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dimanche 21 septembre 2014

Partie 5 - Chapitre 6 - Eli

Partie 5 - Chapitre 6 - Éli.
L'attente dans le sous-bois me parut interminable. Nous souhaitions traverser le camp de nuit afin de minimiser les risques d'être repérés. La rencontre avec le groupe de monstres s'était bien terminée, pour nous. Hormis notre dispute au sujet de la mise à mort de l'homme-rat, la fin de journée s'est passée dans un calme quasi religieux. Basile a retrouvé ses esprits, s'est excusé d'avoir mis notre quête en danger.
J'ai longuement réfléchit à ses derniers mots. Il voit l'aura d'Alcinoa. Au début, je ne comprenais pas pourquoi j'étais le seul à la percevoir. Ensuite, je me suis convaincu que ça devait avoir un rapport avec les paroles de l'oracle. Puisque nous étions liés, il m'est alors parut "normal" de la distinguer ainsi. Maintenant, je ne suis plus sûr de rien. Dans les souvenirs que Stauros m'a restitué, je ne vis absolument pas dans un monde tel que celui là. Je me vois évoluer dans un univers totalement différent. Pas de monstres, si ce n'est dans les livres. Toutes les villes que nous avons traversées, sont en ruine. Les gens qui peuplent mes souvenirs sont comme moi, ou Basile. Des êtres humains. Pas de fées, de satyres ni même d'araignées géantes.
Dans le dernier rêve que j'ai fait, je me voyais en train de donner des cours. Une matière comme l'histoire ou la géographie. J'avais l'impression d'être des années plus tard dans le temps. Est-ce que cette guerre a réellement eu lieu ? Les humains ont-ils triomphé des monstres ?
Il y a une heure environ, j'ai vécu une expérience étrange. Je m'étais assoupi contre un arbre, confiant dans la garde de Basile. Je ne voyais rien, comme-ci j'étais aveugle. Par contre, j'entendais des bruits. Un "bip" perpétuel résonnait. J'ai mis un moment à le rendre compte qu'il coïncidait avec les battements de mon cœur. Ensuite, une personne est entrée. Le bruit d'une porte, des pas, mon cœur s'est accéléré. J'ai senti la personne, un homme, me prendre la main. Il l'a soulevé, puis la laisser tomber. J'ai alors pris conscience de l'endroit ou j'étais allongé : un lit ! Pour la première fois, j'ai vraiment eu peur. J'avais le sentiment d'être prisonnier dans un autre corps, qui ne m'obéissait pas. La personne qui était près de moi s'est mise à frapper légèrement avec un objet sur mes jointures. Les genoux, puis les coudes. À chaque fois, mes membres régissaient sans que je ne leur intime l'ordre. Mes réflexes répondaient à chaque fois.
- Bien, bien, c'est en bonne voie, Éli.
Cette voix ! Je la connais ! Un homme que je rencontre à chaque victoire sur un boss : Stauros ! C'est lui qui teste mes réactions. Je voudrais l'appeler, mais pas moyen de faire sortir le moindre son de ma bouche.
Alors que je lutte pour parvenir à communiquer, Stauros continue à m'examiner. J'entends ses pas autour de moi. Je suis impuissant, ce qui accroît ma frustration. Au moment où je parviens, dans un terrible effort à bouger un doigt, je l'entends parler à nouveau :
- Le patient réagit bien aux stimuli réactionnels. Il semble s'approcher de la conscience corporelle. Il est trop tôt pour évaluer la résurgence de son esprit. Toutefois, il conviendrait de le soumettre prochainement à une présence bienfaitrice telle que celle de son épouse.
À ces mots, mon esprit reçut une véritable décharge énergétique. Ma bouche se crispa pour former un nom :
- Stau...ros !
À peine ai-je prononcé ce nom que je me sentis plonger dans un vide sans fond. La sensation que mon corps soit précipité dans un abîme me fit tressaillir.
- Éli ! Éli !
On me secoue.
J'ouvre les yeux. Alcinoa est devant moi. Son visage est inquiet. Elle cesse de me secouer quand elle me voit revenir parmi eux.
- Éli ! Tu m'as fait peur ! Qu'est-ce qui t'es arrivé ?
Je m'efforce de rassembler mes esprits. Je suis de retour dans cette réalité. Mais est-ce vraiment ma vie ? Il y a trop de coïncidences. Les paroles de l'oracle, celles de mon père et maintenant ce rêve étrange. Alcinoa attend toujours la réponse à sa question. Si je lui fais part de la vérité, elle ne comprendra pas.
