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dimanche 30 mars 2014

Partie 3 - Chapitre 9 - Alicia

Partie 3 - Chapitre 9 - Alicia.
Comment j'ai pu lui faire ça. Pour la première fois depuis que je travaille chez lui, je suis en retard. Je me mords la lèvre inférieure de dépit. Il faut dire que cette matinée a été haute en couleur. En fait, ce sont les dernières vingt-quatre heures qui furent complètement folle.
Entre la psychose de Michel qui est convaincu que quelqu'un intervient dans son expérience ; Hector qui débarque, bourré de médicaments pour garder les idées claires et Ophélie qui me snobe depuis que je l'ai fait voler sur les fesses, je sature d'émotions. Il ne manquerait plus qu'un David un peu trop pressant et je craque. Heureusement, je travaille, enfin je travaillais. Parce que la seule chose que mon patron ne tolère pas, c'est le retard. Pour ne rien arranger, c'est jour de marché, ce qui signifie moins de places pour se garer, voir carrément pas. Du coup, je n'ai pas pris ma voiture. Vous allez me dire que je le fais exprès : ne pas prendre un moyen de transport plus rapide alors qu'on est en retard, c'est aggraver son cas. Mais non, car toute l'avance que l'on peut avoir en se déplaçant plus vite, on la perd à chercher une place pour se garer.
Qu'est-ce qui m'a mis dans cette fâcheuse position ? Déjà, j'ai dû passer la nuit chez Hector. Il a insisté pour me faire dormir dans la chambre d'Éli. J'ai cédé parce qu'il ne se rend pas compte de ce qu'il me demandait. Nous avons passé les premières semaines de notre union dans cette chambre. Une foule de souvenirs sont remontés.
Après notre retour de l'hôpital, il a disparu dans ses appartements. Elsa, son aide à domicile, a préparé le repas puis m'a appris que je mangerais seule. C'est une femme extraordinaire. Elle n'interfère en rien dans l'existence d'Hector, mais il ne pourrait pas survivre une semaine sans elle. Depuis son embauche, condition sinéquanone à son maintien à domicile, elle sait qu'elle doit officier dans la plus grande discrétion. Elle s'occupe du linge, de l'entretien des locaux, des repas, des courses, bref de tout ce dont une maison a besoin. Il n'est plus en mesure de s'en occuper. Et puis, il a toujours eu des assistants, même quand il était sur le terrain avec Éli. Du coup, il a toujours été dépendant. Quand il est en pleine possession de ses moyens, il le reconnaît volontiers. Il en a usé des majordomes et autres bonnes à tout faire. Elsa est celle qui résiste le mieux. J'espère pour lui qu'elle ne le lâchera pas. Sinon il aura du mal à en trouver une aussi efficace.
Pour l'instant on n’en est pas là. La deuxième raison pour laquelle je suis en retard, c'est qu'il m'a fallu batailler pour l'admission d'Hector à l'hôpital. Tous les papiers qu'il faut fournir pour entrer, c'est la folie. Trouver des papiers chez soi, c'est facile quand on a un minimum d'organisation. Trouver les papiers d'Hector, dans son bazar, une vraie partie de plaisir. Une fois l'admission officialisé, je n'ai pas pu lui dire "au revoir". Il était plongé dans un coma artificiel au côté de son fils. Et pour finir de me rassurer, Michel qui reste évasif sur les chances de réussite de l'expérience : "Tout est expérimental, Alicia. Comment voulez-vous que je me prononce alors qu'il n'y a aucun précédent".
A ce moment précis, j'ai regardé ma montre. J'ai du blêmir car Michel m'a demandé si tout allait bien. Non seulement je ne lui ai pas répondu, mais je l'ai planté là. Il me fallait passer chez moi, me changer et foncer au boulot.
