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lundi 25 août 2014

Partie 5 - Chapitre 3 - Alicia

Partie 5 - Chapitre 3 - Alicia.
Je viens à peine de quitter la chambre de mon mari qu'il me revient à l'esprit que David ne devrait plus tarder. Deux solutions s'offrent à moi : Soit je me cache pour voir ce qu'il va faire, soit je lui fais face. Je suis prise de tremblements comme-ci le froid me saisissait. Les nerfs, je suis à bout de nerf. Je décide d'entrer juste à temps dans un local d'entretien. Je vois David passer tout droit, il ne m'a pas vu. S'il va jusqu'à la chambre d'Éli, il va rencontrer le professeur. Il va lui dire qu'il a dû me croiser. J'entrouvre la porte du local pour m'assurer que le couloir est désert et je cours. Je tourne au coin puis me précipite dans les escaliers. Je descends les marches comme une folle afin de parvenir au plus vite au parking souterrain. Je manque de bousculer un interne qui peste par mécontentement. Je pousse violemment la porte pour tomber nez à nez avec l'inspecteur Égala qui revenait sur ses pas.
- Que se passe-t-il ? Vous avez des ennuis ?
Je le vois porter la main à son 9mm en ceinture.
- Non, non, je veux juste quitter cet endroit qui me flanque le moral à zéro.
- J'aime mieux ça. Est-ce en rapport avec le sms "il est mort" ?
Quelle idiote, faut vraiment que j'arrête de paniquer. J'ai qu'une demi-seconde pour réfléchir à une explication tangible.
- Vous avez reçu ce message ? Ça n'était pas pour vous. Je voulais informer une collègue que l'animal de compagnie de mon patron est mort. Je me suis tromper de destinataire, c'est tout.
Je lui souris en haussant les épaules pour accentuer le fait d'être désolée. À voir la tête de l'inspecteur, je ne suis pas sûr qu'il soit convaincu. C'est dans ces grands moments de solitude que, parfois, il se passe quelque chose qui vous sauve la mise. En l'occurrence, le téléphone de l'inspecteur retentit. Il s'excuse et s'écarte. Comme je m'avance pour gagner ma voiture, il croit bon d'ajouter :
- On en reparle demain ok ?
Je réponds d'un signe de la main le pouce relevé et m'engouffre dans ma voiture. Je démarre le moteur. Je fais mon plus beau sourire en passant à sa hauteur. Derrière lui, je vois la porte s'ouvrir. Dans l'encadrement de la fenêtre, je distingue nettement David. J'accélère vers la sortie sans regarder dans mes rétroviseurs de peur de la voir me faire un appel. Au dernier moment, je n'y tiens plus, je jette un œil. Il n'y a plus personne.
En débouchant sur la rue, je me dis que j'ai dû rêver. On ne peut pas disparaître de cette façon. Il doit se passer quelque chose ! Ni une ni deux, je tourne brusquement dans une rue adjacente. Je stoppe ma voiture et en sors manquant de me faire arracher la portière. Je cours vers le coin de la rue sans prêter attention aux insultes de l'automobiliste. Je regarde vers la sortie du parking. La voiture de l'inspecteur ne devrait plus tarder à sortir. Avisant que je serais mieux cacher derrière l’abri bus, je fais quelques pas sans quitter des yeux la sortie. Les secondes deviennent des minutes, toujours rien.
Je suis sûre d'avoir vu David derrière la porte. Et s'il avait assommé l'inspecteur. Je commence à imaginer le pire des scénarios. Seulement, je n'ai pas envie de retourner seule. Oui, mais il a peut être besoin de moi. Je regarde la montre. Ça fait déjà cinq minutes. À moins que ce soit l'inspecteur qui soit entré dans les escaliers pour discuter avec David. Je psychotes.
Soudain, je vois la voiture de David qui s'engouffre dans le parking. Ça doit être Ophélie qui conduit. Je ne pensais pas que David aurait laissé conduire sa voiture par quelqu'un d'autre. Sauf s'il ne peut pas. Elle est sa complice et elle vient le chercher. Ils vont charger le corps de l'inspecteur dans le coffre.
- Non, non, non, arrête de délirer !
Les gens dans l’abri bus se retournent visiblement déranger par mon indignation. Je l'ai laissé échapper tout haut. Je leur dépasse la langue et tourne les talons. Ils vont me prendre pour une folle. Vu qu'on est à côté de l'hôpital, je ne fais pas tâche dans le décor. Je rejoins ma voiture hésitant entre y retourner ou non. À peine suis-je assise au volant que je vois le coupé sport de David qui quitte le parking. Cette fois, c'est lui qui conduit, Ophélie étant assise à côté. Il démarre sur les chapeaux de roues. Pas moyen pour moi de les suivre. La rue dans laquelle je suis est en sens unique. À moins que...
J'enfonce la marche arrière et entre dans l'artère principale en me faisant klaxonner. C'est le bus qui arrive à son arrêt qui doit piler pour ne pas m'emboutir. Je roule comme une folle essayant de rattraper David. Je passe un premier feu à l'orange bien mûr. Je vois la voiture, elle passe le carrefour suivant. Je dois freiner brusquement car les deux colonnes sont occupées par des véhicules qui s'arrêtent au feu rouge. J'enrage. Je n'arriverais pas à les poursuivre.
Quand la circulation se remet en marche, j'avance sans but, regardant à chaque croisement.
- Faut pas rêver ma vieille.
Ça semble si facile dans les films. Je n'ai plus qu'à rentrer chez moi. Je mets mon clignotant pour sortir de l'avenue principale. Tandis que je suis mon itinéraire, je reçois un texto de David :
- "Suis passé à l'hôpital, ou es tu ?"
Il ne manque pas d'aplomb. En même temps, il voulait me voir. Sans compter qu'il a dû apprendre que j'y étais. Je regarde mon téléphone, posé sur le siège passager. Dois-je lui répondre ? Si oui, quoi ?
Je tourne vers le centre commercial. Après m'être garée, je lui envoi :
- Je fais mes courses.
On verra bien ce qu'il va dire. J'aviserai en conséquence.
- Il faut qu'on parle.
La réponse n'a pas tardé. Me voilà bien maintenant.
- Je veux rester seule, demain ?
Comme-ça je ne l'envoie par carrément sur les roses. Tant que j'y suis, je vais faire quelques courses. Je prends un jeton de caddies, mon téléphone et mon sac à main. Je ne suis pas encore entré dans le magasin que je reçois un nouveau message :
- Désolé, ça ne peut pas attendre.
