Chapitre 5 : Eli
Depuis que j’ai revêtu ces pièces d’armures dans lesquelles
sont enchâssées des pierres élémentaires, Alcinoa n’a plus besoin d’être portée.
Nous avançons petit à petit dans les collines de Laconie. Les villageois
d’Hélos se sont montrés très reconnaissant pour l’aide que j’ai apporté à
vaincre le chef des satyres qui ruinaient leurs cultures. Si j’ai trouvé ces
objets dans un coffre, ils m’ont laissé les emporter mais m’ont donné également
de quoi nous nourrir et nous soigner le cas échéant. Ils m’ont mis en garde
contre les monstres qui croiseraient notre chemin, m’ont indiqué les endroits
les plus sûrs pour me reposer avant d’atteindre Sparte.
Alcinoa tente toujours de me convaincre d’utiliser le son
pour lui parler. Seulement, je n’ai pas encore trouvé le moyen de lui parler
sans avoir recours à la colère ou la frustration. Même si elle me soutient
qu’elle comprend, je sais qu’elle espère que je progresse rapidement. J’ai réussi
à lui demander ce qui nous avait valu d’être dans cet endroit. Elle m’a
expliqué notre fuite devant les membres de son clan qui refusaient notre union.
La charge du Dragonien et le passage du portail. Aucune de ces situations
n’éveillent le moindre souvenir en moi. C’est comme-ci je me trouvais dans une
pièce dont les murs, le sol et le plafond étaient peint d’un blanc uniforme
sans la moindre altération. Rien qui ne me permette de me raccrocher à quelque
chose. C’est d’ailleurs quand j’ai cette sensation que j’arrive à prononcer une
phrase ou deux en infrason.
Au sortir de la forêt, nous nous arrêtons pour nous
restaurer. Je suis toujours contraint de placer la nourriture dans sa main et
de la diriger vers sa bouche. A chaque bouchée, elle me demande ce que c’est.
Je la vois froncer les sourcils, cherchant dans ses souvenirs le goût que
pouvait avoir tel ou tel aliment. Puis, à chaque fois, une lueur de tristesse
illumine son regard. Cela ne reste pas très longtemps mais je ne le manque
jamais. Parfois, je suis obligé de lui essuyer le menton ou les lèvres sur
lesquels coulent quelques gouttes du jus d’un fruit. Je suis toujours fasciné
par la douceur du moindre grain de sa peau. Avant, quand je le faisais, elle ne
se rendait compte de rien. Maintenant, avec mes brassards qu’elle perçoit, elle
sait que mes mains se portent vers son visage. Quand j’entends sa question, je
me sens bêtement coupable :
- Eli, me caresses-tu ?
Je n’arriverais pas à prononcer suffisamment de mot en
infrason pour répondre. Je me contente d’être honnête et d’un simple
« oui ». Elle me sourit et me surprend encore :
- Embrasse-moi.
Mon cœur se mets à battre la chamade. Je fixe ses lèvres
charnues s’entrouvrir pour accueillir les miennes. Je suis assailli de toutes
sortes d’émotions contradictoires. Je sais pertinemment qu’elle ne ressentira
rien puisqu'elle est privée du sens du toucher, je me dis donc que l’embrasser
ne va que me satisfaire, que cela est égoïste. Elle incite :
- Embrasse-moi mon amour.
Je pose mes lèvres sur les siennes. Je ressens la douceur
de sa bouche pulpeuse. Mon cœur bat à tout rompre et je sens une douce chaleur
m’envahir et me colorer le visage. Je rougis.
- Merci, me dit-elle.
Aurait-elle senti quelque chose ? Je lui souffle
« Pourquoi ? »
- Parce que je sais que tu l’as fait.