Quand je tourne dans la rue, je suis surprise de voir deux voitures de police et le "SAMU" devant le restaurant. Je sens mon sang se figer. Mon esprit s'emballe, tout comme mon pas. Un gardien de la paix m'empêche d'avancer plus. Mais un inspecteur remarque mes vêtements portant le logo du restaurant, il le fait signe de venir à lui.
- Que s'est-il passé ? Est-ce que tout le monde va bien ? Ou est Pierre ?
Visiblement agacé de ne pas être celui qui pose les questions, il me somme de me taire et de répondre à ses questions, du genre : "quelles sont vos relations avec M. Vouet ?" et "ou étiez-vous entre hier et aujourd'hui ?" Je ne comprends toujours pas ce qui est arrivé quand j'entends derrière moi une voix familière :
- Il y a eu un braquage peu avant l'ouverture. Ton patron est aux urgences, il a pris deux balles. Des drogués en manque, vraisemblablement.
- Inspecteur Égala !
Voilà quelques années que je n'avais pas vu l'inspecteur qui avait été le premier sur les lieux de notre accident. Depuis le temps, il avait perdu des cheveux et pris quelques kilos. Néanmoins, je distingue dans son regard la même étincelle. Cette curiosité qui fait qu'il possède un des meilleurs taux de réussite dans ses enquêtes. Après l'accident, il avait pris régulièrement nos nouvelles. Même s'il lui était quasiment impossible d'extérioriser ses sentiments, je savais qu'il compatissait à ma douleur. Subitement, je n'ai plus eu de nouvelles de lui jusqu'à ce que j'en comprenne la raison dans les journaux. Il avait démantelé un réseau de drogue. Au moment d'appréhender la tête de la filière, il avait glissé sur la poudre blanche répandu au sol. Le plus extraordinaire fut que dans sa chute, il dévala les escaliers jusqu'à s'amortir sur celui qu'il poursuivait. Ça reste, à ce jour, la plus incongrue des arrestations. Il en était sorti avec la jambe cassée, les ligaments sectionnés, mais il avait atteint son but. C'est sa coéquipière qui l'emmena à l'hôpital. Un mois après l'opération, il avait encore la cuisse droite deux fois plus grosse que l'autre. Ça lui a valu le surnom de "Strad".
Comme je fronce les sourcils, il m'explique que cela fait référence au crabe violoniste,
Strad étant le diminutif de Stradivarius. Je sourie mais il comprend que je m'inquiète pour Pierre. Michaël Égala n'est pas un policier à l'ancienne avec un crayon et un carnet. Non, il est "high tech". Il a un stylo, certes, mais il reste dans la poche de sa chemise. Il fait son office car il enregistre notre conversation. J'explique les dernières vingt quatre heures. Cette fois, c'est lui qui fronce les sourcils sur les mots comme "résurgence" ou "rêve partagé". Il y a une chose qui me tracasse. Je sais pertinemment qu'entre les questions apparemment anodines, il analyse mes réponses. Mais si ce sont des drogués qui ont braqué le restaurant, pourquoi me demande t-il mon alibi. N'y tenant plus, je lui lance au visage :
- Pourquoi j'ai l'impression d'être considérée comme suspect ?
- C'est la procédure, Alicia. Il y a un certain nombre de détails surprenants.
- Comme ?
- Je ne peux rien vous dire durant le déroulement de l'enquête, je suis désolé.
- Pas autant que moi. Dites-moi tout de même si le restaurant peut être ouvert...
- Quand l'équipe d'investigation aura finit, nous enverrons une équipe de nettoyage. Après, je pense que vous pourrez ouvrir de nouveau.
- En terme de temps, ça donne quoi ?
- 48 à 72 heures, en règle générale.
- Et mon patron, ou a t-il été emmené ?
Il me répond de manière laconique qu'il ne me sera pas possible de le voir pour deux raisons. La première est qu'il se trouve en soins intensifs suite à ses blessures. La seconde, qu'il a tué un des agresseurs ce qui le place obligatoirement en garde à vue pour homicide.