C'est pas vrai. Je ne vais pas m'en sortir. Le connaissant, il doit déjà être en route. Comme il n'y a pas cinquante magasin sur le chemin, il va d'appliquer ici ventre à terre. J'ai peut être une chance de lui échapper, il y a du monde à cette heure. Je me faufile parmi les clients qui entrent et sortent en direction du kiosque à journaux. C'est le seul rayon du magasin qui permet de surveiller l'entrée discrètement. Je saisie machinalement quelques promotions pour dire d'avoir quelque chose dans mon caddie. Je me poste en bout d'allée afin de m'éclipser facilement. A peine ai-je pris un magazine, j'aperçois Ophélie qui arpente les caisses à ma recherche. Ou a bien pu passer David ? Je fais un pas de côté pour échapper à son regard quand une voix masculine m'interpelle :
- Tout va bien madame ?
J'ai sursauté. Le vigile se place pile face à moi. Au bon moment car David est au bout du rayon. Étant juste derrière une montagne de muscle, il ne me voit pas et continue son chemin vers le fond du magasin.
- Vous m'avez fait peur !
Alors qu'il s'excuse, il réitère sa question.
- Oui, oui, tout va bien. C'est juste que... Enfin non, j'ai dû rêver.
Ayant piqué sa curiosité, l'agent de sécurité insiste :
- C'est juste que quoi ?
- J'ai cru voir un homme mettre un journal dans sa poche de veste.
- Il ressemble à quoi cet homme ?
Je décris la tenue de David et donne la direction qu'il vient de prendre. L'agent transmet le signalement à ses collègues.
- Je ne veux pas d'ennuis, monsieur, je vis seule, vous comprenez ?
- Ne vous inquiétez pas, il n'en saura rien. Merci de votre aide.
Il part à grandes enjambées à la poursuite du faux voleur. Vu qu'Ophélie est à l'autre bout de la rangée de caisse, je file abandonnant mon chariot. Une fois sur le parking, je regagne ma voiture. Je démarre et sors en me disant qu'il faudra que j'évite ce magasin un moment. Il n'est pas question que je rentre chez moi, c'est le premier endroit où il va me chercher. Étant donné qu'il ne va pas être de bonne humeur, il vaut mieux que je trouve un autre endroit.
La pluie s'en mêle. Il tombe de gouttes grosses comme mon pouce. Je peine à voir correctement la route. Ou vais-je bien pouvoir aller ? L'hôpital ? Trop risqué. Mon téléphone sonne. C'est encore David. Il insiste. La messagerie s'enclenche.
- Vous êtes bien sur le portable d'Alicia. Je ne peux vous répondre, alors laissez-moi un message, ciao ciao.
Elle est vraiment minable cette annonce, il faudra que je la change.
- Alicia ! On dirait que tu fais tout pour m'éviter ! Sympa le coup des agents de sécurité. Heureusement que j'en connais quelques uns. Décroche ! Je sais que tu .... Bip bip...
- Trop long ton message David ! Vu comment tu me parles, je ne vais certainement pas te rappeler.
Voilà que je me mets à parler toute seule à un répondeur. Ça ne me dit pas où je vais passer la soirée. Mon téléphone sonne pour la deuxième fois. Cette fois, c'est Michel Stauros. Je me gare et décroche :
- Oui Michel, que se passe-t-il ?
- Éli entend. Il a réussit la quatrième épreuve. Vous roulez ? J'entends le moteur.
- Je me suis garée ! C'est merveilleux !
Bien malgré moi, ma voix tremble. Il le remarque.
- Vous n'avez pas l'air d'aller bien ?
- Ce n'est rien. Un petit problème dans un magasin.
- Bon, ce n'est pas grave alors. On se voit demain ?
- Oui professeur, à demain.
Je n'ai pas eu le cran de lui demander de m'héberger pour la nuit. Je ne voudrais pas qu'il ait des ennuis à cause de moi. Comment faire pour passer la nuit tranquille ? Il ne reste que l'hôtel. Mais je n'ai pas de quoi me changer. Il faudrait que je passe à mon appartement. Mais non, pas besoin. Il suffit que j’aille chez Hector. David ne viendra pas là-bas et j'y ai encore des affaires.
Je mets mon clignotant, démarre en m'insérant dans la circulation. Une heure plus tard, j'arrive chez mon beau père. La grille s'ouvre après que je me sois identifié. Je me gare devant la maison. Inutile de cacher la voiture, on ne voit rien de la rue. Même s'il avait l'intelligence de me chercher ici, il ne pourrait pas savoir que j'y ai trouvé refuge. Elsa m'ouvre la porte. Bien qu'Hector ne soit pas là, elle reste fidèle au poste. Personne hormis Michel Stauros et moi ne doit être au courant. Ça faisait partie du deal. Je lis dans le regard de cette femme une lueur d'inquiétude. Voilà plusieurs années qu'elle officie. Elle n'a pas réussit à rester neutre. Ces yeux sont emplis d'une affection pour Hector. Je n'arrive pas à garder le silence.
- Il est avec son fils.
Cette simple phrase déclenche un soupir de soulagement. Un timide sourire en guise de remerciement se dessine sur ses lèvres.
- Voilà des années qu'il voulait aller le voir, vous savez. C'est un homme bon malgré tout.
Je trouve que ça résume bien le personnage. Hanté par son combat contre une maladie horrible, il s'est rendu compte de son erreur. Éli avait le droit de savoir. Il aurait pu l'aider. Mais chaque homme a sa fierté. Du coup, chacun a subit la solitude.
C'est à mon tour de sourire. Je souffle un "je sais" qui achève de la rassurer. Il me faut donc garder pour moi l'incertitude de son devenir. Je me lève et pose une main pleine d'empathie sur son épaule. Elle me la saisie, me la serre doucement. Est-ce qu'Hector savait que son aide à domicile l'aimait ? Peut être s'interdisait-il cette relation. Par peur de la faire souffrir elle aussi. Encore un souci de protection qui n'a pas atteint son but.
- Je vais prendre une douche.
- Je vous appelle pour le dîner.
Je monte les escaliers qui craquent à chaque pas. Tandis que je gravis les marches, les souvenirs affluent en moi. Mes yeux laissent échapper des larmes. Ces craquements me rappellent la première fois ou je les ai entendus. Le soir de notre mariage, quand Éli m'a porté jusqu'à notre chambre. J'assiste à notre ascension. Ça a l'air tellement réel. J'ai la tête enfouie dans son cou. Je le couvre de baisers. Il parvient à ouvrir la porte et nous entrons. Je m'en souviens comme-ci c'était hier. La porte se referme sur ce qui sera notre première nuit ensemble.
La sonnerie de mon portable me tire de ma rêverie. J'ai un message d'un numéro que je ne connais pas. J'ai besoin d'une douche. Ça attendra. J'entre dans la salle de bain. J'ouvre la penderie pour en sortir un peignoir de bain. Je me déshabille, laissant mon portable dans la poche de mon pantalon. Je pose mes affaires sur le portant. J'ouvre le robinet d'eau chaude. Je la règle à 37 degrés. Puis je me glisse sous le jet revigorant. Le stress tombe, mes nerfs lâchent, je craque et me recroqueville laissant l'eau couler sur ma tête.


