Vu par

lundi 27 janvier 2014

Partie 3 - Chapitre 2 - ?

Partie 3 - Chapitre 2 : ?
Vous êtes-vous déjà retrouvé coincé par un éboulement ? Ou enlacé par un anaconda ? A moins que vous ne soyez un rugbyman parfois écrasé sous une mêlée qui s'effondre. Rien de tout cela ? Alors vous aurez du mal à comprendre ce que j'ai ressentit. Comment ça qui suis-je ? Ah, ben d'accord... Avec un point d'interrogation comme titre, ça ne m'étonne pas que vous vous posiez la question. Un indice, je me suis retrouvé prisonnier d'une statue en pierre. Heureusement qu'Éli était encore dans le coin quand l'aurore a pointé son nez. Sans quoi, je serais mort. Il s'en est fallut de peu. En fait, après sa victoire, Éli est partit à la recherche d'Alcinoa. Les eurymones ne l'avaient même pas attachée. Mais bon, quand on a perdu ses sens, ce n’est pas facile de s'enfuir. Après leur retrouvaille, ils s'attendaient à recevoir leur prix. Ne voyant personne arriver, ils sont revenus sur la place face au palais. Grand bien leur a pris. Pourtant aveugle, Alcinoa perçoit les êtres changés en pierre par le basilic. Quand ils sont passés devant le grand serpent, elle m'a vu. Éli a entrepris de briser mon cocon de pierre.
Éli a moyennant accepté d'être de nouveau en ma présence. C'est vrai que la dernière fois, j'étais avec deux gardes du corps et que nous étions adversaires. Maintenant les choses sont différentes, je lui dois la vie. Plus question de lui piquer sa nana, même si elle est divinement belle. J'ai compris la leçon, il est plus fort que moi. C'est d'ailleurs pour ça que je réponds à ses questions :
- Comment se fait-il que tu ne sois pas mort ? Demande Éli mi-étonné, mi-agacé.
- J'ai bien une explication, mais je ne suis pas sûr qu'elle te plaise.
- Vas-y toujours, je te le dirais.
- Nuit est un parasite. Il infecte un hôte et en prend le contrôle à la tombée du soir, quand le soleil disparaît de l'horizon.
- Je lui ai renvoyé son haleine putride. Il s'est changé en pierre.
- C'est pas faux. Mais en même temps, il est peu affecté par son poison.
- Que veux-tu dire ? Qu'il n'est pas mort ? Non seulement il a été changé en pierre, mais en plus, je l'ai broyé pour t'en extraire.
A ce moment précis, j'ai compris qu'Éli avait soif de comprendre les choses. Si son esprit butte sur quelque chose, il ne l'admet pas. Le plus curieux étant, qu'en plein milieu d'un univers fantastique, il ne puisse accepter que des choses mystérieuses se produisent. Par exemple, il a eut énormément de mal à entendre cela :
- Éli... Je le vois...
Au moment où Alcinoa a prononcé cette courte phrase, il allait et venait, pestant contre le retard d’un certain Stauros. Il a eut un temps d'arrêt, puis il lui a fait face.
- Qu'est-ce que tu as dit ?
- Je le vois, comme je vois Stauros.
A cet instant précis, Éli a pété un câble. Je ne sais pas comment il était avant, mais là, il fait peur. Noir de colère, criant à l'injustice. Il lève les poings serrés vers le ciel. A qui croit-il s'adresser ? A ce "Stauros" ? C'est qui, une sorte de dieu ? J'ai dû dire la dernière phrase tout haut parce qu'Éli tourne son attention vers moi. C'est en me pointant du doigt qu'il me fustige :
- Toi, tu ferais mieux de la boucler avant que je ne décide de finir notre combat.
Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je ne suis pourtant pas du genre téméraire mais j'ai répondu :
- Bien sûr, plonge ton gladius dans mon corps et déverse mes tripes sur le sol. On verra si Alcinoa te suivra encore après ça.
Ah oui, il y a une chose qu'il me faut préciser : Alcinoa me voit, mais elle ne m'entend pas... Pourquoi ? Je ne sais pas. Toujours est-il que je peux sortir les plus grosses horreurs, seul Éli m'entendra. Du coup, c'est normal d'en profiter. Enfin jusqu'à un certain point. Éli dégaine son arme.
- On va vite le savoir, dit-il en s'approchant de moi.
Alcinoa se met en travers de son chemin, le suppliant de se calmer, argumentant que sa colère lui fait peur. Dans un mouvement de rage, il jette son gladius qui tournoie avant de se figer dans une représentation de Zeus. 

