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samedi 28 juin 2014

Partie 4 - Chapitre 9 - Michel Stauros

Partie 4 - Chapitre 9 - Michel Stauros.
Prendre une cuite n'a pas été la meilleure idée que j'ai pu avoir. Je me suis réveillé en pleine nuit pour rendre le whisky que j'avais ingurgité. Sans compter que je restais avec le même problème que la veille. Comment annoncer à Ophélie son renvoi de l'équipe ? Ne trouvant plus le sommeil, j'ai décidé de me rendre au labo. Après une bonne douche et un café bien serré, j'ai pu le remettre au travail. Dans mes rêves éthyliques, je me suis retrouvé en Grèce antique. J'ai assisté en spectateur à la prophétie que l'oracle de Delphes a donné à un héros. Naturellement, j'ai voulu m'en servir pour Éli.
Après avoir implémenté le scénario dans l'ordinateur, j'ai scruté l'écran en vue d'une réaction décelée par les capteurs. Rien de probant. Difficile de savoir s'il est réceptif ou non. Je suis interrompu par du bruit provenant du couloir. Je reconnais la voix d'Ophélie qui n'est visiblement pas contente.
- Professeur Stauros ! Je sais que vous êtes là. J'ai un problème avec ma carte d'accès. Ouvrez-moi !
Je me dirige vers la porte. Le moment que je redoutais est arrivé. Je n'ai toujours pas décidé quoi lui dire. J'ouvre, elle est en tenue de travail. Sa blouse d'infirmière sent bon la lessive. C'est bien la première fois que je remarque ce détail. D'habitude, son parfum couvre largement toute autre odeur. Mais je n'ai pas le temps de divaguer, elle fait mine de vouloir passer.
- Qu'est qui se passe ? Pourquoi ne me laissez-vous pas entrer ? Et pourquoi ma carte ne fonctionne pas ?
- Vous n'êtes plus sur ce programme.
- Vous dites ça comme ça, sans autre forme de procès !
- Je n'ai rien à ajouter. Vous m'avez bien aidé, maintenant, je vais terminer l'opération seul.
- Pour quel motif me renvoyez-vous ?
- Je viens de vous le dire. La phase terminale du processus de résurgence ne nécessite plus votre présence.
- Vous vous foutez de moi. J'ai signé un contrat pour aller jusqu'au réveil du patient. J'ai déjà enduré suffisamment pour me faire débarquer à ce stade.
- Vous n'avez qu'à saisir le syndicat si ça vous chante, maintenant, j'ai à faire. Passez une bonne journée.
Je ferme la porte derrière moi pour lâcher un gros soupir. Après deux secondes de silence, j'entends Ophélie vociférer des insultes, des menaces d'aller directement à la direction. Si elle savait que c'est ce même directeur qui est à l'origine de son renvoi du programme.
Je reporte mon attention sur les moniteurs de surveillance. Je constate que la zone du cerveau dédiée à l'imagination est toujours active. Ça signifie qu'Éli a intégré l'insertion de l'oracle. Reste à savoir comment il va réagir à la quête secondaire. Hector est paisible, mais je pressens que ça ne va pas durer. Ses statistiques sont en régression. Depuis son "immersion", il n'y a eu qu'un moment d'activité commune. En fait, non, il y en a eu une autre, mais elle n'a pas stimulé la même partie du cerveau. En y regardant à deux fois, je m’aperçois que c’est carrément le fonctionnement du cerveau qui change. En règle générale, il est accepté que l’homme utilise son cerveau différemment de la femme. Ce qui engendre chez l’homme des connexions intra-hémisphériques (à l’intérieur d’un même hémisphère). Alors qu’elles sont inter-hémisphériques (d’un hémisphère à un autre) chez les femmes.
Oui, je comprends, c’est du lourd. En clair, la première fois qu'Éli est entré en contact avec son père, il a utilisé son cerveau comme le ferait une femme. Par contre, la seconde fois, il a géré cette rencontre de façon masculine. Et ça, c’est pas normal. A moins que…
Je me lève d’un bond, attrape ma veste, et sort du labo en prenant soin de refermer la porte. Je grimpe les marches de l’escalier quatre à quatre en direction de mon bureau. J’y entre en trombe. Devant les étages de ma bibliothèque, je parcoure du doigt les différents volumes. Enfin, je trouve le traité de psychologie analytique de Carl Gustav Jung. Je le feuillette jusqu’à parvenir à mon explication : l’anima !
Dans ses recherches, Jung a appelé « Anima » la part féminine de l’homme, ou représentation féminine au sein de l’imaginaire de l’homme. Pourquoi n’y ai-je pas songé avant ? Voilà l’explication.
- L’explication de quoi ?
Je fais un véritable bond, laissant échapper le volumineux livre.
- Voulez-vous me faire mourir Alicia ? Que faites-vous donc ici ?
- Excusez-moi, je ne pensais pas vous faire saisir. Nous avions rendez-vous à 10 heures.
Je réalise que je suis depuis plusieurs heures à travailler. J’ai soif et faim aussi. Je propose à Alicia d’aller boire un café au troquet du coin. Elle accepte, mais en revient à la question. Je lui résume donc le fruit de mes observations. N’étant pas avertie en psychologie analytique, je dois lui expliquer le travail de Jung. Devant son regard perdu et sa bouche béate, je devine qu’elle n’a pas compris grand-chose.
- En clair, comme le garçon devient un homme, l’anima, sa part féminine, passe par plusieurs stades, quatre pour être précis.
- Et vous pensez qu'Éli est en train de refaire le processus.
Surpris d’une synthèse si logique, j’acquiesce.
- Donc, je résume. Mon mari a eu un accident qui l’a plongé dans le coma. Durant les dix dernières années, son esprit est redevenu celui d’un enfant. Votre expérience a remis en marche le processus d’indivu quelque chose.
- Individuation. Je le pense, mais je ne peux pas l’affirmer.
- Je serais donc « l’Anima » de mon mari !
- La premier stade est la femme primitive, la fée en fait partie.
Je lis dans ses yeux la question qu’elle n’ose me poser. A moins que ce soit ma part de doute ou de culpabilité. Est-ce moi qui ai renvoyé l’esprit de son mari au stade infantile ? A moins que cela fasse partie du processus de résurgence.
- Il n’y a qu’à son réveil que l’on aura les réponses.
Alicia a de nouveau cette expression. Comme-ci son regard vous passe à travers. Je ne sais pas dire si c’est un bon ou un mauvais signe. J’espère que je ne vais pas me la mettre à dos, j’en ai déjà assez avec Ophélie. En parlant du loup, je reçois un message de Daniel, il faut que je retourne sans délai à l’hôpital.