- Ce n'est rien. Un cauchemar de plus. Ne t'inquiète pas.
Je regarde le ciel à travers la cime des arbres. Le jour laisse place à la nuit. Je me lève. Prend son visage au creux de mes mains et lui souffle :
- Tout va bien. Il nous faut prendre des forces pour la traversée de ce camp. Demain, nous serons à Athènes. Nous trouverons ton dernier sens et nous serons enfin libres !
Elle me fit un sourire timide. Sans doute que la portée de ma phrase n'avait pas la même signification pour elle. Seulement, j'étais trop perturbé pour me mettre à sa place. J'avais déjà beaucoup de mal à être à la mienne. Nous nous sommes restaurés pendant que les dernières lueurs du jour disparaissaient derrière le mont Parnasse.
Basile se couvrit de la cape d'invisibilité. Puis nous nous sommes approchés de l'orée du bois.
Une bonne centaine de mètres nous sépare des premières tentes. Une fois à ce niveau, nous aurons trois fois cette distance à parcourir en pleine milieu des monstres. Quand nous aurons dépassé les dernières palissades, il nous restera à franchir le champ de bataille.
- Nous avons deux kilomètres à couvrir au pas de course. Es-tu certaine de pouvoir maintenir ton corps sous forme élémentaire pendant tout ce temps ?
Alcinoa acquiesça en haussant les épaules. Ça voulait dire, on verra bien. Je n'avais pas non plus la certitude de pouvoir y parvenir. Seul Basile serait en quasi sécurité grâce à la cape.
Nous avons pris une grande respiration et nous sommes élancés.
Courir sous forme élémentaire donne l'impression de flotter au dessus du sol. Nous pénétrons le premier camp, celui des centaures, sans rencontrer le moindre problème. La plupart des monstres dorment sous l'effet de l'alcool. Visiblement, ils ne craignent pas une sortie des athéniens. Ils en profitent pour se donner du bon temps. Au détour d'une tente, un centaure monte la garde. Avant qu'il ne prononce le moindre son, je le transforme en poussière noire.
Nous continuons notre avancée. Je sais que Basile n'est pas loin car je distingue ses pas dans la terre meuble du chemin. Je lui chuchote de prendre garde à marcher plutôt dans l'herbe. Il s'exécute sous mes yeux. Les tentes changes de formes. Celles de toiles des centaures laissent place à des espèces de tipis de bois et de boue. Nous sommes parmi les homme-rats. Nous nous frayons un chemin dans l'obscurité, évitant les feux de camps. Des éclats de voix gutturales nous parviennent. Plusieurs monstres ripaillent joyeusement. Nous perdons du temps à nous faufiler entre les tentes, mais nous ne sommes toujours pas repérés. Si la nuit nous permet de nous cacher, elle a l'inconvénient de nous faire découvrir les obstacles au dernier moment.
Alors que nous sommes en passe de sortir du camp des homme-rats, nous débouchons dans ce qui ressemble à un charnier. Les corps de plusieurs monstres sont entassés les uns sur les autres dans des états de décomposition plus ou moins avancés. Je parviens à retenir un haut le cœur. Ce n'est pas le cas de Basile qui renvoi ce qu'il a mangé il y a peu. Le bruit est étouffé par la ripaille des monstres tout proches. Nous nous remettons en route et pénétrons dans le dernier camp avant la palissade, celui des satyres. Alors que les premiers festoient allègrement, les satyres sont plus méfiants. Je distingue un groupe qui affûte leurs armes. Nous les contournons. Au moment ou nous passons devant une tente, un monstre sort. Il est aussi surpris que nous. Cette fois, c'est Basile qui en fait de la poussière. Le problème, c'est qu'il n'était pas seul. Deux autres satyres sortent en armes. L'un d'eux souffle dans une conque donnant l'alerte.
Nous nous débarrassons rapidement des deux importuns. Mais le mal est fait. En peu de temps, les monstres affluent de toutes parts. Les plus hargneux sont déjà en armes. Les autres arrivent avec ce qu'ils avaient en main. Il nous reste cinquante mètres à franchir pour atteindre la palissade. Les armes nous traversent le corps sans dommage. Alcinoa et moi parvenons à avancer mais je ne sais pas comment s'en sort Basile.
Nous nous retrouvons très vite dos au dernier barrage. Des monstres de toutes sortes affluent formant un attroupement qui rage de ne parvenir à nous blesser.