Ainsi elle n’a rien senti. Je me retrouve submergé par un
sentiment de culpabilité. Comme-ci j’avais abusé d’elle. C’est idiot, je sais,
puisqu'elle qui m’a invité à le faire. Mais voilà, je suis le seul à en
avoir retiré quelque chose. J’enrage. Nous sommes censés être pour le moins
fiancés et nous sommes privés du réconfort que nous pourrions nous prodiguer
l’un à l’autre. Elle pose sa main sur mon genou, maladroitement mais malgré
tout pile là ou il faut car je gigote martelant le sol de mon talon. Comme mes
nouvelles chausses sont aussi équipées de pierre élémentaire, elle les perçoit.
Les voir s’agiter lui a donné une indication de la tension qui m’imprégnait.
- Je suis désolé Eli, je ne voulais pas te faire souffrir.
Je souris, ironiquement, mais de toute façon, elle ne peut
pas le voir. Cette femme est exceptionnelle, tout en elle m’attire. Outre sa
beauté, son empathie, son abnégation, toujours à me faire passer avant ses
propres préoccupations. Je n’ai guère le temps de m’appesantir sur ce que je ou
elle ressent. Un homme vient d’apparaître au sommet de la colline suivante.
Nous ayant remarqué, il accélère en criant pour attirer notre attention. Je me
lève, cela alerte Alcinoa.
- Que se passe-t-il Eli ?
- Un homme vient vers nous.
Encore une fois,
j’ai mangé un mot. L’homme arrive devant nous et se plie en deux visiblement
essoufflé par sa course. Il essaie de parler mais, les mains sur les genoux, il
n’arrive pas à se calmer. Il doit avoir environ mon âge, une quarantaine
d’année mais la vie l’a plus ébranlé que moi. Ces cheveux sont déjà poivre et
sel et son visage est creusé de rides profondes. Il finit par se
présenter :
- Bonjour étranger, je suis Timager. Je me suis fait attaquer
sur l’autre versant de la colline par des eurymones. J’ai défendu chèrement ma
peau, mais ils sont parvenus à me prendre le collier qui servait de dot pour le
mariage de ma fille. Je ne suis pas assez fort pour le récupérer, pourriez-vous
me venir en aide ?
Qu’auriez-vous répondu à ma place ? Bien sûr, nous
avons nos propres préoccupations, mais je ne me sens pas de lui dire de se
débrouiller tout seul. C’est une fois de plus Alcinoa qui me fait revenir à
l’essentiel :
- Que veut-il ?
Cette seule question surprend l’homme car je ne suis pas le
seul à l’entendre. Je lui explique en quelques mots qu’une jeune femme
invisible souhaite savoir de quoi il en retourne. L’homme affiche une
expression déconcerté. Sans doute se demande-t-il pourquoi elle souhaite savoir
ce qu’il se passe alors qu’il vient à l’instant même de l’expliquer. Il prend
un visage navré quand je lui apprends qu’elle est sourde.
- Reste ici et attend-moi (dis-je sur un ton ferme).
Laissant là l’homme peu rassuré et Alcinoa, je pars au pas
de course vers la grotte qu’il m’a décrite espérant que je serais de taille à
reprendre le bien volé. A peine suis-je entré dans la grotte à l’odeur
nauséabonde que je suis attaqué par de petits gnomes difformes et repoussants.
Mon épée courte, que j’avais ramassé après avoir vaincu les satyres d’Hélos et
mon bouclier me permettent de tenir tête assez facilement aux gourdins servant
d’arme aux eurymones. Comme pour les satyres, les corps de mes adversaires
vaincus disparaissent en un tas de poussières noires. Je m’enfonce au fond de
la grotte en tenant une torche à la main. Un boyau s’enfonce plus profondément
révélant des marches grossières taillées à même la roche. Une fois en bas, la
grotte s’élargit en une sorte de salle. Les murs suintent d’humidité.
L’atmosphère est chargée de relent mêlant la pourriture et les excréments. Au
milieu se dessine à la lueur de ma torche les eaux stagnantes d’une mare
putride. De l’autre côté, je discerne de petits yeux rouges qui m’observent.
