Chapitre 4 : Eli.
Vous êtes vous déjà relevé franchement, convaincu de
n'être sous aucun obstacle jusqu'à l'impact violent. La douleur irradie dans
tous le corps comme les cercles concentriques à la surface de l'eau que l'on a
troublée d'un jet de pierre. Puis quand elle s'est propagée jusqu'aux
extrémités, elle revient à l'épicentre accentuée par la force du voyage.
L'endroit est si douloureux que l'on en vient à perdre ses repères. Si vous
avez déjà connu cette sensation, alors vous avez une petite idée de ce que je
vis en ce moment.
Le contact avec la main de Stauros m'a littéralement
foudroyé. L'onde de choc s'est propagée en un instant jusqu'à ma tête,
m'assommant d'un terrible coup. Mon esprit a été assaillit d'un flot d'images
et de sensations. Je ne parviens pas à en comprendre le sens. Serait-ce mes
souvenirs ? Si oui, pourquoi me semblent-ils aussi étrangers à la vie que je
suis en train de vivre ? Toutes ses images se passent dans un paysage semblable
à celui dans lequel j'évolue, mais avec un décalage tel que l'on pourrait
croire qu'elles sont issues d'une autre époque. J'ai bien reconnu certains
lieux que je viens de traverser avec Alcinoa, mais ils sont désolés. Et puis,
qui est cet homme qui passe son temps à étudier la moindre pierre comme si elle
lui racontait une histoire. Soudain, je le vois se tourner vers moi, les mains
souillées par la poussière qu'elles remuent. Son visage rayonne en m'arborant
un gladius semblable à celui que je porte au côté. "Regarde Eli, une arme
antique !"
Je suis aspiré dans un tourbillon paradoxal. Cet homme
s'adresse à moi tel un père à son fils. Se pourrait-il qu'il soit le mien ?
Pourtant, aucune image ne me le montre en train de me témoigner son affection.
Je le suis partout ou il se déplace, vivant sous des tentes. Mais jamais nous
n'avons d'autres relations que celles concernant son activité. Sauf peut être
ce rituel dans lequel nous sommes tous deux habillés d'un pyjama blanc. La
veste se croise pour être retenue par une ceinture en tissu coloré. La sienne est
noire tandis que la mienne orange. Chaque matin, c’est la même cérémonie. Nous
prenons place sur un carré de mousse pour répéter une chorégraphie. Puis je me
retrouve face à lui, tantôt en assaillant, tantôt en défenseur. Nos corps se
dessinent sur le soleil levant.
Le plus étrange, c'est que toutes ces images me paraissent
bien plus réelles que ce que je vis ici. J'ai peut être perdu la mémoire
antérieure, mais je garde chaque souvenir depuis mon réveil près de la rivière.
Quand j'ai vu mon reflet dans l'eau courante, rien ne m'évoquait la moindre
sensation. L'accoutrement que je porte encore me donnait une impression de
ridicule. Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Si Stauros a tenu parole,
il m'a rendu une partie de ma mémoire. Pourtant rien ne semble correspondre.
Les monstres qui peuplent le monde dans lequel je cherche les sens d'Alcinoa
n'existent pas dans mes souvenirs, hormis peut être dans quelques vieux livres
que mon père semblent m'avoir offert. Mais je me morfonds sur mon sort alors qu'elle
doit être désemparée, seule et toujours affligée de la perte de quatre de ses
sens. Eli, reprends toi, RÉVEILLE TOI !
Je reviens à moi en un sursaut similaire à ce que ferait
quelqu'un qui reprend sa respiration après une immersion dans une eau profonde.
Je cherche du regard ce qu'il y a autour de moi. Les images sont d'abord
floues, nimbées d'un brouillard lumineux. Les formes se précisent petit à
petit. Je tourne la tête, attiré par le contact sur mon poignet. Elle est là, à
genou à mon côté, elle me tient par l'une des seules choses qu'elle perçoit,
mon brassard. Elle ne se rend pas compte qu'il est souillé de mon sang. La lame
de Nexus à bien faillit me priver de ma main.
- Alcinoa... Je...
Je vais bien, enfin je crois.
Elle soupire et verse une larme. Je tente de me redresser,
mais ma tête se met à tourner. Je sens mon esprit s'embrouiller et n'entend ses
paroles que de loin.