J’abandonne Alicia à ses pensées. Elle me fait un signe de la main, un sourire éphémère se dessine aux commissures de ses lèvres. Elle est inquiète. Je le suis aussi, mais pas pour les mêmes raisons.

samedi 21 juin 2014

Partie 4 - Chapitre 8 - Eli

Partie 4 - Chapitre 8 - Éli
Delphes. Enfin, nous arrivons dans cette ville magnifique. Berceau de l'oracle d'Apollon, elle reste bien défendue contre les attaques incessantes des monstres. Malheureusement, c'est au prix de nombreuses vies. J'aime à croire qu'en réduisant en ruines les camps environnants de ménades et autres satyres, nous avons contribué à lui donner un répit.
L'allée principale est longée de statues à l'effigie des dieux grecs. Nous gravissons doucement la volée de marches qui mène à la place principale. Elle est bondée de monde. On reconnaît aisément les paysans des environs venus trouver refuge derrière les murs d'enceinte. Il y a aussi les carrioles des marchands qui, en temps normal, sillonnent le pays. L'un d'eux harangue les badauds tentant de faire contre mauvaise fortune, quelques affaires. Je m'approche de son étal. Il vend principalement des armes et armures en tout genre. Je lui cède les quelques plus beau trophées trouvés par-ci par-là. Je vois au regard d'Alcinoa, qu'elle voit une armure. Elle est particulièrement ouvragée. Je me mets à marchander, comme les temps sont durs, je parviens à l'obtenir pour un bon prix. Le marchand me déclare qu'elle fait partie d'une panoplie. D'autres pièces doivent exister. Il me raconte l'avoir trouver sur un soldat sous le mont parnasse, juste avant que le cyclope ne s'y installe. Je le laisse m'expliquer l'endroit sans trop croire de pouvoir le retrouver.
Alcinoa s'est écarté du groupe dès que j'ai commencé à m'intéresser à l'armure. Elle a les yeux rivés sur un bâtiment de pierres blanches. Basile m'explique que c'est le temple de l'oracle. Je m'attendais à tout sauf à ça. La religion grecque antique faisait la part belle à ce personnage. Une femme bien souvent et généralement belle d'apparence. Mais pourquoi Alcinoa s'y intéresse telle ? Je lui pose la question. Elle me répond qu'elle aimerait la voir. Je ne comprends pas très bien pourquoi mais nous lui emboîtons le pas. A l'entrée, une servante de l'oracle nous demande si nous avons une offrande. Devant notre négation, je pensais rebrousser chemin. Mais la porte du temple s'est ouverte devant une seconde servante.
- Approchez ! L'oracle veut vous voir.
Allons donc, nous avons une audience. J'ai toujours été réfractaire à ce que je considérais comme de la mythologie. Je suis le mouvement, l'esprit obtus. Faut dire que j'ai été déjà bien bousculé avec ce qui s'est passé la nuit dernière. A peine avais-je repris des forces suite à la blessure de la chimère, que je me retrouvais à effectuer mon tour de garde. Alcinoa a mis du temps à s'endormir mais les émotions des derniers jours ont fini par lui fermer les yeux. Peu de temps après, des mots ont été écrit dans la poussière devant moi. "Éli, mon fils, il faut te réveiller". J'ai du me pincer pour être sûr de ne pas mettre endormi. Une fois assuré que je ne rêvais pas, il s'en est suivi une conversation, une suite de questions :
- Qui es-tu ?
- Je suis ton père.
A ces mots m'est revenue l'image d'un guerrier en armure noir dont le casque dissimulait le visage. J'ai continué mes questions tandis que j'attendais de lire les réponses dans la poussière.
- Pourquoi ne puis-je pas te voir ?
- Je ne sais pas, seule la fée peut me distinguer.
- Que me veux-tu ?
- Te dire tout ce que je n'ai pas pu durant ma vie.
- Pourquoi maintenant ?
- Parce que je vais bientôt perdre mon dernier combat.
- Je ne comprends pas, quel combat ?
- Celui contre la maladie qui me ronge de l'intérieur.
- N'y-a-t-il rien à faire ?
- Voilà trente trois ans que je lutte. Je sens mes forces m'abandonner.
- Comment puis-je t'aider ?
- En te réveillant avant qu'il ne soit trop tard.
- Je ne comprends toujours pas.
- Ce que tu vis ici est un rêve.
- Tu parles, un cauchemar plutôt !
- Réfléchis à tes souvenirs.
- Ceux que je reçois de Stauros ?
- Oui ! Ils représentent ta vraie vie.