Soudain, un grognement donne le départ de la charge. Une dizaine d’eurymones
jaillissent de chaque côté pour me prendre en étau. Parmi eux s’en trouvait un plus grand que les
autres et d’une couleur ocre à la différence des autres plutôt noirâtre tirant
sur le vert. Si les « petits » jouent du gourdin, le chef tente à
chaque coup de me griffer avec ses ongles particulièrement acérés. Étant plus
rapide, j’arrive à maintenir la plupart à distance, fauchant le premier qui
s’avance. Leur nombre se réduit très vite de moitié. Hélas, cela a le don
d’énerver les autres. Ceux que je désarme tentent de me mordre. J’assène des
coups de bouclier qui déstabilisent ceux qui en font les frais. Profitant du
fait que je règle son compte au dernier des petits, le chef me lacère le dos.
La douleur est vive et me fait me retourner en geste brusque. C’est alors que
dans la lumière de ma torche, brille le pendentif volé. Il est au cou du
monstre enragé. Je sens mon cœur battre dans mon dos, les balafres me cuisent
littéralement. Je n’ose imaginer ce qu’il doit y avoir sous ses ongles sales.
Nous sommes face à face, nous scrutant pour trouver la faille qui mettra un
terme à ce combat. S’il me touche au niveau du cou ou de la jambe, il peut me
vider de mon sang. Je n’ai pas le droit à l’erreur. Alcinoa compte sur moi,
tout comme Timager. Profitant de ma plus grande allonge, je porte un coup
d’estoc. Ma lame s’enfonce dans sa gorge tandis que ses griffes déchirent l’air
que j’exhale. Il se retourne, me faisant lâcher mon arme et tombe à genou avant
de se désintégrer à son tour. Il ne reste que mon épée et le collier que je
ramasse. A peine me suis-je baisser que je sens la terre tourner autour de moi.
Je ne peux pas me permettre de tomber. Je glisse ma main dans le sac qui pend à
ma ceinture à côté de ma bourse depuis Hélos. J’en sors une petite fiole que je
porte à mes lèvres. Le goût est amer, mais la sensation de chaleur me prodigue
un regain d’énergie. Je rebouche la fiole comptant demander à mon débiteur de
verser le reste du contenu directement sur ma plaie.
Quand je sors de la grotte, je constate que Timager n’a pas
pu attendre là ou je l’avais laissé il y a peu. Je lui rends son collier. Son
visage s’illumine de joie :
- Je vais pouvoir marier ma fille dès que je serais de
retour au village. Merci étranger, tu nous as sauvés.
Je n’ai pas la force de refuser ce qu’il me tend en guise
de récompense. Une bourse contenant une dizaine de pièce d’or et une petite
fiole comme celle que j’ai entamée. Le saluant de la main, je me mets à courir
vers l’endroit ou j’ai demandé à Alcinoa de rester. Dès que je suis au sommet
de la colline, je l’aperçois, assise tranquillement à m’attendre. A peine à sa
hauteur, je l’enlace rassuré qu’il ne lui soit rien arrivé. Je me rends compte
qu’elle ne peut pas sentir mon étreinte, mais je la vois fermer les yeux car
elle doit se douter de ce que je suis en train de faire puisqu’elle ne peut
plus bouger et qu’elle a juste eu le temps de distinguer mes brassards se
rapprocher d’elle.
- Nous allons pouvoir continuer.
Elle acquiesce d’un mouvement de tête. Pour la première
fois, je la vois verser une larme. Voyant mon brassard qui se porte vers son
visage, elle comprend que je capte sa larme cristalline sur le bout de mon
doigt.
- Je ne veux pas que tu pleures.
- C’est une larme de joie. Même si je ne suis pas capable
de te sentir, de te voir ou de t’entendre, je perçois tes sentiments dans tes
gestes ainsi que dans ta façon de te porter au secours de ton prochain. Cela me
conforte dans la certitude que nous allons réussir cette quête et recouvrer ce
que nous avons perdu.