mardi 19 août 2014

Partie 5 - Chapitre 2 - Alcinoa

Partie 5 - Chapitre 2 - Alcinoa.
Soigner Éli m'a demandé plus d'énergie que je ne le pensais. Ses blessures étaient beaucoup plus profondes qu'il n'y paraissait. Comme-ci l'électricité l'avait brûlé autant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Éli avait déjà utilisé les éléments de manière à devenir l'élément voulu, comme l'air. Jamais il n'en avait subi de séquelles. Je ne pensais pas qu'il puisse manipuler de la sorte. Son action a permis de terrasser Polyphème. Je n'ai fait que finir le travail. Maintenant, il dort d'un sommeil agité. Je vois ses yeux bouger sous ses paupières.
Je suis seule à être éveiller. Basile est lui aussi harassé de fatigue. Il n'a pas eu de chance. En se précipitant dans la caverne, il a déclenché un piège incendiaire. Il a pris de plein fouet une explosion de feu et la vague sonore du cyclope. Heureusement pour lui que les deux éléments se sont annulés. Sinon, il serait mort.
Tandis que je passe mes mains dans les cheveux d'Éli que je ne vois pas mais que je sens au toucher, je tressaille au bruit de pas qui s'approchent. C'est avec un temps de recul que je réalise que j'entends. Une forme humaine se découpe dans les rayons du soleil filtrés par les feuillages environnants.
- Bonjour Alcinoa. Je vois que vous veillez sur vos partenaires telle une déesse protectrice.
Stauros ! Il n'y a que lui pour arriver de la sorte. Je sens la colère et la frustration montées en moi.
- Vous ! Qu'allez-vous nous faire encore subir ?
Il s'approche d'Éli et le contemple d'un regard vague.
- Moi, rien du tout ma chère. Je ne suis pas l'initiateur de vos actions.
- Vous êtes quand même derrière tout ce qui nous arrive ! Vous êtes responsable de son état.
Je montre mon amant allongé sur le sol, la tête posée sur les genoux. Je n'arrive pas à définir son expression. Est-ce de la compassion ? De la pitié ? J'espère que non. Délicatement, je pose la tête d'Éli sur un tapis de mousse. Je me relève pour faire face à Stauros. Je porte ma main à l'épée qui pend à mon côté. J'avoue, j'ai envie de me jeter sur lui.
Avant que je ne me décide, il s'accroupie devant Éli et pose sa main sur ses yeux. Une lumière diffuse rend ses doigts presque transparents. Il lui rend un nouveau pan de sa mémoire. Que va-t-il découvrir ? Une nouvelle preuve de la futilité de cette quête ? Une profonde lassitude m'étreint. Elle doit transparaître car Stauros se montre prévenant.
- Vous arrivez bientôt au terme de votre route. Tout deviendra alors très clair. Les questions qui vous hantent trouveront leurs réponses. Vous pourrez alors souffler et reprendre une vie normale.
- Il nous reste encore un adversaire.
- Oui, le Jarkore vous attend à Athènes. Ne sous-estimez pas cet adversaire. C'est sans aucun doute le plus redoutable. Je n'ai le droit de vous donner qu'un indice : "L'Union fait la force !"
Même si j'avais voulu plus d'explications, Stauros avait disparu. Par contre, Éli ouvre les yeux. Comme il plisse les sourcils, je comprends que je suis dans la lumière. Je me déplace légèrement et m'approche pour l'embrasser. Il a un mouvement de recul qui me choque.
- Qu'y-a-t-il mon amour ?
Il balbutie. Ses mots sont incohérents. Mais sa phrase me trouble.
- Pourquoi irradies-tu de la lumière ?
C'est impossible. Nous sommes à l'ombre d'un grand arbre. Pourtant, il a raison. Mon corps irradie une lueur douce. C'est encore un coup de Stauros. Juste avant de dire ses derniers mots, il m'a touché l'épaule. Éli persiste en me faisant réaliser une chose pourtant si évidente que je ne saisie pas pourquoi je ne l'avais pas remarqué :
- Tu me vois maintenant ?
- Oui, je te vois. Juste toi, rien d'autre.
Je suis toujours aveugle, mais je vois Éli, comme quand il devient un élément. Se pourrait-il que l'électricité est modifié son corps ?
- C'est Stauros qui t'a rendu la vue et t'as mise dans cet état ?
- Je ne vois que cette explication.
- Ou est Basile ?
Je constate avec soulagement qu'il reprend ses esprits. Je lui réponds qu'il est allongé à l'ombre de la grotte. Éli se relève doucement. Son visage est crispé, l'effort doit être douloureux. Tandis que je porte la main à mon bâton, il me fait non de la tête. Il veut aller voir Basile. A moins qu'il ne veuille vérifier dans la pénombre de la grotte si je rayonne toujours. Quand nous entrons, nous découvrons notre ami adossé au mur. Il tourne la tête vers nous et sourit.
- C'est gentil de passer le voir.
Visiblement, il ne semble pas voir la moindre aura autour de moi.
- Quand tu nous regardes, tu ne remarques rien ? Demande Éli.
- Donne-moi un indice, là comme ça, je donne la langue au chat.
Éli s'écarte de moi et se campe bien en face. Il me regarde des pieds à la tête, puis revient sur Basile.
- Tu ne vois rien autour d'Alcinoa ?
En faisant un signe négatif de la tête, je l'affranchis en lui parlant de l'aura qu'Éli et moi voyons nettement. Il nie à nouveau. Il semblerait que nous soyons les seuls à la percevoir. Heureusement, car si tous les monstres me voyaient ainsi, je deviendrais une cible facile pour le premier sniper. Je propose de nous reposer et de manger un morceau. Vu l'état général des troupes, mes compagnons acquiescent de concert. Éli se laisse tomber assis à côté de Basile. Il regarde autour de nous afin d'habituer ses yeux à l'obscurité de la grotte. Je tourne mon attention vers l'endroit qu'il fixe. Il y a un gros coffre en fer sculpté. Je ne l'avais pas remarqué jusque là. Faisant un pas pour m'approcher, Basile m'en dissuade :
- Attention ! Il y a peut être encore des pièges comme celui que j'ai déclenché.
Je reviens en arrière et m'assoit à côté d'Éli. Après tout, il sera encore là une fois que nous aurons mangé. Je tends à chacun un morceau de pain et de la viande séchée. Puis nous buvons une grande rasade d'eau fraîche. Éli est songeur. Sans doute réfléchit-il aux souvenirs que Stauros lui a rendus. Je me tourne vers lui, il me sourit pour me rassurer. Il devine que je m'inquiète de notre devenir.
- Je ne pensais pas que tu aurais été capable d'en finir avec le cyclope.
- Moi non plus. Si on m'avait dit avant que j'assénerais le coup final, je n'aurais pas voulu y croire.
- Quoi ! C'est toi qui as achevé Polyphème !
Nous expliquons à Basile ce qu'il a manqué. Comment Éli est devenu la foudre, se déplaçant à grande vitesse. Le coup magistral qu'il lui a porté, le sonnant pour la peine.
- Je n'ai eu qu'à lui plonger l'arme d'Éli dans l'œil pour l'achever.
Basile est impressionné. Il nous fait remarquer que c'est le premier boss que je me fais. Il fait le lien entre cet acte et mon aura qu'Éli et moi voyons. Nous n'avions pas envisagé cette possibilité. Ça éveille ma curiosité. Je demande donc à Basile :
- Tu crois que ça pourrait expliquer aussi le fait que je distingue Éli également ?
- Je ne sais pas. Peut être. Je dirais que votre relation a franchit une étape. En faisant ça, tu nous as sauvés la vie. Attention, je ne dis pas que tu ne l'avais pas fait avant, notamment en nous soignant. Mais cette fois, c'est différent, non ?
Nous restons silencieux face à cette question. C'est vrai au jusque là, c'était toujours Éli qui avait battu le boss. Je n'avais fait que participer et soigner. L'idée tenait la route. De toute façon, nous ne pouvions être sûr de rien, mais peut être qu'Éli serait moins enclin à s'inquiéter pour moi.
Le soleil doit être à son zénith car les rayons entrent moins profondément dans la grotte. Éli se met debout et sors pour vérifier son affirmation.
- Midi ! Nous avons le restant de la journée pour franchir le mont Parnasse. Nous ferions bien de nous mettre en route.
Joignant le geste à la parole, Éli ramasse plusieurs pierres qu'il jette vers le coffre. Rien ne bouge, pas de piège. Il s'approche bientôt suivi de Basile et moi. Il soulève le couvercle et découvre le contenu. Une épée, un kopis, dans un fourreau finement travaillé. Quand il dégage la lame, je remarque de suite qu'elle possède la même aura que moi.
- Elle te revient, c'est ton trophée.
Je passe la sangle du fourreau autour de mon épaule et le fixe de façon à ce que je puisse le saisir en passant ma main au dessus de la tête. Nous ramassons l'or et les pierres précieuses pour découvrir une cape en soie noire.
- Elle est particulière. Je ressens son lien avec l'élément air.
Éli le la passe sur les épaules et rabat le capuchon sur mon visage. Je les vois stupéfaits.
- C'est une cape d'invisibilité. C'est génial. En cas de danger, tu pourras disparaître.
Je retire le capuchon. Éli devine que je n'ai nullement envie de me cacher. Il pose ses mains sur les miennes tout en me soufflant un "s'il te plaît". Après tout, mieux vaut l'avoir et ne pas s'en servir que d'en avoir besoin après s'en être privé.

