Partie
5 - Chapitre 10 - Basile.
J’ouvre
les yeux après un battement de paupières. C’est la première fois que je vois
cette pièce. Les murs sont faits de torchis. Le plafond est en bois, des
planches grossières qui laissent apparaître le chaume qui doit servir
d’isolant. Sur ma droite, face à la porte d’entrée, une cheminée dans laquelle
pend un chaudron. Le sol est en terre battue. Les meubles sont en bois
rudimentaire.
Face à
moi, deux personnes. Elles me tournent toutes deux le dos. Elle, une fée
gracieuse qui porte une armure qui lui retient les ailes dans le dos. Elle
arbore une longue chevelure tressée à la couleur nuancée de rose au parme. Ses
courbes sont voluptueuses, à damner un saint. Heureusement, je n’en suis pas
un. Lui, peut être. Il a les mains posés contre le mur, de chaque côté d’une
fenêtre ridiculement petite. Il regarde au sol en secouant la tête dans un
mouvement de négation. Comme s’il était blasé par quelque chose. Les deux se
tournent vers moi. Elle a un regard mitigé. Il me transperce des yeux. C’est
fou, j’ai vraiment l’impression d’être dix ans en arrière, mais dans un péplum.
J’ai devant moi, Elliot Guerreor attifé comme un fantassin et sa femme
transformée en fée.
-
Basile, tu les as amené jusqu’à nous !
Qui est
ce « Basile » ? Moi ? On dirait bien qu’il me parle. A
moins qu’il n’évoque un personnage qui n’est pas présent.
- Euh,
plaît-il ?
L’entrée
fracassante d’un soldat grec me sauve la mise.
- Le
général Léonidas vous fait mander.
La fée
entraîne Eli à la suite du spartiate. Elle se tourne vers moi et me dit :
- Viens
Basile, ne t’inquiète pas, ça va lui passer.
En
passant devant la fenêtre, je vois mon reflet. Je suis, moi-même, revêtu d’une
armure de cuir cloutée, d’une large ceinture à laquelle pend une épée. Je porte
une jupe, non, ce n’est pas possible ! Quelle honte d’être fringué de la
sorte. Pourtant, tous les soldats que je croise portent le même type
d’accoutrement. Il n’y a bien qu’Eli pour rêver de choses pareilles. Je suis
tellement accaparé par l’environnement que je manque de lui rentrer dedans
alors qu’il vient de s’arrêter. J’ai là l’occasion rêvé d’en finir avec lui. Je
n’ai qu’à dégainer et lui enfoncer ma lame à la base du cou. J’en suis encore à
tâter la poignée de mon arme, plongé dans l’indécision, quand il s’écarte. Je
fais maintenant face à un colosse en armure dorée. Elle est tellement sculptée
qu’on la dirait moulée sur son corps sculptural. Il porte à la main son casque
de guerre dont la bannière rouge ondule au vent. Son visage est fermé. Il a les
traits taillés à la serpe. Son regard est pénétrant, il affirme son autorité
uniquement en vous fixant. Mais quand il se met à parler, sa voix ne tolère
aucune contestation.
- Est-ce
toi qui a amener le Jarkore jusqu’à nous ?
Vu la
tronche qu’il tire, je ne sais pas quoi répondre. Ma seule certitude est que
j’ai plutôt intérêt à donner la bonne réponse. Le problème, c’est que je ne me
souviens pas d’avant. Quoi, vous ne suivez pas ? Bien, je vous explique. Je ne
suis pas Basile, je suis dans son corps. Euh, non, je ne suis pas le basilic,
lâchez-moi avec ça ! Bon ! Tanpis, je lui réponds :
- Je
n’en sais rien. C’est possible…
Ma
réponse évasive a le mérite de m’accorder un sursis. A moins que ce ne soit ce
que l’on entend :
-
GRECS ! LIVREZ-MOI VOS INVITES !
-
JAMAIS !
-
Général, avant de répondre de la sorte, vous feriez mieux de regarder à
l’extérieur d’Athènes ! Lui répond le Jarkore, enfin je crois.
Au même
instant, un soldat chargé de veiller sur le mur d’enceinte s’écroule, le corps
criblé de flèches. Celui qui nous harangue continue :
-
Vous ! Spartiates ! Etes-vous réellement prêt à mourir ici, dans une
ville qui vous a tant fait souffrir dans le passé. Une ville que vous avez
toujours détestée !
