Partie 5 - Chapitre 4 - Basile.
Les grottes du mont Parnasse sont
gigantesques. On pourrait se demander comment la montagne tient encore debout
avec de telles cavités à sa base. Je n'ai pas encore totalement récupéré du
double impact que j'ai reçu. J'ai même l'impression de sentir encore le roussi.
Mes deux compagnons marchent en se donnant la main. Ils parlent de temps à
autres à voix basses. Je sens bien que je suis de trop. C'est pour ça que je
les devance de quelques mètres. Je ne suis pas devenu courageux, mais je veux respecter
leur intimité. Au détour d'un virage assez serré, je stoppe. Éli dégaine de suite,
suivi par Alcinoa. Pourquoi ressent-elle le besoin de s'armer alors qu'elle
maîtrise les éléments ? Sans compter qu'elle est toujours aveugle. Or dans un
duel d'épéistes, la vue joue un rôle non négligeable.
- Des eurymones ! Lance Éli. Ils
sont nombreux.
Nous éteignons les torches pour
ne pas attirer leur attention. Mais ils sont piles dans le passage que nous
devons emprunter. Si seulement nous pouvions les prendre en cisaille. Nous
aurions un avantage.
- Alcinoa, peux-tu me prêter ta
cape ?
Je vois bien qu'Éli n'est pas
d'accord, je m'explique avant qu'il ne refuse.
- Je mets la cape, m'approche,
les compte et je reviens vous en dire le nombre. Ensuite, si vous êtes
d'accord, je vais de l'autre côté et quand vous les attaquaient, je les prends
à revers.
- La cape est censée protéger Alcinoa,
pas servir de la sorte.
- Éli ! Cesse de t'inquiéter pour
moi. C'est une bonne idée. Tu seras là pour veiller qu'il ne m'arrive rien.
Il prend son air renfrogné. Il n'aime
pas ça. Je crois bon de rajouter :
- Techniquement, ils ne peuvent pas
la voir non ?
- Nous n'avons pas encore croisé
de monstres. Il est impossible de savoir s'ils ne détecteront pas son aura.
Alcinoa me tend sa cape en
concluant le débat.
- Comme ça, on sera fixé.
J'enfile la cape et rabat le capuchon
sur ma tête. Je m'apprête à partir quand Éli me donne une dernière
recommandation :
- Prend soin de marcher sur la
pierre, pas dans la poussière ou le sable.
Je marmonne un "prend moi
pour un jambon" et avance. Juste après le virage ou je laisse les
amoureux, s'ouvre une cavité large d'une vingtaine de mètres de diamètre. Les
bestiaux sont regroupés autour du cadavre d'un satyre. Ou plutôt de ce qu'il en
reste. Le spectacle me donne un haut le cœur que je réprime. Une flaque de vomi
apparaissant soudainement, ça ne serait pas discret. Il y a trois sortes de
monstres. Les petits de couleur verdâtre. Des "moyens" dont le teint
tire vers la glaise et des plus grands, noir de jais.
Ils sont une quinzaine en
tout. Profitant de mon invisibilité, je m'avance vers le boyau que nous devons prendre.
Après quelques minutes de marche, il donne de l'autre côté de la montagne. Seulement,
nous allons avoir un problème. Il y a deux camps de satyre comptant chacun une
vingtaine de monstres. Je rebrousse chemin jusqu'à mes amis.
Maladroitement, je tape sur un
caillou qui roule jusqu'au mur. Quelques eurymones lèvent la tête. Comme ils ne
voient rien, ils reniflent l'air. Je n'y ai pas pensé. Je suis entre la sortie
et leur position. Si j'avais l'impression de sentir le roussi, c'est peut être une
réalité. Un des grands noirs s'avance vers moi. Il a la gueule qui dégouline de
bave, de sang et de morceaux poilus. Le haut le cœur me reprend. Il faut que je
regarde ailleurs. Je mets ma main sur ma bouche pour retenir le pain et la
viande séchée de se répandre sur le sol. Je ne vais pas m'en sortir. Soit je
dégaine et l'empale sur ma lame, soit je reste là et lui vomit dessus.
Éli a dû comprendre mon problème.
Un autre caillou roule de l'autre côté. Cette fois, tous les monstres se
tournent vers la position de mes camarades. Même le grand qui n'est qu'à trois
pas de moi. Alors que je m'apprête à dégainer, n'entend le cri d'Éli :
- À terre !
Ni une ni deux, je me jette au
sol sans prendre garde au bruit que je fais. Au même instant, une gerbe de feu déferle.
Elle carbonise tout ce qui se trouve sur son passage. Quand je relève les yeux,
ce n'est que pour voir des corps qui tombent en poussière. Il ne reste rien des
monstres qui nous barraient la route.
- C'est sûr qu'avec cette
méthode, on passera partout ! Pourquoi m'avoir laissé risquer ma vie ?
- C'est toi qui as insisté pour mettre
la cape d'invisibilité, non ?
Éli est tout sourire en me
répondant. Je marmonne dans ma moustache quelques injures que je prends bien
soin de garder pour moi.
Nous reprenons notre périple. Les
couloirs s'enchaînent, suivies de salles pleines de monstres qui ne font pas
long feu face aux attaques élémentaires d'Éli et d'Alcinoa. Après un long moment,
nous finissons par arriver de l'autre côté du mont Parnasse. Curieusement, la
sortie des grottes est située au sommet d'une colline. La majesté du paysage
est dénaturée par un ensemble de camps. Des monstres regroupés pour attaquer
Athènes. Nous avons, entre nous et notre objectif, une véritable armée.
- Il y a de tout. Ménades,
satyres, centaures, homme-rats et j'en passe. Comment va-t-on faire pour passer
?