Je quitte l'inspecteur sur son accord pour me diriger vers mon appartement. Je pensais prendre un savon monumental du fait de mon retard, j'étais loin d'imaginer ça. Je suis hagarde. Je n'arrive pas à aligner deux pensées cohérentes. J'ai l'impression de porter la poisse. D'abord ma stérilité, ensuite l'accident d'Éli. Maintenant, Hector qui veut rejoindre son fils en rêve et mon patron qui se fait agresser. Il n'y en a qu'un qui s'en sort bien dans mon entourage. Ça va faire quelques jours que je n'ai pas de ses nouvelles. Si ça se trouve, il s'est fait assassiner, et il croupit dans son sang quelque part. Le simple fait d'évoquer cette éventualité, j'en ai la chair de poule. Je devrais peut être l'appeler. Mais si je le fais, je risque de devoir le supporter.
Je me résous à attendre encore un moment, histoire de digérer tout les événements. "Chômage technique» ! J'ai deux ou trois jours devant moi. Michaël m'a promis de m'appeler dès qu'il aurait du nouveau. Tout en m'éloignant du restaurant, je remarque que des policiers inspectent les caméras de certains établissements. Au moment ou je franchis la porte de l'un d'eux, je perçois les mots : "là aussi, chef, caméra hors service". Je m'arrête au coin de la rue, me retourne et prend la mesure du problème. Il semble que toutes les caméras environnantes soient hors d'usage. C'est en tout cas ce que la gestuel des forces de l'ordre m'impose comme conclusion. En laissant traîner mon regard, je finis par croiser celui de l'inspecteur. Pourquoi me dévisage t-il de la sorte ? Qu'est-ce que lui souffle son imagination ? Son insistance me donne l'impression qu'il me croie coupable de quelque chose. Après tout, une femme dont le mari est dans le coma depuis près de dix ans. Une femme qui a dû mal à joindre les deux bouts. Une femme, d'habitude toujours à l'heure, qui se retrouve en retard le jour du braquage du magasin. Ça fait de moi quelqu'un a surveillé.
Faut que j'arrête de délirer. Il me regarde parce que ça fait longtemps que l'on ne s'est pas vu. Que c'est un homme et moi une femme. Je ne peux pas continuer comme ça. Je perds les pédales. Mais à qui en parler ? Vers qui me tourner ? Je n'ai personne, en tout cas, personne vers qui j'ai envie d'aller. Disons que celui vers qui j'irais bien, a ses propres soucis et idées négatives. Peut être que ça nous ferait du bien d'en parler. Lui au moins ne me drague pas. Nous avons des intérêts communs.

J'accélère le pas, maintenant que je sais ce que je vais faire. Je passe chez moi, je me douche et je l'appelle. Après tout, il doit manger aussi, on pourra sans doute déjeuner ensemble.

samedi 22 mars 2014

Partie 3 - Chapitre 8 - Basile

Partie 3 - Chapitre 8 - Basile.
Je ne m'attendais pas à ça. Quand je suis entré dans cette grotte, je voulais prouver à cet entêté que j'étais fiable. Seulement, maintenant, qu'est-ce qui va lui permettre de se fier à moi ?
La grotte s'ouvre sur une vaste salle ou la roche n'a pas choisit entre la voute et le sol. L'odeur est particulièrement forte, mélange d'excréments et de sueur, saupoudré d'une once de moisi. On s'attendrait à devoir trouver rapidement un moyen pour voir où l'on met les pieds. Pas la peine, la grotte est illuminée. Je m'avance jusqu'au premier gros rocher. J'espère être rejoint par Éli et Alcinoa, mais je ne veux pas revenir en arrière comme un lâche. Non, je vais de l'avant jusqu'à ce que... Je découvre un spectacle horrible: plusieurs créatures humanoïdes velues regroupées autour d'un corps. Le bruit émis est significatif. Elles sont en train de dévorer leur encas. J'ai soudain l'impression que le sang de chaque membre de mon corps s'évapore. Une boule nauséeuse se forme à mi chemin entre mon estomac et ma bouche.