Nous nous mettons en route, nous enfonçant dans les entrailles du Parnasse à la lumière de torches. Je ne sais toujours pas ce que Stauros lui a rendu. Mais je suis certaine que le moment venu, il le dira.

samedi 9 août 2014

Partie 5 - Chapitre 1 - Michel Stauros


Partie 5 - Chapitre 1 - Michel Stauros.

Alicia est arrivée très vite après mon appel. Je ne lui avais rien dit hormis qu'elle devait venir rapidement à l'hôpital. Quand elle est entrée, je l'attendais dans le couloir. J'avais tourné et retourné la façon de lui apprendre la chose. Pourtant, à sa vue, j'ai tout oublié. C'est sorti en vrac.

- Qu'y-a-t-il ? Qu'est-ce qui se passe ? Demande-t-elle nerveusement.

- Il s'agit de votre beau père. J'ai bien peur qu'il ne lui soit arrivé malheur.

Son visage a affiché une expression confuse. A mi chemin entre le soulagement et la tristesse. Quoi de plus normal. Sans doute a-t-elle cru que ça concernait son mari. Du coup, elle est soulagée, mais à la fois triste pour le vieil homme. 

Nous sommes entrés dans la chambre. Rien ne semblait différent. Éli reposait calmement, sa poitrine se soulevant doucement au rythme de sa respiration. Par contre, pour Hector, j'avais dû le placer sous respirateur. 

- Que s'est-il passé ?

- L'infirmier de garde m'a appelé lorsque nous étions ensemble, ce matin. Il m'a dit que le vieil homme a été pris de convulsions. Quand je suis arrivé, il était encore en train de lui pratiquer la respiration artificielle. 

- Je ne comprends pas. Il devait simplement entrer en contact avec Éli, non ?

- C'est ce qui était convenu. Mais vous le connaissez mieux que moi. Peut être a-t-il pris un risque inconsidéré. 

- Est-il mort ?

En posant cette question simple, elle place sa main sur sa bouche comme si elle regrettait de l'avoir prononcé. 

- Je n'en sais rien. Ses constantes sont stables hormis qu'il ne peut plus respirer par ses propres moyens. Sa maladie a peut être atteint un palier critique.

- Pourquoi est-il encore relié à Éli ?

- Je ne suis pas en mesure de savoir si son esprit a regagné la réalité. Je suis désolé.

Alicia s'effondre sur la chaise derrière elle. Elle prend son visage dans les mains et laisse échapper un sanglot. Je me sens impuissant et totalement désarmé. Après quelques minutes de larmes, elle se redresse, fronçant les sourcils.

- Pourquoi Ophélie n'est-elle pas avec vous ?

Je suis désarçonné par la question. 

- Et bien, comment dire ? Disons que je me suis séparé d'elle.

- Pour quelle raison ? 

- Le directeur me l'a demandé.

Je n'ai pas envie de lui mentir. A quoi bon lui cacher la vérité. Peut être vais-je le regretter, mais je n'y comprends rien moi même. Alors ça me fait du bien d'en parler à quelqu'un. Et puis ça concerne les soins de son mari.

- Je l'ai vu partir ce matin en colère. C'est un ami à moi qui est venu la chercher.

- Ah bon, je ne savais pas qu'elle voyait quelqu'un. Comment s'appelle-t-il ?

- David Tennant, vous le connaissez ?

Un déclic se fait dans ma tête. Ce nom ne m'est pas inconnu. J'ai déjà eu cet homme au téléphone. Il semblait s'intéresser de près à la santé d'Éli. 

- Non, je ne le connais pas personnellement. Il m'a appelé au début de l'opération.

- Que voulait-il ?

- Proposer ses services. Il voulait aider Éli dans sa résurgence. Il m'a dit être un ami de la famille. Par contre, il m'avait demandé de garder le secret. 

- Que lui avez-vous répondu ?

- Que c'était aimable de sa part, mais que je n'avais pas besoin d'aide. 

- S'est-il montré insistant ?

- Non, il a juste dit qu'il suivrait mes travaux de près, puis il a raccroché. Quand j'ai voulu noté son numéro, je me suis rendu compte qu'il appelait en masqué. Sur le coup, je n'y ai pas prêté plus attention que ça.

