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dimanche 27 octobre 2013

Chapitre 7

Chapitre 7 : Alicia.
La sonnerie du téléphone me fait sursauter. Je me suis endormie une nouvelle fois sur le canapé. La photo de David s’affiche sur mon écran. Il veut savoir si tout s’est bien passé. C’est légitime, mais il va me demandé s’il peut passer et je n’en ai pas envie. Je préfère ne pas décrocher. J’entends sa voix me laisser un message :
- Salut Ali (c’est le petit nom qu’il juge opportun de me donner), je voudrais venir te chercher en fin de matinée pour te sortir. Un resto puis un passage à la fête foraine, histoire de te changer les idées. Si tu ne me rappelles pas, je passe te prendre à onze heures et demie (il raccroche).
Me voilà prise au piège. Si je n’appelle pas, il se déplace et si j’appelle, je le connais, il va insister jusqu'à ce que je cède. Ces derniers temps, je ne sais pas ce qu’il a, je trouve qu’il se fait de plus en plus pressant. Pourtant, ce ne sont pas les candidates qui manquent. Je ne comprends pas pourquoi il continue à venir chaque semaine. Nous avons déjà abordé le fait de refaire ma vie. Tant qu’Eli vivra, il n’y aura pas d’autre homme dans ma vie. Je ne sais même pas si je serais en mesure d’aimer à nouveau. Il me répète souvent dans ce cas, que je serais bien bête, que j’ai encore tout ce qu’il faut pour rendre heureux un homme et que toutes les épreuves que j’ai traversé me font mériter de vivre le reste de ma vie autrement que dans le souvenir. Il me donne parfois l’impression d’être certain que si je prenais la décision de refaire ma vie, cela serait automatiquement avec lui. C’est vrai qu’il est beau gosse malgré ces quarante cinq ans. Il s’entretient et il a une bonne situation. Mais je ne parviens pas à comprendre pourquoi il me coure derrière alors qu’il pourrait avoir une femme plus jeune, plus belle et surtout plus souriante, qui ne risque pas d’éclater en sanglot à l’écoute d’un air de musique ou à la vue d’un objet qui fait ressortir toutes sortes d’émotions. Allez, il faut que je me secoue, si je n’ai pas envie de bouger, ni de sa compagnie, il faut que je lui dise. Je prends mon téléphone et compose le numéro en appuyant sur sa photo.
- Ali, alors, comment ça s’est passé avec le prof ?
Il fait semblant de rien, comme si je n’avais pas entendu son ultimatum. Il est sûr de lui, certain d’obtenir ma reddition. Je lui explique en quelques mots les grosses lignes de la journée d’hier. Il marque un temps d’arrêt quand j’aborde la recherche du professeur Stauros.
- Comment ça ? Il cherche une peur d’Eli ? Qu’est-ce que c’est que ce gus ? Tu ne vas pas le laisser faire quand même ?

Je fronce les sourcils en entendant ses questions. Pourquoi souhaitait qu’il ne le fasse pas ? A moins qu’il souhaite que la thérapie avorte. Mais oui, c’est ça, je vois clair dans son jeu dorénavant. Je mets un terme à la communication en le remerciant pour son invitation tout en lui affirmant que je veux rester seule et je raccroche avant qu’il ne réponde. Je suis satisfaite de moi. J’arbore un léger sourire qui s’efface aussitôt que je vois son visage apparaître à nouveau sur mon portable. Je décide de le couper tout bonnement. Au moins j’aurais la paix. Mais je sais qu’il n’abandonnera pas aussi facilement. J’ai donc trente minutes avant de le voir rappliquer ventre à terre. Juste le temps de prendre une douche et de partir faire un tour. Je cours jusqu'à la salle d’eau, je retire mes vêtements et me glisse sous le jet d’eau chaude. Ça fait du bien. J’appréhende toujours de prendre une douche car après il faut près de deux heures pour que mes cheveux sèchent. Mais quand j’y suis, j’y resterais des heures. Seulement je n’ai pas des heures. Je me sèche, passe un chandail et un jeans et je prends ma voiture, direction, la campagne.

samedi 19 octobre 2013

Chapitre 6

Chapitre 6 : Alcinoa.
Eli me prend la baguette dont je percevais l’aura et me la place dans mes mains. Je lui fais remarquer la pierre enchâssée en lieu et place d’un nœud du bois.
- Est-ce une pierre élémentaire ?
- Oui, une pierre élémentaire d’eau. Cet élément a des vertus curatives. As-tu reçu des blessures ?
Il me répond par l’affirmative. Je lui demande de placer l’extrémité de la baguette à l’endroit nécessitant un soin. Utilisant le mot « soin » en langue féerique, je lui prodigue ce dont il a besoin pour recouvrer la santé. Il me remercie d’un baiser dont je n’ai malheureusement pas conscience. Le fait de savoir qu’il a fait ce geste me met du baume au cœur.

Nous reprenons notre chemin, je m’efforce de le suivre tant bien que mal, ma main posée sur son épaule. Parfois je trébuche sur une pierre mais il est toujours là pour m’empêcher de tomber. Je suis toute remuée de nous savoir en mesure de communiquer sans qu’il n’est besoin d’être en colère. Je devine que les différents combats qu’il a menés ont augmenté ses sentiments. Il a dû craindre pour moi, ce qu’il lui a permis de vaincre. J’ai toutefois cru déceler une note d’inquiétude dans sa voix quand il m’a parlé de Sparte. Comme s’il me cachait quelque chose. Je me doute qu’il le fait dans le but de me préserver, mais je n’aime pas cette situation. J’aimerais qu’il ne soit pas le seul à porter la charge de nos malheurs.
Nous devons approcher d’un endroit habité, je perçois des flammes importantes à plusieurs endroits différents. A moins qu’il ne s’agisse une nouvelle fois de cultures incendiées. Non, cela ressemble plus à des feux de camps. Eli fait le signe que nous avons convenu pour me faire comprendre qu’il arrête d’avancer. Depuis notre dernière rencontre avec un homme sur notre chemin, il m’a demandé de ne pas parler avant qu’il ne m’est posé une question. Visiblement, cela ne rend pas les choses faciles. Nous n’avons pas encore rencontré de créature en mesure de me voir, hormis Stauros bien sûr. Il me signe qu’il reprend la marche. Il va sans doute m’expliquer de quoi il en retourne. Nous passons à proximité d’un des feux que j’avais perçu puis nous nous en éloignons.
- Alcinoa, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelles.
Je lui demande de commencer par la mauvaise, ainsi en découvrant la bonne je resterai optimiste, enfin je l’espère. Il m’apprend que la ville de Sparte a été détruite. J’ai l’impression de recevoir un poids considérable sur les épaules. Avant que je me mette à l’assaillir de question, il me donne la bonne nouvelle, tout ce qui avait de la valeur a été emmené par les monstres et leur chef, un centaure répondant au nom de Nexus. J’essaie de le convaincre de me laisser venir avec lui pour le soigner le cas échéant. Quand il me demande si l’action de soigner peut être vu par les monstres, je ne me veux pas lui cacher la vérité, lui expliquant qu'une luminescence nous enveloppe.

Je finis par convenir de rester parmi les soldats spartiates, à l’endroit ou il m’a placé je ne risque rien. Je le laisse à nouveau partir mettre sa vie en danger pour moi, pour nous.
- Avant de partir, embrasse-moi, je t’en prie.

