Partie 4 - Chapitre 10 - Alcinoa
Je suis complètement perdue.
D'abord, il y a ce curieux personnage qui prétend être le père d'Éli. Ses
révélations sur son passé n'ont rien à voir avec mes souvenirs. Puis il y a la
déclaration de l'oracle. Qu'en comprendre ? Je ne fais qu'un avec le dormeur.
Pourquoi a-t-elle appelé Éli de la sorte ? Cerise sur le gâteau, nous devons
délivrer un fabricant de héros. Jusque là, nous n'avions pas besoin de l'aide
de quiconque. Hormis celle de Basile bien sûr. J'ai bien cru qu'Éli allait le
fendre en deux quand elle a parlé de parasite. Il doit être aussi égaré que
moi.
Nous marchons depuis une bonne
demi-heure dans un silence troublant. Même la nature semble nous laisser
réfléchir aux paroles de l'oracle. A quoi mes compagnons peuvent-ils penser ?
Au bien fondé de cette quête ? À moins que ne soit à notre devenir ? Après tout,
une fois mes sens récupérés que va-t-il se passer ? Un nouveau portail
apparaîtra pour nous ramener à l'endroit que nous avons quitté ? Tant de
questions sans réponses.
Le rugissement de la chimère se
fait à nouveau entendre. Elle se rapproche de nous. Pourtant, nous ne sommes
pas son gibier. Le vieil homme doit nous suivre. Je m'arrête. Il doit être
proche, peut être nous regarde t-il en ce moment même.
- Vieillard ! Montre-toi !
Éli se retourne précipitamment.
Je ne vois pas son visage, mais je suis certaine qu'il reflète l'espérance. Ça
transparaît dans le ton de sa voix.
- Alcinoa, qu'est-ce que tu as ?
Tu veux attirer la bête.
Une pointe d'agacement perce dans
ma réponse.
- Si la bête se rapproche, c'est
qu'il n'est pas loin.
Si Basile et Éli sont
inefficaces, ce n'est pas mon cas. Il ne me répond pas. Est-ce qu'il a enfin
admis que j'en avais marre d'être la petite chose précieuse qu'il faut protéger
? À moins qu'il ne s'inquiète pour son père, si tenté qu'il le soit. Mes
compagnons s'arment, ils s'attendent à ce qu'elle nous attaque. Pourquoi le
font-ils alors qu'ils savent que c'est vain ? Réflexes de guerriers ? Je
profite de ce moment pour sentir les éléments autour de moi. La rivière qui
coule non loin. L'air chargé d'électricité synonyme d'orage qui s'approche. Le
vieil homme a dit que la chimère s'adaptait aux attaques précédentes. Mais
comment peut-elle résister à l'asphyxie ? Je ne vais pas tarder à avoir la
réponse.
Le vieil homme surgit du sous
bois en trombe. Ses vêtements sont arrachés et sanguinolents. La chimère a dû
parvenir à le toucher d'un bon coup de patte. Il a un regard désespéré. Je
pense en deviner la raison car il ne regarde que moi. Il sait que son fils ne
le voit ni ne l'entend. Il compte sur moi une nouvelle fois pour transmettre
son message. Peut être a-t-il les réponses aux énigmes de l'oracle. Mais pour
l'heure, il nous faut une nouvelle fois nous débarrasser du monstre qui le
pourchasse.
Alors que la chimère entre à pas
de loup, je vois Éli remettre sa lame au fourreau. Serait-ce un sourire qui se
dessine sur ses trois têtes ? Ça tient plus de la grimace.
- Ainsi tu es parvenu à retrouver
celle qui t'a aidé hier. Je ne crains plus rien de sa part !
Je vois rouge. Elle se pense
immunisée contre moi. C'est ce qu'on va voir. Je laisse les éléments
m'imprégner. Je sens l'eau toute proche. Sa force me pénètre. Jusqu'à
maintenant, je l'ai toujours utilisé de manière bénéfique, voyons l'autre côté.
Le sourire de la chimère
s'estompe quand elle constate que la rivière sort de son lit pour ramper
jusqu'à moi. J'avance doucement afin de prendre place entre le chasseur et sa
proie. C'est vrai que je ne le porte pas dans mon cœur. Mais je ne peux pas
laisser ce monstre tuer cet homme. La chimère vomit une fois de plus un torrent
de feu. N'a-t-elle donc rien retenu de notre affrontement ? La colonne de feu
arrive à grand vitesse vers moi, calcinant toute végétation sur son passage.
Soudain, à un mètre de moi, elle oblique. Comment fait-elle cela ? Elle dirige
les flammes pour atteindre... Non !
Éli est frappé de plein fouet.