Oh, bien sûr, je sais ce que vous vous dites : Il a du faire bien pire quand il était le basilic. Tout d'abord, je n'avais pas conscience de ce que la bête faisait quand elle prenait le contrôle. Ensuite, c'est une chose de faire quelque chose, c'en est une autre de le voir faire en version gore.
J'ai dû déglutir un peu trop fort car l'une des bêtes relève la tête. Elle hume l'air pour analyser les effluves. Je prend conscience que je suis entre l'entrée de la grotte et leur festin. Donc le souffle de l'extérieur doit rabattre sur eux l'odeur de ma peur. Ils sont plusieurs à hésiter entre se retourner et continuer leur repas. Leur choix va être déterminant. S'ils abandonnent leur place pour se lancer à la recherche de l'odeur qu'ils viennent de relever, plus moyen de "revenir à table". Leur place sera prise par d'autres. Oui, je comprends ce que vous vous dites : Pourquoi ne sont-ce pas les autres qui se lancent à ma poursuite ? Peut-être ne sont-ils pas guerriers ? Dans ce moment de flottement, on croit qu'on peut faire tout un tas de chose car, dès que la décision est prise, tout se précipite.

Je me redresse et fais demi-tour tout en tentant de ne pas perdre de vue les trois hommes-rats bondir dans ma direction en dégainant. Leurs couinements résonnent dans la grotte. Mais mon cri supplante tout les autres bruits. Je ne cherche plus à regarder derrière, je fonce droit devant. La lumière de l'extérieur vacille pour découper une silhouette que je reconnais de suite. Sans hésiter je plonge vers le sol. J'entends le gladius d'Éli tournoyer à toute vitesse pour se figer avec un bruit sourd dans le premier de mes poursuivants. Tout en continuant à avancer, Éli effectue quelques moulinets qui stoppent net l'élan des guerriers. Seulement pour chaque rat qui tombe, deux prennent la place. Je reste médusé de voir Éli tantôt assommer trois assaillants d'un coup de bouclier, tantôt en occire un ou deux d'une passe fatidique. Soudain son cri me sort de ma torpeur :
- T'attend quoi pour m'aider ?
Je me relève, dégaine mon arme juste à temps pour parer une attaque dirigée sur moi. Tant que j'étais au sol, tous se dirigeaient vers Éli, alors que maintenant, le flot se divise en deux. Le problème réside dans le fait que je ne suis pas aussi rompu au combat que lui. Il m'en coûte de le dire, mais c'est la vérité. Visiblement, les rats doivent s'en apercevoir, de plus en plus me chargent. Éli doit s'en rendre compte, pourtant il ne fait rien.
Non, ça y est, j'y suis, il le fait exprès. Je me fais "poutrer" par les rats, comme ça il est débarrassé du boulet sans se salir les mains. Quand les pièces se mettent en place dans mon esprit, je sens monter la colère. Celle dans laquelle j'étais lors de notre premier combat n'est rien à compter de celle qui monte. A mesure que je sens chaque fibre de mon être fulminer, je suis beaucoup plus percutant face à mes assaillants. Je finis par me rendre compte que je suis en train d'imiter chaque mouvement d'Éli. N'ayant pas de bouclier, je me sers néanmoins de mon bras, poing serré, comme d'une massue.