Je ne
sais pas qui il est, mais il semble bien renseigné sur l’histoire de la Grèce
antique. Visiblement, en titillant les spartiates de la sorte, on sent bien
monté la grogne. C’est alors que Léonidas répond :
- Nous
ne laisserons pas des grecques, fusses-t-ils Athéniens, périrent par des mains
de monstres ! Maintenant, plutôt que de crier de loin, VENEZ GOÛTER AU FER
SPARTIATE !
Tous les
soldats du Général poussèrent un cri en levant leurs armes. Si je n’ai pas
sursauté quand Léonidas a levé le ton, j’ai du me plaquer les mains sur les
oreilles quand ils se sont tous mis à hurler. Mais qu’est-ce que je fous
ici ? Oui, je sais, je suis venu pour celui qui maintenant s’adresse au
général en lui parlant à l’oreille. Je ne sais pas ce qu’il lui dit, mais il me
toise d’un air sombre.
- C’est
hors de question ! Vous êtes un héros, mais je ne peux pas vous laisser
seul face au Jarkore.
- Je ne
suis pas seul, général. J’ai Alcinoa et Basile à mes côtés. Nous avons passé à
travers tellement d’épreuves, que je suis sûr que nous relèverons ce nouveau
défi. Sans compter que vous aurez à défendre Athènes.
- Il
faut déjà qu’ils franchissent les murailles, ça nous laisse…
Si ce
bon vieux général voulait dire « du temps », je crois qu’il se met le
doigt dans l’œil jusqu’au coude. Le craquement du bois sous les coups de bélier
ne présage rien de bon. Par contre, si Eli arrive à le convaincre, ça fera mes
affaires. Une fois seuls, je pourrais facilement le terrasser. Si nous devons
faire face à un adversaire, il n’y aura rien d’étonnant à ce que j’ai l’arme à
la main. Une fois Eli à terre, il ne me restera qu’à retourner d’où je viens et
j’aurais gagné.
- Bien,
je crois que je n’ai pas le choix. Nous ne pourrons pas tenir à 300 sur deux
fronts. Si le Jarkore veut vous avoir, nous aurons les coudés franches pour
faire face à l’armée qui veut entrer. Bonne chance Eli.
Ce
dernier se tourne vers moi. Il me fait un signe de la tête pour m’inviter à le
suivre. Il me passe devant, la fée lui emboîte le pas. J’ai toujours la main
crispée sur la garde de mon glaive. C’est alors que je le voie saisir son arc,
il nous mène au combat, c’est le moment. Ma lame est à la moitié du fourreau
quand il se retourne pour me parler :
-
Basile, Alcinoa, le général pense que le Jarkore tient l’acropole. Il ne pourra
donc nous rejoindre qu’en descendant l’escalier qui est au bout de cette rue.
J’attends de vous que vous vous mettiez en planque de chaque côté.
- Je ne
suis pas d’accord. Il faut que nous fassions front ensemble Eli !
Oulà, il
y a de l’eau dans le gaz entre les époux Guerreor. Par contre, je suis d’accord
avec elle, car si nous ne sommes pas ensemble, je n’atteindrais pas mon but. Je
n’ai pas envie de rester plus que nécessaire dans ce rêve débile.
- Moi
aussi, je suis pour. L’union fait la force, si on se sépare, le Jarkore nous
vaincra.
Le
visage d’Eli se crispe. Il n’apprécie pas mon avis. Je décide d’enfoncer le
clou :
- Tu
n’as aucune chance sans nous.
Il se
décompose. Je dois toucher exactement le point sensible. Si je continue, il va
exploser. J’aurais ainsi l’occasion de le vaincre. Je dois le pousser à s’en
prendre à moi.
-
Combien de fois est-ce que je t’ai sauvé la mise, hein ? Qu’est-ce qui
peut bien te faire croire que tu le battras, toi seul ?
Je vois
son visage blanchir. Je connais bien Elliot Guerreor. Quand on arrive à ce
niveau, il est déjà bouillant de colère. Il ne tolère pas qu’on doute de ses
capacités. Seulement, il a une chance insolente, celui d’avoir une femme
exceptionnelle. La fée intervient :
- A quoi
tu joues Basile ? Tu crois peut être que nous aurions pu survivre sans le
concours des uns et des autres ? Tu dois la vie autant à Eli, que lui te
la dois. C’est en équipe que nous sommes parvenus jusqu’ici, c’est en équipe
que nous continuerons.