Alicia affiche une moue dubitative. Elle réfléchit sans doute au lien que cette nouvelle peut avoir avec toute cette histoire. Sans crier gare, elle se lève et va vers son mari. Je la regarde s'asseoir sur le bord du lit, lui prendre la main. Elle a de nouveau les larmes aux yeux. Son regard passe de l'homme de sa vie à son beau père. Je dois tendre l'oreille pour l'entendre lui souffler :

- Éli, reviens mon amour, je t'en prie.

Je suis touché par cette simple déclaration d'amour. Il a bien de la chance d'avoir une femme qui tient tant à le revoir. Ça me conforte dans ma détermination à réussir. Tout en repassant le fil de l'histoire que je lui ai tissé, je déclare à haute voix :

- Normalement, il devrait recouvrir l'ouïe dans la journée. 

- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

J'explique à Alicia les grosses lignes du scénario que j'ai concocté. Je lis sur son visage la crainte qui est la sienne. C'est normal. Entendre que l'esprit de son mari doit combattre pour remporter des épreuves n'est pas facile à accepter. Seulement c'est le moyen que j'ai choisi pour guider son esprit vers la réalité. 

- Vous m'avez dit que je l'accompagne sous les traits d'une fée.

- Exact ! Encore que je pense que vous représentez son "anima". La part féminine qui est en lui. 

- Je n'ai pas très bien saisi le concept.

- En psychologie analytique, on admet que chacun être humain a en lui, une part du sexe opposé. Pour l'homme, c'est une part féminine nommée "anima". Cette part évolue avec le temps afin de parvenir jusqu'à la maturité de la psyché. Elle passe par 4 stades, ou archétypes. La femme primitive est la première. La seconde est la femme d'action. La troisième, la femme de sublimation et la dernière la femme sage, le guide. 

- Comment savoir à quel stade se trouve Éli ?

- C'est une excellente question. Je ne peux que faire des suppositions. Étant donné qu'elle était privée de ses cinq sens, je pense qu'elle est restée au stade primitif durant les trois premières épreuves. Elle a du devenir la femme d'action à l'obtention de son troisième sens. De plus, c'est à ce moment qu'Hector a dû interférer.

- Je ne comprends pas. En quoi est-il une interférence ?

- Parce qu'il représente la réalité ! L'anima d'Éli ne peut l'accepter tant qu'elle n'est pas parvenu au dernier archétype. 

- Ne me dites pas que mon alter-ego a tué mon beau père !

Cette question tire un signal d'alarme dans ma tête. Il ne faudrait pas que trop d'explications fassent basculer Alicia dans une forme de dépression paranoïaque.

- Non, je ne crois pas.

- Qu'est-ce qui vous permet d'être aussi sur de vous ?

Cette question de l'inspecteur Égala me fait tressaillir. Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit présent. Comme je tournais le dos à la porte, je suis incapable de savoir depuis combien de temps il était là.

- Bonjour inspecteur. Que nous vaut l'honneur ?

- C'est moi qui lui ai demandé de venir. Je craignais que...

Alicia hésite à finir sa phrase. Elle semble mal à l'aise. Je jurerais qu'elle rougit. Je ne suis pas le seul à remarquer son émoi. Il réagit plus vite que moi.

- Quoi ? Vous aviez peur de quoi ?

Elle se lance dans une explication en partant du moment où elle a vu Ophélie monter dans la voiture de David Tennant. Je suis soufflé de l'entendre dire qu'elle s'est livrée à une filature dans les règles. Filature que j'ai involontairement interrompue en lui demandant de venir. 

- Vous comprenez, j'étais en plein dans l'action. J'ai cru qu'il se passait quelque chose de grave ici.

Je vois bien que l'inspecteur est passablement mécontent. Mais il se retient de la bousculer. 

- Alicia. Je ne doute pas que votre situation est stressante et que vous souhaitez obtenir des réponses. Mais, je vous en prie, laissez-moi faire mon travail. 

Je remercie Alicia d'avoir passer sous silence l'état de santé d'Hector. Je prie le ciel qu'il ne remarque rien d'anormal en jetant un œil dans la pièce. Seulement, c'est un bon flic. Les détails ne lui échappent pas. C'est ce que je lis dans son regard soutenu quand il le dit :

- J'ai une affaire urgente sur le grill. Je repasse vous voir demain en fin de mâtiné pour un entretien privé, professeur. Quand à nous, ça tient toujours pour demain matin ?

Tandis qu'Alicia répond oui de la tête, je confirme également : 

- Je serais sans doute ici. À demain inspecteur.

Je le suis des yeux afin d'être certain qu'il quitte bien l'établissement. Je me retourne vers Alicia, déçu par son initiative. Avant que je lui fasse part de ma déception, elle s'excuse :

- Je suis désolée professeur. Je ne voulais pas vous occasionner le moindre désagrément. Je suis perturbée par toute cette histoire.

- C'est peut être mieux ainsi. Je suis aussi largué que vous. Je ne comprends pas pourquoi Daniel m'a demandé de me séparer d'Ophélie alors que nous approchons du but.

- Vous pensez qu'Éli va s'en tirer ?

- C'est trop tôt pour pouvoir l'affirmer. Mais il répond aux stimuli cognititifs des sens du toucher, de l'odorat et du goût. Bientôt, je l'espère, il sera en mesure de nous entendre. 

- Sera-t-il capable de différencier la réalité du rêve ?

- Il faut y croire, sinon...

Je n’ose pas terminer ma phrase. L'échec serait trop difficile à encaisser, pour moi, mais surtout pour elle. Je crois qu'elle a compris. Elle se lève et me répond par un sourire timide. 

- Je vais vous laisser continuer à travailler. Peut être trouverez-vous le moyen de ramener mon mari, et son père à la réalité.

Quand elle arrive à mon niveau, elle se dresse sur la pointe des pieds et me pose un baiser sur la joue. Dans un souffle elle me remercie pour mon travail. Elle a longtemps franchit la porte que je sens encore la douceur de ses lèvres. Je ne peux pas échouer. Elle le mérite. 

Je retourne à mon laboratoire. Je reprends mes notes sur l'évolution du scénario. Quand il franchira le quatrième niveau, celui du cyclope, je devrais lui rendre une partie de sa mémoire. J'ai choisi des photos des différentes classes auxquelles il a enseigné. Je compte sur ses souvenirs d'adultes pour qu'il s'approche au plus près de la conscience. Ainsi, il sera plus fort pour faire face à la dernière partie. 

Je n'ai plus qu'à surveiller mes moniteurs. Techniquement, je devrais pouvoir discerner le moment du combat. 

Je suis fin prêt. A toi de jouer Éli.

dimanche 3 août 2014

Partie 4 - Chapitre 14 - Eli

Partie 4 - Chapitre 14 - Éli

Le combat contre la reine des ménades n'a été qu'une formalité. Alcinoa et moi sommes parvenus à nous défaire de nos adversaires assez facilement. En ce qui me concerne, l'archère n'a rien pu faire pour m'atteindre. Dès qu'elle a bandé son arc, je me suis changé en fumée. Chaque flèche me passait à travers sans mal. J'ai couru vers elle car j'avais la crainte qu'elle ne finisse par viser mes compagnons. Mais elle n'en a pas eu le temps. Bien que très rapide, le court instant qui lui fallait pour réarmer m'a servi à la pourfendre. 