Un craquement sourd provient de la palissade. Elle vient de céder aux assauts répétés d'un Basile furieux d'être acculé. Mais ce qui nous ouvre une voie de sortie, révèle aussi la présence de notre allié invisible. En quelques secondes, lances et flèches pleuvent en direction du passage créé.
Je prends une décision instinctive. Je passe de l'élément air à celui de la terre. Levant les bras au ciel, le sol m'obéit. Une vague tellurique stoppe tous les traits. Je hurle un "FUYEZ" à mes compagnons. C'est sans compter sur une Alcinoa têtue. Les bras tendus, elle claque dans les mains dans un geste qui forme une onde de choc. Les deux premiers rangs sont littéralement repoussés en arrière. J'en profite pour créer une barrière rocheuse qui referme le passage derrière nous. Alcinoa et moi reprenons la forme élémentaire vaporeuse de l'air pour nous lancer dans un sprint vers Athènes. Les monstres ont vite repris l'attaque. Les projectiles pleuvent autour de nous.
Basile doit courir devant nous puisque je marche dans ses pas. Alors que la muraille protectrice de la ville grandit de plus en plus, un bruit sourd que je ne connais que trop bien retentit devant moi. Il est suivi d'un râle rauque. Le sol se couvre de sang. Ma tension est à son comble. Je me retourne vers nos belligérants. Je lance une énorme colonne de feu dans leur direction. Elle a l'avantage de stopper net l'envoi de flèches et autres armes de jet.
Il reste une centaine de mètres à franchir. Basile retire la cape. A ce moment, je constate l'ampleur de la blessure. La flèche est plantée là où le cou rejoint l'épaule. Si la colonne n'a pas été touchée, l'artère sous claviculaire est sectionnée. Basile me lance un regard effrayé. Pas question de soigner maintenant. Je fais la seule chose qui le passe par la tête. Je gèle la plaie pour stopper le flot écarlate continu. Il a tourné de l'œil. Il va falloir le porter. Alcinoa envoie une seconde salve incendiaire pour nous assurer le répit nécessaire à ce que je porte Basile. Il est lourd le bougre.
Les portes de la ville s'ouvrent. Sous la lumière des torches se découpe la silhouette d'un homme arme que je connais. Le général Léonidas ordonne qu'on me soulage de notre blessé. Comme Alcinoa continue à incendier la palissade dressée autour du campement des monstres, Léonidas organise ses troupes. Les archers inondent de flèches les monstres qui échappent aux flammes.
Profitant du désordre dans les rangs ennemis, les athéniens chargent. Alcinoa se tourne vers moi et d'une voix de commandement me dit :
- Prends ma place, je vais soigner Basile.
Léonidas lève des sourcils interloqués en me voyant obtempérer. Je me mue en un golem de feu. Mes boules de feu sèment l'anarchie parmi les monstres qui succombent sous les coups des soldats.
Après une heure d'une bataille épique, je suis épuisé. Alcinoa vient me prodiguer les soins qui me requinquent. Basile est sauf mais endormit. Léonidas s'approche de nous.
- Par les dieux, quelle bataille ! Nous n'avions pas gagné de la sorte depuis longtemps. Voilà qui va freiner leurs ardeurs. Nous vous devons beaucoup.
Léonidas nous apprend que la ville est peut être à nous, mais que des monstres tiennent le temple. L'un d'eux est redoutable. Il se bat sous un masque de mort.
- C'est le Jarkore !
Le général confirme que c'est bien le nom sous lequel il commet ses méfaits.
Nous avons essuyé de nombreuses batailles, pourtant, nous n'aurons pas le temps de nous reposer bien longtemps. Léonidas refuse de nous laisser affronter ce monstre sans son soutien.
- Général. Vous ne pourrez pas tenir cette position en étant pris en tenaille par les monstres. Sauf votre respect, si vous tenez les monstres hors de la ville, nous pourrons nous pourrons nous occuper des résistants dans le temple. C'est pour ça que nous sommes venus jusqu'ici.
Après quelques secondes de réflexion, Léonidas me tend la main. Je lui saisie l'avant-bras dans une poigne ferme.
- Mes hommes et moi repousserons ces monstres jusqu'au Styx s'il le faut. En attendant, allez-vous reposer. Vous en aurez besoin.
Si l'offre du général est logique et évidente, je redoute le moment ou je fermerais les yeux. Alcinoa me rejoint. Elle a compris ce que je ressens.
- Ce ne sont que des rêves Éli. Je serais là quand tu ouvriras les yeux.
Elle pose ses lèvres sur les miennes. Je réponds à son sourire.

J'espère seulement qu'elle dise vrai.