Sans le vouloir, elle pose sa main sur mon dos. Comme elle
n’est pas en mesure de ressentir les sensations, elle ne discerne pas que je
tressaille. La douleur de la plaie est encore vive, même si la potion m’a fait
un grand bien. Je décide de sacrifier le restant de ma fiole en le versant un
peu au hasard au sommet de mon dos comptant sur le fait que la majeure partie
entrera en contact avec ma plaie. Dès que le liquide s’insinue dans les
écorchures, je grimace sous le coup de la sensation de brûlure suivi de près
par un froid intense. Devant me satisfaire de cela pour l’instant, je fais
signe à Alcinoa que nous repartons.
Après avoir passé la grotte aux eurymones, nous descendons
doucement vers un pont qui enjambe une rivière à l’onde vive. A proximité se
trouve un homme faisant boire sa bête de somme. Quand nous nous arrivons à sa
portée, je lui demande si nous nous trouvons toujours bien sur la route menant
à Sparte. Tellure nous apprend que la ville de Sparte a été rasée mais que le
gros de l’armée spartiate à établit un campement à une bonne heure de marche en
suivant la route. Il nous encourage à ne pas nous écarter de la route car les
monstres qui ont attaqué la ville sont dispersés aux alentours. Je le remercie
et traverse la rivière. La route remonte jusqu’à un col. De loin, je me rends
compte que nous ne pourrons pas atteindre le campement spartiate sans
combattre. Un groupe de satyre ayant à sa tête un champion d’une taille
imposante nous barre la route. L’énorme monstre est un pur attaquant armé de
deux haches de bronze. Profitant du terrain broussailleux, j’entraine Alcinoa
derrière un bosquet. Je m’en veux parce que je ne vois pas d’autre moyen que de
la laisser une nouvelle fois afin de ne pas lui faire courir de risque. Je sais
qu’elle ne peut pas être blessée par des armes « classiques » mais
comment puis-je savoir à l’avance si mes ennemis ne vont pas avoir recours aux
éléments. Par contre, en pensant aux éléments, je me dis que je tiens là
l’élément de surprise. Si je peux avancer le plus près possible et balancer une
boule de feu sur le champion, cela devrait créer une panique dont je pourrais profiter.
Je me tourne vers Alcinoa et lui souffle sans forcer :
- Je dois faire du ménage.
Elle me répond un « sois prudent » empreint
d’inquiétudes. Je la regarde s’assoir à même le sol un peu maladroitement puis
je me faufile passant d’un gros rocher à un buisson tout en avançant. A une
dizaine de pas, j’ai un excellent point de vue sur la bande de monstre. J’en
compte sept en tout. Le champion, un archer, quatre combattants, deux armés de
gourdin, un d’une lance et un dernier d’une épée de bronze que je garderais
certainement après le combat. Quant au septième, il a un curieux accoutrement,
et tient un long bâton.