- Impossible ! Tu cherches à m'embrouiller ! Tu es un sbire des anciens du peuple des fées. Tu veux sous séparer !
J'ai haussé le ton. Alcinoa s'est réveillée. Les mots ont arrêté de se former dans la poussière. Quelques secondes ont suffit pour qu'elle reprenne ses esprits. Elle s'est mise à regarder tout autour de notre camp. Après s'être assuré qu'il n'y avait personne, elle s'est tournée vers moi pour le demander pourquoi j'avais parlé si fort.
- J'ai dû m'endormir et parler dans mon sommeil.
Elle a feint de me croire sans doute. Elle a posé sa tête sur mes cuisses pour tenter de s'endormir à nouveau. Je ne crois pas qu'elle y soit parvenue. Les mots de mon soi-disant père tournaient dans ma tête. Sans parler de la réaction d'Alcinoa. Qu'est-ce qui peut pousser une aveugle à chercher du regard quelque chose ou quelqu'un ? Je n'ai trouvé qu'une réponse : Ce que le vieil homme m'a dit à son propos est vrai. Dès lors, pourquoi le reste ne le serait-il pas ?
L'intérieur du temple est entièrement fait de marbre blanc. Les soubassements sont sculptés. Les socles des colonnes sont recouverts d'or. Il y a des braseros dans lesquels fume de l'encens rendant l'atmosphère entêtant. Au fond de la salle, quatre marches mènent à un trône. Une femme aux longs cheveux noirs de jais nous scrute. Si Alcinoa est heureuse de se trouver là, Basile montre des signes de nervosité. Je dois être le seul incrédule de nous trois. Visiblement, cette femme nous voit tous. Son regard passe de l'un à l'autre sans montrer la moindre expression. Arrivés devant le trône, elle se lève. Elle est vêtue d'une longue robe blanche faite d'une seule pièce. Une fine ceinture d'or lui entoure les hanches. Elle nous sourit en ouvrant la bouche :
- Bienvenus étrangers. Je vous attendais.
Devant ma moue dubitative, elle me regarde et s'adresse à moi :
- Il te reste encore des épreuves avant de te réveiller, dormeur.
Je suis médusé. Basile étouffe un rire moqueur tandis qu'Alcinoa est plongée dans un grand désarroi. L'oracle continue en s'adressant à Alcinoa :
- Tu es liée au dormeur mais pas comme tu l'imagines. Tes sens t'aideront à comprendre ce que ton esprit rejette jusqu'à maintenant.
Nous sommes deux à froncer les sourcils, incapable de saisir le sens de ces paroles.
- Quand à toi, tu es le parasite. Tu ne devrais pas être là. Ton objectif t'es à jamais refusé car tu ne peux diviser ce qui n'est qu'un.
À ces mots, je sens la colère monter en moi. Parasite = le basilic ! Depuis le début, il joue un rôle en se faisant passer pour ce qu'il n'est pas. Alors que ma main s'approche de la garde de mon arme, l'augure se tourne à nouveau vers moi.
- Dormeur, ce n'est pas ainsi que tu vaincras. Garde ta fougue pour les gardiens qu'il te reste à affronter. Même si sa présence ne s'explique pas, il participera à votre victoire. Car celui qui l'a amené parmi vous ne peux plus l'affecter.
Je comprends mieux pourquoi les oracles étaient si prisés. Ils ont de belles paroles que chacun peut interpréter selon ses aspirations. Seulement, je n'étais pas au bout de mes surprises.
- Il vous faudra trouver l'endroit où est retenu Chiron. Il est le seul dont les conseils vous permettront de vaincre Polyphème. La reine des ménades le retient prisonnier dans son repaire au nord. C'est à une demi-journée de Delphes.
- Pourquoi est-il prisonnier ?
Un sourire se dessine sur les lèvres de l'oracle suite à ma question.
- Ainsi, tu accordes du crédit à mes paroles, Dormeur. Il est celui qui forme les héros. Ceux-là même qui défendent cette cité. Plus de héros, plus de résistance. Va, maintenant. Et quand tu auras délivré Chiron, amène-moi le sceptre de la reine.
L'oracle s'assoit sur son trône. Son visage ne montre plus aucune expression. Je sens bien qu'Alcinoa aimerait en apprendre davantage, comprendre ce qu'elle lui a dit. Mais l'entretien est terminé et notre offrande sera le sceptre. Je tourne les talons conscients que toutes velléités envers Basile ont disparues. A peine sommes-nous sortie du temple que nous entendons au loin, vers le nord, un rugissement que nous connaissons bien.