samedi 6 septembre 2014

Partie 5 - Chapitre 5 - Inspecteur Kathia Labry

Partie 5 - Chapitre 5 - Inspecteur Kathia Labry.
Le boss a été plus facile à convaincre que je ne l'aurais cru. À peine dix minutes de palabres et j'avais obtenu ma planque. J'ai de suite envoyé un sms à mon collègue. D'ordinaire, il me répond rapidement. Mais là, rien. Au début, je n'y ai pas prêté plus attention que ça. J'ai préparé le matos, appareil photo, lunette nocturne, amplificateur de sons et tout le reste. La journée a défilé rapidement.
Vers 17 heures, j'ai consulté mon portable machinalement. Toujours pas de messages. Qu'est-ce qui peut bien le retenir de la sorte, me suis-je demandée. Il est parti en catastrophe après avoir reçu un texto, non deux. Je me suis décidée à l'appeler en direct, quitte à me prendre une ronflée. Direct sur la messagerie. C'est pas son genre. Un problème à la maison ? Il ne m'a pas parlé de soucis quelconques. Si j'appelle chez lui, sa femme va vouloir des explications. Je ne peux pas lui faire ça. Elle en a déjà bavé lors de son accident. Elle a clairement dit que l'appel qu'elle avait reçu cette fois là, l'avait profondément bouleversé. Depuis, je sais qu'elle est toujours inquiète de le voir partir le matin.
Je ne vais pas aller voir le boss. Lui ne se gênerait pas d'appeler sa femme. Pour lui, on est flic avant tout. C'est pour ça qu'il est deux fois divorcé. Ce qui n'empêche pas ses deux ex de s'en faire pour lui. Comme quoi, le divorce n'arrange pas tout, loin de là. Moi, je n'ai pas ce genre de soucis, je suis seule. Ce qui en soit, n'est pas la panacée.
Nous devons commencer notre planque à 19 heures. J'ai un peu moins de deux heures pour lui mettre la main dessus. Sérieux, il va m'entendre de m'avoir laissé tout gérer. Je vais aller voir Ted. Il pourra peut être me dire ou est sa voiture. Je monte un étage pour gagner le bureau des geek. Comme toujours, ça sent le tabac froid, la sueur et la pizza. Ted est celui que je préfère, ou plutôt, celui qui m'énerve le moins. Son péché mignon, c'est les jeux en ligne, les mmorpg pour les connaisseurs. Quand il ne bosse pas, il est toujours à fond dans une partie. À l'entendre, c'est le meilleur endroit pour jouer. Pas de problème de lag ou de freeze. Je n'y comprends pas grand chose hormis que c'est le pied de jouer avec le matos du boulot. Les autres sont plutôt branchés sous la ceinture. À chaque fois que je rentre dans le bureau, j'ai l'impression d'être déshabillée du regard. Mais pas lui. En plus il ne se cache pas. Il continue à jouer jusqu'à ce que ta demande le titille plus que son jeu.
- Ted, j'ai besoin que tu me localises la voiture de Mike.
- Labry, pourquoi c'est toujours moi que tu viens voir pour des trucs aussi débile.
- Parce que t'es le meilleur.
Bien sûr, j'ai dit ça intentionnellement. Pas parce que je le pense, mais pour les commentaires des autres geek.
- Tu n'y connais rien ! Sur quoi repose ton jugement ?
Et voilà. Nous y sommes. Maintenant, je vais avoir mon info uniquement parce qu'ils voudront me prouver que j'ai tord.
- Elle doit être dans un parking souterrain car elle n'apparaît pas à l'écran.
- Ou dans un tunnel du périph.
Les réponses se suivent jusqu'à celle que j'attendais :
- Je ne sais pas ou est sa voiture, mais avant que l'on perde le signal, il entrait dans le parking de l'hôpital.
Bingo, la compétition a fait décrocher Ted de sa partie et maintenant j'ai ma réponse.
- Tu comprends maintenant pourquoi je m'adresse à toi. T'es pas le plus rapide, mais ta réponse est nettement meilleure.
- Je sais. Maintenant que tu as mon attention, c'est tout ce que tu voulais ? La prochaine fois, appelle ton collègue, il te le dira sans que tu ne me dérange.
- Si je suis là, c'est qu'il ne me répond pas.
Le froncement de sourcils m’indique que j'ai aiguisé sa curiosité. Il s'assoit derrière son ordi et ajuste ses lunettes, ça devient sérieux.
- Il ne veut peut être pas être dérangé. Ce qui expliquerait pourquoi je triangule son portable au même endroit.