L’a-t-il fait ? Je l’espère, s’il meurt, je veux qu’il garde le goût de mes lèvres sur les siennes à tout jamais.

dimanche 13 octobre 2013

Chapitre 5

Chapitre 5 : Eli
Depuis que j’ai revêtu ces pièces d’armures dans lesquelles sont enchâssées des pierres élémentaires, Alcinoa n’a plus besoin d’être portée. Nous avançons petit à petit dans les collines de Laconie. Les villageois d’Hélos se sont montrés très reconnaissant pour l’aide que j’ai apporté à vaincre le chef des satyres qui ruinaient leurs cultures. Si j’ai trouvé ces objets dans un coffre, ils m’ont laissé les emporter mais m’ont donné également de quoi nous nourrir et nous soigner le cas échéant. Ils m’ont mis en garde contre les monstres qui croiseraient notre chemin, m’ont indiqué les endroits les plus sûrs pour me reposer avant d’atteindre Sparte.
Alcinoa tente toujours de me convaincre d’utiliser le son pour lui parler. Seulement, je n’ai pas encore trouvé le moyen de lui parler sans avoir recours à la colère ou la frustration. Même si elle me soutient qu’elle comprend, je sais qu’elle espère que je progresse rapidement. J’ai réussi à lui demander ce qui nous avait valu d’être dans cet endroit. Elle m’a expliqué notre fuite devant les membres de son clan qui refusaient notre union. La charge du Dragonien et le passage du portail. Aucune de ces situations n’éveillent le moindre souvenir en moi. C’est comme-ci je me trouvais dans une pièce dont les murs, le sol et le plafond étaient peint d’un blanc uniforme sans la moindre altération. Rien qui ne me permette de me raccrocher à quelque chose. C’est d’ailleurs quand j’ai cette sensation que j’arrive à prononcer une phrase ou deux en infrason.
Au sortir de la forêt, nous nous arrêtons pour nous restaurer. Je suis toujours contraint de placer la nourriture dans sa main et de la diriger vers sa bouche. A chaque bouchée, elle me demande ce que c’est. Je la vois froncer les sourcils, cherchant dans ses souvenirs le goût que pouvait avoir tel ou tel aliment. Puis, à chaque fois, une lueur de tristesse illumine son regard. Cela ne reste pas très longtemps mais je ne le manque jamais. Parfois, je suis obligé de lui essuyer le menton ou les lèvres sur lesquels coulent quelques gouttes du jus d’un fruit. Je suis toujours fasciné par la douceur du moindre grain de sa peau. Avant, quand je le faisais, elle ne se rendait compte de rien. Maintenant, avec mes brassards qu’elle perçoit, elle sait que mes mains se portent vers son visage. Quand j’entends sa question, je me sens bêtement coupable :
- Eli, me caresses-tu ?
Je n’arriverais pas à prononcer suffisamment de mot en infrason pour répondre. Je me contente d’être honnête et d’un simple « oui ». Elle me sourit et me surprend encore :
- Embrasse-moi.
Mon cœur se mets à battre la chamade. Je fixe ses lèvres charnues s’entrouvrir pour accueillir les miennes. Je suis assailli de toutes sortes d’émotions contradictoires. Je sais pertinemment qu’elle ne ressentira rien puisqu'elle est privée du sens du toucher, je me dis donc que l’embrasser ne va que me satisfaire, que cela est égoïste. Elle incite :
- Embrasse-moi mon amour.
Je pose mes lèvres sur les siennes. Je ressens la douceur de sa bouche pulpeuse. Mon cœur bat à tout rompre et je sens une douce chaleur m’envahir et me colorer le visage. Je rougis.
- Merci, me dit-elle.
Aurait-elle senti quelque chose ? Je lui souffle « Pourquoi ? »
- Parce que je sais que tu l’as fait.
Ainsi elle n’a rien senti. Je me retrouve submergé par un sentiment de culpabilité. Comme-ci j’avais abusé d’elle. C’est idiot, je sais, puisqu'elle qui m’a invité à le faire. Mais voilà, je suis le seul à en avoir retiré quelque chose. J’enrage. Nous sommes censés être pour le moins fiancés et nous sommes privés du réconfort que nous pourrions nous prodiguer l’un à l’autre. Elle pose sa main sur mon genou, maladroitement mais malgré tout pile là ou il faut car je gigote martelant le sol de mon talon. Comme mes nouvelles chausses sont aussi équipées de pierre élémentaire, elle les perçoit. Les voir s’agiter lui a donné une indication de la tension qui m’imprégnait.
- Je suis désolé Eli, je ne voulais pas te faire souffrir.
Je souris, ironiquement, mais de toute façon, elle ne peut pas le voir. Cette femme est exceptionnelle, tout en elle m’attire. Outre sa beauté, son empathie, son abnégation, toujours à me faire passer avant ses propres préoccupations. Je n’ai guère le temps de m’appesantir sur ce que je ou elle ressent. Un homme vient d’apparaître au sommet de la colline suivante. Nous ayant remarqué, il accélère en criant pour attirer notre attention. Je me lève, cela alerte Alcinoa.
- Que se passe-t-il Eli ?
- Un homme vient vers nous.
 Encore une fois, j’ai mangé un mot. L’homme arrive devant nous et se plie en deux visiblement essoufflé par sa course. Il essaie de parler mais, les mains sur les genoux, il n’arrive pas à se calmer. Il doit avoir environ mon âge, une quarantaine d’année mais la vie l’a plus ébranlé que moi. Ces cheveux sont déjà poivre et sel et son visage est creusé de rides profondes. Il finit par se présenter :
- Bonjour étranger, je suis Timager. Je me suis fait attaquer sur l’autre versant de la colline par des eurymones. J’ai défendu chèrement ma peau, mais ils sont parvenus à me prendre le collier qui servait de dot pour le mariage de ma fille. Je ne suis pas assez fort pour le récupérer, pourriez-vous me venir en aide ?
Qu’auriez-vous répondu à ma place ? Bien sûr, nous avons nos propres préoccupations, mais je ne me sens pas de lui dire de se débrouiller tout seul. C’est une fois de plus Alcinoa qui me fait revenir à l’essentiel :
- Que veut-il ?
Cette seule question surprend l’homme car je ne suis pas le seul à l’entendre. Je lui explique en quelques mots qu’une jeune femme invisible souhaite savoir de quoi il en retourne. L’homme affiche une expression déconcerté. Sans doute se demande-t-il pourquoi elle souhaite savoir ce qu’il se passe alors qu’il vient à l’instant même de l’expliquer. Il prend un visage navré quand je lui apprends qu’elle est sourde.
- Reste ici et attend-moi (dis-je sur un ton ferme).
Laissant là l’homme peu rassuré et Alcinoa, je pars au pas de course vers la grotte qu’il m’a décrite espérant que je serais de taille à reprendre le bien volé. A peine suis-je entré dans la grotte à l’odeur nauséabonde que je suis attaqué par de petits gnomes difformes et repoussants. 