Il hurle "Stauros" à pleins poumons. Alcinoa et moi nous bouchons les oreilles avec les mains tellement sa voix est amplifiée par la colère. Il ne se rend pas compte que ses émotions ont une incidence directe sur les éléments. Chaque pierre, dans un rayon d'une dizaine de mètres, tremble littéralement sous l'effet des vibrations sonores. Alcinoa tombe maladroitement à genou, versant toutes les larmes de son corps. Ça fait l'effet d'une gifle sur Élu qui se précipite pour l'attraper avant qu'elle ne heurte le sol. La serrant dans ses bras, il lui souffle des excuses. Elle hoquète en proie à une crise de nerf. Je ne saisi pas ce qu'il lui dit mais elle se calme doucement.
Après quelques minutes, il lui sèche les joues avec douceur. Ils se relèvent en se tenant par les mains. Ne comprenant pas pourquoi il nous faut rester ici, je me décide à poser la question qui me trotte dans la tête :
- C'est qui ce "Stauros" ?
Éli me fusille du regard mais m'explique que c'est la personne qui nous donne notre prix.
- Votre prix ? Dis-je incrédule.
Il m'explique alors toute l'histoire, le portail, la privation des sens ou de la mémoire. Je lui réponds que je ne sais pas qui est Stauros, mais que je peux au moins leur donner l'odorat. Je détache la chaine que j'ai autour du cou. La sphère cristalline contenant une matière vaporeuse se met à irradier doucement. Alcinoa tend la main, referme les doigts sur mon collier et le jette brutalement au sol. Je crois que ma mâchoire inférieure a dû toucher terre. Comment une femme si délicate peut-elle se montrer si...
Effrayante. La vapeur de couleur verte contenu dans mon bijou s'enroule autour d'elle. Elle en fait l'ascension fondant vers son visage tel un rapace sur sa proie. Alcinoa avale la fumée verdâtre par le nez et la bouche. Elle est saisie de convulsions qui lui font perdre l'équilibre. Éli la rattrape juste à temps. Toujours soutenue par son galant, elle ouvre la bouche après avoir pris une grande inspiration :
- ATCHOUUUUM !
Pour la première fois, Éli et moi éclatons de rire ensemble. Un rire franc, généreux qui nous amène les larmes aux yeux. Alcinoa prend une expression perdue entre l'indignation et la malice. Elle se rend compte de l'aspect humoristique de son geste. Nous nous attendions à une phrase bien pensée, mais non. C'est à ce moment que je percute, elle m'entend rire. Comme j'en fais la remarque tout haut. Elle explique que le rire, quand il n'est pas forcé, s'étend sur toutes les fréquences sonores. Voilà comment Éli communique avec elle, grâce aux éléments, particulièrement le son. Je vais devoir travailler ma maîtrise élémentaire. C'est la principale raison pour laquelle Éli me surclasse. Après avoir attendu une demi-journée, nous avons conclu que Stauros ne viendrait pas. Avant de se remettre en route, Éli s'approche de la stèle dans laquelle il a planté son arme. A peine entre t-il en contact avec le pommeau sarclé de cuir, il reçoit la colère de Zeus. Foudroyé, il s'effondre sans lâcher son arme. Alcinoa se précipite alors que je reste interdit. Quand je comprends ce qu'elle veut faire, je lui crie :
NON !
Trop tard. Elle le saisie par la main au moment où Zeus en remet un coup.

Me voilà avec deux amants allongés, assommés par l'ire divine. Si je veux me débarrasser d'Eli, je n'aurais pas de meilleure occasion.