- Ok Sherlock, merci du coup de main.
Je quitte le bureau en entendant s'élever une contestation du genre "moi aussi j'aurais pu arriver à la même conclusion avec de meilleures explications". Je ne relève pas. Il faut que je charge la voiture et que j’aille voir pourquoi il est si long.
Une fois arrivée dans le parking de l'hôpital, je tourne jusqu'à trouver sa voiture. Personne à l'intérieur. Je me gare à proximité. Je descends. J'appelle, des fois qu'il serait dans le coin. Pas de réponse. Qu'est-ce qu'il a bien pu venir faire ici ?
- Réfléchit Kat !
Je commence à m'énerver. Je décide d'appeler son portable. Ça sonne. J'entends sa sonnerie. Il n'y a que lui pour avoir la musique du "flic de Beverly Hills". Je ne l'entends plus. C'est la messagerie. Je vais rappeler, dans deux minutes, pour ne pas tomber direct en messagerie. Je fais un non de la tête afin de rejeter une idée stupide. À moins que...
Ça y est, je vais pouvoir tenter à nouveau. Je me rapproche malgré tout de sa voiture. Pas de doute, la mélodie vient du coffre. Il n'est pas le genre à mettre son portable dans le coffre.
- Il n'est tout de même pas...
Je refuse de terminer ma phrase. La caisse est fermée. Pas moyen de crocheter la serrure. Je retourne à la mienne, me saisie de la manivelle du cric. Désolé, Mike, je sais que tu aimes ta caisse, mais tu ne me laisses pas le choix.
"BLING !"
Voilà, y a plus qu'à déverrouiller le coffre, la manette se trouve en bas à gauche des pédales.
- Haut les mains ! T'as braqué la mauvaise caisse !
Je sens son flingue entre mes omoplates.
- C'est moi, Mike !
- Kat ! Mais t'es folle ou quoi ? T'as vu ce que t'as fait à ma vitre avant !
Je me retourne avec la manivelle encore en main. Il est furieux et moi choquée de voir son état.
- Qu'est-ce qui t'es arrivé ?
- Tu viens de me péter la vitre ! Nom d'un chien, qu'est qui t'as pris ?
- Mike, t'es sourd ou quoi ? T'as vu dans quel état tu es ?
A ce moment, il réalise ce que je suis en train de lui dire.
- Ah, le sang ? On m'a frappé dans le dos. Un infirmier m'a trouvé allongé par terre. Mais pourquoi t'as péter ma vitre ?
Je lui dois bien une explication. Je lutte contre l'envie de le questionner sur les circonstances.
- Tu ne réponds pas à mes messages, ni à mes appels. J'ai retracé ta voiture et j'ai entendu ton portable dans le coffre. Comme elle était fermée...
- Tu as cru bon de la fracturer. Tu ne pouvais pas monter à l'accueil ? On t’aurait renseigné.
- J'ai cru que tu étais avec ton portable.
- Bien sûr...
- Ben quoi, tu ne me crois pas. Qui t'a fait ça ?
- Si je le savais.
- T'as été voir les caméras de surveillance ?
- Ohé, tu parles à ton équipier. Tu sais, je suis peut être moins bon que toi, mais je mérite ma paie.
Je lui bourre mon coude dans le ventre gentiment. Il fait mine de souffrir le martyre.
- Alors, ces caméras ?
- Tu vas rire. Elles n'ont rien enregistrées, hormis ce que tu viens de faire. Quand je t'ai vu sur les écrans, je suis descendu. Pas assez vite visiblement.
- C'est bon, je vais de la payer la réparation. Arrête de me rabattre les oreilles avec ça. Comment c'est possible ?
- Quoi ?
- Ben qu'elles ne filment pas le passage ou tu te fais agresser.
- Elles filment normalement, et d'un coup, tout est brouillé.
- Attend, tu rigoles ?
- Je suis des plus sérieux. La dernière chose qu'on voit, c'est la discussion que j'ai avec Alicia Guerréor. Je reçois un appel, on la voit monter dans sa voiture, puis plus rien.
- Encore elle ! Décidément, à chaque fois qu'il y a un problème de caméras, elle est dans le coin.
- Je ne crois pas qu'elle y soit pour quelque chose.
- T'es sérieux ? Elle est toujours là. Son patron se fait agresser, problème de caméras. Qui arrive quelques minutes après : Alicia Guerréor ! Tu te fais agresser, rebelote, problème de caméras et elle est encore là !
