le sur un homme désarmé. Tu prouveras que
j'avais raison !
- Sauf si
je trouve le basilic encore en toi ! DEGAINE !
Même si sa
démarche est hasardeuse due à la privation de trois de ses sens, Alcinoa se
dresse entre nous, face à moi. Elle a les bras tendus pour protéger Basile.
J'hallucine. Elle prend sa défense.
- Éli, tu me
fais peur. Reprend toi mon amour. Ça ne te ressemble pas.
J'entends
sa voix, mais la colère me consume. Est-ce que c'est à cause des souvenirs que
Stauros m'a rendu ? Les quatre années ne sont que combats. Elles ont fait de
moi une machine bien huilée pour le plus grand plaisir du prof de sport. Dans
le même temps, Émile a veillé à ce que je ne sois pas un dur sans cervelle. Je
suis tout de même obligé de reconnaitre que cette part de moi me rend nerveux.
Devinant
mes mains pendre le long de mon corps, Alcinoa s'approche de moi. Je me laisse
entourer par ses bras affectueux. Seulement, je sens sa peur. Elle a peur de
moi. C'est le cercle vicieux. Je voudrais me calmer, mais je sens sa peur. Sa
peur alimente ma colère qui, à son tour, accroit sa peur. La dernière fois, ça
s'est terminé par une décharge électrique. Je le regarde. Tout en moi transpire
la haine. J'ai la tête légèrement baissée en avant, pourtant je ne le quitte
pas des yeux.
A cet
instant précis, il fait quelque chose d'inattendue. Il pénètre dans la grotte, seul
et sans même prendre la précaution de s'armer. Alcinoa me regarde avec ses
mains. Ses doigts parcourent mon visage, en dessinent les moindres contours. Elle
tremble. Se pourrait-il qu'elle ait peur de moi ? A cet instant, ma colère s'efface.
Elle laisse place à un sentiment de honte. Je prends conscience du gouffre qui
me sépare de ce que j'étais quelques jours plus tôt. Pourquoi prononce-t-elle
cette phrase ?
- Si ce que tu crois être indestructible l'est réellement,
alors vous triompherez.
Ce sont les paroles de Stauros. Il avait raison. Cette histoire est en
train de mettre notre amour à l'épreuve. La vraie question reste entière : A
quoi bon arriver au bout de l'aventure pour perdre ce a quoi l'on tient ?
- Je ne veux pas te perdre...
Elle énonce ces quelques mots dans un souffle. L'instant aurait pu être
magique si le cri qui suivit ne l'avait pas réduit à rien. Sans réfléchir, je
me précipite à l'intérieur de la grotte.