dimanche 19 janvier 2014

Partie 3 - Chapitre 1


 Partie 3 : Le toucher


Chapitre 1 : Alicia.
Comment expliquer ce que j'ai ressentit à son dernier souffle ? C'est une chose de le vivre, c'en est une autre de le faire comprendre. Michel Stauros m'avait appelé pour la seconde expérience cognitive. Il m'avait demandé de mettre le parfum en question, Odissey.
J'étais toute tremblante à l'idée de devoir embrasser à nouveau Éli. Je sais, vous allez me trouver stupide, c'est mon mari. Mais ce n'est pas parce que vous avez embrassé ces lèvres des milliers de fois que, lors d'occasions particulières, vous ne puissiez ressentir des sentiments intenses. Sans compter que l'un des derniers baisers qu'il a reçu lui a arrêté le cœur. Je n'ai pas franchement envie de renouveler cet "exploit". Quelque part, j'ai toute mes chances puisque le mien lui a fait retrouver le goût.
Mon patron s'est arrangé pour que je puisse avoir ma journée sans poser de congés. Il faut dire que j'avais accumulé pas mal d'heures sup. Craignant les embouteillages, j'ai opté pour le métro. Je me suis levée suffisamment tôt pour éviter les heures de pointe. Du coup, je suis arrivée en avance. Le professeur était déjà là. Seulement l'atmosphère était à couper au couteau. Il m'a à peine salué. Un sourire crispé puis il a remis la tête dans ses fichiers informatiques. J'ai bien essayé d'entamer la conversation mais rien n'y a fait. Je me suis tournée vers Ophélie, là encore, choux blanc. Seulement, elle ne semblait pas à l'aise. Faut dire qu'à notre dernière rencontre je l'ai quasiment comparé une droguée. Ce n'est pas ma faute si Éli ne supporte pas la nicotine. En même temps, se faire embrasser par un cendrier, c'est plutôt moyen pour retrouver un sens.
Je tente une dernière approche alors qu'Ophélie rentre de sa pause toxico.
- Le professeur Stauros a l'air particulièrement tendu. Y aurait-il un problème ?
- Probablement dans son esprit torturé. A force d'imaginer des histoires, il fit par "psychoter".
- Que voulez-vous dire ?
Alors que la porte du bocal s'ouvre, elle élude la question et s'y précipite. Je reste sur ma faim. C'est la vie de mon mari qui est en jeu, il me faut des réponses. Michel s'avance vers moi me tendant la main. Il ne se souvient pas de m'avoir salué à mon arrivée. Je tente le coup :
- RE-bonjour, Michel. Que se passe t-il, vous avez l'air soucieux ?
- Ah bon, vous trouvez ? Je m'efforce de faire revenir la conscience de votre mari alors que cela fait dix ans qu'elle est je ne sais où ! Vous ne pensez pas que ça puisse me causer des migraines ?
Je dois faire une drôle de tête car il reprend de suite :
- Excusez-moi Alicia. Vous n'y êtes pour rien, je suis désolé. Est-ce qu'il vous est déjà arrivé d'avoir l'impression qu'on ait touché à vos affaires ? Comme quand vous laissez une chose à un endroit et dans une certaine position et que vous la retrouvez ailleurs et rangé autrement ?
- Si ça concerne Éli, vous m'inquiétez Michel.
- Ophélie me prend déjà pour un fou. Elle est la seule à travailler dans le bocal avec moi et elle m'assure que j'imagine des choses. Mais c'est plus fort que moi. Je me souviens très bien comment j'avais laissé mes dossiers, mes fichiers et autres notes. On dirait que quelqu'un les a parcouru puis a essayé de remettre les choses en place sans y parvenir totalement.
- Pouvez-vous dire avec exactitude quel dossier n'a pas été remis à sa place ?
Alors qu'il répond par la négative d'un signe de tête, Ophélie me regarde et hausse les épaules jetant vers le plafond une œillade d'exaspération. Michel remarque que je regarde par dessus son épaule et comprend que son assistante continue à le prendre pour un psychotique. Lâchant l'affaire, il me demande si je porte bien le parfum requis. Ma confirmation a l'air de le détendre un peu. Ne voulant pas prendre de risque, il demande à Ophélie de "préparer" Éli. Voyant que je fronce les sourcils, il m'explique qu'il va le mettre torse nu afin d'être prêt à recevoir un choc en cas de défaillance cardiaque.
- Je préfère me parer à toute éventualité - explique-t-il en souriant légèrement.
- Ça devrait bien se passer, je suis là - dis-je sur un ton ironique.
- Bon, c'est pas tout ça, on a du boulot. Techniquement votre mari doit avoir récupéré le sens de l'odorat. Donc, à mon signal, vous entrez dans sa chambre, vous l'embrassez en vous arrangeant pour qu'il puisse sentir votre parfum.
- Et... ?
- Et, on examine sa réaction. Elle peut ne pas être immédiate. Ne faites rien de plus que ce que nous avons prévu.
J'ai bien quelques kilos en plus sur les épaules quand j'ouvre la porte de la chambre. Je ne m'attends pas à l'odeur qui vient flatter mes narines. D'habitude, dans un hôpital, il y a toute sorte d'effluves. Là, le parfum de femme qui embaume la pièce est bien présent. Je fais le lien avec celui du bocal : Ophélie. Ce n’est pas possible de sentir comme ça, elle doit se rouler dedans. Patchouli ! A croire qu'elle ne se rend pas compte que l'on va faire une expérience sur l'odorat. J'espère qu'Éli discernera le mien. Je fusille du regard Ophélie. Bien sûr, je ne la voie pas car elle est dans le bocal, derrière la vitre sans teint. Mais je sais ou elle est assise. De plus j'ai la conviction qu'elle me regarde. Oulala, je me mets à psychoter comme Michel. Pourquoi m'en prendre à cette femme qui ne fait que son travail ? Sans doute parce qu'elle est l'archétype du fantasme masculin, blonde infirmière belle de sa personne. Ou est-ce parce que je lui en veux d'avoir embrasser mon mari ? Elle n'y est pas pour grand chose, elle n'a fait qu'obéir aux directives de son supérieur.
C'est dingue la vitesse à laquelle on réfléchit. Je suis entrée, j'ai franchit les cinq pas séparant le lit de la porte. Puis j'ai contourné le lit afin de ne pas être dans le passage s'il y a intervention d'urgence. Maintenant, je m'assoie sur le bord du lit. Je me penche dirigeant mes lèvres frémissantes vers celles de mon amour. Je les presse en un baiser qui se veut passionné. Aucune réaction. Qu'est-ce que j'espérais ? Qu'il allait répondre en me faisant chavirer comme la première fois que nous nous sommes embrassés ? Je m'en souviens comme-ci c'était hier. Il venait de me demander pour sortir avec moi. J'avais fait la fille indécise, qui lui donnerait sa réponse après réflexion. Il m'a embrassé sur la joue en me disant "à demain" puis à tourner les talons. En le voyant s'éloigner, j'ai senti une pulsion monter en moi, je l'ai appelé. Quand il s'est retourné, j'avais déjà parcouru les quelques mètres nous séparant pour me jeter à son cou. Nos lèvres se sont trouvées toutes seules. J'avais déjà embrassé un garçon mais jamais avec une telle passion.
Non, ce baiser n'a rien à voir. Éli n'y répond pas. Ses lèvres sont sèches et tièdes, sans saveur. J'approche ma bouche de son oreille pour lui souffler :
- Éli, mon amour, reviens à la maison. J'ai besoin de toi.
Tandis que, je prononce ces quelques mots, mon oreille, au niveau de sa bouche, capte le sifflement de sa respiration lente et régulière. Soudain, un crépitement, un râle émis par ses lèvres entrouvertes. L'alarme de l'écran de contrôle me fait sursauter. Je reste plantée devant le moniteur sans réagir. Le monde s'est arrêté. Ma tête se tourne au ralenti. C'est curieux de voir les choses évoluées à une vitesse divisée par dix. La porte de la chambre s'ouvre laissant entrer un Michel Stauros courant vers le défibrillateur. Il est suivi par Ophélie dont je croise le regard emprunt de pitié. Le plus étrange, c'est l'impression de ne rien entendre. Mon ouïe résonne encore du dernier souffle de mon mari. Je ne réalise pas ce que je fais. C'est comme-ci j'étais spectatrice de ce qui va suivre. Vu que je tiens toujours la main d'Eli, Michel me crie de le lâcher. Je ne réagie pas. Ophélie arrive par derrière, me frappe sur la main en me poussant contre le mur pour m'écarter du lit. Elle atteint son but mais pas tout à fait comme elle le souhaitait. En effet, je lâche Éli pour lui administrer un solide coup de coude en pleine figure qui l'envoie sur les fesses. Michel applique les palets et délivre la décharge. Non seulement il ne redémarre pas le coeur d'Eli, mais il sonne Ophélie. Dans sa chute, elle agrippa la jambe de mon mari par réflexe. Le choc électrique lui arrête le coeur. Bizarrement, on a mis les actions en accéléré. Michel me cri dessus et me gifle, sans doute pour me faire reprendre mes esprits. La réponse est immédiate, je lui en retourne une.
- Bien, content de vous retrouver parmi nous... Si ce n'est pas trop vous demander, allongez Ophélie sur le sol, ouvrez lui son corsage et dégraphez son soutien gorge.
Je reste interdite, il lève à nouveau le ton :
- FAITES-LE ! VITE !
Tandis que je m'évertue à obéir aux consignes, il choque à nouveau Éli qui s'arc-boute. Les larmes coulent d'elles même mouillant le chemisier d'Ophélie que je finis par ouvrir. Je passe les mains dans son dos pour dégager son opulente poitrine. Soudain j'entends le "bip-bip" du moniteur qui contrôle le rythme cardiaque d'Éli. Avec un professionnalisme à toute épreuve, Michel passe de mon mari visiblement tiré d'affaire à sa collaboratrice sans sourciller. Elle reprends connaissance avec une grande bouffée d'air. Elle a beau avoir eu le coeur arrêté, elle raccroche vite les wagons.
- Vous êtes folle ou quoi ! Me crie-t-elle sans se rendre compte de sa demi nudité.
Remarquant que je baisse les yeux sur ses seins avant de la regarder avec insistance, elle renchérit :
- Quoi ! Vous n'avez jamais vu une paire de nénés. Jamais plus vous me touchez, espèce de folle.
Michel Stauros intervient. Il la somme de se rhabiller et d'aller vérifier les enregistrements dans le bocal. Elle s'exécute en bougonnant.
- Ne lui en voulez pas. Après tout, vous lui avez quand mis une sacré manchette. Ça va passer, laisser lui du temps. Bon, en tout cas, Éli est de nouveau parmi nous, si je puis dire.
- Que s'est-il passé ? Pourquoi son coeur s'est-il à nouveau arrêter ?
- J'aimerais le savoir. Je vais analyser toutes les données.
- Quand aurez-vous la certitude que l'expérience a fonctionné ?
Il me répond que ça lui prendra quelques heures tout en se frottant la joue où mes doigts sont dessinés en rouge. J'ai dû y aller plus franchement que lui. Je m'excuse de mon attitude. Il rit argumentant qu'il n'ira pas dans son restaurant ce soir. Je souris gênée. Il m'assure qu'il va gérer la situation avec Ophélie, que je ne dois pas m'inquiéter mais profiter de ma journée de congé pour me reposer. Ça ne va pas être évident car je suis beaucoup plus touchée que je ne le montre. Je franchis la porte de la chambre jetant un regard vers mon mari qui a repris sa respiration tranquille, comme s'il ne s'étais rien passé. Je serre la main de Michel et la met, tremblante dans ma poche. J'ai une boule dans la gorge. Dès que je sors de l'hôpital, je m'effondre en larmes sans même me cacher des regards des gens qui entrent et qui sortent. C'est alors que je sens une main bienveillante se poser sur mon épaule. Je me relève pour m'engouffrer entre les bras consommateurs ouverts devant moi.


