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samedi 9 août 2014

Partie 5 - Chapitre 1 - Michel Stauros


Partie 5 - Chapitre 1 - Michel Stauros.

Alicia est arrivée très vite après mon appel. Je ne lui avais rien dit hormis qu'elle devait venir rapidement à l'hôpital. Quand elle est entrée, je l'attendais dans le couloir. J'avais tourné et retourné la façon de lui apprendre la chose. Pourtant, à sa vue, j'ai tout oublié. C'est sorti en vrac.

- Qu'y-a-t-il ? Qu'est-ce qui se passe ? Demande-t-elle nerveusement.

- Il s'agit de votre beau père. J'ai bien peur qu'il ne lui soit arrivé malheur.

Son visage a affiché une expression confuse. A mi chemin entre le soulagement et la tristesse. Quoi de plus normal. Sans doute a-t-elle cru que ça concernait son mari. Du coup, elle est soulagée, mais à la fois triste pour le vieil homme. 

Nous sommes entrés dans la chambre. Rien ne semblait différent. Éli reposait calmement, sa poitrine se soulevant doucement au rythme de sa respiration. Par contre, pour Hector, j'avais dû le placer sous respirateur. 

- Que s'est-il passé ?

- L'infirmier de garde m'a appelé lorsque nous étions ensemble, ce matin. Il m'a dit que le vieil homme a été pris de convulsions. Quand je suis arrivé, il était encore en train de lui pratiquer la respiration artificielle. 

- Je ne comprends pas. Il devait simplement entrer en contact avec Éli, non ?

- C'est ce qui était convenu. Mais vous le connaissez mieux que moi. Peut être a-t-il pris un risque inconsidéré. 

- Est-il mort ?

En posant cette question simple, elle place sa main sur sa bouche comme si elle regrettait de l'avoir prononcé. 

- Je n'en sais rien. Ses constantes sont stables hormis qu'il ne peut plus respirer par ses propres moyens. Sa maladie a peut être atteint un palier critique.

- Pourquoi est-il encore relié à Éli ?

- Je ne suis pas en mesure de savoir si son esprit a regagné la réalité. Je suis désolé.

Alicia s'effondre sur la chaise derrière elle. Elle prend son visage dans les mains et laisse échapper un sanglot. Je me sens impuissant et totalement désarmé. Après quelques minutes de larmes, elle se redresse, fronçant les sourcils.

- Pourquoi Ophélie n'est-elle pas avec vous ?

Je suis désarçonné par la question. 

- Et bien, comment dire ? Disons que je me suis séparé d'elle.

- Pour quelle raison ? 

- Le directeur me l'a demandé.

Je n'ai pas envie de lui mentir. A quoi bon lui cacher la vérité. Peut être vais-je le regretter, mais je n'y comprends rien moi même. Alors ça me fait du bien d'en parler à quelqu'un. Et puis ça concerne les soins de son mari.

- Je l'ai vu partir ce matin en colère. C'est un ami à moi qui est venu la chercher.

- Ah bon, je ne savais pas qu'elle voyait quelqu'un. Comment s'appelle-t-il ?

- David Tennant, vous le connaissez ?

Un déclic se fait dans ma tête. Ce nom ne m'est pas inconnu. J'ai déjà eu cet homme au téléphone. Il semblait s'intéresser de près à la santé d'Éli. 

- Non, je ne le connais pas personnellement. Il m'a appelé au début de l'opération.

- Que voulait-il ?

- Proposer ses services. Il voulait aider Éli dans sa résurgence. Il m'a dit être un ami de la famille. Par contre, il m'avait demandé de garder le secret. 

- Que lui avez-vous répondu ?

- Que c'était aimable de sa part, mais que je n'avais pas besoin d'aide. 

- S'est-il montré insistant ?

- Non, il a juste dit qu'il suivrait mes travaux de près, puis il a raccroché. Quand j'ai voulu noté son numéro, je me suis rendu compte qu'il appelait en masqué. Sur le coup, je n'y ai pas prêté plus attention que ça.

Alicia affiche une moue dubitative. Elle réfléchit sans doute au lien que cette nouvelle peut avoir avec toute cette histoire. Sans crier gare, elle se lève et va vers son mari. Je la regarde s'asseoir sur le bord du lit, lui prendre la main. Elle a de nouveau les larmes aux yeux. Son regard passe de l'homme de sa vie à son beau père. Je dois tendre l'oreille pour l'entendre lui souffler :

- Éli, reviens mon amour, je t'en prie.

Je suis touché par cette simple déclaration d'amour. Il a bien de la chance d'avoir une femme qui tient tant à le revoir. Ça me conforte dans ma détermination à réussir. Tout en repassant le fil de l'histoire que je lui ai tissé, je déclare à haute voix :

- Normalement, il devrait recouvrir l'ouïe dans la journée. 

- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

J'explique à Alicia les grosses lignes du scénario que j'ai concocté. Je lis sur son visage la crainte qui est la sienne. C'est normal. Entendre que l'esprit de son mari doit combattre pour remporter des épreuves n'est pas facile à accepter. Seulement c'est le moyen que j'ai choisi pour guider son esprit vers la réalité. 

- Vous m'avez dit que je l'accompagne sous les traits d'une fée.

- Exact ! Encore que je pense que vous représentez son "anima". La part féminine qui est en lui. 