dimanche 15 juin 2014

Partie 4 - Chapitre 7 - Inspecteur Égala

Partie 4 - Chapitre 7 - Inspecteur Égala
Après avoir raccompagné Alicia, je suis rentré chez moi avec une idée à creuser. La soirée avait été plus détendue que je ne l'aurais imaginé. Ma femme n'avait pas son pareil pour mettre les gens à l'aise. Notre invitée avait repris des forces et était rentrée avec le sourire. Je savais qu'il cachait sa souffrance. Découvrir une famille autour d'un bon repas était quelque chose qu'elle ne connaissait plus depuis bien trop longtemps. Il était évident qu'elle ne pouvait pas être l'instigatrice de tous les derniers événements. Elle, et son mari, en étaient les victimes. Or, pouvoir aider faisait partie de mes prérogatives. Seulement, il me fallait prendre du recul dans cette délicate affaire.
Étant donné qu'elle avait été surprise de l'association "Tennant - Ophélie", il me fallait gratter dans cette direction. J'ai donc décidé de sortir le "pédigrée" de David Tennant. Par chance, il était le genre à aimer les gadgets dernier cri. Sa voiture de sport était équipée d'un GPS destiné à la localiser en cas de vol. J'ai donc rempli une demande pour obtenir les quinze jours précédant l'agression du patron d'Alicia. Comme je n'aurais les informations que le lendemain, je suis allé me coucher.
Le jour suivant, je suis arrivé tranquille à mon bureau. Ce que j'avais demandé m'attendait. J'ai recoupé les différents trajets du playboy avec les lieux des méfaits. J'y ai ajouté les domiciles d'Alicia, d'Ophélie et de notre bon professeur. Si la voiture stationne régulièrement non loin des deux premières, il ne va jamais vers le domicile du professeur. Il passe, par contre, chaque jour à l'hôpital. Mais il n'y reste jamais plus de quelques minutes. Il n'est donc pas possible qu'il soit celui qui apparaît sur la vidéo. Sauf bien sûr, s'il se déplace à pied. Mais il ne le fait quasiment jamais. Je rajoute le resto dans lequel travaille Alicia. Là encore, il y passe régulièrement. Je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai ajouté le domicile du directeur de l'hôpital. Il y a bien quelques passages brefs, mais rien de probant. Par contre, je constate l'arrêt régulier à un endroit récurent. Je fais une recherche sur l'endroit, il s'agit d'un hôtel. Je devrais dire un centre hôtelier car il s'agit d'un regroupement de petits pavillons individuels. Rien d'étonnant quand on connaît la réputation du lieu, l'adultère. Ce qui me chiffonne, c'est la raison qu'un célibataire aurait de se rendre là-bas. Quand on a un appart de grand standing, on n’a pas besoin d'aller à l'hôtel. Il faut que je me rende sur place avec une photo.
À l'arrivée de ma partenaire, Katia Labry, j'avais trouvé mon bonheur sur le réseau social de l'individu. J'ai pu remarquer une forte propension à l'auto congratulation. Bon c'est vrai qu'il a remporté un certains nombres de tournois dans son sport, mais tout de même. Il me donne vraiment l'impression d'aimer sa petite personne. Kat me confirme avoir le même sentiment. Nous nous mettons en route, elle prend le volant. Je lui explique les grandes lignes de l'affaire. Comme elle ne dit rien, je comprends qu'elle est dubitative. C'est un bon flic, avec beaucoup de discernement et un bon "flair". Elle préfère voir dans l'agression du patron d'Alicia un crime crapuleux. Quant à la vidéo peu probante de l'hôpital, elle penche plus sur la théorie de la concurrence.
- OK Kat, admettons que tu es raison. Explique moi pourquoi les caméras de surveillance du quartier du restaurant sont toute en panne en même temps.
- Interférence du signal vidéo.
- On est d'accord, mais c'est fort qu'une bande de dégénérés s'attaque au resto à ce moment précis, non ?
- Il n'y aurait pas eu l'agression personne n'aurait remarqué la coupure.
- Soit, que fais-tu d'Alicia ? Elle est liée aux deux affaires.
- Elle n'a pas de chance. La guigne la suit depuis son accident.
- Pour un flic qui a la tête sur les épaules, croire en une part de hasard persistant, c'est paradoxal.
Je crois que j'ai chagriné son égo. Elle pince ses lèvres dans cette petite grimace qui me signale qu'elle se retient de répondre.
- Vas-y, balance, on est des adultes.
- Je pense que tu n'es plus objectif en ce qui concerne cette femme.
- Tu insinues quoi là exactement ?
- Tu t'en veux de ne pas être arrivé plus tôt sur les lieux de l'accident, ou de ne pas avoir été plus présent pour cette malheureuse. J'en sais rien. Tu dois bien sentir que cette affaire pue à des kilomètres mais tu pars dans des raisonnements loufoques.
- Parce que tu trouves loufoque qu'un mec plein aux as tente de tuer le mari de la femme qu'il désire ?
- Mais tu n'as aucune preuve. Juste un début de présomption parce qu'un célibataire plutôt beau gosse emmène ses conquêtes dans un hôtel.
Le ton est tendu, comme sa conduite depuis qu'on s'est mis à parler de manière plus direct. C'est un bon flic, je me dois de retenir ses arguments. Du coup, je lui réponds :
- Si tu penses qu'on perd notre temps, fais demi-tour.
En règle générale, quand je dis ça, elle en profite pour s'exécuter. Pourtant, elle continue et prend la sortie menant à l'hôtel.
- Maintenant qu'on est là, autant aller jusqu'au bout. Tu verras par toi-même.
Les cinq minutes suivantes s'écoulent dans un silence religieux. Je dissèque les paroles de ma partenaire. Se pourrait-il que je me sois laissé mener par le bout du nez ? Je ne vois pas ce qui pourrait troubler mon objectivité. Je suis arrivé le premier sur les lieux de l'accident par un concours de circonstances. Je sais qu'on ne doit jamais bouger un blessé. Sauf qu'en sa vie est en danger. Ce soir là, je n'avais pas d'autre solution. Un court-circuit avait mis le feu au véhicule. J'ai dû extraire Alicia puis son mari. Le chauffeur du poids lourd avait quitté son camion à temps quand la voiture a explosé. Je me suis occupé des blessés, mais je n'ai pas pu empêcher Éli de s'enfoncer dans le coma. Il a perdu connaissance pendant que j'appelai les secours. C'est trop bête. Dire qu'il m'avait demandé de commencer par m'occuper de sa femme. Si ça se trouve, je n'aurais pas pu l'empêcher de plonger. C'est ce que m'ont dit les secours. Kat a raison, ça doit jouer sur mon jugement.
- Écoute Kat, je me fie à toi. Mène l'enquête et si rien ne te saute aux yeux, alors ça voudras dire que tu as raison.

Elle me sourie en me confirmant que je devrais savoir que les femmes ont toujours raisons.