Quant à Alcinoa, elle a trouvé la parade à la foudre, la terre. Je crois bien que c'était la première fois que je voyais un golem de terre aussi séduisant. Comprenant qu'elle ne lui faisait aucun dommage, elle a voulu battre en retraite, sans doute pour s'en prendre à Chiron. Mais Alcinoa avait prévu le coup. La reine, dès son premier pas vers la grotte, s'est enfoncée dans le sol mouvant. Dans un bruit de succion, la terre l'a avalé. 

Comme j'étais toujours en fumée, nos regards se sont croisés et nous nous sommes sourit. Sans un mot, la tension qui existait entre nous s'est dissipée. Nous avons cru devoir intervenir pour aider Basile, surtout quand il a fait mine de perdre. A l’ instant où nous allions nous lancer à son secours, il transformait son adversaire en poussière.

- La prochaine fois, je prends l'archère !

Nous avons éclaté de rire. Puis nous avons pris la direction de la grotte. 

- Tu crois que le lance-flamme d'Alcinoa a grillé Chiron ?

Basile a toujours le chic de mettre le doigt là ou ça fait mal. Chiron, nous l'avions oublié. Un gros doute nous a étreints jusqu'à ce qu'une silhouette équine se dessine dans l'ombre de la grotte.

- Je suis immortel, jeune humain. Les flammes ont brûlé mes liens. 

Alcinoa s'est vite mise à soigner les brûlures du vieux mentor de héros. En quelques minutes, toutes traces avaient disparu. 

- Je vous suis reconnaissant de votre aide. Ino, la reine des ménades, pensait qu'en me retenant prisonnier, je n'aurais plus d'influence sur les défenseurs de Delphes. Mais comment avez-vous su ?

Nous avons expliqué au vieux centaure la raison de notre venue. Comment l'oracle nous avait mis sur la voie et ce que nous attendions de lui. Il est resté étrangement silencieux. Quand nous avons terminé notre récit, il nous a juste répondu qu'il nous fallait partir vers Delphes sans tarder. En galant "homme" qu'il est, Chiron a proposé à Alcinoa de grimper sur son dos. Nous avons pu avancer plus vite. Sur le chemin, je n'ai pu m'empêcher de le questionner sur Polyphème. Jaugeant mon insistance, il finit par nous expliquer :

- Ce cyclope mesure 5 mètres de haut. Il frappe toujours avec un énorme gourdin fait de bois et de pierres liées de sangles de cuir. Bien que plus lent que l'homme, il a d'autres atouts en sa faveur. Il frappe le sol du pied, ce qui engendre une vague sismique qui fait tomber les plus courageux. Et si ça ne suffit pas, il pousse un cri capable de fendre la pierre. 

Chiron nous explique que Polyphème bloque depuis des semaines le passage menant à Athènes. Il empêche ainsi les armées grecques de venir au secours de Delphes. De nombreux soldats sont morts en tentant un passage en force.

- Comment le vaincre ? A l'aide des éléments ?

La question d'Alcinoa fait lever un sourcil de Chiron. 

- Il est insensible au feu ainsi qu'à l'eau. Il résiste au son et ne craint pas la terre. Son seul point faible est son œil. C'est le seul moyen de le vaincre. Il ne peut être touché que par une arme épique, comme celle que tu as.

Un silence lourd d'inquiétude s'est installé. Une fois de plus, Basile met le doigt sur le point épineux.

- Pourquoi l'oracle nous a-t-elle dit que vous pourriez nous aider ?

- Parce qu'elle sait que je possède un onguent qui peut vous permettre de résister à son cri. Il ne durera que peu de temps et je n'en ai que pour l'un d'entre vous. 

Avant même que je ne me porte volontaire, Alcinoa a répondu :

- Éli est celui qui a le plus de chance de l'abattre. 

Nous avons fini par arriver à Delphes. Avec Chiron à nos côtés, nous n'avons pas eu besoin nous faire annoncer. Les servantes de l'oracle ont ouvert directement les portes devant nous. Un sourire rayonna de suite sur le visage de la femme en toge blanche. 

- Chiron, je suis heureuse de vous revoir.

- Moi de même. Je vous suis reconnaissant de m'avoir fait secourir. 

Basile s'était renfrogné. Ça ne lui procurait aucun plaisir de revoir celle qui l'avait traité de parasite. Il coupa donc directement les politesses pour en venir au fait.

- Maintenant que tout le monde est rassuré, si nous allions chercher cet onguent ?

L'oracle le fusilla du regard mais répondit calmement :

- Je vois que vous avez honoré votre part du marché. En plus de ramener Chiron, vous avez le sceptre d'Ino. 

L'usage veut que le commun des mortels offre à l'oracle un objet de valeur. En échange, il reçoit une prédiction. Étant donné que nous avions déjà eu la notre, il ne nous restait qu'à prendre congé. Je voyais bien qu'Alcinoa avait envie de poser une question à l'oracle. Elle lui sourit et lui souffla :

- Sois patiente. Quand tu auras recouvré l'ouïe et la vue, tu comprendras.

A cet instant, j'ai lu dans le regard voilé de ma fée, une détermination comme jamais auparavant. Laissant le temple derrière nous, nous avons suivi Chiron jusqu'à sa demeure. Les soldats de la ville lui avaient aménagé une maison plus haute de plafond. L'intérieur était rudimentaire.

- Ce n'est que provisoire. Le temps que la guerre se termine. Si vous parvenez à vaincre Polyphème, les renforts nous parviendront. Je pourrais alors retourner chez moi. 

Je me rendais compte que notre quête était intimement imbriquée au devenir de tous ces gens. Une pression nouvelle se mit à peser sur mes épaules. Il n'en allait pas que de ma mémoire ou des sens d'Alcinoa, c'était toute la communauté qui dépendait de notre réussite. 

Chiron me tendit un petit pot en grès recouvert d'un tissu. Il expliqua qu'une fois à proximité du cyclope, je devrais m'enduire le corps de l'onguent. Celui-ci agirait comme une seconde peau. Elle absorberait le son du cri du monstre, une seule fois. Je n'aurais que le temps qu'il prendra à remplir de nouveau ses poumons. Après, je serais sans défense. 

Nous avons pris un repas avec les soldats qui nous remerciaient d'avoir libéré leur général. Si Basile se plaisait à raconter le combat contre les ménades, je restais silencieux. Alcinoa posa sa tête sur mon épaule et murmura :

- A quoi penses-tu, héros ?

Je n'aimais pas ce terme. Pourtant, je savais que dans sa bouche, c'était un compliment. Une façon de me dire qu'elle avait confiance en moi. Après un court instant de silence, je lui répondis :

- Je me demande bien comment je vais pouvoir toucher l'œil d'un monstre si grand et si redoutable.