Quand les dernières volutes incandescentes le touchent, je le vois ! Il est lui
même rougeoyant. Il est parvenu à se muer en un colosse de roche. Ainsi il est
indemne. Le choc est visible sur les trois têtes du monstre. Peu de temps car
elle bondit toutes griffes dehors. En réflexe, je tends les mains devant moi
pour me protéger. L'eau obéit à mon esprit. Une vague repousse l'attaque. La
chimère n'apprécie pas d'être mouillée. Elle s'ébroue avant de repartir à
l'assaut. Je dois reprendre les rennes du combat. C'est sans compter sur la
vélocité de mon adversaire. Les trois mâchoires claquent à quelques centimètres
de moi. Le sol est trempé, c'est ma chance. Je visualise un lac gelé pour
emprisonner les pattes arrière du monstre. Elle répond à ma ruse en soufflant
son haleine brûlante tout en continuant d'attaquer à l'aide de ses deux autres
têtes. Mais comment un vieillard a-t-il pu parvenir à vaincre un tel monstre ?
Je m'offre un bouclier de glace
et une lance en stalactite. Tel un hoplite aguerri, je parviens à tenir la bête
à distance. C'est alors que mes compagnons me viennent en aide. Éli en colosse
de roche assène de violents coups de masse qui trouvent les cornes de la tête
de bouc. Basile, qui ne manie pas encore les éléments avec autant de sûreté,
choisit d'utiliser une nouvelle fois le feu. Vainement.
- Elle est insensible au feu
depuis que je l'ai incendié en retournant se flammes contre elle.
J'en avais presque oublié le père
d'Éli. D'un rapide coup d'œil, je le vois à genou derrière nous. Il trace un
message sur le sol. Le fait d'avoir détourné mon attention durant quelques
secondes me coûte cher. D'un coup de griffes, la chimère explose mon bouclier
tout en m'ouvrant une plaie dans l'avant-bras. La douleur me fait lâcher mon
arme. Éli comprend la menace, il change de tactique. Avant même que la bête
n'en profite, il se jette sur elle et la saisit à bras le corps. La mâchoire de
dragon se referme sur son épaule. La pression doit être terrible car plusieurs
dents cassent sur la roche. Pourtant Éli ne lâche pas prise. Je voudrais
pouvoir attaquer avec des piques de glace, mais je risquerais de toucher mon
amour. Basile tente de la pourfendre de son épée. Là encore en vain. Alors que
je reste indécise, le père d'Éli ramasse ma lance de glace et charge. La
chimère rugit de douleur tandis que sa tête de bouc cesse de bouger. C'est à ce
moment que le coup fatal s'en suit. La queue de scorpion s'abat lourdement sur
le vieillard qui hoquette de douleur. J'ai beau crié un "non"
déchirant, elle a atteint son but. Éli, maintenant sur son dos, transforme sa
main en une lame de pierre acérée. Il la plonge entre les omoplates de la
chimère qui s'effondre. Dans un éclair de lucidité, je me saisis de mon bâton
et projette mon rayon de soin sur le vieil homme qui gît au sol. Les deux
belligérants sont touchés au même endroit. Les derniers mots du monstre sont :
- J'ai gagné...
A-t-elle compris que l'un et
l'autre étaient liés ? Alors que son corps se change en une poussière noire,
Hector lui répond :
- Personne ne sors vainqueur d'un
tel combat. Si, si (il crache du sang) je meure, tu disparais avec moi...
Ses yeux se referment laissant
couler une larme.
Éli est redevenu normal, je ne
vois plus son visage. Pourtant je suis certaine qu'il regarde son père. A voir
la tête que fait Basile, il doit le voir.
- Qui est cet homme ? Déclare
t-il.
- Mon père... Je crois.
Éli ouvre la terre d'un geste de
la main. Il y place le vieil homme et referme. A peine la terre a-t-elle
recouvert son père qu'une pousse d'arbre sort de la tombe. C'est un cèdre.
L'arbre millénaire.
Je le retourne vers le message
qu'il avait tracé dans la poussière du sol.
- Ne m'oublie pas, mon fils. Je
suis fier de toi.
Est-ce un sanglot qu'il laisse
échapper ? Je n'ai pas le cœur à le lui demander.
Nous ramassons nos affaires et
suivons Éli, qui, une fois encore, se mure dans le silence.
Cette fois-ci, je le comprends.
Houla...Tu manies bien le mélodrame^^ C'est donc la fin d'Hector? Son dernier geste héroïque pour ramener son fils?
RépondreSupprimerFouillouillouille...Tant de questions...
Ah oui, juste une chose, Alciona dit qu'elle a toujours utilisé l'eau de manière bénéfique et qu'elle va tenter "l'autre côté", elle dit "voyANT ça au lieu de voyONS ça..."
Heu, voyANT l'autre côté au lieu de voyONS l'autre côté^^
RépondreSupprimerMerci, c'est corrigé ^^...
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