vendredi 6 juin 2014

Partie 4 - Chapitre 6 - Hector

Partie 4 - Chapitre 6 - Hector.
Échapper à ce monstre n'a pas été facile. À chaque fois que je pensais l'avoir semé, elle surgissait de nulle part, plus féroce que la fois précédente. Il faut dire que c'était la première fois que je déambulais dans un rêve. Techniquement, c'est impossible. Et je me suis rendu compte que tant que mon esprit refusait ce prodige, je ne pouvais que fuir. Il m'a fallut combattre mon esprit cartésien pour laisser place à ce que je pensais avoir perdu : mon imagination.
Dans le rêve d'Éli, mon fils, c'était la clé d'un grand pouvoir. La première fois que j'ai imaginé quelque chose, ça a été un fiasco. Quelle idée de penser à un lance missile. Dans un monde fantastique, ça n'avait pas sa place. Ça ne pouvait pas fonctionner. Je l'ai utilisé comme une massue. Ce qui m'a fait gagner un court répit. Suffisant malgré tout pour allier mon imagination à mon savoir. Quand le monstre s'est à nouveau présenté, j'étais revêtu de pied en cape d'une solide armure achéenne. Un gladius acéré dans la main droite et un bouclier robuste dans la gauche. Le combat qui s'en suivit fut épique. Tel le Bellérophon, j'ai terrassé ma chimère. Jusqu'au lendemain. Chaque jour, ma chimère surgissait du néant pour tenter de se repaître de ma chair.
Piégé par cette malédiction, je devais, chaque jour, trouver une nouvelle technique pour la vaincre. Pourtant, il me fallait à tout prix réussir à rejoindre Éli. Mon esprit était clair, comme jamais il ne l'avait été depuis des années. Mon leitmotiv : ramener Éli à la vie, le sortir du coma qui le retient depuis dix ans. Y parvenir avant mon trépas. En tant que père, je n'ai pas été à la hauteur. Je n'ai jamais su témoigner l'affection à laquelle à droit un enfant. Je me savais condamner. Tôt ou tard la maladie l'emporterait. Soit en annihilant mon esprit, soit en soufflant mon étincelle de vie. Si je n'ai pas pu être celui que j'aurais dû être, je peux tenter une dernière action d'éclat. Redorer mon blason pour qu'il garde au moins un bon souvenir de moi.
Oui, mais comment y parvenir s'il ne me voit pas. Quel coup du sort. Je suis devant lui. Il marche devant ses amis, plongé dans une réflexion profonde. On dirait qu'ils se sont disputés. La seule personne présente qui affiche sa surprise de me voir, c'est cette fée. Elle ressemble à s'y méprendre à Alicia, la femme de mon fils. Pourquoi faut-il que ce soit elle qui me voit ? Ma stupeur s'accroît quand Éli me traverse littéralement, sans même s'arrêter. Il est bientôt suivi par son ami, comment s'appelle t-il déjà. Je ne m'en rappelle plus, mais lui aussi me traverse. Seule Alicia reste prostrée, bouche bée. Elle me voit et semble aussi abasourdie que moi.
- Bonjour mon enfant.
Je sais, ça fait un peu ringard comme entrée en matière, mais c'est tout ce que j'ai pu trouver. Il me faut aller droit au but car le temps m'est compté. Comme elle reste muette, je continue :
- Je ne comprends pas pourquoi tu es la seule à me voir, mais il faut que tu me viennes en aide.
Elle fronce les sourcils. Parvient-elle à me comprendre. Ça serait le pompon si elle ne pouvait que me voir. Je hausse le ton, des fois qu'elle soit sourde.
- Comprends-tu ce que je te dis ? J'ai besoin de ton aide.
- C'est impossible. Je n'ai pas encore récupérer la vue ni même l'ouïe. Comment ?
- Je n'ai pas la réponse, Alicia.
- Alcinoa.
- Pardon ?
- Mon nom est Alcinoa.
Là, c'est moi qui fronce les sourcils. Elle est tout le portrait de ma bru, mais elle se nomme différemment. J'enrage après ce professeur de pacotille. Comment compte-t-il ramener mon fils à la conscience s'il n'est pas capable d'appeler les gens par leur nom ?
- Vous... Vous êtes le père d'Éli, n'est-ce-pas ?
- Précisément. Mais par un coup du sort, je ne peux communiquer qu'avec toi.
- Êtes-vous envoyé par les aînés de mon peuple ?
Que voulez-vous que je réponde à ça ? Sérieusement, il exagère Stauros. J'ai dû prononcer son nom tout haut car elle réplique immédiatement :
- Vous connaissez Stauros ! Vous êtes venu nous aider alors.
- Pas exactement, c'est plutôt moi qui ai besoin de ton aide. Il faut absolument que je puisse...
A ce moment précis, un rugissement monstrueux se fait entendre. Elle est à nouveau en chasse. Et comme toujours, je suis le gibier.
- Qu'est-ce que c'est que ce cri ?
La bonne nouvelle, c'est qu'Alcinoa n'est pas la seule à entendre le cri. Éli s'est figé, armes aux mains. Il se retourne pour voir ou se situe Ali... Non Alcinoa. L'autre gars imite mon fils et s'équipe de son épée et d'un bouclier. Ça doit être le clown de service car je l'entends dire :
- Je ne sais pas ce que c'est, mais ça s'est levé de la patte gauche...
J'espère qu'il se défend mieux avec son épée qu'avec son humour sinon je ne donne pas cher de sa peau. Il faut faire vite, je me tourne vers Alcinoa.
- C'est la chimère. Elle le pourchasse depuis que je suis arrivé dans ce monde.
- Vous aussi vous avez franchit un portail ?
- C'est trop long à expliquer et je ne suis pas sûre que tu ne saisisses toute l'affaire. Il faut impérativement que je rentre en contact avec mon fils. Peux-tu m'aider ?
Je n'ai jamais été très fin en relation humaine. Je viens de lui demander son aide après avoir mis en doute ses capacités. Il y a mieux comme manière de faire. Curieusement, elle ne semble pas vexée. Elle le répond :
- Que voulez-vous que je fasse ?
- Va te mettre face à lui et répète mot pour mot ce que je vais te dire, d'accord ?
- Je ne sais pas s'il va m'écouter, on s'est disputé ce matin.
A ce moment, l'autre clown intervient.
- Avec qui parles-tu Alci ?
Je n'en espérais pas plus. Ça attire l'attention de mon fils. Il tourne la tête vers nous, hélas, il ne me voit toujours pas. Je n'ai qu'une poignée de minutes avant que le monstre ne jaillisse de nulle part.
- Alcinoa, répète après moi : "Éli, c'est peut être la dernière fois que je peux te parler".
Elle me cite mot pour mot. Il fronce les sourcils. Il ne comprend pas, il pense qu'elle parle d'elle. Il faut qu'il comprenne que je suis derrière ces paroles.
- Je regrette de m'être séparé de toi quand tu as eu dix ans. J'ai couru après des chimères durant des années. Maintenant que je suis en train de te perdre, je me rends compte de mon erreur.
- Mais qu'est-ce que tu racontes ?
Pourquoi Stauros a t-il mit un boulet comme cet importun qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. Éli reste muet mais l'autre continue :
- Qu'est-ce qui t'arrive Alci ?
- Tais-toi Basile, c'est à Éli que je parle.
Décidément, elle est bien cette petite. Maintenant que j'ai son attention, il faut que j'enfonce le clou.
- Éli, je suis mourant, c'est ma dernière chance de te dire ce que j'aurais dû il y a bien longtemps.