lundi 13 janvier 2014

Partie 2 - Chapitre 9

Chapitre 9 - Éli.
Notre conversation d'hier me trotte encore dans la tête. Je n'ai pas dormi, trop inquiet de ce qui pourrait surgir. De plus, tout à fait entre nous, l'idée que le portail soit temporel n'a cessé de m'obséder. Cela semble incongru mais comment expliquait autrement que je vois les paysages d'Arcadie comme passés par le temps. Il me suffit de porter le regard sur le moindre élément pour le voir tel qu'il est, mais aussi tel qu'il sera.
Alcinoa n'a pas souhaité reprendre la conversation. Tant mieux. Elle semble perturbée par cette idée. Notre périple est entrecoupé par des combats contre toutes sortes de créatures. Satyres, sanglier, harpies et autres oiseaux putrides. Quand nous arrivons sur un terrain plus escarpé, une autre race toute aussi belliqueuse nous fait face : les ménades. Moitié femme, moitié félin. Elles sont dotées de griffes acérées de sorte que même désarmées, elles restent extrêmement dangereuses. Elles sont rapides et très agiles. Par contre, elles ne résistent pas à mon solide coup de bouclier. Bien donné, je peux en sonner trois d'un seul coup. Curieusement, elles restent cantonnées aux pieds de la plupart des collines. C'est au détour d'un de leur campement que je suis scotché par un paysage bien spécifique.
Heureusement que j'avais fait le ménage avant de la voir, parce que sa vue me fige sur place et déclenche en moi une foule de souvenirs. Les collines d'Arcadie se fondent dans la plaine d'Argolide. Dans le fond, adossée à un mont au sommet arrondi, Mycènes. Mes souvenirs me portent dans un champ de ruine alors que mes yeux me montrent la cité, son palais et ses murailles cyclopéennes. Je dois être resté statique un moment car Alcinoa me prend maladroitement la main. Sa voix douce me tire de ma torpeur :
- Que vois-tu mon amour ?
- Le rêve de mon père... Enfin je crois...
Si la première réponse était emprunte de certitude, la seconde est marquée par le doute.
- De quoi rêve-t-il ? Renchérie Alcinoa.
- Je vois Mycènes telle qu'elle devait être il y a trois mille cinq ans. Je suis maintenant certain que le portail affecte le temps. J'ai passé des années dans les ruines de cette ville jusqu'à...