Combien peut-il en avoir ? Même si j'ai pris du retard, le tas de poussière noire autour de moi commence à être impressionnant, et il en arrive toujours. Je n'ai pas le temps de ramasser un bouclier, pourtant il le manque cruellement. Si, dans un premier temps ce sont des fantassins qui nous ont chargés, maintenant nos assaillants sont plus organisés. En première ligne, il y a les hoplites, petite lance et bouclier, ainsi que les combattants dit "CAC", corps à corps. Ces derniers ont un armement hétéroclite qui va de la dague à l'espadon en passant par la hache. Si leur technique de combat est de loin inférieure à la mienne, c'est leur nombre qui peut faire la différence. À moins que ça ne soit les secondes lignes. Archers et autres manipulateurs élémentaire. La première salve de flèches m'a pris au dépourvu. Je crois bien que j'allais lâcher mon arme quand, à travers le nuage de poussière, j'ai vu les archers décocher. J'ai dû sursauter quand la plupart se sont figées dans le bouclier qu'Éli a dressé devant nous.
Moi qui croyais qu'il voulait ma mort, ça m'a rassuré d'une force. Jusqu'à ce qu'il dise :
- Prend un bouclier ! Je t'interdis de mourir autrement que de ma main !
Donc, il veut me voir mort, mais il veut le faire lui-même. Ce n'est pas le genre à me planter dans le dos, non, c'est en duel, celui commencé à Mycènes.
Tandis que nous continuons à faire face, un cri féminin suivi de celui d'une bête qui hurle retentie. Je lis dans le regard farouche d'Éli qu'il me tient pour de ce qui ressemble à la capture d'Alcinoa. L'avantage de la situation est que les flèches ne pleuvent plus. A l'instar de mon partenaire, je rengaine mon arme. N'ayant pas un bouclier épique sur lequel les traits s'éclatent, je laisse tomber le mien qui ressemble à un hérisson emplumé. Les homme-rats n'ont pas le temps d'avancer. A peine Éli a-t-il récupérer son gladius lancé au début du combat, qu'il fait un geste circulaire de la main comme s'il voulait arracher la voute de la grotte. A cet instant, un craquement effrayant figea sur place nos adversaires qui n'eurent pas le temps de lever les yeux. Ils furent ensevelis par un éboulement monumental qui souleva un nuage dense de poussière. Pourquoi Éli n'a-t-il pas fait cela avant ? A croire qu'au plus il est en colère, au plus il est puissant. La dernière chose que j'ai vu avant d'être submergé par le nuage, c'est Éli, l'arme au poing, partir en courant vers la sortie. Instinctivement, je retiens ma respiration et lui emboite le pas. Ce que je le vois faire dès que je parviens à l'air libre, le rend encore plus terrible à mes yeux. On pourrait penser que l'effondrement de la voûte soit un mouvement de colère. Mais c'est en le voyant émerger subitement devant le colosse qui retient Alcinoa que l'on prend la mesure de sa stratégie. Je suis certain qu'il est consumé par la rage à mon encontre, mais il garde le contrôle. En deux mouvements très rapides, il saisit d'une main la lame sous la gorge de la fée et plante son arme à la base du cou de son adversaire. Alcinoa se retrouve recouverte de poussière noire. Il se retourne vers moi et me claque un "protège-la" qui ne souffre pas d'être contesté. Il reste neuf homme-rats. Deux archers qui bandent déjà leurs arcs. Un chaman qui manipule l'eau de la mer dressant une vague de plus en plus haute. Et six guerriers, non cinq, trois... Bref, Éli est tellement rapide, qu'il arrive même à briser les flèches avant qu'elles ne soient tirées. La vague qui devait s'abattre sur nous retombe dans un grondement sourd. Il n'y a plus personne pour la faire déferler. Impressionnant, c'est le mot qui convient. En regardant autour de moi, je ne vois que de la poussière noire et les armes et armures hétéroclites de nos assaillants. Je m'attendais à ce qu'Éli me bouscule, mais il semble exténué. La colère a laissé place à une grande fatigue. Il est debout, les bras pendant le long de son corps. Sa tête est dirigée vers le sol. Alcinoa avance vers lui avec le pas hasardeux qui témoigne de son handicap. Je n'entends pas ce qu'il se dise mais je devine qu'elle le rassure. Elle n'a aucune blessure. Moi par contre, je me rends compte que je ne suis pas sorti indemne de l'affrontement. J'ai plusieurs estafilades qui saignent plus ou moins. Éli est dans le même état avec une flèche logée dans le mollet droit. Vu la position d'entrée, je dirais qu'il a dû la recevoir quand il m'a protégé. Je le regarde casser la pointé en grimaçant puis la retirer. Tandis qu'Alcinoa utilise son bâton pour le soigner, je ne sais pas comment je dois prendre ça. Il est évident qu'il a plus qu'envie de m'éliminer. C'est le jugement d'Alcinoa qui le retient. Il a l'occasion de laisser à d'autres de le faire, pourtant, il me protège. Pourquoi ? La question doit transparaitre sur mon visage car Éli y répond en plongeant son regard bleu pénétrant dans le mien :
- Si le basilic est toujours en toi, tu mourras de ma main. Sinon, tu mérites autant qu'un autre d'être protéger, même si tu m'horripiles. Par contre, il va falloir que tu t'expliques sur ce que tu as fait durant le combat.