Elle me cite fidèlement. Éli s'approche d'elle. Son regard est pénétrant. Il a une expression qui me rappelle sa mère.
- Je suis fier de toi mon fils. Je l'ai toujours été. Je regrette tellement de ne pas avoir pu te le dire avant. Je n'ai pas su être présent quand tu avais besoin de moi. Je n'ai même pris le temps de venir à ton mariage avec Alicia.
Les deux derniers mots manquent dans la bouche de la fée. Elle me regarde les yeux embués de larmes. Sa lèvre inférieure tremble. Colère ou profonde tristesse ? Je ne saurais le dire. Je n'ai jamais été très doué pour décrypter les émotions humaines. Comme par hasard, c'est à ce moment précis que la chimère bondit dans la clairière ou nous nous trouvions. La fée reste prostrée comme si tout son univers s'était écroulé. Je dégaine mon arme pour faire face à mon adversaire. Quand Basile s'écrit :
- Qu'est-ce que c'est que ce monstre ?
Éli et moi répondons d'une seule voix :
- C'est une chimère !
Elle fait la taille d'un ours. Un corps de félin surmonté d'une triple tête, une de lion, une de bouc et une de dragon. C'est cette dernière qui parle :
- Je vais en finir avec toi vieillard.
- Comme les deux jours précédents ?
Ma réplique est orgueilleuse car la chimère apprend de ses erreurs. Si j'ai réussit à la vaincre par deux fois, je n'ai pu le faire de la même manière. A chaque affrontement, elle retient mes passes d'arme et s'adapte. Seulement cette fois je ne suis pas seul. Bizarrement, mes compagnons peuvent la voir.
- A qui parle telle ? Demande Basile.
- On verra plus tard, répond Éli en s'élançant vers le monstre.
Mon fils a beau être un combattant émérite, il charge sans connaître son adversaire. En plus de ses trois têtes, elle possède également une queue de scorpion. Elle s'en sert pour le tenir à distance tandis qu'elle s'approche de moi. Par voie de conséquence, la fée se trouve sur son passage.
- Basile ! Bouge-la !
L'ordre d'Éli fait sursauter l'intéressé. Néanmoins, il s'exécute en soulevant la fée comme une fleur pour l'amener à couvert. Elle est toujours choquée de ce que je lui ai fait dire. Je ne comprends que trop tard le pourquoi. Si c'est une projection d'Alicia, elle doit avoir des sentiments pour Éli mais peut être pas conscience de son identité. Je n'ai pas le temps de continuer à réfléchir. Le combat se dirige vers moi malgré tout les efforts d'Éli pour stopper la progression de la bête. Il lui administre un tranchant qui aurait dû sectionner sa queue. Au lieu de ça, sa lame passe littéralement à travers l'appendice caudal. Il s'écrit :
- Je ne parviens pas à la toucher !
Basile s'est également lancé dans le combat, tout aussi vainement. Il ne fait aucun doute que je n'échapperais pas à un nouvel assaut. Le fait que personne d'autre que moi ne puisse la toucher doit être dû à un lien entre nous. La chimère se réjouit de voir ses assaillants inutiles.
- Tu n'es même pas capable de t'associer avec de vrais combattants. Tu ne mérites que de mourir.
- Après toi !
Mon cri est puissant témoignant de la rage qui m'habite. Rage de devoir à nouveau tenter de vaincre ce monstre. Rage de ne pouvoir parler à mon fils directement. Rage d'en être réduit à ça après avoir sacrifié ma paternité sur l'autel du travail. L'avantage de se ruer à l'attaque, c'est la surprise de l'adversaire. L'inconvénient réside dans le peu de réflexion qui pousse à se mettre dans une situation difficile.
Je ne remarque que trop tard que mon cri n'a pas eu que pour seul effet de surprendre la chimère. Il a été entendu par toutes les personnes présentes. Malheureusement, avec une conséquence inattendue. La première à se remettre de la surprise plonge son dard empoisonné dans le ventre d'Éli. Il hoquette sous le choc et se plie en deux, vomissant sang et venin noir. Le cri suivant est poussé par la fée, un "NON" fort qui fait trembler la terre. Je me jette sur le côté pour rattraper Éli qui s'effondre. Alors que la première fois, il m'était passé au travers, cette foi, je parviens à amortir sa chute.
La chimère y voit une occasion de me clouer au sol, mais c'est sans compter sur la fée. Défigurée par une colère noire, elle rayonne au milieu d'une colonne de flamme qui s'élève haut dans le ciel. Chimère hésite à poursuivre son attaque devant une telle menace. Va-t-elle être inoffensive comme les deux hommes ? Elle ne peut se permettre de le découvrir trop tard. La tête de dragon vomit un torrent de flammes qui frappent de plein fouet la fée. La violence de l'attaque la fait reculer mais n'est pas suffisant pour pénétrer son mur protecteur. Alcinoa, la fée, se tourne vers Basile :
- Utilise mon bâton, vite ! Je le charge de ce monstre.
A ces mots, Chimère fanfaronne :
- Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, vous ne pouvez pas m'atteindre.
- C'est ce qu'on va voir.
Joignant le geste à la parole, elle pose sa main au sol, la paume tournée vers la chimère. Une vague tellurique se propage, extirpant du sol des lames de pierre acérées comme des couperets. Chimère fait un premier bond de côté tout en remarquant la fée renouveler le mouvement en changeant la direction.
Je quitte le combat des yeux car l'improbable se produit. Éli touche mon visage. Le sien est tordu par la douleur du combat interne entre le poison virulent et le soin du bâton. Il parvient à balbutier un " papa" qui m'arrache les larmes.
Je tourne la tête car la chimère a changé de côté. Elle bondit afin de nous placer entre elle et la fée. Je ne la reconnais plus, elle a les cheveux en bataille, le regard hystérique d'une folle. Pourtant, elle sait exactement ce qu'elle fait. Elle utilise l'air pour soulever la chimère. Sentant ses pâtes décollées de terre, elle vomit un nouveau fleuve incendiaire, dans notre direction. Alors que je vois les flammes s'approcher fatalement, la fée apparaît devant nous pour absorber l'attaque. S'est-elle téléporter ? Je n'en sais rien. Toutefois, je ne suis pas le seul surpris. Chimère enrage. Elle ne peut plus rien faire d'autre que d'assister à sa mise à mort. Alcinoa l'englobe dans une sorte de sphère. Au début, je n'ai pas très bien compris son dessein. C'est en voyant les trois têtes de la chimère tenter de respirer que je saisis. Privé d'oxygène, elle met quelques minutes avant de s'effondrer sur elle même, désagrégé dans une poussière noire.
Alors que la pression tombe, je remercie ma bienfaitrice :
- Je pensais être le seul à pouvoir la vaincre, merci
- Ce n'est pas pour vous que je l'ai fait. Vous allez partir très vite et très loin de nous.
- Mais je dois parler à mon fils.
- Hors de question, je vous ai fait confiance, mais vous lui farcissez la tête d'inepties. Éli est l'homme de ma vie. Il n'est pas marié à une autre !