- Reste allongé, dis moi si tu es blessé.
Encore une fois, elle fait passer mon bien-être avant le
sien. Je lui murmure que je suis épuisé, couvert de traces de combat et de sang
séché sans savoir s'il m'appartient ou non. Elle empoigne le bâton serti d'une
pierre élémentaire et prononce quelques paroles mélodieuses, une mélopée qui projette
une lueur de la pierre, m'enveloppant de la tête aux pieds. Je sens une douce
chaleur me pénétrer, me revigorer petit à petit. Mes plaies se referment,
disparaissent. Je parviens à me redresser sans que ma tête ne tourne. Nous
sommes toujours dans le camp spartiate. Je me lève et attire Alcinoa contre
moi. Dans un souffle, je la remercie. Elle doit se douter que je la serre dans
mes bras car elle ne distingue pas mes brassards qui la maintiennent contre ma
poitrine. Sans y réfléchir, je pose mes lèvres sur les siennes ce qui la
détend. Je m'écarte juste ce qu'il faut pour que mes mains lui cueillent le
visage inondé de larmes que j'espère de bonheur. Après quelques minutes de
tendresse, je lui fais part qu’il nous faut partir, poursuivre notre quête. Je
la sens réticente. Elle m'avoue avoir peur pour moi, que je ne devrais pas
continuer à mettre ma vie en danger de la sorte. Elle m'apprend les paroles de
Stauros, sa mise en garde vis à vis des dangers grandissant. Bien que je sache
qu'elle ne peut le ressentir, je lui caresse le visage. Elle ferme les yeux
sans doute pour imaginer ce que serait cette sensation ou peut être pour se
rappeler un instant passé semblable à ce moment.
- La vie ne vaut d'être vécue que si l'on se bat pour ceux
que nous aimons. Nous trouverons tes sens et nous pourrons enfin nous aimer en
paix.
Elle sourit timidement mais je ressens sa peur. A moins que
ce ne soit des doutes ? Je fronce les sourcils sans pour autant l'interroger.
Je mets cela sur le compte de la fatigue.
Nous reprenons la route en laissant derrière nous l'armée
spartiate. Le général Léonidas compte marcher vers Athènes afin de les secourir
face aux invasions monstrueuses. Il souhaite débarrasser la Grèce du mal qui la
gangrène sans pour autant en connaître la cause. Et si tout était lié ? Si
notre venue dans ce monde en avait rompu l'équilibre ? Je suis pris d'une
crainte qui me comprime le cœur. Mais je me garde bien d'en parler à Alcinoa.
Je ne tiens pas à ajouter à son fardeau.
Elle évolue avec plus de facilité, surtout
depuis que je porte mon nouveau bouclier dans le dos. Brassis m'a expliqué
qu'il était conçu à partir de poussière de pierre élémentaire de feu,
symbolisée par le triangle rouge. La légende raconte qu'il absorbe cet élément
pour en transmettre la force à celui qui le porte. Même si cette histoire m'a
fait sourire, le fait est qu'Alcinoa le perçoit. Avant de quitter le camp, le
vieil Hypas a tenu à ce que je prenne certains objets trouvés dans le coffre
que nous avons ramené après le combat contre Nexus. Je revoie encore la mine
incrédule de ce vieux guerrier devant la relique qu'il a vu s'élever du coffre.
Étant le seul à voir celle qui m'accompagne, je peux comprendre qu'il ait cru à
un prodige. Alcinoa avait perçu le halo autour de cet objet, un morceau d'une
plaque de pierre. Sans hésiter, elle l'a saisi et m'a expliqué qu'en trouvant
les autres parties, nous aurions une relique élémentaire qu'il serait possible
de lier à un objet pour en augmenter le pouvoir. J'ai remercié Hypas puis me
suis dirigé vers le marchand pour vendre ce dont je n'avais pas besoin. Malgré
son allure bourrue, il m'a souhaité bon chance pour la suite de mon périple.
Le chemin que nous suivons est plus
accidenté. Nous devons longer des ravins, gravir des collines en veillant à ne
pas faire trop de bruit pour ne pas attirer l'attention. Même les animaux les
plus anodins, tel que les corbeaux, sont belliqueux. A plusieurs reprises, j'ai
dû jouer du gladius pour nous permettre de continuer à avancer. Le soleil
déclinant, je commence à avoir du mal à distinguer les formes. Alcinoa me suit
sans rien dire. Je suis certain qu'elle me cache quelque chose d'important.
