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mardi 2 septembre 2014

Partie 5 - Chapitre 4 - Basile

Partie 5 - Chapitre 4 - Basile.
Les grottes du mont Parnasse sont gigantesques. On pourrait se demander comment la montagne tient encore debout avec de telles cavités à sa base. Je n'ai pas encore totalement récupéré du double impact que j'ai reçu. J'ai même l'impression de sentir encore le roussi. Mes deux compagnons marchent en se donnant la main. Ils parlent de temps à autres à voix basses. Je sens bien que je suis de trop. C'est pour ça que je les devance de quelques mètres. Je ne suis pas devenu courageux, mais je veux respecter leur intimité. Au détour d'un virage assez serré, je stoppe. Éli dégaine de suite, suivi par Alcinoa. Pourquoi ressent-elle le besoin de s'armer alors qu'elle maîtrise les éléments ? Sans compter qu'elle est toujours aveugle. Or dans un duel d'épéistes, la vue joue un rôle non négligeable.
- Des eurymones ! Lance Éli. Ils sont nombreux.
Nous éteignons les torches pour ne pas attirer leur attention. Mais ils sont piles dans le passage que nous devons emprunter. Si seulement nous pouvions les prendre en cisaille. Nous aurions un avantage.
- Alcinoa, peux-tu me prêter ta cape ?
Je vois bien qu'Éli n'est pas d'accord, je m'explique avant qu'il ne refuse.
- Je mets la cape, m'approche, les compte et je reviens vous en dire le nombre. Ensuite, si vous êtes d'accord, je vais de l'autre côté et quand vous les attaquaient, je les prends à revers.
- La cape est censée protéger Alcinoa, pas servir de la sorte.
- Éli ! Cesse de t'inquiéter pour moi. C'est une bonne idée. Tu seras là pour veiller qu'il ne m'arrive rien.
Il prend son air renfrogné. Il n'aime pas ça. Je crois bon de rajouter :
- Techniquement, ils ne peuvent pas la voir non ?
- Nous n'avons pas encore croisé de monstres. Il est impossible de savoir s'ils ne détecteront pas son aura.
Alcinoa me tend sa cape en concluant le débat.
- Comme ça, on sera fixé.
J'enfile la cape et rabat le capuchon sur ma tête. Je m'apprête à partir quand Éli me donne une dernière recommandation :
- Prend soin de marcher sur la pierre, pas dans la poussière ou le sable.
Je marmonne un "prend moi pour un jambon" et avance. Juste après le virage ou je laisse les amoureux, s'ouvre une cavité large d'une vingtaine de mètres de diamètre. Les bestiaux sont regroupés autour du cadavre d'un satyre. Ou plutôt de ce qu'il en reste. Le spectacle me donne un haut le cœur que je réprime. Une flaque de vomi apparaissant soudainement, ça ne serait pas discret. Il y a trois sortes de monstres. Les petits de couleur verdâtre. Des "moyens" dont le teint tire vers la glaise et des plus grands, noir de jais. 