Je laisse mourir ma phrase. Elle me rappelle trop de douloureux souvenirs. Alcinoa doit se douter de ce que j'allais dire car elle ne me demande pas de finir ma phrase. Elle se contente de m'interroger :
- Comment est-elle ?
- Magnifique, grandiose... Je ne sais pas quel mot pourrait te la décrire avec justesse. A cette distance, je ne peux pas être plus précis. Seulement, j'ai passé tellement de temps dans ses murs, que je pourrais te la vanter les yeux fermés. Mon père en avait dessiné le palais sur ordinateur.
- C'est quoi un ordinateur ?
La question m'assomme. Pourquoi me demande telle cela ? Je ne suis pas sûr de comprendre. Je me vois, petit, jouant sur celui de mon père. Je dirigeais un personnage en forme de camembert jaune entamé. Il devait manger voracement des pastilles et autres fruits sans se faire attraper par des fantômes. J'ai la certitude d'avoir réellement vécu ça. Alors, comment ne peut-elle pas savoir ce qu'est un ordinateur ? A cet instant, je trouve la réponse : c'est une créature féerique.
- C'est une machine inventée par l'homme pour stocker son savoir, apprendre mais aussi se divertir.
- Ton père est déjà venu ici ?
- Oui et non. C'est compliqué. Si le portail est bien temporel, mon père et moi avons séjourné ici dans ce qui sera un lointain avenir. Cette ville est en ruine. Mon père a dessiné le palais en respectant les dimensions mesurées des ruines. Il a ensuite imaginé la décoration intérieure.
- Et si le portail n'est pas temporel ?
Je lui explique qu'il n'y a pas d'autre explication. Pourquoi mes souvenirs me donnent des images de désolation alors que je fais face à une citée des Atrées intacte. Je sens bien qu'elle est dubitative. Mais je préfère lui dire que nous y serons avant la tombée de la nuit. Alors que nous reprenons notre marche, elle me demande :
- Si dans tes souvenirs, la cité est en ruine, qu'est-ce qui la réduite à cet état ?
- Les avis sont partagés. Certains pensent qu'il y aurait eu de puissants tremblements de terre. D'autres, qu'elle aurait été détruite par des ennemis venus du nord.
- Et ton père, qu'en pensait-il ?
Mon père... Son obstination lui a tellement coûté. Sa théorie ne s'appuyait que sur des fables. Il était convaincu qu'un monstre mythologique avait décimé la région avant de s'éteindre. Il basait ses allégations sur les statues retrouvées un peu partout. Des gens figés dans une expression de terreur moulaient dans la pierre. La communauté scientifique en a fait des gorges chaudes. Les plus réservés préféraient la version de tremblements de terre et d'éruption volcanique. Leur problème : l'absence de preuves dans les couches sédimentaires. Cette risée de ses pairs, l'a plongé dans une rage et une frustration telle, qu'il a tout lâché pour prouver sa version. Je fus parmi les choses lâchées. C'est dingue que la simple vue de cette cité éveille en moi tant de choses. Alcinoa me touche la main, elle attend toujours la réponse.
- Mon père pensait que ce qui garde ton deuxième sens en est la cause.
Sans attendre sa réaction, je me remets en marche. Elle m'emboîte le pas sans rien dire.
A mesure que nous avançons, je prends la mesure de cette cité. 

On parle de ces murs d'enceinte comme étant cyclopéens. Ce n'est pas étonnant vu la taille des pierres qui le constituent. Bien qu'évoluant en terrain découvert et en plein jour, aucune créature ne s'attaque à nous. La ville semble être en quarantaine. A quelques centaines de mètres de la porte de la lionne, les statues commencent à envahir le paysage. Ça lui donne une atmosphère sépulcrale. Alcinoa me lâche la main. Je me retourne, intrigué. Son visage est marqué par une expression d'horreur. Sa main lui couvre la bouche comme pour empêcher un cri de sortir. Elle les voit. Comment est-ce possible ? Des larmes s'insinuent aux coins de ses yeux puis roulent sur ses joues. C'est à mon tour de l’interroger :
- Qu'est-ce que tu as ?
- Je les vois... Ils sont tous m....
- Mort, oui... Emprisonnés à jamais dans une prison de pierre.
- Ils ne sont pas emprisonnés... Ils sont devenus pierre. La pierre est un composant de l'élément terre, c'est pour cela que je les vois. C'est horrible.
J'avoue que je suis perplexe. Dans le cas d'une éruption volcanique, on ne se transforme pas en pierre. Pour un tremblement de terre non plus. Sans parler de l'expression de chacune des statues. La frayeur, plutôt la terreur se lit sur chaque visage. Certaines font exception. Ce sont des soldats en armure. Ils brandissent armes et boucliers pour faire face au danger. En regardant la direction de leurs regards, tous convergent vers le palais royal. Par mesure de sécurité, je dégaine mon gladius et enfile mon bouclier. En temps normal, Alcinoa n'a pas besoin de me toucher pour me suivre. Mais dans ce cas précis, elle pose une main tremblante sur mon épaule.
Nous franchissons l'imposante porte des lionnes. 

Il n'y a aucun bruit hormis le vent qui souffle les feuilles générant de petits tourbillons multicolores. Nous avançons prudemment dans les rues convergeant vers le palais. Toutes les maisons ont portes et fenêtres fracturées. Personne n'y habite plus. Soit la population a fuit, soit elle a fini en statue. Nous en croisons de toute sorte, figées dans leur course pour échapper vainement à la mort.
Intérieurement, je suis vraiment inquiet. Et si mon père avait raison ! Si la cause de ce désastre était le basilic. Alors je vais devoir affronter mon pire cauchemar. Je peine à comprendre comment une seule créature ait pu faire tant de victimes. Il y avait des soldats, de quoi protéger la cité. Par quel pouvoir a-t-elle pu entrer, déjouer leur vigilance pour finir par les décimer ?
- J'ai un mauvais pressentiment, souffle Alcinoa toujours cramponnée à mon épaule. Je ne pensais pas qu'elle puisse avoir tant de force.
- Je le partage mais on ne peut plus reculer.
- On nous observe...
Attend... Elle est censée avoir perdu ses sens, dont la vue. Et elle serait capable de percevoir des regards qui m'échappent ?
- Qu'est-ce qui te fais dire ça ?
- Les statues, elles nous observent. J'ai l'impression qu'elles nous crient de fuir tant qu'il en est temps.
Je prends ma voix la plus douce pour lui répondre :
- Ces gens sont morts. Ils ne peuvent plus rien crier. Mais elles ont le pouvoir d'amplifier nos peurs. Elles symbolisent l'échec et nous n'avons pas le droit d'y penser.
La pression sur mon épaule s'atténue légèrement. Nous débouchons sur la place où se dresse le palais. Curieusement, pas une statue n'y figure hormis celle d'un monarque quelconque, mais elle a été mise en pièce. Il ne reste que le socle et les jambes sectionnées au niveau du genou de manière inégale. Il devait y avoir une plaque avec le nom du souverain représenté, seulement elle a été complètement abîmée. Impossible de lire quoique ce soit.
Nous grimpons les marches menant à la double porte sculptée. Elle est grande ouverte comme pour nous inviter à entrer. Nous la franchissons pour pénétrer dans une large pièce au sol de marbre. 