En trois phrases le ton est monté de sorte que je comprends qu'il ne vaut mieux pas s'attarder. Je me lève sans quitter les yeux de braises de cette fée furieuse. Marchand à reculons, je me glisse derrière un bosquet d'arbres. Je ne quitte pas le trio des yeux tout en prenant garde d'être vu. Elle reprend son bâton et achève la guérison d'Éli. Il reste faible, allongé sur le sol. Je vois ses lèvres bouger, il parle. Je n'entends rien. Alcinoa n'a pas l'air d'être ravie par ce qu'il dit. Et Basile se garde bien de s'en mêler. Il me faut rester dans les parages. Ainsi, quand Éli aura assez de force pour prendre un tour de garde, je pourrais lui parler.

dimanche 1 juin 2014

Partie 4 - Chapitre 5 - Alicia

Partie 4 - Chapitre 5 - Alicia.
La première chose qui m'a surprise dans la voiture de l'inspecteur Égala, c'est sa propreté. Je m'attendais peut être à une vieille caisse pourrie pleine de déchets. Faut croire que je regarde trop de séries policières. Comme il le déclare lui même, "si je dois passer du temps dans cet endroit autant qu'il soit accueillant".
Je devrais lui en vouloir de m'avoir "cassée" publiquement, seulement je ne m'enlève pas de la tête le nom de David sur son ordinateur. Que peut-il bien lui vouloir ? Il reste très secret concernant ses recherches, pourtant le fait que je connaisse David ne le laisse pas indifférent. A moins bien sûr que je sois encore en train de me faire des films. Heureusement que je ne suis pas blonde, sinon on me prendrait pour la ravissante idiote.
- Vous ne m'avez toujours pas répondu !
- A quoi ?
- Ben qu'est-ce que vous lui voulez ?
- A qui ?
- Dites, vous le faites exprès ou quoi ? A David !
- Ne tirez pas de conclusion à la hâte. J'aime bien les belles carrosseries. Quand j'en vois une, je me renseigne sur le propriétaire. Pas de quoi fouetter un chat.
- Et je suppose que je dois vous croire sur parole. Le fait d'avoir mon mari et mon patron dans le coma ne fait pas de moi une poupée de porcelaine.
- Je ne doute pas qu'il faut être fort pour endurer l'épreuve que vous traversez. Mais ça ne vous octroie pas de sauf conduit pour des renseignements relatifs à mes enquêtes.
- Donc vous menez bien une enquête sur David.
Je sens bien qu'il me cache quelque chose, et quelque part, ça m'énerve. Si David a un lien quelconque dans cette histoire, je dois le savoir. C'est sans doute la seule personne qui soit resté près de moi quand j'étais au plus mal. Il est riche et n'a nul besoin d'aller braquer mon patron. Quand à aller bidouiller le programme du professeur Stauros, je ne vois pas bien son intérêt. Sans compter qu'il n'a pas d'accès. Je suis tellement plongée dans ma réflexion que la question de l'inspecteur me fait sursauter.
- Vous connaissez la plantureuse infirmière qui travaille avec Stauros ?
- Ophélie ? Oui et non. Je l'a connais pour l'avoir rencontré, mais sinon je ne sais rien d'elle. Pourquoi ?
- J'aurais du parier que vous n'en resteriez pas là. Comme ça, je l'ai vu sortir du bâtiment.
- Je vous accorde que dans le genre discret, on fait mieux. Mais bon, c'est une belle femme. On ne peut pas lui reprocher d'être visible. Je croyais que vous étiez marié.
- Vous avez l'imagination débordante. Ce n'est pas parce que je remarque une belle femme que j'ai envie de rouler dans des draps avec elle. C'est juste l'association belle femme et belle voiture qui m'a interpellé.
- Seriez-vous en train d'insinuer qu'Ophélie est montée dans la voiture de David ?
- Et quand bien même, vous n'avez pas de raisons d'être jalouse.
C'est vrai. Je n'ai pas de raisons d'être jalouse. Mais je dois reconnaître que cette nouvelle me fait l'effet d'une douche froide. J'ai plusieurs fois repoussé les avances plus ou moins déguisées de David. Il n'allait pas rentrer dans les ordres pour se consoler. Toute de même, avec Ophélie, qui travaille autour de mon mari.
- Quel film êtes-vous déjà en train de vous faire ?
Cette question me pique au vif. Suis-je si prévisible ? Pourtant il a encore raison. Je suis en plein film de science fiction ou dans un mauvais polar. Comme il me manque des données, je conjecture. Et lui, il insiste :
- Quelles sont vos relations avec M. Tennant ?
- Pas celles que vous pensez !
Ma réponse a été cinglante. Plus que je ne l'aurais souhaité. Du coup, je prends un ton plus posé pour m'expliquer.
- David était l'ami de la famille. Il pratiquait le même sport qu'Éli, l'aïkido. Ils avaient un très bon niveau, mais David a toujours été moins rigoureux. Célibataire et plutôt mignon, il profitait de son succès auprès de la gente féminine. Je le soupçonne même d'avoir voulu dévergonder mon mari. Mais Éli a toujours été l'homme d'une seule femme. Jamais il n'a ressentit le besoin, ni même l'envie d'aller voir ailleurs, ne serait-ce que pour s'amuser. Après notre accident, David a toujours été là pour moi. Il...