- Ok, mais réfléchit ! Si elle est responsable, pourquoi apparaître à chaque fois ?
- C'est simple : avec ton raisonnement, elle est innocente. Elle joue sur le fait que si elle était coupable, on ne la verrait pas. Ni vu ni connu, j't'embrouille !
- Tu insinues qu'elle se montrerait sur les caméras pour s'innocenter ? Parce que ça serait trop prévisible de ne pas se faire voir ! C'est pervers comme raisonnement. En plus, qu'aurait-elle à y gagner ?
- L'assurance vie de son mari : la coquette somme de 500000€ !
- Sauf que t'as oublié un détail.
- Lequel ?
- Elle ne toucherait rien. Si son mari était mort sur le coup dans l'accident, elle aurait touché. Mais là, si son mari décède après dix ans de coma, elle aurait quedal.
- Là, c'est toi qui dois l'expliquer.
- Tu sais les petites lignes dans les contrats d'assurance. Si tu ne les lis pas, tu te fais baguer. Son contrat stipule qu'elle touche le dividende en cas de mort accidentelle, de maladie, genre cancer ou autres. Mais pas en cas de rupture du système d'assistance de vie.
- Et pourtant elle a quand même signé pour qu'on le débranche ?
- Oui, à cause du coup. Elle ne vit plus. Elle travaille plus que nous deux pour pouvoir payer les soins. Alors, je te repose la question : quel serait son intérêt ?
- Faut que je réfléchisse. On va avoir du temps.
- T'as l'accord pour la planque ?
- Tu ne m'as pas laissé négocier avec le boss pour rien.
- Je prends une chemise dans mon coffre, et on y va.
Je savais que Mike ne laisserait pas sa voiture dans cet état, dans ce parking. Nous avons pris chacun notre voiture, étape au garage de monsieur. Heureusement qu'il connaît bien le patron, je m'en sortirais qu'avec le minimum. Une fois dans ma voiture, nous avons pris la direction de l'hôtel. Nous nous sommes garés sur le parking, entre deux voitures, pile au bon angle pour voir arriver notre proie. Mike n'avait pas eu le temps de passer chez lui pour prendre du café et de quoi manger. Du coup, il veut appeler sa femme pour ne pas qu'elle s'inquiète.
- Allô, chérie, écoute, je dois...
- Bonsoir Inspecteur Égala. Désolé, votre femme ne peut pas vous répondre.


mardi 2 septembre 2014

Partie 5 - Chapitre 4 - Basile

Partie 5 - Chapitre 4 - Basile.
Les grottes du mont Parnasse sont gigantesques. On pourrait se demander comment la montagne tient encore debout avec de telles cavités à sa base. Je n'ai pas encore totalement récupéré du double impact que j'ai reçu. J'ai même l'impression de sentir encore le roussi. Mes deux compagnons marchent en se donnant la main. Ils parlent de temps à autres à voix basses. Je sens bien que je suis de trop. C'est pour ça que je les devance de quelques mètres. Je ne suis pas devenu courageux, mais je veux respecter leur intimité. Au détour d'un virage assez serré, je stoppe. Éli dégaine de suite, suivi par Alcinoa. Pourquoi ressent-elle le besoin de s'armer alors qu'elle maîtrise les éléments ? Sans compter qu'elle est toujours aveugle. Or dans un duel d'épéistes, la vue joue un rôle non négligeable.
- Des eurymones ! Lance Éli. Ils sont nombreux.
Nous éteignons les torches pour ne pas attirer leur attention. Mais ils sont piles dans le passage que nous devons emprunter. Si seulement nous pouvions les prendre en cisaille. Nous aurions un avantage.
- Alcinoa, peux-tu me prêter ta cape ?
Je vois bien qu'Éli n'est pas d'accord, je m'explique avant qu'il ne refuse.
- Je mets la cape, m'approche, les compte et je reviens vous en dire le nombre. Ensuite, si vous êtes d'accord, je vais de l'autre côté et quand vous les attaquaient, je les prends à revers.
- La cape est censée protéger Alcinoa, pas servir de la sorte.
- Éli ! Cesse de t'inquiéter pour moi. C'est une bonne idée. Tu seras là pour veiller qu'il ne m'arrive rien.
Il prend son air renfrogné. Il n'aime pas ça. Je crois bon de rajouter :
- Techniquement, ils ne peuvent pas la voir non ?
- Nous n'avons pas encore croisé de monstres. Il est impossible de savoir s'ils ne détecteront pas son aura.
Alcinoa me tend sa cape en concluant le débat.
- Comme ça, on sera fixé.