Mon épée courte, que j’avais ramassé après avoir vaincu les satyres d’Hélos et mon bouclier me permettent de tenir tête assez facilement aux gourdins servant d’arme aux eurymones. Comme pour les satyres, les corps de mes adversaires vaincus disparaissent en un tas de poussières noires. Je m’enfonce au fond de la grotte en tenant une torche à la main. Un boyau s’enfonce plus profondément révélant des marches grossières taillées à même la roche. Une fois en bas, la grotte s’élargit en une sorte de salle. Les murs suintent d’humidité. L’atmosphère est chargée de relent mêlant la pourriture et les excréments. Au milieu se dessine à la lueur de ma torche les eaux stagnantes d’une mare putride. De l’autre côté, je discerne de petits yeux rouges qui m’observent. Soudain, un grognement donne le départ de la charge. Une dizaine d’eurymones jaillissent de chaque côté pour me prendre en étau.  Parmi eux s’en trouvait un plus grand que les autres et d’une couleur ocre à la différence des autres plutôt noirâtre tirant sur le vert. Si les « petits » jouent du gourdin, le chef tente à chaque coup de me griffer avec ses ongles particulièrement acérés. Étant plus rapide, j’arrive à maintenir la plupart à distance, fauchant le premier qui s’avance. Leur nombre se réduit très vite de moitié. Hélas, cela a le don d’énerver les autres. Ceux que je désarme tentent de me mordre. J’assène des coups de bouclier qui déstabilisent ceux qui en font les frais. Profitant du fait que je règle son compte au dernier des petits, le chef me lacère le dos. La douleur est vive et me fait me retourner en geste brusque. C’est alors que dans la lumière de ma torche, brille le pendentif volé. Il est au cou du monstre enragé. Je sens mon cœur battre dans mon dos, les balafres me cuisent littéralement. Je n’ose imaginer ce qu’il doit y avoir sous ses ongles sales. Nous sommes face à face, nous scrutant pour trouver la faille qui mettra un terme à ce combat. S’il me touche au niveau du cou ou de la jambe, il peut me vider de mon sang. Je n’ai pas le droit à l’erreur. Alcinoa compte sur moi, tout comme Timager. Profitant de ma plus grande allonge, je porte un coup d’estoc. Ma lame s’enfonce dans sa gorge tandis que ses griffes déchirent l’air que j’exhale. Il se retourne, me faisant lâcher mon arme et tombe à genou avant de se désintégrer à son tour. Il ne reste que mon épée et le collier que je ramasse. A peine me suis-je baisser que je sens la terre tourner autour de moi. Je ne peux pas me permettre de tomber. Je glisse ma main dans le sac qui pend à ma ceinture à côté de ma bourse depuis Hélos. J’en sors une petite fiole que je porte à mes lèvres. Le goût est amer, mais la sensation de chaleur me prodigue un regain d’énergie. Je rebouche la fiole comptant demander à mon débiteur de verser le reste du contenu directement sur ma plaie.
Quand je sors de la grotte, je constate que Timager n’a pas pu attendre là ou je l’avais laissé il y a peu. Je lui rends son collier. Son visage s’illumine de joie :
- Je vais pouvoir marier ma fille dès que je serais de retour au village. Merci étranger, tu nous as sauvés.
Je n’ai pas la force de refuser ce qu’il me tend en guise de récompense. Une bourse contenant une dizaine de pièce d’or et une petite fiole comme celle que j’ai entamée. Le saluant de la main, je me mets à courir vers l’endroit ou j’ai demandé à Alcinoa de rester. Dès que je suis au sommet de la colline, je l’aperçois, assise tranquillement à m’attendre. A peine à sa hauteur, je l’enlace rassuré qu’il ne lui soit rien arrivé. Je me rends compte qu’elle ne peut pas sentir mon étreinte, mais je la vois fermer les yeux car elle doit se douter de ce que je suis en train de faire puisqu’elle ne peut plus bouger et qu’elle a juste eu le temps de distinguer mes brassards se rapprocher d’elle.
- Nous allons pouvoir continuer
Elle acquiesce d’un mouvement de tête. Pour la première fois, je la vois verser une larme. Voyant mon brassard qui se porte vers son visage, elle comprend que je capte sa larme cristalline sur le bout de mon doigt.
- Je ne veux pas que tu pleures.
- C’est une larme de joie. Même si je ne suis pas capable de te sentir, de te voir ou de t’entendre, je perçois tes sentiments dans tes gestes ainsi que dans ta façon de te porter au secours de ton prochain. Cela me conforte dans la certitude que nous allons réussir cette quête et recouvrer ce que nous avons perdu.
Sans le vouloir, elle pose sa main sur mon dos. Comme elle n’est pas en mesure de ressentir les sensations, elle ne discerne pas que je tressaille. La douleur de la plaie est encore vive, même si la potion m’a fait un grand bien. Je décide de sacrifier le restant de ma fiole en le versant un peu au hasard au sommet de mon dos comptant sur le fait que la majeure partie entrera en contact avec ma plaie. Dès que le liquide s’insinue dans les écorchures, je grimace sous le coup de la sensation de brûlure suivi de près par un froid intense. Devant me satisfaire de cela pour l’instant, je fais signe à Alcinoa que nous repartons.
Après avoir passé la grotte aux eurymones, nous descendons doucement vers un pont qui enjambe une rivière à l’onde vive. A proximité se trouve un homme faisant boire sa bête de somme. Quand nous nous arrivons à sa portée, je lui demande si nous nous trouvons toujours bien sur la route menant à Sparte. Tellure nous apprend que la ville de Sparte a été rasée mais que le gros de l’armée spartiate à établit un campement à une bonne heure de marche en suivant la route. Il nous encourage à ne pas nous écarter de la route car les monstres qui ont attaqué la ville sont dispersés aux alentours. Je le remercie et traverse la rivière. La route remonte jusqu’à un col. De loin, je me rends compte que nous ne pourrons pas atteindre le campement spartiate sans combattre. Un groupe de satyre ayant à sa tête un champion d’une taille imposante nous barre la route. L’énorme monstre est un pur attaquant armé de deux haches de bronze. Profitant du terrain broussailleux, j’entraine Alcinoa derrière un bosquet. Je m’en veux parce que je ne vois pas d’autre moyen que de la laisser une nouvelle fois afin de ne pas lui faire courir de risque. Je sais qu’elle ne peut pas être blessée par des armes « classiques » mais comment puis-je savoir à l’avance si mes ennemis ne vont pas avoir recours aux éléments. Par contre, en pensant aux éléments, je me dis que je tiens là l’élément de surprise. Si je peux avancer le plus près possible et balancer une boule de feu sur le champion, cela devrait créer une panique dont je pourrais profiter. Je me tourne vers Alcinoa et lui souffle sans forcer :
- Je dois faire du ménage.
Elle me répond un « sois prudent » empreint d’inquiétudes. Je la regarde s’assoir à même le sol un peu maladroitement puis je me faufile passant d’un gros rocher à un buisson tout en avançant. A une dizaine de pas, j’ai un excellent point de vue sur la bande de monstre. J’en compte sept en tout. Le champion, un archer, quatre combattants, deux armés de gourdin, un d’une lance et un dernier d’une épée de bronze que je garderais certainement après le combat. Quant au septième, il a un curieux accoutrement, et tient un long bâton. 

Ils ne m’ont pas encore vu, mais dès que je quitterais ma planque, je serais à découvert. Je laisse volontairement mon épée au fourreau, je n’en ai pas besoin pour la première partie de mon plan. Je vais courir le plus vite possible, créer deux boules de feu, une dans chaque main, puis en balancer une sur le champion et la seconde sur l’archer. Je n’aurais plus à craindre d’être touché à distance. Je m’élance, exécute les mouvements requis, heureux de constater que deux sphères incandescentes crépitent à une dizaine de centimètres de mes doigts. Je suis repéré, l’archer encoche une flèche et bande son arc, tandis que les combattants se tournent vers moi. Je balance ma boule sur l’archer avant même qu’il n’est le temps d’ouvrir les doigts pour libérer son trait. Comme je l’avais envisagé, il prend feu et disparaît. Ma seconde boule de feu frappe de plein fouet le champion qui recule d’un pas sous le choc. Il me reste trois pas à faire avant que je sois à portée des premiers satyres. Je fais glisser mon bouclier à mon bras droit, un. Je saisi mon épée, deux. Je la sors violemment de son fourreau en portant une attaque de taille sur le plus proche assaillant, trois. Un coup de bouclier me permet de déséquilibrer deux autres. Mais mon attention se porte sur l’étrange satyre au long bâton. Il touche le champion du bout de sa baguette et absorbe les flammes qui le brûlaient. Déconcentré, je reçois un coup de gourdin sur l’épaule. Je riposte d’un moulinet qui désintègre un deuxième satyre. Il en reste cinq dont le champion et le guérisseur. C’est de ce dernier qu’il me faut me débarrasser en premier. J’enrage de ne pas l’avoir vu venir. Comprenant mon intention, il se réfugie derrière le champion qui reprend sa charge. Ma seule chance de reprendre le dessus est de lui foncer dedans avec mon bouclier. A peine ai-je formulé cette idée dans mon esprit que je me vois l’exécuter. Le choc est violent, chacun de nous deux « rebondit » dans la direction opposée. Je me sers de cette impulsion pour occire un autre combattant. Le champion est bien décidé à me découper en rondelle. Non seulement il est fort, mais je suis surpris de sa vitesse et je ne peux éviter la seconde hache qui me laisse une estafilade sur le biceps. J’accepte bien volontiers cette blessure car elle me permet de distinguer le point faible de mon adversaire. Il attaque avec rage, toujours de la même façon, la hache dans la main gauche suivie de celle de la main droite, moins puissante mais plus rapide. Par contre à la fin de son mouvement, il me présente son dos, entraîne qu’il est par son mouvement. Heureusement pour moi, les autres combattants s’écartent par crainte de prendre une hache en pleine tronche. Je fais donc un pas en arrière et présente mon bouclier derrière lequel j’arme mon épée pour une estocade. La première hache s’abat et raye mon écu. J’esquive la seconde d’un pas de côté, j’écarte mon bouclier et frappe. Ma lame s’enfonce sous l’omoplate du monstre qui a un réflexe que je n’avais pas prévu, il me repousse d’un coup de bassin. Je manque de m’étaler au sol quand je vois le guérisseur à nouveau officier. Un genre de rayon lumineux de couleur vert touche le champion à l’endroit ou je l’ai frappé. Immédiatement la plaie cesse de saigner. Je ne m’en sortirais pas tant qu’il sera là. L’un des satyres, celui armé de la lance, a eu l’idée géniale de profiter de sa plus grande allonge pour se fendre et tenter de m’embrocher. J’exécute un mouvement en deux temps, j’assène un coup de bouclier pour dévier la lance et l’empale sur mon épée. Il disparaît laissant son arme au sol. Voilà ce qu’il me faudrait pour en finir avec le soigneur. Je balance mon épée qui tournoie en direction du dernier combattant qui n’a pas le temps de se baisser. Elle se plante entre ses deux cornes. Il me faut maintenant la jouer fine car le champion revient pour un nouvel assaut. 