Mais ce n'est pas ce qui me trouble le plus. Mes souvenirs se juxtaposent à ce
que je regarde, trompant mes yeux. Quelque soit ce qui attire mon regard, c'est
comme si je voyais les choses comme elles deviendront, des années plus tard. Et
si ce portail nous avait conduits dans le passé ? Pourrais-je laisser une trace
à un endroit puis la retrouver dans mes souvenirs ? Je dois lui paraître
particulièrement taciturne pour qu'elle finisse par attirer mon attention.
- Il faut que tu reprennes des forces en te
reposant Eli.
Elle a raison. L'effet de son bâton
s'estompe, rendant mes muscles endoloris.
- Je vais chercher un abri pour que nous
puissions nous arrêter quelques heures.
En suivant un contrefort rocheux, nous
arrivons dans un renfoncement. Les quelques mètres de roche nous protège du
vent de plus en plus froid à mesure que la nuit tombe. Derrière quelques
arbustes, nous pourrons nous allonger et entendre la moindre approche. Par
contre, nous serons acculés. Je ne suis pas certain de pouvoir lui offrir mieux
dans l'immédiat. Elle me laisse l'installer, le dos bien calé contre un gros
rocher. Puis je prends place à ses côtés. N'ayant pas envie d'attirer l'attention,
je n'allume pas de feu. Je me sers contre elle pour la réchauffer. Je souris.
Suis-je bête ? Étant privé de ses sens, elle ne peut pas ressentir le froid ou
le chaud. Après avoir pris un léger repas dont elle a pu identifier chaque
ingrédient, je ferme les yeux. Mon esprit s'embrume. Me voilà de nouveau en
pyjama blanc.
Cette fois, nous ne sommes pas seuls.
D'autres personnes sont avec nous, agenouillés sur le parterre de bois, tout
autour. Sur les trois côtés de ce carré d'une dizaine de mètres chacun sont
positionnés des personnes de tous âges. Le dernier côté ne comporte qu'un homme
visiblement plus âgé. Il est le seul à porter une veste blanche sur un pantalon
noir. Assis sur ses pieds, il regarde l'assistance qui attend le moindre signe
de sa part. Son visage, marqué par les années, lui donne une impression de
vulnérabilité. Mais, au fond de moi, je sais qu'il n'en est rien. Il désigne
mon père d'un mouvement du menton, puis un autre homme habillé de la même
façon. Les deux se lèvent, saluent le vieillard avant de se faire face. Après
s'être également salué, ils se lancent dans un combat ou chacun tente de
prendre l'avantage sur l'autre. L'adversaire de mon père parvient à le saisir
par la main. Il se dégage en faisant tourner son poignet et profite du
mouvement de rotation pour, à son tour, l'attraper. Les gestes des deux
belligérants s'accélèrent sans qu'aucun d'eux ne prennent l'avantage. Jusqu'à
ce que mon père s'abaisse et effectue un balayage. Il enchaîne en portant un
coup vers le visage de l'autre mais stoppant son geste à quelques millimètres
de sa pommette. Le vieillard pousse un cri. Mon père aide son concurrent à se
relever. Ils se saluent, saluent le maître et vont se rasseoir à leur place.
Le rêve change. Nous sommes dans les ruines
de ce qui fût une cité antique. Mon père me dit que ce que je regarde se nomme
"La porte des Lionnes". Il me raconte la magnificence de ce qui fût
autrefois la ville de Mycènes. Il prend un ton fiévreux en expliquant les
mythes liés à ce lieu. Cette ville avait connu une période faste durant
laquelle elle avait régné sans partage sur la région, puis avait été détruite.