Je saisie tout de suite à quoi il fait allusion. En même temps, c'est compréhensible. Un combattant de mon niveau ne progresse pas en un affrontement. Or j'ai été capable de copier le moindre mouvement d'Éli pour me défendre. Le problème, c'est que si je suis honnête, il va me tuer. Je ne peux pas lui dire que j'ai cette capacité mimétique. Sinon comment lui prouverais-je que je ne suis plus le Basilic ? A la réflexion, je me rends compte que quelque soit ma réponse, il ne me croira pas. Il a fait de moi l'homme à abattre. Pourquoi cette haine ?
C'est Alcinoa qui me libère du poids de la réponse :
- Il faut croire qu'il a un bon maître d'arme. Maintenant, Basile, détends-toi et laisse l'eau s'infiltrer en toi. Le phénomène de guérison peut être légèrement désagréable.
L'explication est reportée. C'est ce que je décrypte de l'expression d'Éli. Heureusement qu'elle a dit que ça serait "légèrement" désagréable. Outre la brûlure des plaies qui se referment, l'insinuation de l'eau provoque des envies de se gratter au sang. A mesure que le traitement fait effet, les démangeaisons laissent la place à une sensation difficile à expliquer. C'est comme-ci vous sortiez d'une douche froide revigorante. La surface semble endormie, alors qu'en profondeur, le tonus est indéniablement présent. Je remercie Alcinoa pour son soutien. Elle sourit en coin et se permet une confidence tandis qu'Éli est parti se décrasser dans la mer :
- Je ne pourrais pas toujours t'éviter de répondre à ses questions. Et s'il s'avère que tu n'es pas honnête, je ne m'opposerais pas à sa vengeance.

Ça a le mérite d'être clair. A moi de définir comment je vais la jouer. J'ai une alliée qui peut faire pencher la balance, mais c'est à double tranchant. Si je me plante, je passe direct dans la catégorie "éliminable". Ça met la pression.

lundi 17 mars 2014

Partie 3 - Chapitre 7 - Hector

Partie 3 - Chapitre 7 - Hector.
Il y avait longtemps que je n'avais pas passé autant de temps avec quelqu'un. Enfin, je crois. Je ne suis plus sûr de rien.
- Et oui mon vieux, tu débloques de plus en plus.
- Je ne te permets pas !
- Comme-ci ça changeait quelque chose.
Elle m'énerve quand elle dit ça. Surtout que je sais qu'elle a raison. Mais je ne peux rien faire. J'ai essayé toutes sortes de méthodes sans rejeter les traitements les plus avasifs. Rien n’y a fait. Lentement, inexorablement, elle me ronge la tête mélangeant la réalité à la fiction. Le passé devient le présent, qui lui, disparait. Parfois, les images de scènes vécues "en tant que passager" émergent de manière décousue.