Je vais devoir le frapper de mon bouclier après son deuxième coup de hache pour gagner ce qu’il me faut pour ramasser la lance. Je m’exécute. Me voilà armé de la petite lance et de mon bouclier. Le champion écume de rage. Il charge à nouveau, je dois encore le déséquilibrer. C’est à ce moment que j’aurais le soigneur dans ma ligne de mire. Je place mon bouclier sous le premier coup, il vole en éclat à ma grande surprise. Mais je me ressaisis, mû par l’adrénaline, esquive le second qui inflige une griffe profonde à ma cuirasse. Et je tire de toutes mes forces. La lance touche le soigneur en pleine poitrine qui vole en éclat. Il ne reste que le champion, ses deux haches et moi, sans rien. Mon épée est au sol, je plonge sous les deux moulinets assassins. Je n’ai plus de protection, donc il me faut trouver une astuce pour esquiver le premier coup. Mes pas chassés lassent mon adversaire qui souffle comme une bête furieuse. L’injonction d’Alcinoa lors de mes premiers affrontements me revient à l’esprit, « sers-toi des éléments ». Je me suis servi du feu, je n’ai pas d’eau à proximité. Il me vient une idée folle. Si j’arrivais à faire que mon corps soit fait d’air, je ne craindrais pas ses coups et pourraient l’atteindre en plein cœur. Seulement éviter des haches de plus en plus proches ne facilite pas la concentration. Et plus question de lui faire perdre l’équilibre avec mon bouclier. Ma colère, seule ma colère peut me donner l’énergie pour me permettre d’utiliser les éléments. La seule chose qui me vient à l’esprit pour accroître ma colère est d’accepter de recevoir un coup avec tous les risques inhérents. Pas la première me dis-je en l’esquivant tout en me rendant compte que la fin de course de la seconde va finir dans ma cuisse. Cela ne manque pas, je sens la déchirure de la lame irrégulière qui entame ma chair. La réaction ne se fait pas attendre, la rage me gagne mais je conserve le self contrôle nécessaire. Je n’ai plus qu’un seul but, être une brume. Je n’ai pas le temps de vérifier, la première hache me passe à travers le corps faisant naître une grimace sur la face de bouc de mon adversaire. Maintenant ! Je plonge mon épée sous le bras levé du champion, à l’endroit non protégé par son armure de brute épaisse. Les deux haches teintent l’une contre l’autre quand le champion s’évanouie en poussière. Je tombe à genoux, essoufflé mais heureux d’avoir réussit mon stratagème.
- ELI, ELI, JE TE VOIS !
Je me retourne pour voir Alcinoa courir tant bien que mal vers moi. Je suis surpris de croiser son regard. Elle me regarde dans les yeux. Soudain, je la vois crier de nouveau :
- NON RESTE COMME CELA !
Elle se jette sur moi portant ses deux mains sur mon visage qui s’efface comme ma colère, remplacé par un sentiment qui me réchauffe le cœur mais qui ne suffit pas à me laisser visible.
- Je t’ai vu, tu es blessé. Mon amour, je ne veux pas que tu risques ta vie de la sorte.
J’aimerais tellement pouvoir répondre à sa prière, ne pas avoir à me battre, à terrasser toutes sortes de créatures dont je ne m’explique pas le comportement belliqueux. Je ne parviens qu’à répondre :
- Il le faut, pour toi et pour moi, que nous puissions nous retrouver et nous aimer enfin.
- Eli, tu arrives à me parler sans crier.
Je me rends compte en l’entendant me le dire que j’ai réussit à utiliser les infrasons sans colère. Je ne le suis plus, ni frustré ni en rage. Le seul sentiment qui transparaît en moi est l’amour. Il ne fait aucun doute que je l’aime. L’avoir serrée contre moi me réchauffe le cœur qui déborde d’affection pour elle.
- Nous sommes aux portes de Sparte. Nous allons retrouver l’un de tes sens.
Mon cœur se met à battre. Je lui cache la vérité. Mes craintes l’emportent. Si Sparte a été détruite, qu’est-il advenu du sens que nous devions lui faire récupérer dans cette ville ? Fermant mon esprit à mes plus folles questions, je reprends le dessus. Je ramasse l’épée en bronze que j’avais repéré tout à l’heure. J’enlève ma cuirasse de cuir pour revêtir la cote de brute que portait le champion. Je décide de prendre un second fourreau et j’y range ma lame de cuivre. Après tout, je n’ai plus de bouclier, autant avoir une arme dans chaque main. Je me tourne vers Alcinoa que je vois regarder avec insistance vers le long bâton qu’avait le guérisseur.

- Peux-tu me donner cette baguette s’il te plait. Je vais pouvoir t’être utile à quelque chose dorénavant.