Certains expliquaient sa destruction par des causes naturelle comme un grand
tremblement de terre. Mon père avait sa propre théorie, basé sur des mythes, un
en particulier : celui du Basilic. Cela lui avait valu la risée de ses
confrères, mais il m'en parlait avec conviction. Il décrivait ce monstre comme
un mélange de molosse et de reptile. Condamné à figer dans la pierre tous ceux
qui respireraient son haleine fétide. Je me souviens des cauchemars qu'il avait
produit en moi. Un en particulier, dans lequel je me voyais courir dans
d'étroits couloirs de pierre, poursuivit par une chose dont je ne percevais que
le bruit des griffes sur le marbre du sol. Persuadé de ne pas pouvoir
m'échapper, je lui faisais face dans une pièce circulaire. Le plafond était un
dôme percé d'un trou par lequel on pouvait distinguer le ciel. Je me réveillais
dans un cri tandis que je retenais mon souffle pour échapper aux volutes de
fumée que sa gueule exhalait.
Ce souvenir devait être réellement
puissant, car il me tire instantanément de mon sommeil. J'ai le visage perlé de
sueur, les mains moites et tremblantes. Le fait de sentir Alcinoa lovée contre
moi m'aide à remettre de l'ordre dans mes pensées. Je lui caresse les cheveux
en scrutant ce qui nous entoure. L'aube pointe donnant à la moindre branche des
allures effrayantes. La brume matinale ajoute à l'atmosphère lugubre. Soudain,
mon oreille est attirée par un son incongru. Je me dégage lentement pour ne pas
réveiller Alcinoa qui dort à poings fermés. Elle se retourne tournant le dos à
ce que j’entends approcher. Je me lève en dégainant mon arme. Je prends mon
bouclier et me campe solidement sur mes pieds. Mon regard détaille chaque
endroit du paysage. Rien ne bouge. Hors de question d'avancer, cela la
laisserait vulnérable. J'essaie de préciser l'endroit d'où vient le bruit ainsi
que de l'identifier. Ce n'est pas un bruit de pas. C'est un...
Au moment où je comprends de quoi il
s'agit, la chose surgit du ciel, fondant sur moi avec un cri rauque. C'est un
monstre mi-femme mi-vautour, une harpie.
Elle plonge dans ma direction avec les
serres en avant. Ces griffes acérées crissent sur le métal de mon bouclier. Je
tente une attaque de taille mais elle s’élève en quelques battements d’ailes.
Comment atteindre un ennemi hors de portée ? Je fronces les sourcils en la
voyant entonner une mélopée qui génère une sphère lumineuse entre ses pattes.
Je comprends ses intentions au moment où elle s’apprête à la lancer. Elle
maîtrise la glace. Je me mets en position pour parer cette attaque. Elle la
balance avec une hargne rageuse qui n’a d’égale que le cri qu’Alcinoa
émet :
- NON ELI ! PAS LE BOUCLIER !
Mon corps réagit bien avant que mon esprit
ne percute. Je me jette sur le côté afin que mon bouclier ne reçoive pas le jet
de glace. Je n’ai pas le temps d’établir une stratégie. Elle me bombarde
littéralement. Des stalagmites apparaissent à chaque endroit que je quitte en
plongeant, tantôt à droite, tantôt à gauche. Le dernier que j’effectue me place
aux pieds d’Alcinoa. Elle est prisonnière d’une colonne de glace issue de la
première attaque que j’ai esquivé. La voir ainsi figée, incapable de faire
quoique se soit me met en rage. Je pousse un hurlement qui fend la prison
d’Alcinoa mais surtout, qui me donne un répit. En effet, ce cri a obligé la
harpie à se protéger les oreilles. C’est le laps nécessaire à me permettre de
riposter. Je combats la glace par le feu, celui de ma colère. Les deux boules
de feu que le lui balance font le double de la taille de mes précédentes. Mais
elle est leste la garce. Elle esquive les deux projectiles aisément sans
réussir à m’empêcher de libérer la tête d’Alcinoa qui aspire une grande bouffée
d’oxygène. Le combat s’éternise, aucun des belligérants ne parvient à prendre
l’ascendant.
- Eli… Eli… j’étouf…
Comment n’y ai-je pas pensé avant ?
