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samedi 28 juin 2014

Partie 4 - Chapitre 9 - Michel Stauros

Partie 4 - Chapitre 9 - Michel Stauros.
Prendre une cuite n'a pas été la meilleure idée que j'ai pu avoir. Je me suis réveillé en pleine nuit pour rendre le whisky que j'avais ingurgité. Sans compter que je restais avec le même problème que la veille. Comment annoncer à Ophélie son renvoi de l'équipe ? Ne trouvant plus le sommeil, j'ai décidé de me rendre au labo. Après une bonne douche et un café bien serré, j'ai pu le remettre au travail. Dans mes rêves éthyliques, je me suis retrouvé en Grèce antique. J'ai assisté en spectateur à la prophétie que l'oracle de Delphes a donné à un héros. Naturellement, j'ai voulu m'en servir pour Éli.
Après avoir implémenté le scénario dans l'ordinateur, j'ai scruté l'écran en vue d'une réaction décelée par les capteurs. Rien de probant. Difficile de savoir s'il est réceptif ou non. Je suis interrompu par du bruit provenant du couloir. Je reconnais la voix d'Ophélie qui n'est visiblement pas contente.
- Professeur Stauros ! Je sais que vous êtes là. J'ai un problème avec ma carte d'accès. Ouvrez-moi !
Je me dirige vers la porte. Le moment que je redoutais est arrivé. Je n'ai toujours pas décidé quoi lui dire. J'ouvre, elle est en tenue de travail. Sa blouse d'infirmière sent bon la lessive. C'est bien la première fois que je remarque ce détail. D'habitude, son parfum couvre largement toute autre odeur. Mais je n'ai pas le temps de divaguer, elle fait mine de vouloir passer.
- Qu'est qui se passe ? Pourquoi ne me laissez-vous pas entrer ? Et pourquoi ma carte ne fonctionne pas ?
- Vous n'êtes plus sur ce programme.
- Vous dites ça comme ça, sans autre forme de procès !
- Je n'ai rien à ajouter. Vous m'avez bien aidé, maintenant, je vais terminer l'opération seul.
- Pour quel motif me renvoyez-vous ?
- Je viens de vous le dire. La phase terminale du processus de résurgence ne nécessite plus votre présence.
- Vous vous foutez de moi. J'ai signé un contrat pour aller jusqu'au réveil du patient. J'ai déjà enduré suffisamment pour me faire débarquer à ce stade.
- Vous n'avez qu'à saisir le syndicat si ça vous chante, maintenant, j'ai à faire. Passez une bonne journée.
Je ferme la porte derrière moi pour lâcher un gros soupir. Après deux secondes de silence, j'entends Ophélie vociférer des insultes, des menaces d'aller directement à la direction. Si elle savait que c'est ce même directeur qui est à l'origine de son renvoi du programme.
Je reporte mon attention sur les moniteurs de surveillance. Je constate que la zone du cerveau dédiée à l'imagination est toujours active. Ça signifie qu'Éli a intégré l'insertion de l'oracle. Reste à savoir comment il va réagir à la quête secondaire. Hector est paisible, mais je pressens que ça ne va pas durer. Ses statistiques sont en régression. Depuis son "immersion", il n'y a eu qu'un moment d'activité commune. En fait, non, il y en a eu une autre, mais elle n'a pas stimulé la même partie du cerveau. En y regardant à deux fois, je m’aperçois que c’est carrément le fonctionnement du cerveau qui change. En règle générale, il est accepté que l’homme utilise son cerveau différemment de la femme. Ce qui engendre chez l’homme des connexions intra-hémisphériques (à l’intérieur d’un même hémisphère). Alors qu’elles sont inter-hémisphériques (d’un hémisphère à un autre) chez les femmes.
Oui, je comprends, c’est du lourd. En clair, la première fois qu'Éli est entré en contact avec son père, il a utilisé son cerveau comme le ferait une femme. Par contre, la seconde fois, il a géré cette rencontre de façon masculine. Et ça, c’est pas normal. A moins que…
Je me lève d’un bond, attrape ma veste, et sort du labo en prenant soin de refermer la porte. Je grimpe les marches de l’escalier quatre à quatre en direction de mon bureau. J’y entre en trombe. Devant les étages de ma bibliothèque, je parcoure du doigt les différents volumes. Enfin, je trouve le traité de psychologie analytique de Carl Gustav Jung. Je le feuillette jusqu’à parvenir à mon explication : l’anima !
Dans ses recherches, Jung a appelé « Anima » la part féminine de l’homme, ou représentation féminine au sein de l’imaginaire de l’homme. Pourquoi n’y ai-je pas songé avant ? Voilà l’explication.
- L’explication de quoi ?
Je fais un véritable bond, laissant échapper le volumineux livre.
- Voulez-vous me faire mourir Alicia ? Que faites-vous donc ici ?
- Excusez-moi, je ne pensais pas vous faire saisir. Nous avions rendez-vous à 10 heures.
Je réalise que je suis depuis plusieurs heures à travailler. J’ai soif et faim aussi. Je propose à Alicia d’aller boire un café au troquet du coin. Elle accepte, mais en revient à la question. Je lui résume donc le fruit de mes observations. N’étant pas avertie en psychologie analytique, je dois lui expliquer le travail de Jung. Devant son regard perdu et sa bouche béate, je devine qu’elle n’a pas compris grand-chose.
- En clair, comme le garçon devient un homme, l’anima, sa part féminine, passe par plusieurs stades, quatre pour être précis.
- Et vous pensez qu'Éli est en train de refaire le processus.
Surpris d’une synthèse si logique, j’acquiesce.
- Donc, je résume. Mon mari a eu un accident qui l’a plongé dans le coma. Durant les dix dernières années, son esprit est redevenu celui d’un enfant. Votre expérience a remis en marche le processus d’indivu quelque chose.
- Individuation. Je le pense, mais je ne peux pas l’affirmer.
- Je serais donc « l’Anima » de mon mari !
- La premier stade est la femme primitive, la fée en fait partie.
Je lis dans ses yeux la question qu’elle n’ose me poser. A moins que ce soit ma part de doute ou de culpabilité. Est-ce moi qui ai renvoyé l’esprit de son mari au stade infantile ? A moins que cela fasse partie du processus de résurgence.
- Il n’y a qu’à son réveil que l’on aura les réponses.
Alicia a de nouveau cette expression. Comme-ci son regard vous passe à travers. Je ne sais pas dire si c’est un bon ou un mauvais signe. J’espère que je ne vais pas me la mettre à dos, j’en ai déjà assez avec Ophélie. En parlant du loup, je reçois un message de Daniel, il faut que je retourne sans délai à l’hôpital.

J’abandonne Alicia à ses pensées. Elle me fait un signe de la main, un sourire éphémère se dessine aux commissures de ses lèvres. Elle est inquiète. Je le suis aussi, mais pas pour les mêmes raisons.

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