lundi 7 octobre 2013

Chapitre 4

Chapitre 4 : Alicia Guerreor
Il y a des jours où l’on préférerait ne pas s’être levé. Tout va de travers et ce qui nous arrive est loin de nous enchanter. J’attends la venue du Professeur Stauros. Il m’a demandé de le laisser farfouiller dans nos souvenirs. Tout est en cartons. Je n’ai pas eu la force de les ouvrir depuis le déménagement. Forcément, quand Eli était encore actif, nous vivions dans notre maison. Elle était pleine de souvenirs, faisait même partie intégrante de ses souvenirs. Pourtant j’ai dû me résoudre à la vendre. Six mois après notre accident, le doyen de l’université où il enseignait est venu me dire qu’il ne pourrait plus lui maintenir son salaire. Il a été tout à fait charmant malgré la triste nouvelle. On pouvait lire la peine qu’il avait à me donner cette information. Dès lors, privé du revenu de mon mari, il m’a fallut reprendre une activité « alimentaire ». Elle-même devenant rapidement insuffisante à me permettre de faire face à nos traites, encore moins au traitement d’Eli.
Le vide autour de moi s’est accru quand j’ai pris une seconde activité profane. Les revenus de l’une servent à couvrir les frais exorbitant du maintien en vie de mon époux, ceux de l’autre me donnent juste de quoi survivre. La vente de la maison m’a permise d’alléger mes factures, mais elle m’a profondément meurtrie. J’ai toujours espéré qu’elle verrait notre famille s’épanouir, que nos enfants joueraient sur le perron. Quand on nous a appris que nous ne pourrions jamais avoir d’enfants, nous avons souhaité la garder bien qu’elle soit un peu trop grande pour nous. Nous vivions principalement au rez-de-chaussée, les pièces du haut ayant été aménagées pour chacun des trois enfants que nous souhaitions. Chacune des chambres étaient à l’image de l’enfant que je m’imaginais avoir. Je les avais toute décorée moi-même. Cela m’était facile vu que je travaillais à l’illustration de livres pour enfants. Les murs furent vite couverts de toutes sortes de petites créatures du monde féerique. Eli apportait sa touche personnelle en me faisant ajouter des décors mythologique, sa passion. Son bureau, notre bureau, était un compromis des deux mondes, comme s’ils s’étaient superposés à un endroit pour créer une zone ou toutes les créatures coexistaient.
J’ai dû faire appel à une société de déménagement car nous n’avions pour ainsi dire pas d’amis. Je travaillais à la maison, sur internet principalement, quant à Eli, il enseignait à la fac, certes, mais il passait le plus clair de son temps libre avec moi. Nous avions un projet. Il souhaitait développer un moyen ludique permettant de découvrir les trésors de l’histoire et de la culture des pays d’autrefois. Un jeu vidéo probablement, bien qu’il fût le principal opposant à l’abrutissement qu’occasionne l’industrie du jeu.  Les seuls moments qu’il ne passait pas avec moi étaient les heures d’entrainement à l’aïkido. Je n’ai jamais compris d’où lui venait cette fascination pour la maîtrise du combat qu’il soit à mains nues ou avec armes. Eli me répondait toujours que cela lui permettait de faire le vide en lui, d’extérioriser ses frustrations, son stress. Au dire de son partenaire, il était plutôt doué. C’est d’ailleurs la seule personne qui nous soit resté fidèle. Chaque mois il passe voir Eli. Chaque semaine il me rend visite. David Tennand. Je ne sais pas quoi en penser. Je vois bien qu’il se soucie de moi. Quand je lui ai dit que je recevais le professeur, il m’a demandé si je souhaitais sa présence, comme soutien moral dans cette épreuve. Je l’ai remercié sans accéder à sa requête. Je sais que cela va être éprouvant, mais étaler ma vie privée devant des inconnus est une chose. Le faire devant quelqu’un qui vous connaît en est une autre. Il y a des choses qui paraîtront insignifiantes à un étranger, qui seront particulièrement révélatrice pour une connaissance.
Le carillon me fait tressaillir. Je suis restée prostrée sur ma chaise à laisser aller ma pensée, la tasse de thé que je m’étais faite en est presque froide. Nous voilà au moment fatidique. Je me lève, me dirige vers l’entrée afin de leur ouvrir. Dans quelques secondes, ils seront là, prenant mes souvenirs, nos souvenirs pour s’en servir comme de vulgaires outils. Et moi, j’aurais participé à cette gigantesque chasse. Parfois je me demande comment aurait réagi Eli si les rôles avaient été inversés. Si ce chauffeur, harassé par des heures de conduites, avait circulé dans la direction opposée. S’il avait percuté la voiture par mon côté et non celui d’Eli. Aurait-il permis que l’on fouille ainsi dans notre vie ? Si on lui avait présenté ce viol de notre jardin secret comme l’unique moyen de me faire revenir à la vie, peut être. Du fond du cœur, je le souhaite, car c’est la décision que j’ai prise. C’est curieux ce sentiment qui m’étreint le cœur, comme si j’avais besoin de son absolution. Il est trop tard, la porte s’ouvre. Mon bourreau me sourit arborant une rangée de belles dents blanches parfaitement alignées. Je lis dans son expression plus de politesse qu’il n’en faut. Sans doute ne pensait-il pas devoir un jour entrer dans un appartement aussi pitoyable. Oh, bien sûr il est propre, mais négligé tout à la fois. Le ménage est fait, car je crois qu’il n’y a que les moments ou je ne suis pas en mesure de me lever qui m’empêche de faire le minimum. Mais je vois bien dans ces regards de travers que le manque de peinture d’un endroit ou la vis qui manque dans un autre lui sont autant de détails qui lui révèlent des choses sur moi. Je n’aime pas cette sensation. Comme s’il tentait de pénétrer en vous, d’interpréter le moindre haussement de sourcil pour lui faire dire une toute autre histoire que la sienne.
- Bonjour Mme Guerreor, j’espère que vous allez bien.
- Bonjour Professeur Stauros.
- J’ai un service à vous demander… (Je pense : Comme si le simple fait de venir chez moi pour fouiner dans ma vie ne lui suffisait pas)… pourriez-vous m’appeler Michel s’il vous plaît. Nous allons être amenés à collaborer étroitement et régulièrement ensemble, je pense donc que nous pouvons nous passer des formalités cérémonielles, non ?
Je m’attendais à tout sauf à une entrée en matière aussi directe. On dirait que le fait de venir aujourd’hui ne constitue pas la seule violation à laquelle je vais devoir me soumettre. Je ne sais même pas comment j’ai fait pour répondre avec autant de détachement :
- Bien, dans ce cas, appelez-moi Alicia.
Je me demande bien ce que j’aurais pu faire pour le réjouir plus. Je ne tarde pas à le découvrir. Il souhaite que nous nous installions dans la cuisine, face à face. Ses assistants poussent mes meubles contre le mur afin de libérer le plus de place au sol. Il m’explique qu’ils vont ouvrir les cartons dans lesquels dorment nos secrets l’un après l’autre et vont catégoriser nos souvenirs. Il recherche plusieurs sections propres à raviver les souvenirs d’Eli dans un certain ordre. Il m’explique qu’il a l’intention d’agir avec l’esprit de mon époux comme un constructeur de maison. D’abord il va creuser les fondations qui lui permettront d’élever les pignons qui soutiendront le reste de la bâtisse. Je n’ai pas de connaissance dans le bâtiment, je n’en ai pas besoin. Il me suffit de me laisser emporter par ces certitudes. Puis je suis ramené à la réalité quand je distingue les deux assistants ouvrir le premier carton et plonger la main pour en extraire le premier objet, un album photo. C’est idiot, je sais, mais je sens mon cœur étreint et mes larmes s’insinuer jusqu’aux coins de mes yeux. Comme c’est le premier qu’il sorte, cela signifie que c’est le dernier que j’ai déposé. Il est la pierre angulaire de notre relation. Les photos qui le jalonnent sont les témoins muets des liens qui ont tissé notre mariage. Il n’y en a aucun de parfait, c’est la raison pour laquelle il y a même des moments de disputes qui ont été immortalisés, afin que nous nous remémorions ce qui a fait que nous soyons ensemble.
- Mettez les albums sur le côté, concentrons nous sur le reste, objets, livres, effets personnels.
Le détachement avec lequel Michel Stauros énonce cette directive à ses assistants me glace le sang. N’a-t-il donc aucun respect pour tout ce que le contenu de ces cartons représente pour moi ? Soudain, c’est la question qui tue :
- Alicia, que représente ce mobile en forme de dragon ?