Ils ne m’ont pas encore vu, mais dès que je quitterais
ma planque, je serais à découvert. Je laisse volontairement mon épée au
fourreau, je n’en ai pas besoin pour la première partie de mon plan. Je vais
courir le plus vite possible, créer deux boules de feu, une dans chaque main,
puis en balancer une sur le champion et la seconde sur l’archer. Je n’aurais
plus à craindre d’être touché à distance. Je m’élance, exécute les mouvements
requis, heureux de constater que deux sphères incandescentes crépitent à une
dizaine de centimètres de mes doigts. Je suis repéré, l’archer encoche une
flèche et bande son arc, tandis que les combattants se tournent vers moi. Je
balance ma boule sur l’archer avant même qu’il n’est le temps d’ouvrir les
doigts pour libérer son trait. Comme je l’avais envisagé, il prend feu et
disparaît. Ma seconde boule de feu frappe de plein fouet le champion qui recule
d’un pas sous le choc. Il me reste trois pas à faire avant que je sois à portée
des premiers satyres. Je fais glisser mon bouclier à mon bras droit, un. Je
saisi mon épée, deux. Je la sors violemment de son fourreau en portant une
attaque de taille sur le plus proche assaillant, trois. Un coup de bouclier me
permet de déséquilibrer deux autres. Mais mon attention se porte sur l’étrange
satyre au long bâton. Il touche le champion du bout de sa baguette et absorbe
les flammes qui le brûlaient. Déconcentré, je reçois un coup de gourdin sur
l’épaule. Je riposte d’un moulinet qui désintègre un deuxième satyre. Il en
reste cinq dont le champion et le guérisseur. C’est de ce dernier qu’il me faut
me débarrasser en premier. J’enrage de ne pas l’avoir vu venir. Comprenant mon
intention, il se réfugie derrière le champion qui reprend sa charge. Ma seule
chance de reprendre le dessus est de lui foncer dedans avec mon bouclier. A
peine ai-je formulé cette idée dans mon esprit que je me vois l’exécuter. Le
choc est violent, chacun de nous deux « rebondit » dans la direction
opposée. Je me sers de cette impulsion pour occire un autre combattant. Le
champion est bien décidé à me découper en rondelle. Non seulement il est fort,
mais je suis surpris de sa vitesse et je ne peux éviter la seconde hache qui me
laisse une estafilade sur le biceps. J’accepte bien volontiers cette blessure
car elle me permet de distinguer le point faible de mon adversaire. Il attaque
avec rage, toujours de la même façon, la hache dans la main gauche suivie de
celle de la main droite, moins puissante mais plus rapide. Par contre à la fin
de son mouvement, il me présente son dos, entraîne qu’il est par son mouvement.
Heureusement pour moi, les autres combattants s’écartent par crainte de prendre
une hache en pleine tronche. Je fais donc un pas en arrière et présente mon
bouclier derrière lequel j’arme mon épée pour une estocade. La première hache
s’abat et raye mon écu. J’esquive la seconde d’un pas de côté, j’écarte mon
bouclier et frappe. Ma lame s’enfonce sous l’omoplate du monstre qui a un
réflexe que je n’avais pas prévu, il me repousse d’un coup de bassin. Je manque
de m’étaler au sol quand je vois le guérisseur à nouveau officier. Un genre de
rayon lumineux de couleur vert touche le champion à l’endroit ou je l’ai
frappé. Immédiatement la plaie cesse de saigner. Je ne m’en sortirais pas tant
qu’il sera là. L’un des satyres, celui armé de la lance, a eu l’idée géniale de
profiter de sa plus grande allonge pour se fendre et tenter de m’embrocher.
J’exécute un mouvement en deux temps, j’assène un coup de bouclier pour dévier
la lance et l’empale sur mon épée. Il disparaît laissant son arme au sol. Voilà
ce qu’il me faudrait pour en finir avec le soigneur. Je balance mon épée qui
tournoie en direction du dernier combattant qui n’a pas le temps de se baisser.
Elle se plante entre ses deux cornes. Il me faut maintenant la jouer fine car
le champion revient pour un nouvel assaut.