Les soldats applaudissaient le récit enjolivé de Basile. À l'entendre, on aurait pu croire que nous ne faisions que de la figuration. La nuit s'installa sans que les défenses de la ville ne soient attaquées. Nous avons donc pris le repos nécessaire à notre périple du lendemain. Alcinoa s'était allongé tout contre moi. Je sentais son souffle chaud dans mon cou et sa poitrine se soulever à chaque respiration. En temps normal, j'aurais apprécié cette pause. Seulement mon sommeil ne voulait pas venir. Je n'arrêtais pas de penser à ce monstre, mais aussi à mon père. S'il avait raison. Ma vie ici ne serait qu'un rêve. Il n'y a donc aucun intérêt à poursuivre cette quête. Par ailleurs, quel besoin auraient eu les anciens du peuple des fées à envoyer un émissaire poursuivit par un monstre. Il en a parlé comme d'une maladie contre laquelle il se battait depuis 33 ans. Ce délai correspond à ma séparation d'avec lui. Dans les souvenirs rendus par Stauros, c'est à mes dix ans qu'il m'a envoyé loin de lui. De plus, l'oracle m'a appelé "le dormeur". Et lui m'a demandé de me réveiller. Se pourrait-il quand dormant ici, je rêve de l'autre côté ? Je n'avais jamais envisagé ça sous cet angle. Il me faut dormir à tout prix. Je ferme les yeux, tachant de caler ma respiration sur celle d'Alcinoa. Elle geint doucement. Elle doit rêver. Je parviens à faire abstraction des bruits du camp autour de nous. Mon esprit se calme. Tout devient lointain. Je m'endors.

J'ai l'impression de m'être à peine endormis quand on me secoue. Basile me regarde amusé.

- Allez vieux, on a un cyclope à "poutrer".

J'ai du mal à émerger. Le camp est attaqué. Les soldats sont partis défendre l'entrée sud, celle par laquelle nous sommes arrivés la première fois. Chiron me regarde d'un air intrigué. Il n'a pas le temps de discuter. Il doit aller aider les guerriers. Il me souhaite bonne chance et part au galop vers la bataille. 

Je plonge la tête dans un seau d'eau pour me remettre les idées en place. Impossible de me souvenir de ce que j'ai rêvé, hormis cette phrase " Éli revient mon amour, je t'en prie". Mes sens doivent me jouer des tours car je jurerais qu'Alcinoa la prononçait. J'avale un morceau de pain de la veille. Je revêts mon armure tout en cherchant du regard après ma fée. Elle sort de la maison de Chiron arborant une tunique de cuir renforcée. Elle montre par là qu'elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour réussir.

- Ou sont tes ailes ? Demande Basile aussi stupéfié que moi.

- Chiron me les a délicatement sanglée. Au début, c'est dérangeant, comme si on te liait les bras au dessus du coude. Mais après quelques instants, on s'y habitue.

Elle se tourne pour nous montrer le travail du centaure. L'armure de cuir recouvre le tout, ne laissant dépassé que le bout des ailes au niveau des cuisses.

- Il m'a dit que ça me protégerait des attaques élémentaires basiques. C'est un ensemble, tunique, jambières et brassards. 

L'idée d'une Alcinoa guerrière ne me plaît pas, mais je sais que je ne pourrais pas la convaincre de renoncer à s'exposer. Elle veut autant que moi parvenir au terme de cette quête et pas sans rien faire.

Nous partons pour le mont Parnasse, barrière naturelle entre Delphes et Athènes. La base de cette petite chaîne de colline est percée de grottes. Autant de galeries qui permettent d'en éviter l'ascension. A peine avons-nous franchit la porte qu'une horde d'arachnoïdes nous attaquent. En quelques passes de combats, ils ne sont plus que poussière. Nous longeons les contreforts du mont en cherchant une entrée. Nous savons qu'elle nous mènera tout droit vers Polyphème mais nous ne ralentissons pas. Basile finit par me demander :

- As-tu réfléchit à la façon d'atteindre son œil ?

- Oui et non. Aucune des approches n'est sans risque pour vous. Du coup je ne sais pas trop. 

- Dis-nous tout de même les options.

Je leur explique que pour atteindre l'objectif, il faut soit que Polyphème tombe, soit que je sois en hauteur. Comme je n'ai aucune idée de l'endroit où il se trouve, il faudra aviser sur place. 

- J'imagine qu'il doit se tenir dans une grotte assez vaste pour un gabarit comme le sien.

A peine Basile a-t-il finit sa phrase que nous arrivons à une entrée cyclopéenne. Dix bons mètres de haut et autant de large. 

- Tu as sans doute raison. Mais même dans une galerie, il a de la place.

- Il ne peut pas utiliser son cri sous terre, il va s'ensevelir, non ?

Alcinoa s'arrête. Je me tourne vers ce qu'elle regarde. Un gourdin de la taille d'un petit arbre est posé à même la grotte. Si son arme est là, c'est qu'il ne doit pas être bien loin. Nous avons deux options. Soit on entre dans la grotte, soit on se cache à l'extérieur. La seconde parait la plus logique. Car la première nous place en terrain inconnu. Je regarde les arbres qui bordent la grotte. L'un d'eux ferait un bon endroit pour me placer à la bonne hauteur. J'explique rapidement à mes compères ce qui me passe par la tête. 

- Pourquoi c'est toujours à moi de faire le plus dangereux ? Répond Basile. 

- Tu veux peut être me remplacer pour crever l'œil ?

Il fait signe que non. Nous prenons donc nos places. Moi, dans l'arbre, sur une branche à trois mètres du sol. Alcinoa se font dans un bosquet de grandes fougères. Tandis que Basile s'avance à pas feutrés vers le gourdin. L'idée étant de le déplacer pour le mettre contre l'arbre dans lequel je me trouve. La première partie du plan se déroule sans accroc. Soudain, un craquement significatif résonne à proximité. Le cyclope arrive.


Basile ne sachant que faire, coure vers la grotte. Il s'y engage juste avant que le monstre ne se montre. Il regarde vers l'endroit ou il avait posé son gourdin. Ne le voyant pas, il se met à humer l'air. 

- Des visiteurs ? Hum, oui, deux hommes et une femme. 

En entendant notre nombre exact, la sueur me perle le long du dos. Polyphème se retourne, cherchant du flair notre direction. Comme nous avons choisi trois cachettes différentes, il hésite. Il aperçoit son gourdin. Il avance à pas lourd. Je dois me cramponner aux branches pour ne pas glisser de mon perchoir. Je vois son horrible tête s'approcher. Je n'aurais qu'un essai. Au moment où je m'apprête à sauter, il détourne son regard vers la grotte. Je n'ai rien entendu, mais peut être que Basile a fait un bruit qu'il a perçu. Il gonfle sa poitrine et pousse un cri en direction de la grotte. Je peux presque voir la vague sonore déferler vers l'entrée. Sans prendre son gourdin, il s'élance à la suite. Que faire ? Si je descends, il me verra et je ne serais plus à la bonne hauteur pour l'atteindre. En trois pas, il est devant la grotte qui lui renvoi l'écho de son cri. Aucun autre bruit ne lui parvient. Il fait demi-tour. Les gouttes de sueur m'irritent les yeux. Ma vue se brouille. Je ne vois pas Alcinoa et je commence à croire que Basile a peut être été touché par la déflagration acoustique. Ça y est, il se penche pour saisir son gourdin. 