Cette
dernière phrase était plutôt destinée à Eli qu’à moi. J’ai un sentiment étrange
vis-à-vis de cette fée. Elle a les traits d’Alicia, mais pas son caractère.
C’est bizarre, on dirait… Non, ça n’est pas possible. Je n’ai pas le temps de
réfléchir davantage. Plusieurs flèches à l’empennage noir se figent au sol à
moins d’un mètre de nous. Vu la façon dont elles se sont plantées, les archers
auraient pu nous avoir. C’est pour attirer notre attention et c’est réussit.
Je lève
les yeux vers les escaliers qui mènent aux Propylées. Sortant de l’ombre des
colonnes, un homme athlétique se dirige d’un pas sûr vers nous. Sa voix
s’élève, portée par l’acoustique de l’environnement.
- Si
vous tentez de m’atteindre de loin, mes archers vous transperceront !
Il est
trop tard pour le duel face à mon adversaire de toujours. Il va nous falloir
déglinguer ce pantin avant que je puisse lui donner sa dernière leçon. Eli lui
répond :
-
Qu’est-ce que tu veux ? Pourquoi ne pas nous tuer de loin, si c’est si
simple ?
Il est
dingue. Pourquoi ne pas se foutre à poil tant qu’on y est. Mais l’autre n’est
pas gêné de faire la conversation à longue distance, quoiqu’elle s’amenuise.
- Je
détiens le dernier sens de ton amie. Notre duel est écrit. Mais je te préviens.
Ce n’est pas innocent que je sois le dernier de tes adversaires. Les autres
n’étaient que des minables.
- C’est
sympa pour eux ! Je suis sûr qu’ils vous tenaient en haute estime
également.
Il
éclate de rire. J’hallucine, on dirait de vieux potes qui se mettent en boite.
Pourtant, quelque chose me dérange. Je scrute l’homme qui s’avance. Bien qu’il
soit masqué, sa démarche ne m’est pas étrangère. Il porte une armure qui semble
être le juste milieu entre souplesse et solidité. Quelle peut-être la
matière ? Du cuir cousu sur une cotte de maille ? Ce n’est pas ses
vêtements qui me chagrinent. Non, ça vient d’autre chose. Quand il se remet à
parler, je n’en reviens pas :
- Je te
propose un duel à mort. Toi contre moi. Ni plus, ni moins.
- Bien
sûr, et si je te bats, tes archers nous finiront.
- Si tu
gagnes, mes archers ne te poseront plus aucun problème, crois moi.
Le voilà
au bas des escaliers. Il se dresse face à nous, de l’autre côté de la petite
place ou nous nous trouvons. Si l’intensité du moment n’était pas aussi
palpable, je pourrais m’extasier devant la magnificence de l’acropole en
arrière plan.
Dire que c’est un champ de ruine maintenant. Il n’y a bien qu’Eli
pour rêver de choses disparues. La fée est inquiète, ça s’entend au son de sa
voix.
- Eli,
tu ne vas pas le croire.
- Mon
amour, s’il ne tient pas parole, tu n’auras qu’à le carboniser. Mais, j’ai une
étrange impression. Il ne plaisante pas. Ne me demande pas de l’expliquer, mais
je suis convaincu que ce duel va mettre un terme à notre quête, d’une manière
ou d’une autre.
Il
cueille son visage aux creux de ses mains et pose ses lèvres sur les siennes.
Je les ai vu le faire des centaines de fois. Et comme à chaque fois, la
jalousie me consume de l’intérieur. Pourquoi lui et pas moi ? Qu’a-t-il de
plus que moi ?
Eli pose
son arc, son carquois au sol. Il dégaine son gladius tout en se dégageant de
l’étreinte de la fée. Je n’en reviens pas de faire et dire ça. Alors que je lui
attrape le bras, je lui dis :
-
Laisse-le. C’est sa révérence.
Je suis
incapable de vous décrire la lueur que j’ai vu dans le regard de cette femme
aux allures si fragile. Mais je peux vous assurer qu’elle n’a rien d’une poupée
de porcelaine.
Les deux
adversaires se jaugent, à quelques mètres l’un de l’autre. Chacun porte gladius
et bouclier. Seul le Jarkore porte un masque. Quelque soit l’issue du combat,
je suis gagnant. Soit il meurt et je n’aurais plus rien à faire ici. Soit il
survit, et la fatigue me rendra la tache plus facile. Je n’ai qu’à savourer le
spectacle et attendre la fin.
Ah, ça y
est, ça commence !