Ils sont une quinzaine en tout. Profitant de mon invisibilité, je m'avance vers le boyau que nous devons prendre. Après quelques minutes de marche, il donne de l'autre côté de la montagne. Seulement, nous allons avoir un problème. Il y a deux camps de satyre comptant chacun une vingtaine de monstres. Je rebrousse chemin jusqu'à mes amis.
Maladroitement, je tape sur un caillou qui roule jusqu'au mur. Quelques eurymones lèvent la tête. Comme ils ne voient rien, ils reniflent l'air. Je n'y ai pas pensé. Je suis entre la sortie et leur position. Si j'avais l'impression de sentir le roussi, c'est peut être une réalité. Un des grands noirs s'avance vers moi. Il a la gueule qui dégouline de bave, de sang et de morceaux poilus. Le haut le cœur me reprend. Il faut que je regarde ailleurs. Je mets ma main sur ma bouche pour retenir le pain et la viande séchée de se répandre sur le sol. Je ne vais pas m'en sortir. Soit je dégaine et l'empale sur ma lame, soit je reste là et lui vomit dessus.
Éli a dû comprendre mon problème. Un autre caillou roule de l'autre côté. Cette fois, tous les monstres se tournent vers la position de mes camarades. Même le grand qui n'est qu'à trois pas de moi. Alors que je m'apprête à dégainer, n'entend le cri d'Éli :
- À terre !
Ni une ni deux, je me jette au sol sans prendre garde au bruit que je fais. Au même instant, une gerbe de feu déferle. Elle carbonise tout ce qui se trouve sur son passage. Quand je relève les yeux, ce n'est que pour voir des corps qui tombent en poussière. Il ne reste rien des monstres qui nous barraient la route.
- C'est sûr qu'avec cette méthode, on passera partout ! Pourquoi m'avoir laissé risquer ma vie ?
- C'est toi qui as insisté pour mettre la cape d'invisibilité, non ?
Éli est tout sourire en me répondant. Je marmonne dans ma moustache quelques injures que je prends bien soin de garder pour moi.
Nous reprenons notre périple. Les couloirs s'enchaînent, suivies de salles pleines de monstres qui ne font pas long feu face aux attaques élémentaires d'Éli et d'Alcinoa. Après un long moment, nous finissons par arriver de l'autre côté du mont Parnasse. Curieusement, la sortie des grottes est située au sommet d'une colline. La majesté du paysage est dénaturée par un ensemble de camps. Des monstres regroupés pour attaquer Athènes. Nous avons, entre nous et notre objectif, une véritable armée.
- Il y a de tout. Ménades, satyres, centaures, homme-rats et j'en passe. Comment va-t-on faire pour passer ?
Éli reste silencieux. Alcinoa propose de faire une percée de nuit. Mais visiblement, l'armée a l'air de se reposer alors que nous sommes en plein jour. Je réitère ma question.
- Seule la manière élémentaire pourrait fonctionner.
- Bien sûr ! Suis-je bête ! On se transforme en courant d'air et on passe à travers tous ce petit monde.
J'ai volontairement pris un ton sarcastique pour bien souligner l'impossibilité de cette solution. Ça ne démonte pas Éli qui surenchérit :
- Alcinoa et moi pouvons le faire. Tu n'auras qu'à porter la cape.
J'ai deux paires d'yeux face à moi qui attendent ma réponse. Ils sont sérieux en plus. Vu comment ça s'est passé dans une pièce avec une dizaine de monstres, je n'ose pas imaginer comment ça se déroulera dans un camp avec des centaines.
- Ne t'inquiète pas. Ils seront trop occupés à tenter de nous tailler en pièces. Si tu marches à une distance raisonnable de nous, tu ne seras pas repéré.
Je me tourne vers Athènes. Histoire de voir par ou ça serait plus simple. Éli se porte à mes côtés. Il tend la main pour m'indiquer le passage.
- On prendra par là.
- Et pourquoi pas le plus direct ?
- Parce que ça nous obligerait à traverser une partie du camp de ménades. Leurs sens sont plus aiguisés, donc plus dangereuse... Pour toi.
- Ok, ça me va. On passe par là. C'est vrai que les centaures sont plus dans la force brutale.
Éli se tourne vers Alcinoa.
- Qu'en penses-tu ? Tu arriveras à rester aussi longtemps sous la forme élémentaire ?
- On verra. De toute façon, les monstres ne sont pas censés me voir.
- Sauf que depuis que Stauros t'a dit ça, tu as une aura qui ne passe pas inaperçue.
- Parle pour toi. Moi je la voie toujours de la même façon. Il n'y a que toi qui perçois cette soi-disant aura.
Le visage d'Éli se renfrogne. Il a du mal à admettre qu'il est le seul à voir Alci rayonner. Nous avons une bonne heure de marche avant d'approcher les camps. Il y a deux bonnes nouvelles. La première est que ça descend, donc c'est plus facile. La seconde, c'est que le vent est pour nous. Ils ne sentiront pas notre approche. Comme ils ne s'attendent pas à être attaqués par ce côté, nous aurons la surprise.
Éli prend la tête de la marche et la direction d'un bois. Heureusement que j'avais dit que la descente serait plus facile. Néanmoins, si nous voulons être discrets, c'est la meilleure solution. Seulement, c'était sans compter sur le fait que le bois serait occupé. A peine avons-nous franchit les premiers arbres, nous nous abaissons dans les fougères. Des hommes-sangliers viennent dans notre direction. 

Nous ont-ils vus sortir de la grotte ? C'est peu probable vu leur pas nonchalant. Ils vont peut être rendre visite à Polyphème. Ils sont cinq. À leur ceinture pend une corne. Il en suffit d'un pour donner l'alerte. Encore une dizaine de pas et ils seront sur nous. Je vois la main d'Éli se couvrir de givre. Il veut les congeler sur place. Sept, six, cinq, quatre. Éli bondit en avant en produisant une vague de glace qui recouvre arbres et monstres. Prisonniers de leur cocon polaire, on lit la stupeur dans leurs yeux bestiaux.
- Bien jouer Éli !
Ma joie est de courte durée. Un famélique homme-rat s'échappe en courant. Personne ne l'avait vu derrière les ventripotents homme-sangliers. En quelques mouvements, Éli attrape son arc, bande une flèche et tire. Le trait le touche au milieu du dos. Il s'effondre. Il ne doit pas être mort car nous n'avons pas vu la volée de poussière. Je me mets à courir tout en dégainant mon arme. J'arrive à hauteur de ma proie. Elle porte aussi une corne avec laquelle donner l'alarme. Mon pied écrase sa main avant que le monstre ne souffle dedans. Son visage exprime une grimace entre la peur, la douleur et la haine. Sans doute les trois à la fois. Je suis au dessus de lui. Je n'ai qu'à frapper. Pourtant, je n'en ai pas envie. Je lui arrache la corne et la jette quelques mètres plus loin. C'est une chose de prendre la vie en combat. S'en est une autre de la faire froidement.
Alcinoa et Éli arrivent à ma hauteur.
- Qu'est-ce-que tu attends ? Demande Éli.
Avant même que je réponde, Alcinoa cloue l'homme-rat au sol. Il me regarde tandis que son corps se change en poussière. Le processus se fait lentement. Je lis dans son regard l'incompréhension. Il vient de voir une lame s'enfoncer en lui sans distinguer son porteur.
- Pourquoi t'as fait ça ?
Je me rends compte que je crie quand je prends un pain qui m'envoie valser dans les trèfles.
- Jamais tu ne lui parles comme ça ! Si t'es pas content, t'avais qu'à le faire avant elle. C'est un monstre ! T'as envie qu'il donne l'alerte ?
Alcinoa retient Éli qui est blanc de colère.
- Laisse tomber. Il ne l'a pas fait exprès.
- La belle affaire ! C'est bien la plus nulle des plaidoiries.
- Oui, mais la plus courante. On ne doit plus perdre de temps à nous dresser les uns contre les autres.
Les paroles d'Alcinoa sont pleines de sagesse. Tandis que je me frotte la mâchoire endolorie, je cligne des yeux. Je rêve...

- Moi aussi je la voie... Son aura...

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