Une foule de souvenirs me reviennent en mémoire. Je nous vois, Eli et moi, sur les quais de cette ville des côtes normandes, comment s’appelle-t-elle déjà ? Cela ne me revient pas, je ne garde pas la mémoire des noms ni des visages. Par contre je me rappelle la blague que le vendeur nous a sorti : « Ne le mettez pas trop près des poutres de votre maison » ! Je me souviens d’avoir froncé les sourcils, ne comprenant pas l’allusion. Il m’a répondu : « Sinon il va y mettre le feu…Quoi… c’est un dragon » ! Cela nous a fait sourire. Comme il est taillé dans une noix de coco, nous l’avons baptisé « Nuts », nom peu courant pour un dragon, certes, mais cela nous a plu à tout deux. C’était la période où nous souhaitions vivement avoir un enfant, avant d’apprendre que cela nous serait à jamais interdit. J’avais décoré la chambre d’une manière neutre, ni trop fille, ni trop garçon. Je souhaitais trouver le symbole d’une créature gardienne de ce qui aurait été notre bien le plus précieux. Le dragon s’est imposé de lui-même. Il est de toutes les mythologies, tantôt avare enroulé sur son or, tantôt dernier rempart d’un objet attirant toutes sortes de convoitises. Ce mobile, placé au-dessus du berceau représentait notre Ladon protégeant notre jardin des Hespérides. Le voir sorti du carton, présenter à nos regards comme un lot quelconque me révolte. La voix du professeur se fait insistante :
- Alicia, si vous émettiez des sons, cela me serait très utile.
En plus de ça, il se permet d’être sarcastique, j’hallucine, mais je réponds un peu dans le désordre les mots, enfant, gardien et chambre. A peine est-il posé au sol qu’un second objet m’est présenté : une paire de baguettes enchâssées dans un bout d’étoffe bleue. Encore une fois, les souvenirs rejaillissent. Notre premier et unique dîner dans un restaurant asiatique. Nous n’étions pas encore officiellement ensemble, c’était notre deuxième rendez-vous galant. Eli n’était pas fan de ce type de nourriture, il a tout de même fait l’effort de nous réserver une table. Il s’est même cru obligé de m’acheter cette paire de baguettes car il ne savait pas que l’on pouvait manger avec une fourchette. Je me suis régalée, goûtant à tous les plats. Lui a bien mangé également, mais des frites et du porc au caramel. Il a bénit le restaurateur de s’être mis à la page européenne en offrant des frites à son buffet, ce qui lui a évité de devoir jeûner.
Je ne me suis même pas rendu compte que j’ai évoqué ces souvenirs à voix haute. Stauros en a profité pour prendre des notes et ses assistants pour attendre poliment que je finisse et passer à l’objet suivant. Certains se sont révélés plus simples que d’autres car plus attachés à Eli qu’à moi. Il me suffisait de répéter ce qu’il m’avait dit sur la raison de sa présence, comme cette spatha. La seule pièce qu’Eli n’est jamais trouvé parmi les fouilles entreprises par son père au pied du mont Parnasse. C’est aussi l’un des rares souvenirs qu’il conserve de vieux Pierre Guerreor. Même le jour ou un antiquaire lui en a offert une petite fortune, il n’a jamais voulu s’en défaire.
Michel Stauros fut intrigué par la relation entre l’archéologue et son fils. Il me questionne donc sur le sujet. Comme cela ne concerne qu’Eli, cela me dérange moins d’en parler que d’évoquer nos souvenirs communs. Il fut surpris d’apprendre que le père de son patient était toujours de ce monde, enfin, physiquement tout au moins. Atteint par la maladie d’Alzheimer, il est maintenu à domicile grâce à plusieurs aides qui sont chez lui jour et nuit. Il se nota de rendre visite prochainement au patriarche bien que je le prévienne de l’inutilité de la chose compte tenu de l’état de mon beau-père. Quand j’aborde le fait qu’Eli ne voudrait pour rien au monde connaître les affres de cette maladie, le visage du professeur s’illumine tel celui d’un enfant affamé devant une glace. Devant mon interrogation, il m’explique qu’il souhaitait trouver un second « fil d’Ariane » pour guider l’esprit d’Eli vers la résurgence. Notre histoire d’amour en constituer un, le second devant se baser sur la peur, venait d’être découvert. Il me demande alors jusqu’où Eli serait prêt à aller pour éviter cette maladie. Comment répondre à cela ? Je ne suis pas Eli et même si je comprends ce qu’il peut ressentir, ce sentiment d’impuissance devant la dégénérescence, je ne peux pas répondre pour lui. Visiblement contrarié par mon manque d’imagination, il fait signe à ses assistants et le balai des objets continuent, d’un carton à l’autre. Allant jusqu’à m’interdire de me servir, chez moi, il demande à l’un de ses assistants de faire du café, de prendre les tasses et tout le toutim. Arrivé à neuf heures, je me rends compte du temps écoulé par le cri famine de mon estomac. Seulement, pas question pour le professeur Stauros de quitter son terrain de jeu. Il commande des pizzas pour que nous puissions nous restaurer sans interrompre l’interrogatoire.
Il revient sur la relation entre nous, Eli et moi, et Pierre Guerreor. Je lui explique que le savant, c’est comme cela que je le voyais, était un homme tout à fait charmant, mais complètement déconnecté de la réalité. Il a trimbalé son fils à travers toute la Grèce à la recherche du moindre objet historique. Eli m’expliquait que c’était sa façon à lui de ne pas se laisser envahir par le chagrin de la perte de son épouse. Il n’est même pas venu à notre mariage, mais nous a envoyé la reproduction d’une médaille à l’effigie de la déesse Héra protectrice du mariage en guise de bénédiction et de souhait de prospérité. C’est d’ailleurs l’objet que montre l’un de ses assistants.

La journée continue et je finis par lire une certaine satisfaction dans les yeux de Michel Stauros qui embrasse du regard tous les objets étalés sur le sol. Il a passé un moment à hiérarchiser chacun, déplaçant l’un vers la droite, secteur rassemblant ceux qui ont trait à l’enfance d’Eli, d’autres vers la gauche où les souvenirs de notre rencontre. Il m’explique qu’il va consolider ses fondations par le biais d’un bombardement d’images évoquant les relations entre Eli et son père, puis progressivement, il va inclure des éléments de notre relation en commençant par la jalousie, sentiment puissant s’il en est. Cette idée lui ai venu quand nous avons découvert le livre que m’avait offert mon ancien soupirant. Eli n’a jamais voulu que je me sépare de ce livre, car, disait-il « c’est le trophée qui salut mon triomphe sur le roi du campus ». A l’époque, Tony Andréani, la star des sports études, me courrait derrière. Il était beau comme un dieu, mais complètement insipide. Il m’avait offert ce livre intitulé « Comment dessiner les créatures féeriques » ce qui l’avait fait remonter dans mon estime. Après tout, s’il était capable de remarquer ma passion, peut être était-il moins superficiel qu’il n’y paraissait. Eli m’avait, pour sa part, offert la panoplie de fée qui m’a fait craqué définitivement pour lui. Il était certes moins beau, mais il avait su lire en moi. Le dessin était ma façon de m’évader car je ne pouvais le faire dans la réalité. Ce costume m’a permis de revêtir l’apparence de la créature qui me fascine depuis mon enfance, qui représente la beauté, la bonté et même l’amour. C’est à compter de ce jour que nous avons fait chambre commune. La seule personne qui en a souffert est ma copine de l’époque, Kate Théda. Elle craquait littéralement sur Eli alors que lui n’avait d’yeux que pour moi. Elle m’a demandé de rompre, que je ne devais pas mettre un mec entre nous. Mais quand le roi du campus lui a fait les yeux doux pour se consoler de sa défaite, nous sommes redevenus les meilleures copines.

Une fois que ces assistants eurent fini de photographier tous les objets et les avoir replacer dans les cartons, tout ce petit monde est parti. Je me retrouve une nouvelle fois seule, allongée sur mon sofa, la tête posée sur le cousin marqué de multiples auréoles qui témoignent de toutes les larmes que j’ai versé…Que je verse encore.