- Ça m'amuse, que veux-tu ? Tu verrais la tête que tu fais dans ces moments-là. C'est à se rouler par terre.
- Rigole tant que tu peux. J'ai bien l'intention d'accepter sa proposition.
- Parce que tu croies réellement que ça aura le résultat escompté ?
- Qu'est-ce que je perds à essayer ?
- Je vais te le dire : dégénérescence hâtive.
- Pourquoi te croirais-je ?
- T'ai-je déjà menti ?
Elle marque un point, encore... Pourtant, c'est tentant.
- Franchement, tu me fais pitié.
- Comment peux-tu parler de sentiment ? Tu n'es qu'une maladie à ce jour incurable.
- Te prêter à cette expérience hasardeuse va te faire baisser ta garde. Je ne résisterais pas à ce boulevard. A terme, tu seras...
- ... À ta merci.
- Tu es déjà à ma merci, tu seras un légume. Le peu de conscience qui restera de toi sera prisonnier d'un patchwork d'images de toutes époques. Tu voudras mourir, mais tu ne pourras pas le demander. Est-ce cela que tu veux ?
- De toute façon, je n'ai pas le choix.
- Pourquoi ça ?
- Tu répètes sans cesse que mon combat contre toi est perdu d'avance. Je ne ferais donc qu'accélérer l'inexorable. Mais l'idée de faire comme Obi-Wan face à Dark Vador me plait assez.
- Obi... Qui ?
- C'est dans ce genre de moment que tu montres tes limites. Tu n'es qu'une garce inculte. Incapable de montrer la moindre imagination. Tu es tout juste bonne qu'à torturer tes victimes.
- Là tu jubiles. Mais crois moi, tu n'en as plus pour très longtemps.
Je ne le sais que trop. La discussion avec Alicia et Michel me donne vraiment l'espoir de parvenir à mes fins avant de baisser le rideau. Il a de la chance d'avoir une femme comme elle. Elle va tout faire pour qu'il revienne.
- Bon, ça n'est pas tout ça, mais il faut que je me prépare...
- Te préparer pour quoi ?
- Oui, pour... Diantre, je ne me souviens pas.
- Ah ah ahah quel misérable !
- Vous devez vous préparer pour passer quelques nuits à l'hôpital, beau papa.
- NON ! Qu'est-ce qu'elle fait là ?
- Tu ne t'y attendais pas. J'en suis fort aise. J'arrive encore à te surprendre. Maintenant il est temps que tu t'endormes.
- Encore des cachets. Tu en prends de plus en plus. Tu joues mon jeu. Ton corps s'y habitue, bientôt ils ne feront... Plus... D'eff... Zzzz.
- Alicia, nous avons peu de temps.
- Alors allons-y. Le professeur doit nous attendre.
Même avant la maladie, j'ai toujours été un peu "ours". Plongé dans mon univers ou se mêle la mythologie et l'histoire. Les gens qui me côtoyaient me qualifiaient de peu sociable. Il faut dire que la plupart étaient incultes, complètement privés de la moindre culture générale. Je m'étais doucement habitué à être traité en ermite. Je crois que j'ai, non intentionnellement, communiqué ce travers à Éli. Pourtant, en quelques heures, une tornade de gentillesse et de sollicitude est venue balayer mon caractère de cochon. Elle s'est proposé de m'aider à préparer mes affaires et m'emmener à l'hôpital. C'est elle qui m'a ramené car après une demi-heure de discussion, Mégère avait repris le dessus sur mon esprit. C'est l'inconvénient quand je prends mon traitement. Elle s’endort un moment pour revenir en furie. A son réveil, elle arrive de plus en plus souvent à prendre le dessus. Elle s'ingénie à me torturer en me lançant dans des situations humiliantes. Comme la fois où je me suis retrouvé nu dans une cabine de douche d'un magasin de bricolage. Vous ne me croyez pas, je peux le comprendre. Mais dites-vous qu'elle mélange tout dans ma tête. Quand j'ai le dessus, je sais devoir faire telle ou telle chose. Puis elle prend le contrôle, s'ingéniant à me faire croire des choses fausses. Là où elle est très forte, c'est quand elle se sert de chose qui font appel à des souvenirs. Cette cabine de douche du magasin ressemblait à s'y méprendre à celle que j'avais en Grèce. Ce jour-là, il faisait chaud, elle en a profité.