J'arrête ma phrase prenant la mesure de ce que ce que j'allais dire. Mais l'inspecteur n'est pas le genre à accepter une phrase non terminée.
- Il... ?
- Il m'a aidé à déménager. Il m'a même payé le déménagement parce que je n'avais plus les moyens.
- A cause des frais de traitements pour Éli, je suppose.
Je confirme d'un signe de la tête. Je suis envahie par la mélancolie. Je sens que mes yeux deviennent humides. C'est bête. Pourquoi faut-il que je m'apitoie ainsi ? Ce fut de courte durée car l'inspecteur me fait voir rouge dans la seconde qui suit.
- Vous en voulez parce que redevable, vous avez remboursé le coureur en nature.
Je ne sais pas ce qui l'a le plus surpris, la gifle ou les cris. Pour le reste, c'est lui qui me l'a raconté car j'ai tourné de l'œil. Quand j'ai repris mes esprits, j'étais dans un fauteuil que je ne connaissais pas. Les yeux ronds d'un jeune garçon me contemplaient. A peine ai-je esquissé un sourire, qu'il est parti en trombe en criant "papa, elle est réveillée".
L'inspecteur Mickaël Égala m'avait ramené chez lui. Il traversait sa salle à manger suivi de sa femme.
- Que s'est-il passé ? Ou suis-je ?
- Doucement Alicia, vous êtes tombée dans les vapes. Je vous ai ramené chez moi. Voici ma femme, Nat, et vous connaissez déjà mon fils Noah.
Je tente de me relever, mais mes forces m'abandonnent.
- Doucement, je viens de vous dire que vous êtes tombée dans les pommes. Vous êtes têtue quand vous vous y mettez.
- Mickaël, laisse là tranquille.
- On voit que c'est pas toi qui as reçu la baffe.
- Tu dois l'avoir mérité.
Nat me tend un verre d'eau fraîche. Je me rends compte que je meure de faim et l'odeur provenant de la cuisine n'arrange rien.
- Vous allez rester mangé un morceau. On ne peut pas vous laisser repartir ainsi.
Je vois bien à la tête de l'inspecteur que ça ne l'arrange pas. Quelque part, je le comprends. Quand son travail est terminé, son foyer représente un havre de paix dans lequel il peut redevenir lui-même. Sauf que cette fois, je suis là. Il va devoir rester le flic et moi, un possible suspect.
- Je ne veux pas vous déranger. Vous êtes chez vous, je vais rentrer.
Je parviens à me redresser, la tête me tourne, mais dans quelques minutes, j'aurais repris suffisamment de force pour partir. Sauf que Nat ne l'entend pas de la même façon.
- Pour le dérangement, c'est trop tard. Je ne sais pas ce que vous a fait mon mari, mais rare sont ceux qui osent faire ce que vous lui avez fait.
- Il m'a juste trainé dans la boue.
- Euh, vous y allez un peu fort, non ?
Le petit bout de femme frêle ne se laisse pas compter, même face à la carrure de son flic de mari.
- Racontez-moi.
Mes idées s'embrouillent, je sens de nouveau les larmes montées. Il se devient :
- J'ai juste émis l'hypothèse qu'en remerciement, elle se soit donnée à son bienfaiteur.
- Tu n'as pas fait ça. J'y crois pas. C'est odieux ! Y a bien qu'un homme pour penser comme ça. Va surveiller les lasagnes, je m'occupe de notre invitée.
Même si je suis encore engourdie, je ne peux réprimer un sourire en voyant l'inspecteur obtempérer non sans un ronchonnement. Nat s'assoie face à moi et prend tout de même la défense de son mari.
- Il ne faut pas lui en vouloir. Vous savez, il en voie tellement dans son boulot, qu'il na tendance à souvent imaginer le pire des scénarios.
Je me sens idiote. Je n'ai rien à faire là. Même si sa femme se montre gentille avec moi, je le voie jeter de temps en temps un regard dans notre direction. Seulement je sens bien que je n'arriverais pas à convaincre Nat de me laisser partir. Nos regards se croisent, elle me sourit. Je devine qu'elle tente de se mettre à ma place. Pourtant, même si son mari a été en arrêt de travail pendant six mois, il restait accessible. C'est cette différence, entre autre, qui fait qu'il lui est impossible de me comprendre. Un silence pesant s'installe qu'elle rompt d'une nouvelle question.
- Comment faites-vous pour supporter cette situation ?
Je sais qu'elle ne parle plus de l'insinuation de son mari. Mon premier réflexe serait de lui répondre que je n'ai pas le choix. Mais elle a pris ma défense et je ne me sens pas le cœur à l'envoyer sur les roses. Je choisis donc de lui répondre dans un soupir un "je ne sais pas". Elle me prend la main et me la sers doucement dans un geste d'empathie. Son fils vient nous chercher pour nous inviter à passer à table.
Je ne peux plus m'y soustraire, c'est peut être mieux ainsi.