mardi 1 octobre 2013

Chapitre 3

Chapitre 3 : Alcinoa.
Comment pourrais-je décrire le sentiment qui m’étreint le cœur ? Je me sais en présence de l’être qui compte le plus au monde pour moi. Je sais que nous ne sommes pas de la même espèce, mais il a su me séduire par tant d’attention, de tendresse et de force. De force…Il lui en a fallut pour braver les interdits, à commencer par cet amour entre un humain et une fée. Il s’est opposé à mon clan et à mon père, a relevé tout les défis qu’ils lui ont imposé, tant est si bien qu’ils finirent par reconnaître l’intensité de notre passion. Ce qui n’a pas été suffisant pour autoriser notre union. Nous avons donc pris la décision qui nous a conduits dans cette situation. Renoncer à mes sens ne faisait pas parti de notre plan tout comme le fait qu’Eli perde la mémoire. C’est d’ailleurs le peu de choses que Stauros a bien voulu me dire quand il m’est apparu hier. Le sentiment qui m’a envahit était paradoxale. La joie de savoir mon amour à mes côtés mêlé à la tristesse d’apprendre qu’il m’avait oublié.
Grâce aux éléments, je peux le discerner par moment. C’est la seule chose qui me fasse tenir le coup, qui m’empêche de devenir folle, privée de toutes sensations. Le pire cauchemar d’une fée : être privé de son interaction avec la nature qui l’entoure. Je ne vois rien, même avec les yeux grand ouvert. Je n’entends rien, pas même le clapotis de l’eau ou le pépiement des oiseaux. Je ne sens rien, aucune fragrance, le comble pour une fée florale. Je ne ressens rien, ni le souffle du vent, ni la chaleur ou le froid. Ce que je mange n’a aucune saveur. Je m’en remets à celui qui place la nourriture dans ma main et la guide jusqu’à ma bouche. J’ai des ailes dans le dos, devenu inutiles faute de ne pouvoir me diriger. Nous avons essayé, en soirée, tandis qu’Eli tentait de maîtriser l’air. Il a placé mes bras autour de son cou puis m’a porté délicatement. J’ai commencé à apercevoir ces traits se dessiner quand il a laissé l’air couler en lui. Nous nous sommes élevés bien au dessus de la cime des arbres mais il avait des difficultés à stabiliser sa position. J’ai cru, qu’en prenant ses mains et en battant des ailes, cela nous aurait permit de voler ensemble jusqu’à notre destination, sans craindre les créatures qu’il avait dû affronter. Mais il a tellement été subjugué de me voir voler qu’il a perdu sa concentration et nous nous sommes écrasés au sol. J’ai voulu lui redonner confiance en lui, seulement il n’a pas accepté, par peur de me blesser. Même dans cette situation, il est bouleversant. Il a tout oublié, il ne sait plus rien de ce qu’il est, de ce qu’il aime ou déteste. Mais il pense avant tout à mon bien-être.
Je crois que ce qu’il ne tolère pas, c’est la difficulté qu’il a à communiquer. Il ne maîtrise le son que quand il est en colère. Au début, j’ai eu du mal à comprendre pourquoi de simples questions étaient dites sur un ton cassant. J’ai fait le lien avec ses combats dans lesquels il a fait usage des éléments grâce à sa hargne. Maintenant je ne m’offusque plus. Il ne me parle que par petites phrases mais nous nous comprenons.
La nuit dernière, nous ne pouvions dormir. Nous avons décidé d’avancer en suivant la rivière. Nous avons atteint le village d’Hélos. Eli s’est joint aux quelques malheureux gardes pour repousser une attaque de satyres. Il ne savait pas ce qu’était ces monstres jusqu’à l’entendre de la bouche des habitants. Leurs cultures sont ravagées. Ne voulant pas me faire courir de risque, Eli m’a demandé de rester au village. Il m’a placé dans un endroit isolé et m’a recommandé d’attendre son retour. J’ai peur, car il est parti prêter main forte aux villageois. Je suis seule, sans la moindre possibilité de savoir combien de temps s’écoule. Que se passerait-il s’il venait à mourir ? Non, il faut que je chasse cette pensée. Il est fort, il l’a prouvé à ma famille. Il a triomphé des trois épreuves que mon père et les anciens de mon clan lui ont imposées. Cela n’a pas été facile pourtant. Je me rappelle la tête qu’il a fait quand il a vu le monstre qu’il devait affronter. Elle s’appelait Cékane la Sombre, une harpie hideuse. 

Depuis toujours les harpies sont nos pires ennemis. Elles se nourrissent de la pestilence. Les différentes subtilités des parfums de nos fleurs leur sont insupportables.
Il avait trois handicaps. Premièrement, en tant qu’humain, il ne pouvait pas voler, contrairement aux harpies. Deuxièmement, son arme, un gladius magnifiquement décoré, ne lui procurait peu d’allonge face à la lance de son adversaire. Enfin, il était, est toujours d’ailleurs, dénué de tromperie. Cékane, quant à elle, avait enduit la pointe de son arme d’un poison. Il n’était pas mortel, mais il paralysait ce qu’il touchait.
Les membres de mon clan avaient convaincu la harpie de régler leur différent dans un combat à mort. D’abord frileuse à l’idée, elle s’est vite ravisée quand elle a vu celui qu’elle devrait affronter. En temps normal, un humain lambda ne peut discerner le peuple féerique. Pour y parvenir, il faut une grande imagination saupoudrée d’un sentiment puissant, l’amour, la haine ou la peur. Eli m’avait expliqué qu’il arrivait souvent que les enfants humains, débordant d’imagination, parvenaient à voir des créatures dans le noir, ce qui alimentait leur nyctophobie. Quant à lui, c’est l’amour qui lui permettait de nous voir. Un amour empreint d’une fascination à toute épreuve, comme si notre monde était celui auquel il rêvait d’appartenir.
Quand le combat a débuté, Cékane ne faisait que rire car il ne pouvait l’atteindre. Elle s’amusait à descendre sur lui en piquet et le rosser avec la hampe de sa lance. Très vite, son rire se changea en agacement, car Eli avait réussi à attraper son arme et à frapper. Il était parvenu à verser le premier sang. Comprenant que son adversaire était moins inoffensif que prévu, elle a repris son mode d’attaque, mais cette fois en piquant Eli avec la pointe de sa lance. Il perdit très vite l’usage de son bras droit. Étant gaucher, il s’en servait pour se protéger. Ensuite, elle s’acharna à lui faire perdre l’usage de ses jambes. Avec un vice dont elle jouissait, elle passa de l’une à l’autre sans laisser à son adversaire de riposte possible. Je me souviens la terreur qui étreignit mon cœur quand je la vis plonger pour ce qu’elle pensait être le coup de grâce. Il gisait à genoux, la tête baissé. J’ai cru le voir embroché comme un fétu de paille. Mais il m’apprit une leçon importante : exploite ta faiblesse pour en faire une force. Trop confiante, elle s’est mise à parader comme si le combat était déjà finit. Elle se croyait hors d’atteinte, mais Eli lança son arme qui lui perfora la poitrine. Elle s’effondra au sol sans avoir compris ce qui lui arrivait.
Il y eut de grandes réjouissances pour fêter la mort d’un ennemi coriace telle que Cékane. Ce qui donna l’idée de l’épreuve suivante. Un seul tour de table suffit pour que tous soient d’accord sur le nom du prochain adversaire : Ishil l’arachnoïde. 