Éli reste silencieux. Alcinoa
propose de faire une percée de nuit. Mais visiblement, l'armée a l'air de se
reposer alors que nous sommes en plein jour. Je réitère ma question.
- Seule la manière élémentaire
pourrait fonctionner.
- Bien sûr ! Suis-je bête ! On se
transforme en courant d'air et on passe à travers tous ce petit monde.
J'ai volontairement pris un ton
sarcastique pour bien souligner l'impossibilité de cette solution. Ça ne démonte
pas Éli qui surenchérit :
- Alcinoa et moi pouvons le
faire. Tu n'auras qu'à porter la cape.
J'ai deux paires d'yeux face à
moi qui attendent ma réponse. Ils sont sérieux en plus. Vu comment ça s'est
passé dans une pièce avec une dizaine de monstres, je n'ose pas imaginer comment
ça se déroulera dans un camp avec des centaines.
- Ne t'inquiète pas. Ils seront
trop occupés à tenter de nous tailler en pièces. Si tu marches à une distance
raisonnable de nous, tu ne seras pas repéré.
Je me tourne vers Athènes.
Histoire de voir par ou ça serait plus simple. Éli se porte à mes côtés. Il
tend la main pour m'indiquer le passage.
- On prendra par là.
- Et pourquoi pas le plus direct
?
- Parce que ça nous obligerait à
traverser une partie du camp de ménades. Leurs sens sont plus aiguisés, donc
plus dangereuse... Pour toi.
- Ok, ça me va. On passe par là. C'est
vrai que les centaures sont plus dans la force brutale.
Éli se tourne vers Alcinoa.
- Qu'en penses-tu ? Tu arriveras
à rester aussi longtemps sous la forme élémentaire ?
- On verra. De toute façon, les
monstres ne sont pas censés me voir.
- Sauf que depuis que Stauros t'a
dit ça, tu as une aura qui ne passe pas inaperçue.
- Parle pour toi. Moi je la voie toujours
de la même façon. Il n'y a que toi qui perçois cette soi-disant aura.
Le visage d'Éli se renfrogne. Il
a du mal à admettre qu'il est le seul à voir Alci rayonner. Nous avons une
bonne heure de marche avant d'approcher les camps. Il y a deux bonnes
nouvelles. La première est que ça descend, donc c'est plus facile. La seconde,
c'est que le vent est pour nous. Ils ne sentiront pas notre approche. Comme ils
ne s'attendent pas à être attaqués par ce côté, nous aurons la surprise.
Éli prend la tête de la marche et
la direction d'un bois. Heureusement que j'avais dit que la descente serait
plus facile. Néanmoins, si nous voulons être discrets, c'est la meilleure solution.
Seulement, c'était sans compter sur le fait que le bois serait occupé. A peine
avons-nous franchit les premiers arbres, nous nous abaissons dans les fougères.
Des hommes-sangliers viennent dans notre direction.
Nous ont-ils vus sortir de
la grotte ? C'est peu probable vu leur pas nonchalant. Ils vont peut être
rendre visite à Polyphème. Ils sont cinq. À leur ceinture pend une corne. Il en
suffit d'un pour donner l'alerte. Encore une dizaine de pas et ils seront sur
nous. Je vois la main d'Éli se couvrir de givre. Il veut les congeler sur place.
Sept, six, cinq, quatre. Éli bondit en avant en produisant une vague de glace
qui recouvre arbres et monstres. Prisonniers de leur cocon polaire, on lit la
stupeur dans leurs yeux bestiaux.
- Bien jouer Éli !
Ma joie est de courte durée. Un famélique
homme-rat s'échappe en courant. Personne ne l'avait vu derrière les
ventripotents homme-sangliers. En quelques mouvements, Éli attrape son arc,
bande une flèche et tire. Le trait le touche au milieu du dos. Il s'effondre.
Il ne doit pas être mort car nous n'avons pas vu la volée de poussière. Je me
mets à courir tout en dégainant mon arme. J'arrive à hauteur de ma proie. Elle
porte aussi une corne avec laquelle donner l'alarme. Mon pied écrase sa main
avant que le monstre ne souffle dedans. Son visage exprime une grimace entre la
peur, la douleur et la haine. Sans doute les trois à la fois. Je suis au dessus
de lui. Je n'ai qu'à frapper. Pourtant, je n'en ai pas envie. Je lui arrache la
corne et la jette quelques mètres plus loin. C'est une chose de prendre la vie
en combat. S'en est une autre de la faire froidement.
Alcinoa et Éli arrivent à ma
hauteur.
- Qu'est-ce-que tu attends ?
Demande Éli.
Avant même que je réponde, Alcinoa
cloue l'homme-rat au sol. Il me regarde tandis que son corps se change en poussière.
Le processus se fait lentement. Je lis dans son regard l'incompréhension. Il
vient de voir une lame s'enfoncer en lui sans distinguer son porteur.
- Pourquoi t'as fait ça ?
Je me rends compte que je crie
quand je prends un pain qui m'envoie valser dans les trèfles.
- Jamais tu ne lui parles comme
ça ! Si t'es pas content, t'avais qu'à le faire avant elle. C'est un monstre !
T'as envie qu'il donne l'alerte ?
Alcinoa retient Éli qui est blanc
de colère.
- Laisse tomber. Il ne l'a pas
fait exprès.
- La belle affaire ! C'est bien
la plus nulle des plaidoiries.
- Oui, mais la plus courante. On
ne doit plus perdre de temps à nous dresser les uns contre les autres.
Les paroles d'Alcinoa sont pleines
de sagesse. Tandis que je me frotte la mâchoire endolorie, je cligne des yeux. Je
rêve...
- Moi aussi je la voie... Son
aura...
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