Les murs sont couverts de mosaïques de toutes les couleurs illustrant des scènes de la vie des anciens dirigeants. Principalement des batailles remportées, desquelles on emporte de grandes richesses. Les colonnes sont entièrement sculptées. Il y en a huit, quatre de chaque côté. Trois portes percent les murs, une par point cardinal. Nous avons franchit une double pour entrer, deux simples sont sur les côtés alors qu'une seconde double porte nous fait face. Dans mes souvenirs, elle mène à la salle du trône. Prêt au combat, nous avançons. La salle qui s'ouvre devant nous est similaire à celle que nous venons de quitter. Il y a quelques différences : Chaque scène décrite en mosaïque est délimitée par des tentures pourpres pleine de poussière. Il n'y a que deux portes hormis celle franchie. Elles sont de chaque côté du trône. Ce dernier se situe sur une estrade de marbre haute de quatre marches. Derrière le trône, une autre mosaïque illustre la ville nimbée par le soleil dont les rayons couvrent toute la région. C'est le témoignage de la puissance qu'avait alors la dynastie en place.
Alors que je suis subjugué par tant de faste, je ne remarque pas les dizaines de créatures qui nous encerclent. Je sens la main d'Alcinoa glisser de mon épaule et me lâcher. Quand je me retourne, il est trop tard. Elle est menacée par plusieurs armes. Les eurymones me scrutent de leurs grands yeux dépourvus d'iris. Ils attendent de vérifier que je comprenne que je n'ai aucune chance de leur faire face sans qu'il n'arrive malheur à ma fée.
- Éli, qu'est-ce qui se passe ? Me demande telle d'une voix inquiète.
- On t'emmène sans que je ne puisse rien faire. Mais n'aie pas peur. Je viens bientôt te chercher.
- Je vous trouve bien chevaleresque mon ami.
Je me retourne pour faire face à la personne qui vient de parler tandis qu'Alcinoa est emmenée vers la sortie du palais.
Un homme d'une quarantaine d'années, vêtu d'une armure grecque rutilante me fait face. Il est entré par l'une des portes de côté. Son arme pend à sa ceinture. Il se dirige vers le trône sur lequel il s'assoit. De part et d'autre prennent place deux créatures semblables aux eurymones mais de taille beaucoup plus grande.