Vous vous demandez sans doute pourquoi Alicia m'emmène à l'hôpital. C'est une idée folle. Je ne sais pas si elle me permettra d'atteindre mon but, mais je crois que je m'en voudrais si je n'essayais pas. Michel n'étais pas chaud du tout, seulement, quelque chose l'a convaincu. Il a dit que cela avait à voir avec la réaction d'Éli à ce que je lui ai dit. Enfin, je crois, car Mégère ne m'a pas épargné depuis.
Le principal effet secondaire des cachets que je prends est la baisse de l'inhibition. Ça engendre parfois des complications, comme poser une question qu'on aurait tue en temps normale.
- Alicia, pourquoi n'avez-vous jamais donné d'enfants à Éli ?
L'art du combat m'a appris une chose : quand on fait mouche, l'adversaire ne peut pas le cacher. Elle n'est pas un adversaire, mais son visage ne peut retenir le passage d'un masque de tristesse. Est-ce parce que je me suis montré indélicat ? Ou parce qu'elle m'en a déjà parlé et que je ne m'en souviens pas ? C'est comme le débranchement d'Éli. Pourquoi je ne me souviens pas d'une décision aussi grave ? Pourtant, je peux la comprendre. Je n'aimerais pas être maintenu artificiellement en vie. C'est sans doute ce qui m'a poussé à valider cet accord. Quelque part, heureusement qu'elle a fait cette demande. Sans quoi, Éli serait sous respirateur menant une vie assistée qu'il n'aurait pas choisi.
Nous arrivons à l'hôpital. Hier encore, Éli faisait une attaque. Aujourd'hui, il va recevoir une visite à laquelle il ne s'attend pas. Michel Stauros me fait signer un tas de papier censé le protéger. C'est le comble de l'histoire, c'est moi qui risque ma vie, mais lui protège sa réputation. Hormis Alicia qui pourrait porter plainte s'il m'arrivait malheur, personne d'autre n'est à redouter. Je n'ai qu'un seul enfant, et ni frère ni sœur encore de ce monde. Stauros me voit sourire, pourtant il choisit de ne rien dire. Il doit avoir l'habitude. Tant qu'on ne tend pas le bâton, pas de raison de se faire battre. Il me rappelle les risques, avc, arrêt cardiaque, ou simplement échec de l'expérience. Après tout, ça reste de l'expérimental.
Je pénètre dans la chambre d'Éli. Je me dirige vers le cabinet de toilette afin de me mettre en tenue. Une fois habillé de papier crépon, je prends place dans le lit qu'on a installé à côté de celui de mon fils.
- Qu'est-ce tu fous là ? Dans quoi tu nous as encore fourrés, vieux malade ?
- Salut Mégère, je vois que tu reviens juste à temps.
Elle tente de reprendre le contrôle, mais Ophélie, la plantureuse infirmière, m'a déjà sanglé au lit. Décidément, à chaque fois que je la rencontre, elle embaume à dix lieues à la ronde.
- Qu'est-ce-que tu as fait ? Pourquoi es-tu attaché à côté de ton fils ? Non... NON... Tu ne vas pas faire ça ! C'est déloyal ! Tu triches !

Mégère envahit mon esprit en vociférant. Néanmoins, elle ne parvient pas à m'occulter. Je garde rageusement une part de moi ancrée sur l'espoir de revoir Éli. Je regarde fiévreusement le liquide serpenté dans la perfusion. On me demande de compter. Je ne me souviens pas du dernier chiffre prononcé audiblement.