Je vais devoir le frapper de mon
bouclier après son deuxième coup de hache pour gagner ce qu’il me faut pour
ramasser la lance. Je m’exécute. Me voilà armé de la petite lance et de mon
bouclier. Le champion écume de rage. Il charge à nouveau, je dois encore le
déséquilibrer. C’est à ce moment que j’aurais le soigneur dans ma ligne de
mire. Je place mon bouclier sous le premier coup, il vole en éclat à ma grande
surprise. Mais je me ressaisis, mû par l’adrénaline, esquive le second qui
inflige une griffe profonde à ma cuirasse. Et je tire de toutes mes forces. La
lance touche le soigneur en pleine poitrine qui vole en éclat. Il ne reste que
le champion, ses deux haches et moi, sans rien. Mon épée est au sol, je plonge
sous les deux moulinets assassins. Je n’ai plus de protection, donc il me faut
trouver une astuce pour esquiver le premier coup. Mes pas chassés lassent mon
adversaire qui souffle comme une bête furieuse. L’injonction d’Alcinoa lors de
mes premiers affrontements me revient à l’esprit, « sers-toi des
éléments ». Je me suis servi du feu, je n’ai pas d’eau à proximité. Il me
vient une idée folle. Si j’arrivais à faire que mon corps soit fait d’air, je
ne craindrais pas ses coups et pourraient l’atteindre en plein cœur. Seulement
éviter des haches de plus en plus proches ne facilite pas la concentration. Et
plus question de lui faire perdre l’équilibre avec mon bouclier. Ma colère,
seule ma colère peut me donner l’énergie pour me permettre d’utiliser les
éléments. La seule chose qui me vient à l’esprit pour accroître ma colère est
d’accepter de recevoir un coup avec tous les risques inhérents. Pas la première
me dis-je en l’esquivant tout en me rendant compte que la fin de course de la
seconde va finir dans ma cuisse. Cela ne manque pas, je sens la déchirure de la
lame irrégulière qui entame ma chair. La réaction ne se fait pas attendre, la
rage me gagne mais je conserve le self contrôle nécessaire. Je n’ai plus qu’un
seul but, être une brume. Je n’ai pas le temps de vérifier, la première hache
me passe à travers le corps faisant naître une grimace sur la face de bouc de
mon adversaire. Maintenant ! Je plonge mon épée sous le bras levé du
champion, à l’endroit non protégé par son armure de brute épaisse. Les deux
haches teintent l’une contre l’autre quand le champion s’évanouie en poussière.
Je tombe à genoux, essoufflé mais heureux d’avoir réussit mon stratagème.
- ELI, ELI, JE TE VOIS !
Je me retourne pour voir Alcinoa courir tant bien que mal
vers moi. Je suis surpris de croiser son regard. Elle me regarde dans les yeux.
Soudain, je la vois crier de nouveau :
- NON RESTE COMME CELA !
Elle se jette sur moi portant ses deux mains sur mon visage
qui s’efface comme ma colère, remplacé par un sentiment qui me réchauffe le
cœur mais qui ne suffit pas à me laisser visible.
- Je t’ai vu, tu es blessé. Mon amour, je ne veux pas que
tu risques ta vie de la sorte.
J’aimerais tellement pouvoir répondre à sa prière, ne pas
avoir à me battre, à terrasser toutes sortes de créatures dont je ne m’explique
pas le comportement belliqueux. Je ne parviens qu’à répondre :
- Il le faut, pour toi et pour moi, que nous puissions
nous retrouver et nous aimer enfin.
- Eli, tu arrives à me parler sans crier.
Je me rends compte en l’entendant me le dire que j’ai
réussit à utiliser les infrasons sans colère. Je ne le suis plus, ni frustré ni
en rage. Le seul sentiment qui transparaît en moi est l’amour. Il ne fait aucun
doute que je l’aime. L’avoir serrée contre moi me réchauffe le cœur qui déborde
d’affection pour elle.
- Nous sommes aux portes de Sparte. Nous allons
retrouver l’un de tes sens.
Mon cœur se met à battre. Je lui cache la vérité. Mes
craintes l’emportent. Si Sparte a été détruite, qu’est-il advenu du sens que
nous devions lui faire récupérer dans cette ville ? Fermant mon esprit à
mes plus folles questions, je reprends le dessus. Je ramasse l’épée en bronze
que j’avais repéré tout à l’heure. J’enlève ma cuirasse de cuir pour revêtir la
cote de brute que portait le champion. Je décide de prendre un second fourreau
et j’y range ma lame de cuivre. Après tout, je n’ai plus de bouclier, autant
avoir une arme dans chaque main. Je me tourne vers Alcinoa que je vois regarder
avec insistance vers le long bâton qu’avait le guérisseur.
- Peux-tu me donner cette baguette s’il te plait. Je vais
pouvoir t’être utile à quelque chose dorénavant.