- Je n'ai pas très bien saisi le concept.

- En psychologie analytique, on admet que chacun être humain a en lui, une part du sexe opposé. Pour l'homme, c'est une part féminine nommée "anima". Cette part évolue avec le temps afin de parvenir jusqu'à la maturité de la psyché. Elle passe par 4 stades, ou archétypes. La femme primitive est la première. La seconde est la femme d'action. La troisième, la femme de sublimation et la dernière la femme sage, le guide. 

- Comment savoir à quel stade se trouve Éli ?

- C'est une excellente question. Je ne peux que faire des suppositions. Étant donné qu'elle était privée de ses cinq sens, je pense qu'elle est restée au stade primitif durant les trois premières épreuves. Elle a du devenir la femme d'action à l'obtention de son troisième sens. De plus, c'est à ce moment qu'Hector a dû interférer.

- Je ne comprends pas. En quoi est-il une interférence ?

- Parce qu'il représente la réalité ! L'anima d'Éli ne peut l'accepter tant qu'elle n'est pas parvenu au dernier archétype. 

- Ne me dites pas que mon alter-ego a tué mon beau père !

Cette question tire un signal d'alarme dans ma tête. Il ne faudrait pas que trop d'explications fassent basculer Alicia dans une forme de dépression paranoïaque.

- Non, je ne crois pas.

- Qu'est-ce qui vous permet d'être aussi sur de vous ?

Cette question de l'inspecteur Égala me fait tressaillir. Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit présent. Comme je tournais le dos à la porte, je suis incapable de savoir depuis combien de temps il était là.

- Bonjour inspecteur. Que nous vaut l'honneur ?

- C'est moi qui lui ai demandé de venir. Je craignais que...

Alicia hésite à finir sa phrase. Elle semble mal à l'aise. Je jurerais qu'elle rougit. Je ne suis pas le seul à remarquer son émoi. Il réagit plus vite que moi.

- Quoi ? Vous aviez peur de quoi ?

Elle se lance dans une explication en partant du moment où elle a vu Ophélie monter dans la voiture de David Tennant. Je suis soufflé de l'entendre dire qu'elle s'est livrée à une filature dans les règles. Filature que j'ai involontairement interrompue en lui demandant de venir. 

- Vous comprenez, j'étais en plein dans l'action. J'ai cru qu'il se passait quelque chose de grave ici.

Je vois bien que l'inspecteur est passablement mécontent. Mais il se retient de la bousculer. 

- Alicia. Je ne doute pas que votre situation est stressante et que vous souhaitez obtenir des réponses. Mais, je vous en prie, laissez-moi faire mon travail. 

Je remercie Alicia d'avoir passer sous silence l'état de santé d'Hector. Je prie le ciel qu'il ne remarque rien d'anormal en jetant un œil dans la pièce. Seulement, c'est un bon flic. Les détails ne lui échappent pas. C'est ce que je lis dans son regard soutenu quand il le dit :

- J'ai une affaire urgente sur le grill. Je repasse vous voir demain en fin de mâtiné pour un entretien privé, professeur. Quand à nous, ça tient toujours pour demain matin ?

Tandis qu'Alicia répond oui de la tête, je confirme également : 

- Je serais sans doute ici. À demain inspecteur.

Je le suis des yeux afin d'être certain qu'il quitte bien l'établissement. Je me retourne vers Alicia, déçu par son initiative. Avant que je lui fasse part de ma déception, elle s'excuse :

- Je suis désolée professeur. Je ne voulais pas vous occasionner le moindre désagrément. Je suis perturbée par toute cette histoire.

- C'est peut être mieux ainsi. Je suis aussi largué que vous. Je ne comprends pas pourquoi Daniel m'a demandé de me séparer d'Ophélie alors que nous approchons du but.

- Vous pensez qu'Éli va s'en tirer ?

- C'est trop tôt pour pouvoir l'affirmer. Mais il répond aux stimuli cognititifs des sens du toucher, de l'odorat et du goût. Bientôt, je l'espère, il sera en mesure de nous entendre. 

- Sera-t-il capable de différencier la réalité du rêve ?

- Il faut y croire, sinon...

Je n’ose pas terminer ma phrase. L'échec serait trop difficile à encaisser, pour moi, mais surtout pour elle. Je crois qu'elle a compris. Elle se lève et me répond par un sourire timide. 

- Je vais vous laisser continuer à travailler. Peut être trouverez-vous le moyen de ramener mon mari, et son père à la réalité.

Quand elle arrive à mon niveau, elle se dresse sur la pointe des pieds et me pose un baiser sur la joue. Dans un souffle elle me remercie pour mon travail. Elle a longtemps franchit la porte que je sens encore la douceur de ses lèvres. Je ne peux pas échouer. Elle le mérite. 

Je retourne à mon laboratoire. Je reprends mes notes sur l'évolution du scénario. Quand il franchira le quatrième niveau, celui du cyclope, je devrais lui rendre une partie de sa mémoire. J'ai choisi des photos des différentes classes auxquelles il a enseigné. Je compte sur ses souvenirs d'adultes pour qu'il s'approche au plus près de la conscience. Ainsi, il sera plus fort pour faire face à la dernière partie. 

Je n'ai plus qu'à surveiller mes moniteurs. Techniquement, je devrais pouvoir discerner le moment du combat. 

Je suis fin prêt. A toi de jouer Éli.

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