Bien sûr, j’ai libéré sa tête, convaincu que cela suffirait pour qu’elle
respire. Seulement son cocon de glace ne permet pas à sa poitrine de se
soulever. Sans parler du froid qui doit la mordre profondément, elle, une fée
florale. En voyant ses yeux roulaient tandis qu’elle perd connaissance, j’hurle
une nouvelle fois son prénom. La glace explose sous l’intensité du son. Alcinoa
s’effondre comme une poupée de chiffon. Elle n’est pas la seule. La harpie est
clouée au sol, du sang s’écoule de ses oreilles. Son regard est un savant
mélange de rage et de terreur. Je saisi l’occasion pour porter une attaque dont
je n’envisageais pas la portée. Sans quitter mon adversaire des yeux, ma main
se tend en direction du lit de glace sur lequel est allongée ma fée. Mon poing
se ferme, ce qui attire chaque éclat à moi. Dans la même seconde, mon bras
effectue un mouvement circulaire pour se tendre devant celle que je hais le
plus à cet instant. Elle ne comprend que trop tard ce que cela signifie. Aucun
battement d’aile ne peut l’emmener hors de portée de la volée meurtrière qui
lui déchire les chairs transformant les plumes en poussière noire.
Alcinoa ne respire plus que faiblement, un
râle à peine audible. Elle est gelée. Je la prends dans mes bras, la serre pour
transmettre ma chaleur. Sans y penser, mon corps se met à émettre une lueur
diffuse. Je ne suis pas seulement capable de faire apparaître des boules de
feu, je peux également modifier ma température corporelle. Il faut plusieurs
longues minutes avant que l’esprit engourdi d’Alcinoa reprenne le dessus. Elle
est incapable de sentir, ni la morsure du froid, ni le baiser chaleureux de ma
peau qui la réchauffe. Mais son corps, bien que privé du sens du toucher,
réagit conformément à mes attentes. J’ai soudain le déclic, je sais ce qui
pourrait lui faire du bien.
- Alci, il faut que tu m’expliques comment
me servir de ton bâton. Tu en as besoin.
Elle me sourit fébrilement. C’est la
maîtrise de l’élément qui peut m’aider, m’explique-t-elle. En l’occurrence,
pour ce bâton, l’eau. Il me faut sentir la pierre, mais aussi les blessures à
guérir. La pierre sert de loupe, elle met en exergue chaque détail de son corps
blessé. Je suis abasourdi par la douleur que cela me fait. C’est comme si je
partageais son mal. Soudain la pierre se met à luire. Elle m’explique qu’elle
se charge de la quantité suffisante d’énergie pour être efficace. Je vois ses
yeux nimbés de larmes de douleurs suivre la lueur de la pierre devenir plus
importante. Quand mon cœur ne supporte plus de la voir souffrir, la lueur se
transforme en un rayon qui la recouvre. Ses yeux se ferment, son visage
s’adoucit. ça fait effet, je
jubile. Elle soupire, se détend, sa peau retrouve sa couleur naturelle. Elle
esquisse un sourire qui me pousse à lui demander :
- Te sens-tu mieux ?
Je me rends compte trop tard de la
stupidité de ma question. Elle n’est pas en mesure de ressentir quoi que se
soit. Pourtant…
- Je crois que oui. Curieusement, j’ai
l’impression d’être assaillie de pensées positives. Tu as donc dû me guérir en
profondeur. Pas uniquement mon corps, mais mon esprit également. Stauros
m’avait ruiné, maintenant, je me sens capable de t’accompagner au bout du
monde.
Je relève que Stauros a bien eu une
conversation privée avec elle plutôt alarmante. Ça n’est pas le moment de
revenir là-dessus, je risque de gâcher l’effet du bâton. Elle me tend la main
afin que je l’aide à se relever, ce que je fais. Elle me glisse dans un souffle
que nous devons presser le pas car d’après Stauros, « les choses
s’aggravent dans ce monde ». Je n’y tiens plus, je lâche la question
« comment ça ? » Loin de l’attrister ou de l’ébranler, elle
semble se libérer en me répétant mot pour mot l’échange avec lui. Je commence à
avoir un sentiment étrange à son égard. Méfiance, il ne me reprendra pas à lui
tendre la main. Colère, il ne dit pas tout, ce qui n’arrange pas la situation.
Frustration, sentiment d’impuissance face ce que l’on ne peut maîtriser.
La nuit suivante, passé dans le village de
Tégée, mes rêves se mélangent. Entre les passages dans lesquels je me bats
affublé du pyjama blanc, s’intercale des moments où je plonge ma lame dans le
ventre de Stauros avec délectation.