- Abrégeons les banalités : Je m'appelle Basile, je suis le détenteur du deuxième sens de ta chérie. Non, il ne lui arrivera rien tant que tu joueras ton rôle. Des questions ?
- Et quel est mon rôle ? - Je pose la question plus pour lui faire plaisir.
- Mourir bien sûr... N'est-ce pas à ce point évident ?
Je crois bien que je déteste ce mec. Son air suffisant, sa gestuelle, tout me sort par les yeux. Pour être si sûr de lui, soit c'est un combattant émérite, soit c'est un tricheur. Dans les deux cas, je suis mal.
- J'ai encore une question...
- Comme ci je ne le savais pas... Il éclate de rire, ce qui m'exaspère au plus haut point.
- Qu'adviendra-t-il d'Alcinoa ?
- Elle deviendra ma reine. Une femme privée d'odorat ne risque pas de se changer en pierre.
Là, c'est moi qui éclate de rire, ce qui assombrit le faciès de mon hôte.
- Puis-je savoir ce qu'il y a de risible dans ce que je viens de dire ?
- Oh, trois fois rien. Ça me fait penser à un lézard de l'antiquité qui puait de la gueule à tel point que les gens se changeaient en pierre.
- Et ?
- Tu n'a rien d'un lézard mais tu dois refouler du goulot...
A ce moment, ses traits se crispèrent. Il se leva d'un bon, retira sa cape et dégaina son arme. Si je n'avais pas été rompu au combat, je me serais fait transpercer le cœur par son fendant. Heureusement pour moi, tous les derniers affrontements avaient aiguisé mes sens. Une simple rotation du bassin laisse la lame à dix bons centimètres de mon cœur. Le plus étrange reste la suite. J'aurais cru qu'avec une telle armure, ce guerrier devait être redoutable. Pourtant, chaque coup qu'il me porte semble téléphoné. C'est comme-ci j'anticipais chacun de ses mouvements. A tel point que je finis par prendre vraiment confiance en moi. Je me permets des passes censées l'agacer, voir l'humilier' et ça marche. Plus je le surclasse, plus il s'énerve et commet des erreurs. Seulement ça n'est pas suffisant pour que je le désarme. Ça se complique quand ces deux gardes du corps entrent dans la bataille. En trente seconde, je me retrouve avec des estafilades sur les bras, les jambes et une sur le visage. Faut dire que gladius face à javeline, l'allonge n'est pas la même. Et à trois contre un, j'ai beau avoir un meilleur niveau, ce n'est pas évident. Comme pour ajouter encore à la difficulté, je commence à avoir la vue qui se trouble. J’impute ça à deux facteurs : Un, ma plaie au visage qui m'envoie sang et sueur dans les yeux ; Deux, leurs armes doivent être enduites de je ne sais quelle substance empoisonnée. Il devient urgent de prendre le dessus et de "poutrer" tout ce petit monde. Je profite d'un coup de bouclier percutant qui envoie Basile sur le cul pour asséner une passe transversale qui fait éclater l'une des brutes en poussière noire. Le temps qu'il se remette sur pied, je m'occupe de son dernier garde du corps plus prudent que le précédent. Le hasard de l'affrontement m'amène juste à côté d'un Basile à peine remis sur ces pieds. Je prends un risque car l'occasion est trop belle. Bing ! Nouveau coup de bouclier qui le projette en arrière. Cette fois, le mur lui permet de ne pas s'écrouler. Étant donné que la brute n'a pas saisi sa chance, je peux tourner mon attention vers elle. Il se sert de sa javeline en la tenant à deux mains. Ça lui permet de parer mes feintes et de me tenir à distance en allongeant au besoin. Cherchant une ouverture nous tournons l'un autour de l'autre. Je suis surpris, en me trouvant face à la porte menant dans l'entrée, de voir les rayons du soleil s'allongeaient. Le soir est déjà là, il me faut en finir vite pour trouver Alcinoa avant la nuit. Reportant mon attention sur mon adversaire, je m'aperçois qu'il regarde au dessus de mon épaule... Quel imbécile ! Basile est dans mon dos ! Le mouvement qui suit n'est pas dans les manuels d'escrime. Je me jette en avant pour passer sous les jambes de la brute médusée. Une fois dans son dos, je n'ai aucune peine à lui planter mon arme au milieu des omoplates. Comme le nuage de poussière noire me cache la vue, je place mon bouclier face à moi. Mais je n'étais pas prêt à voir ce qui me faisait face. Basile, toujours adossé au mur, fumait. Pas dans le sens "je me grille une blonde et on reprend", non, plutôt comme quand on sort d'une douche bien chaude dans une pièce froide. Se rendant compte que je le regarde, il relève la tête, sourit et souffle :
- Maintenant on ne rigole plus...
A l'instant même, ses pupilles passent de rondes à fentes reptiliennes. Alors qu'il émet des gargouillis écœurant, je reste prostré devant le spectacle de sa transformation. La dernière chose que font ses mains est finir de retirer son armure. Ensuite, elles se recouvrent d'écailles irisées. Ses ongles deviennent des griffes affûtées comme des rasoirs. Juste avant que la transformation ne s'achève, il prononce un simple mot :
- Fuis !
Est-ce le témoignage d'un semblant de conscience humaine ? Ou simplement le réflexe du chasseur ? Toujours est-il que je fais fi de ce conseil qui semble des plus avisé. Mon sang se glace quand il pousse un cri de rage ressemblant vaguement à un rugissement de lion. Le fait est qu'il arbore une crinière mais ça s'arrête là pour les points communs. Il tourne sa tête vers moi. Est-ce un sourire ? Je suis scotché, il parle :
- J'ai un faible pour les guerriers. Ils ont cette lueur d'espoir qui brille dans le fond de leurs yeux. Ils restent jusqu'au bout convaincu qu'ils pourront l'emporter. J'admire...
- Basile ?
- ... Leur courage et leur opiniâtreté. Mais ça n'est pas tout ça, on va sortir car j'essaie...
- Basile ? Tu m'entends ?
-... T'as bientôt fini de m'interrompre ! C'est qui Basile ?
Comment est-ce possible ? Ce monstre n'a pas conscience de son état. Où il ne veut pas l'admettre. Je cherche dans son regard draconique une lueur pouvant me prouver qu'il y a encore du guerrier en lui. Ça serait plus facile s'il se montrait coopératif.
- Par contre, ce qui m'agace chez les guerriers, c'est qu'ils ont souvent une cervelle de piaf. T'as toujours pas compris.
- Non j'avoue. Il y a quelques minutes, je me battais avec un guerrier qui portait cette armure que tu voies près de toi.
- C'est l'armure de Jour.
- De Jour ?
- T'es sourd en plus ? Oui Jour, moi je suis Nuit. Chacun s'occupe de ses affaires sans se mêler de celles de l'autre.
- Donc si tu ne te mêles pas de ses affaires, tu ne me feras rien. Je ne suis pas sûr qu'il apprécie que tu interfères dans son défi.
- Tiens, on dirait que tu as plus de jugeote que tes prédécesseurs. D'habitude, dès que j'apparais, soit on tente de fuir, soit on passe à l'attaque. Pourquoi me retiendrais-je d'intervenir ? Il est évident que tu surclasses Jour. Si je ne fais rien, tu le tueras et par la force des choses moi avec lui. Si je prends part à votre combat, il survivra, retrouvera celle avec qui tu voyageais, sera heureux.
- Qu'as-tu à y gagner ?
- Hormis la vie ? Une nouvelle statue dans ma ville.
- Sauf si je ne sors pas du palais...
- Ah, tu as remarqué qu'il n'y a pas de statue dans le palais. Jour les préfère dehors. Le palais est pour lui, la ville pour moi.
- Tu dois t'ennuyer ferme, il n'y a pas un chat.
- C'est pas faux, c'est pour cela que je ne vais pas me priver d'intervenir.
Le raisonnement est logique, je ne vois pas très bien comment m'en sortir. A moins que je ne le fasse parler. Il a l'air d'être le genre à aimer s'écouter. Même si je n'arrive pas à tenir la nuit entière, le plus il m'en dira sur lui et sa façon de statufier, au plus j'aurais de chance de trouver la faille.
- La légende dit que tu pétrifies du regard, mais c'est faux.
- Il y a une légende sur moi ? Que dit-elle d'autre ?
- Que tu serais né parce qu'un coq aurait pondu un œuf, ce dernier ayant été couvé par un serpent.
- Balivernes, il y a des gens qui croient à ce genre de stupidités.
- Non seulement ils y croient, mais ils font des fouilles pour tenter de trouver une preuve de ton existence. Car, hormis dans les textes de certains scribes, tu ne figures nulle part ailleurs. Pas de stèle, de monument au ton honneur, rien que de vieilles histoires qu'on raconte aux enfants pour leur faire peur.
Sûr que son égo est surdéveloppé. Vu le coup de queue que j'ai pris en plein ventre et qui m'a propulsé dans le hall d'entrée. J'en ai le souffle coupé. Je rassemble mes esprits mais aussi mes affaires. La violence du coup m'a fait les lâché. Je n'ai pas le temps de récupérer mon bouclier que j'entends ses griffes racler la pierre. Il se précipite, me chargeant comme un animal en furie. Imaginer une bête, dont la tête semblable à celle d'un varan, a la taille de celle d'un hippopotame. Son corps recouvert d'écaille ressemble vaguement à celui des dragons chinois dépourvus d'aile. Comme il ne peut pas compter sur ses pâtes pour sauter, elles sont trop courtes. Il donne une impulsion à l'aide de sa queue. En l'appuyant contre un mur, il la déplie tel un ressort. Ça lui donne l'impression de voler, sans doute. Mais pour moi, une telle charge est un véritable cauchemar. Sa gueule grande ouverte, prête à m'avaler s'approche très vite, trop vite. J'ai l'impression d'être un poisson face à un requin blanc. Je ne peux que plonger sur le côté pour éviter d'être happé. Comme je n'ai pas mon bouclier, je peux faire une roulade pour me remettre dans le même geste sur mes pieds. Il ne m'a toujours pas dit comment il pétrifie, je décide de le titiller à nouveau :
- Tu ne m'as toujours pas dit comment tu pétrifiés les gens. A moins que ça soit du flan, comme le reste de ta légende.
Cette fois, je m'attendais à la réaction caudale. Mais je n'ai pas été assez rapide pour l'éviter. C'est la deuxième fois que je parcoure une dizaine de mètres sans toucher le sol. Le problème avec ce moyen de transport, c'est la réception. Il sait exactement ce qu'il fait, je suis dehors avec ma cuirasse défoncée. Je suis contraint de la retirer car elle m'empêche de respirer correctement. Lui prend son temps, tellement convaincu de sa supériorité. Soudain, j’entends :
- Éli, prend garde à ce qui sort de sa gueule.
Je reste interdit, comment fait-elle pour me parler ? Je jette un œil alentours, elle n'est pas là. Je jette un œil à mon adversaire qui ne semble pas avoir entendu. Serait-elle télépathe ? La réponse ne tarde pas à m'arriver.
- Tu es le seul à m'entendre car j'utilise les éléments pour communiquer. Le son porté par l'air, la terre et l'eau n'est perçu que par l'oreille humaine. Lui n'en est plus un.
J'aimerais pouvoir lui répondre mais je ne maîtrise pas cette technique. Une fois de plus, elle se porte à mon secours. J'ai parfois l'impression que c'est elle qui veille sur moi et non l'inverse. Le basilic sort du palais en trottinant, fier d'être parvenu à ses fins. Il ne s'en cache pas d'ailleurs :
- Bien, maintenant que tu es dehors, voyons le genre de statue qui te conviendrait le mieux.
- Parce que tu crois sincèrement que je vais me laisser statufier aussi facilement ?
- Je n'ai qu'à te donner un nouveau coup de queue pour t'enfoncer les côtes, perforer tes poumons voir plus si affinités.
Ça y est, il est à point. Convaincu de sa supériorité, ma cuirasse défoncée lui donnant la certitude que je suis vulnérable. Il me suffit de lui répéter qu'il ne me touchera plus pour générer le coup de queue foudroyant. Sa conviction se mue en surprise quand il voit son appendice caudal me traverser. Je profite du court instant pour lui asséner un solide coup de gladius. Le choc fait vibrer mon bras de douloureuses pulsations. Mon arme n'arrive pas à l'entamer. Comment vais-je pouvoir l'abattre si je ne peux pas le blesser ? Puis je comprends mon erreur. C'est un reptile, comme le crocodile. Ces écailles, sur le dessus de son corps, constituent une solide armure. Son ventre doit être vulnérable. Un second coup de queue frappe l'air. Il enrage. Nous nous tournons autour jusqu'à ce que je constate que je me retrouve dans une place dont toutes les statues sont des guerriers en pleine combat.
- J'espère que tu conserver as cette expression altière quand tu te changeras en pierre.