J'enfile la cape et rabat le capuchon sur ma tête. Je m'apprête à partir quand Éli me donne une dernière recommandation :
- Prend soin de marcher sur la pierre, pas dans la poussière ou le sable.
Je marmonne un "prend moi pour un jambon" et avance. Juste après le virage ou je laisse les amoureux, s'ouvre une cavité large d'une vingtaine de mètres de diamètre. Les bestiaux sont regroupés autour du cadavre d'un satyre. Ou plutôt de ce qu'il en reste. Le spectacle me donne un haut le cœur que je réprime. Une flaque de vomi apparaissant soudainement, ça ne serait pas discret. Il y a trois sortes de monstres. Les petits de couleur verdâtre. Des "moyens" dont le teint tire vers la glaise et des plus grands, noir de jais. 

Ils sont une quinzaine en tout. Profitant de mon invisibilité, je m'avance vers le boyau que nous devons prendre. Après quelques minutes de marche, il donne de l'autre côté de la montagne. Seulement, nous allons avoir un problème. Il y a deux camps de satyre comptant chacun une vingtaine de monstres. Je rebrousse chemin jusqu'à mes amis.
Maladroitement, je tape sur un caillou qui roule jusqu'au mur. Quelques eurymones lèvent la tête. Comme ils ne voient rien, ils reniflent l'air. Je n'y ai pas pensé. Je suis entre la sortie et leur position. Si j'avais l'impression de sentir le roussi, c'est peut être une réalité. Un des grands noirs s'avance vers moi. Il a la gueule qui dégouline de bave, de sang et de morceaux poilus. Le haut le cœur me reprend. Il faut que je regarde ailleurs. Je mets ma main sur ma bouche pour retenir le pain et la viande séchée de se répandre sur le sol. Je ne vais pas m'en sortir. Soit je dégaine et l'empale sur ma lame, soit je reste là et lui vomit dessus.
Éli a dû comprendre mon problème. Un autre caillou roule de l'autre côté. Cette fois, tous les monstres se tournent vers la position de mes camarades. Même le grand qui n'est qu'à trois pas de moi. Alors que je m'apprête à dégainer, n'entend le cri d'Éli :
- À terre !
Ni une ni deux, je me jette au sol sans prendre garde au bruit que je fais. Au même instant, une gerbe de feu déferle. Elle carbonise tout ce qui se trouve sur son passage. Quand je relève les yeux, ce n'est que pour voir des corps qui tombent en poussière. Il ne reste rien des monstres qui nous barraient la route.
- C'est sûr qu'avec cette méthode, on passera partout ! Pourquoi m'avoir laissé risquer ma vie ?
- C'est toi qui as insisté pour mettre la cape d'invisibilité, non ?
Éli est tout sourire en me répondant. Je marmonne dans ma moustache quelques injures que je prends bien soin de garder pour moi.
Nous reprenons notre périple. Les couloirs s'enchaînent, suivies de salles pleines de monstres qui ne font pas long feu face aux attaques élémentaires d'Éli et d'Alcinoa. Après un long moment, nous finissons par arriver de l'autre côté du mont Parnasse. Curieusement, la sortie des grottes est située au sommet d'une colline. La majesté du paysage est dénaturée par un ensemble de camps. Des monstres regroupés pour attaquer Athènes. Nous avons, entre nous et notre objectif, une véritable armée.
- Il y a de tout. Ménades, satyres, centaures, homme-rats et j'en passe. Comment va-t-on faire pour passer ?
Éli reste silencieux. Alcinoa propose de faire une percée de nuit. Mais visiblement, l'armée a l'air de se reposer alors que nous sommes en plein jour. Je réitère ma question.
- Seule la manière élémentaire pourrait fonctionner.
- Bien sûr ! Suis-je bête ! On se transforme en courant d'air et on passe à travers tous ce petit monde.
J'ai volontairement pris un ton sarcastique pour bien souligner l'impossibilité de cette solution. Ça ne démonte pas Éli qui surenchérit :
- Alcinoa et moi pouvons le faire. Tu n'auras qu'à porter la cape.
J'ai deux paires d'yeux face à moi qui attendent ma réponse. Ils sont sérieux en plus. Vu comment ça s'est passé dans une pièce avec une dizaine de monstres, je n'ose pas imaginer comment ça se déroulera dans un camp avec des centaines.
- Ne t'inquiète pas. Ils seront trop occupés à tenter de nous tailler en pièces. Si tu marches à une distance raisonnable de nous, tu ne seras pas repéré.