Eli n’avait pas encore récupéré pleinement que mes pairs se festoyaient en imaginant l’issue du prochain combat. Dans tout les cas ils étaient gagnants. Si Ishil l’emportait, fini les demandes en mariage contre nature. Si Eli renouvelait l’exploit, cela ferait un ennemi notoire de moins.
S’il avait fallu convaincre Cékane à se plier à un combat, il en allait tout autrement pour Ishil. Ce chasseur solitaire n’avait qu’un seul plaisir : la chasse. Et s’il pouvait se vanter d’avoir saigné de nombreuses espèces féeriques, l’idée de goûter de l’humain attisa sa faim. Eli découvrit son adversaire et comprit de suite qu’il était une nouvelle fois désavantagé. Plus de problème avec le vol certes, uniquement une question de mobilité : deux pattes contre huit. Contre toute attente, Ishil remit un bouclier à Eli. Il ne voulait pas s’entendre dire que le combat était inégal, même si tout le monde savait que ce n’était pas un bouclier qui ferait la différence. D’ailleurs, c’est la première chose qu’Eli perdit. Se rendant vite compte qu’une attaque frontale serait du suicide, il entreprit de courir le plus vite possible dans le sens opposé. Ishil le traita de tous les noms qui lui passaient par la tête. Il ne vit pas la ruse venir. Eli se précipita vers un arbre, sauta contre le tronc, prit appui et exécuta un saut pardessus la tête de l’arachnéen. Il décapita le monstre avant d’atterrir sur son abdomen. Ne connaissant pas son adversaire, il présuma qu’il avait vaincu la bête. Seulement les arachnéens peuvent perdre leur tête humaine tant que leur cœur insectoïde continu de battre. Grâce à leurs huit yeux situés à la jonction de la partie humaine et bestiale, ils conservent une vision du combat, même s’il ne s’agit plus que d’une détection de la chaleur. Je me rappelle l’expression d’interrogation qu’Eli arbora ne voyant pas la liesse dans la foule féerique. Quand Ishil pivota, il perdit son équilibre et exécuta une roulade de circonstance pour ne pas s’étendre de tout son long. C’est à ce moment que je compris pourquoi il s’était évertué à creuser le pommeau de son gladius pour y passer la sangle qui lui permit de ne pas le perdre dans son acrobatie hasardeuse. Avec vaillance, Eli repoussa chacun des assauts du monstre qui jouait sur sa masse pour tenter de le déséquilibrer. J’arrivais à sentir la fatigue l’envahir, chaque goutte de sueur qui s’écrasait au sol me percutait violemment les tympans. Je croyais défaillir à chaque fois que le moulinet qu’effectuait Ishil s’abattait sur mon amour. Il finit par comprendre que le feu de camp rendait sa vision moins pertinente. Quitte à être blessé, il conserva la position obligeant son adversaire à faire face aux flammes. Cela lui donna juste la fraction nécessaire à riposter victorieusement. L’une après l’autre, il trancha les pattes qui lui donnaient son avantage et dans un accès de furie il enfonça son épée dans l’abdomen arachnoïde perforant du même coup la partie vulnérable d’Ishil qui mourut dans un râle grotesque en se recroquevillant.
Mon peuple ne lui donna qu’une nuit de repos pour se remettre de son combat. Je passais une partie de la soirée à panser ses blessures alors que lui ne voulait que flirter (elle rougit). Quand ma vieille nourrice s’en aperçu, Eli du finir ses pansements tout seul. Il était tout de même heureux d’avoir senti la douceur de mes lèvres. De mon côté, ce baiser m’avait à jamais sceller à lui. Personne d’autre ne pourrait me faire ressentir cette douce chaleur qui grossissait à chaque battement de mon cœur.
Le lendemain, le simple fait de croiser son regard me colora les joues. Ce fut de courte durée car quand j’entendis la prochaine épreuve, mon sang sembla se retirer de mon visage. Cela donna un indice quand à la nature de la difficulté à Eli qui me vit pâlir encore plus vite que je n’avais rougit. Le nom même fit tressaillir plusieurs dans l’assistance : Kalidon ! C’est l’un des rares monstres qui faisait peur même à Ishil, de sorte que l’arachnoïde ne s’en prenait jamais à son peuple : les Hirudinéas. Si, en pataugeant dans un marécage, on peut retrouver la partie de son corps immergé recouverte de ses cousines les sangsues, Kalidon, lui avale ses proies qui sont dissoutes dans sa panse. Il ne recrache que les éléments indigestes comme les armes et armures. Tôt le matin, mon peuple conduisit Eli vers le marais putride, repaire du monstre infâme. Une nappe de brouillard à l’odeur âcre enveloppait la végétation. Mon héros avançait tant bien que mal dans les eaux vaseuses en criant le nom de son adversaire. Arrivant vers le milieu du bourbier, il parvint à s’extraire de l’eau croupie. Sous ces pas, le sol produisait des craquements lugubres. Plongeant sa main pour comprendre l’origine, il ramena les os brisés d’un crâne de satyre. Pris d’une répulsion, il rejeta la caboche cornue loin de lui. C’est à ce moment que Kalidon décida d’apparaître, se redressant sur le premier tiers de son corps.

Il dépassait de deux têtes Eli qui, après un temps d’arrêt, attaqua d’un mouvement horizontal. Vainement, car la surface du corps du ver géant fit glisser l’arme sans qu’elle ne lui cause le moindre dommage. Découvrant l’inutilité des coups de tailles, il ne lui restait que des coups d’estoc. Là encore, Eli se rendit compte qu’il ne lui serait pas possible de transpercer cette matière organique élastique. Le seul avantage de l’humain résidait dans sa mobilité. Étant plus rapide, il évitait ce qu’il pensait être la seul arme du ver, sa gueule pourvue de dents acérées. C’est alors qu’il reçu de plein fouet le jet de salive gluant. Son but était d’entraver la course de sa proie. La texture collante gênait le libre mouvement. C’est avec horreur qu’il comprit que le ver allait l’engloutir sans même se servir de ses dents. Il se contracta de sorte qu’il n’avait plus qu’une longueur réduite de moitié, puis il se détendit à une vitesse qui surprit même ceux qui connaissaient cette attaque. Eli disparut à l’intérieur de la masse annelée qui relevait sa gueule vers le ciel pour mieux faire descendre sa proie dans son estomac. Sur le chemin qui menait au marais, je n’avais eut le temps que de prévenir Eli du danger d’être englouti par Kalidon. S’il s’était moqué au début prétextant que cela semblait logique, il se ravisa et me remercia quand il entendit que son espérance de vie se résumerait qu’à une ou deux minutes. Une fois dans l’estomac, le ver libère ses sécrétions gastriques qui dissolvent les chairs en émettant un gaz toxique qui asphyxie la proie de sorte qu’elle meure bien avant d’être réduite en une masse informe. Enveloppé par la membrane extensible de l’estomac du ver, Eli fit la seule chose qui lui restait possible : il asséna une estocade qui déchira l’estomac d’abord puis le corps même de Kalidon. Il poussa un sifflement rauque de douleur, impuissant à empêcher sa proie de l’ouvrir en deux. Tandis que le ver s’affalait de tout son long, Eli plongea dans les eaux fétides du marais pour se débarrasser des acides qui attaquaient ses vêtements. En ressortant de l’eau, il entendit les clameurs du petit peuple féerique, heureux d’être libéré d’un danger permanent.
Il avait remporté les trois épreuves. Mon clan aurait dû accéder à sa demande et avaliser notre union. Même mon père avait changé d’avis à son propos arguant qu’un humain capable de tels exploits devait sans aucun doute avoir du sang féerique dans ses veines. Mais les anciens en avaient décidé autrement. Devant leur refus, mon père prit un énorme risque. Il nous guida jusqu’à la limite de notre territoire, bénit notre union et nous ordonna de fuir, sans nous retourner. Nous avons couru des heures entières craignant de voir surgir les guerriers de mon clan nous rattraper. Soudain, il était là, devant nous, le portail. Un disque vaporeux d’un diamètre suffisant pour tenir debout en son milieu. Nous nous sommes regardés indécis jusqu’à ce qu’un dragonien énorme ne nous laisse d’autre choix que de le traverser. Eli m’a poussé dedans afin de me protéger de la charge du monstre reptilien. Il a dû le traverser quelques secondes après moi de sorte que nous avons été séparés.
Quand j’ai repris mes esprits, j’ai eu un choc. J’avais perdu tous mes sens. J’étais incapable de savoir ou je me trouvais ni même si Eli avait survécu. J’ai crié, avançant au hasard, me heurtant à toutes sortes de choses que j’étais incapable d’identifier. Je croyais devenir folle quand ma main fut entravée par quelque chose. Assaillie par la terreur de ne pouvoir comprendre ce qui retenait ma main, je fus interloqué de discerner un halo lumineux s’approcher de moi. Un être dans la ressemblance d’un homme me parla, déclinant son identité : Stauros. Il m’expliqua que j’avais perdu mes sens en franchissant le portail mais que je n’étais pas seule. Eli était à mes côtés, tout au moins ce qu’il restait d’Eli car il ne gardait aucun souvenir de moi, de notre fuite, encore moins du monde d’où nous venions...
Depuis combien de temps Eli était-il parti ? Je suis incapable de le dire, mais quand je le vis revenir, je compris qu’il avait triomphé.
Je ne vois toujours pas son visage, mais sa quête lui a fait gagner une cuirasse, des brassards et des chausses dans lesquels sont enchâssées des pierres élémentaires. A défaut de me plonger dans l’intensité de son regard, je le distingue et peux désormais le suivre. Il n’a plus besoin de me porter.

Il ne peut toujours pas m’adresser guère plus que de courtes phrases, mais cela a été suffisant pour me redonner confiance. Nous quittons Hélos en direction de Sparte, bien décidé à récupérer le premier de mes cinq sens.