Je saute en lâchant un "hep" qui l'incite à regarder vers le haut. Alors que je suis certain de le toucher, il fait un geste d'évitement. Ma lame lui touche le coin de l'œil et lui trace un sillon sanglant le long de la joue. Il hurle de douleur en tenant son visage d'une main tout en cherchant à tâtons son arme. Je me récupère comme je peux en roulant sur moi même. J'enrage, je ne suis parvenu qu'à le blesser. 

Alcinoa intervient en gelant le gourdin afin que Polyphème ne puisse l'attraper. Ayant peur pour elle, je lui hurle d'aller secourir Basile. À mon grand soulagement elle acquiesce. Elle se dirige comme elle peut vers la grotte. Le cyclope lève une jambe. Je comprends qu'il va se servir de son pouvoir sismique. Au moment où il abat son pied lourdement sur le sol, je plonge les armes en avant afin de le blesser à la cuisse. Je me retourne après la déferlante et m'écarte juste à temps pour ne pas prendre la claque du siècle. L'horreur ! Alcinoa est au sol, elle a perdu l'équilibre lors du choc. Tandis qu'elle essaie de se relever, Polyphème fait un pas en avant dans sa direction. Je le voie gonfler sa poitrine. Il va utiliser son cri contre elle. Je me fends et plonge mon gladius de nouveau dans sa cuisse. Juste à temps. Il lâche son cri puissant vers le ciel en le mêlant à sa douleur. Il fait demi-tour sur lui-même à une vitesse qui me désarme. Une de mes lames est figée dans l'arrière de sa cuisse.

- Je vais tous vous tuer ! Hurle-t-il.

- Pour ça, il faudrait que tu parviennes à m'atteindre gros lourdaud !

Je suis d'accord avec vous. Je fanfaronne ! Mais au moins, j'ai toute son attention. Comme il ne peut se saisir de son gourdin, il frappe l'arbre d'un coup de pied. La glace recouvrant son arme vole en éclats. Mon épée le gêne. Il grimace en faisant le pas qui lui permet de s'armer. Ça se complique. Maintenant il a une telle allonge, que je ne suis pas prêt de m'approcher. Sauf si... S’il utilise son gourdin comme une masse, ce qu'il fait. Je fais un pas de côté pour éviter le coup, seulement il est si violent que j'en perds presque l'équilibre. Je m'adosse à un arbre pour ne pas chuter. Il en profite pour assener un coup parallèle au sol. Cette fois, je me laisse glisser tandis que son poing déracine l'arbre qui me soutenait. Il lève de nouveau son gourdin. Je saute entre ses jambes tout en lui infligeant une nouvelle estafilade à l'intérieur de sa cuisse déjà touchée. Alors que son gourdin s'abat à l'endroit ou je me tenais deux secondes plus tôt, j'en profite pour reprendre ma lame. Néanmoins, je suis trop lent. A peine ai-je repris mon arme que je reçois une baffe qui me fait voler littéralement à trois mètres. Par chance, je me suis cramponné à mes deux gladius. C'est bien ma seule veine car le coup m'a sonné juste le temps qu'il faut pour armer son cri. 

Il hurle dans ma direction et je reçois l'onde sonore de plein fouet. À cet instant je comprends l'intérêt du baume de Chiron. Il absorbe le son et se désagrège. Cette fois, c'est Polyphème qui est surpris. Je n'ai plus le droit à l'erreur. Le monstre boite, si je parviens à le toucher encore à cette jambe, il tombera. Tout en cherchant une ouverture, je cherche du regard Alcinoa qui est parvenu à entrer dans la grotte. Alors que j'esquive un autre moulinet du gourdin, je distingue la lueur du bâton. Basile a dû être touché. Comme elle le soigne, je n'ai juste qu'à conserver toute l'attention de mon ventripotent adversaire.

- Alors gros porc, c'est tout ce que t'as dans le ventre ?

Il enrage. Il me tient à distance pour pouvoir m'infliger un nouveau cri. J'ai échappé aux conséquences du premier grâce au baume, le prochain me terrassera. L'onde sonore se propage comme un cône. Il faut donc que je m'approche si je veux pouvoir esquiver. Au plus je suis loin, au moins j'ai de chance d'y échapper. Par contre, au plus je suis près, au plus le choc sera puissant si je me loupe. Me servir de l'air ne me protégera pas. Le seul élément que Chiron n'a pas cité est la foudre. Peut être puis-je aussi m'enfoncer dans le sol pour éviter le son. Par contre, s'il enchaîne avec un séisme, je suis mort. Il n'y a pas de panacée, il faut que je me décide. Il écarte les bras en se cabrant en arrière, son cri va être destructeur. Instinctivement, j'opte pour la foudre. Au lieu de le frapper d'un éclair, je veux devenir électrique. Ça me brûle la peau. La douleur est insoutenable. Mon esprit lutte pour garder le contrôle de mon corps dont chaque atome semble aller à la vitesse de la lumière. Je ne rêve pas. Je me déplace à une vitesse qui ne cesse d'augmenter. Alors qu'il se penche pour crier, je suis déjà derrière lui. Il tente de me toucher en prolongeant son cri tout en effectuant un mouvement de rotation. Les arbres sur le chemin éclatent à l'impact sonore. Je vais tellement vite maintenant que j'ai peine à rester à proximité. Il faut que j'abrège parce que mon corps ne résistera pas plus longtemps. 

Je fais un bond extraordinaire qui me projette sur les épaules du cyclope. J’abats mes gladius à la base de son coup en y envoyant toute la foudre de mon corps. Polyphème bascule en avant, pris de convulsions. Il est sonné mais loin d'être mort. Quand son corps touche le sol, je m'effondre également de tout mon long. Mon corps fume. Je suis brûlé. J'ai de la peine à rester conscient. Mon visage est tourné vers la grotte. Je vois Alcinoa sortir en courant. Elle ne voit que Polyphème et mon armure. Elle crie mon nom. Je voudrais hurler qu'elle ne vienne pas, je n'y parviens pas.

- Polyphème a............ mal.

Ce sont les derniers mots du cyclope. Alcinoa ramasse mon gladius et le plonge sans sourciller dans l'œil du monstre qui éclate littéralement en poussière. La dernière chose que je vois avant de basculer dans l'inconscience, c'est cette guerrière sublime qui s'arme de son bâton.