Je me tourne vers Athènes. Histoire de voir par ou ça serait plus simple. Éli se porte à mes côtés. Il tend la main pour m'indiquer le passage.
- On prendra par là.
- Et pourquoi pas le plus direct ?
- Parce que ça nous obligerait à traverser une partie du camp de ménades. Leurs sens sont plus aiguisés, donc plus dangereuse... Pour toi.
- Ok, ça me va. On passe par là. C'est vrai que les centaures sont plus dans la force brutale.
Éli se tourne vers Alcinoa.
- Qu'en penses-tu ? Tu arriveras à rester aussi longtemps sous la forme élémentaire ?
- On verra. De toute façon, les monstres ne sont pas censés me voir.
- Sauf que depuis que Stauros t'a dit ça, tu as une aura qui ne passe pas inaperçue.
- Parle pour toi. Moi je la voie toujours de la même façon. Il n'y a que toi qui perçois cette soi-disant aura.
Le visage d'Éli se renfrogne. Il a du mal à admettre qu'il est le seul à voir Alci rayonner. Nous avons une bonne heure de marche avant d'approcher les camps. Il y a deux bonnes nouvelles. La première est que ça descend, donc c'est plus facile. La seconde, c'est que le vent est pour nous. Ils ne sentiront pas notre approche. Comme ils ne s'attendent pas à être attaqués par ce côté, nous aurons la surprise.
Éli prend la tête de la marche et la direction d'un bois. Heureusement que j'avais dit que la descente serait plus facile. Néanmoins, si nous voulons être discrets, c'est la meilleure solution. Seulement, c'était sans compter sur le fait que le bois serait occupé. A peine avons-nous franchit les premiers arbres, nous nous abaissons dans les fougères. Des hommes-sangliers viennent dans notre direction. 

Nous ont-ils vus sortir de la grotte ? C'est peu probable vu leur pas nonchalant. Ils vont peut être rendre visite à Polyphème. Ils sont cinq. À leur ceinture pend une corne. Il en suffit d'un pour donner l'alerte. Encore une dizaine de pas et ils seront sur nous. Je vois la main d'Éli se couvrir de givre. Il veut les congeler sur place. Sept, six, cinq, quatre. Éli bondit en avant en produisant une vague de glace qui recouvre arbres et monstres. Prisonniers de leur cocon polaire, on lit la stupeur dans leurs yeux bestiaux.
- Bien jouer Éli !
Ma joie est de courte durée. Un famélique homme-rat s'échappe en courant. Personne ne l'avait vu derrière les ventripotents homme-sangliers. En quelques mouvements, Éli attrape son arc, bande une flèche et tire. Le trait le touche au milieu du dos. Il s'effondre. Il ne doit pas être mort car nous n'avons pas vu la volée de poussière. Je me mets à courir tout en dégainant mon arme. J'arrive à hauteur de ma proie. Elle porte aussi une corne avec laquelle donner l'alarme. Mon pied écrase sa main avant que le monstre ne souffle dedans. Son visage exprime une grimace entre la peur, la douleur et la haine. Sans doute les trois à la fois. Je suis au dessus de lui. Je n'ai qu'à frapper. Pourtant, je n'en ai pas envie. Je lui arrache la corne et la jette quelques mètres plus loin. C'est une chose de prendre la vie en combat. S'en est une autre de la faire froidement.
Alcinoa et Éli arrivent à ma hauteur.
- Qu'est-ce-que tu attends ? Demande Éli.
Avant même que je réponde, Alcinoa cloue l'homme-rat au sol. Il me regarde tandis que son corps se change en poussière. Le processus se fait lentement. Je lis dans son regard l'incompréhension. Il vient de voir une lame s'enfoncer en lui sans distinguer son porteur.
- Pourquoi t'as fait ça ?
Je me rends compte que je crie quand je prends un pain qui m'envoie valser dans les trèfles.
- Jamais tu ne lui parles comme ça ! Si t'es pas content, t'avais qu'à le faire avant elle. C'est un monstre ! T'as envie qu'il donne l'alerte ?
Alcinoa retient Éli qui est blanc de colère.
- Laisse tomber. Il ne l'a pas fait exprès.
- La belle affaire ! C'est bien la plus nulle des plaidoiries.
- Oui, mais la plus courante. On ne doit plus perdre de temps à nous dresser les uns contre les autres.
Les paroles d'Alcinoa sont pleines de sagesse. Tandis que je me frotte la mâchoire endolorie, je cligne des yeux. Je rêve...

- Moi aussi je la voie... Son aura...