Sa phrase à peine terminée, il se met à vomir un nuage gazeux qui s'étend face à moi. Je suis acculé. Hors de question de compter sur un vent quelconque pour écarter la menace. Sauf que je peux le générer ce vent. Je fais tourner mon bras droit afin de créer un cône, un tourbillon dans lequel les volutes du nuage vont se prendre et être entraînées. Ça marche, le poison est aspiré par ma dépression. En augmentant la vitesse, j'allonge la taille en réduisant le diamètre. Je me retrouve avec un obus gazeux fusuline affûté comme une javeline. Je me risque dans un mouvement vers l'arrière. L'arme au bout de ma main suit mon geste me révélant un basilic qui charge la gueule grande ouverte. Je ramène mon bras vers l'avant tel un fouet ce qui projette le cône de gaz directement dans sa gueule. Certes, le gaz ne peut pas le transpercer, mais la stupeur du basilic se lit sur son visage reptilien. Suffocant, il ne contrôle plus son corps saisi de soubresauts spasmodiques. Sa queue flagellant ce qui l'entoure, je reste momentanément sous forme d'air. Mon attention est attirée par une meute d'eurymones sortant d'une des maisons bordant la place face au palais. Voyant leur maître se figer doucement en pierre, ils fuient sans demander leur reste. Maintenant, je sais ou se trouve Alcinoa. Jetant un dernier regard à mon adversaire pétrifié, je coure avec toute l’énergie qu’il me reste.