Partie 5 - Chapitre 7 - Michel Stauros
Ça fait maintenant deux heures
que j'essaie de joindre Alicia. Il faut absolument que je la prévienne. Son
mari a prononcé, pour la première fois en dix ans, son premier mot. Je me
repasse en boucle la vidéo. J'entre dans la chambre afin de réaliser quelques
tests cognitifs. Je me vois lui prendre la main, la laisser retomber sur le
lit. À l'aide d'un petit marteau, j'administre quelques coups et constate la
réaction réflexe. Le tout est bon signe. Son corps réagit bien.
Il m'a fallut revoir deux fois la
séance pour déceler l'accélération du pouls. Il était présent, dans son corps.
Normal, allez-vous me dire. Oui et non. Il est extrêmement rare d'être
spectateur de la genèse d'une résurgence. Mais ça veut dire que mon procédé
fonctionne. Le Michel Stauros d'il y a un mois aurait pensé au Pulitzer. Pas
celui d'aujourd'hui. Il y a eut trop d'événements depuis le démarrage de cette
expérience pour ne pas avoir été changé.
Soudain, un doute m'assaille. Comment
savoir si la personne qui a prononcé mon nom est bien Elliot Guerréor ? Depuis
le coma de son père, je n'ai pas moyen de savoir quelle conscience émerge.
Hector est lui-même plongé dans un coma profond. Il serait mort si Alicia ne
m'avait pas obligé à le mettre sous respirateur. En cela, j'ai enfreint la
volonté de mon patient pour respecter celle de son plus proche parent, sa bru.
J'échafaude une théorie, déjà
pour me convaincre. Ensuite, je pourrais l'expliquer à Alicia. En commutant
l'esprit d'Hector à celui de son fils, il est possible que sa conscience ait
migrée. Je vois deux raisons à ça : premièrement, la volonté qu'il avait de
parler à son fils avant de mourir. Deuxièmement, le désir qu'à tout être de se
raccrocher à la vie. Or, son corps étant abîmé par la maladie dégénérative dont
il est atteint, il en avait l'opportunité. Le problème reste que dans ce
voyage, il faut également pouvoir rester en vie. Puisque je fais subir à Éli un
voyage initiatique qui est loin de tout repos, Hector s'est peut être mis en danger.
Si la personnalisation d'Hector se fait tuer dans le rêve de son fils, peut-il
revenir ? Y-a-t-il un lien entre la conscience de l'être humain et son corps ?
La science n'a rien établit sur le sujet. Toujours est-il qu'Hector ne répond à
aucuns stimuli réactionnels. Pourrait-il entrer en contact avec moi via le corps
de son fils ? Il faut que je me prépare quelques questions pour pouvoir
identifier celui qui me parle. Dans l'éventualité ou il me parle à nouveau.
J'ai retracé les différentes
séquences du parcours d'Éli. J'en suis venu à être à 70% convaincu qu'il devait
dormir dans son rêve. Ce qui induit qu'à son prochain sommeil, il se peut qu'il
revienne à la réalité. Cette hypothèse serait factuelle si la conscience
d'Hector n'avait pas migré. Qu'est-ce qui pourrait accréditer la thèse de la
migration ? Il me faut revoir les vidéos plus anciennes. Celles ou Hector est
en contact avec son fils. Si son corps réagit, ça pourrait dire qu'il n'y a pas
de migration mais collaboration.
Je glisse le pointeur de mon
écran vers un fichier vidéo plus ancien. D'après mes notes, Éli n'est pas
encore arrivé à Delphes quand il rencontre son père. Je divise l'écran en deux.
À gauche, je mets Éli, et à droite son père.
Les réactions des deux hommes
coïncident à plusieurs moments. D'abord de manière fugace, comme si l'un des
deux ne partageait pas la rencontre. Puis il y a correspondance. Éli a son
pouls qui accélère, alors que celui d'Hector se calme. Il a dû, à ce moment
précis, entrer en contact avec son fils. Le fait d'y parvenir le rassure.
Peu après, ils doivent combattre.
Chacun est nerveux, leurs corps sont pris de soubresauts. Comment ça a pu
m'échapper ? Je n'en reviens pas. Le rêve doit être particulièrement violent.
Leurs respirations s'emballent. Soudain, Hector est saisi de spasmes. Il se
raidit, chaque muscle de son corps est crispé. Puis il s'affale. Son cœur
s'arrête. C'est à ce moment que le personnel intervient pour le réanimer. Il
sera intubé car il ne parvient plus à respirer seul.
J'en conclu que l'esprit d'Hector
devait bien être dans son corps. Ce qui induit que c'est Éli qui a prononcé mon
nom. Je suis songeur quand je coupe la vidéo. Je laisse l'écran partagé et
affiche le direct. Éli est calme, je ne sais pas ce qu'il rêve, mais rien ne semble
l'affecter. Par contre, je discerne quelque chose de changer chez Hector. Ses
yeux "roulent" sous ses paupières. Je me lève pour aller voir ça de
plus près. J'entre dans la chambre et m'approche d'Hector. Il rêve !
- C'est génial ! Il n'est pas
mort.
Mon enthousiasme m'a fait parler
à voix haute. Je me demande s'il pourrait respirer seul. C'est délicat. Je
débranche le tube du respirateur. Rien ne se passe. Je regarde ma montre. Pas
plus d'une minute et je rebranche. Tout ce qui se passe autour de moi disparaît
pour ne laisser que le cadran de ma montre. La trotteuse franchit le
"3". Toujours rien d'autres que les mouvements oculaires.
"6". Je sens la sueur perler sur mon front. J'aimerais tant que ce
vieil homme puisse revenir. Il serait témoin de la résurgence de son fils. Il
pourrait lui parler de vive voix. Je n'ai pas le privilège d'être père, mais
j'imagine qu'il y a des choses que l'on souhaite dire avant de partir.
"9" J'approche l'embout du tube du respirateur.
"10". Quel
dommage.
"11".
- Allez Hector, secoue-toi !
Il prend une grande inspiration, comme
un homme qui passe la tête hors de l'eau.
- OUI ! C'est ça, respire !
Le souffle passe par le tuyau. Sa
poitrine se soulève et s'abaisse en signe d'une respiration, fébrile certes,
mais tout de même.
J'ai bonne espoir que son esprit
revienne et qu'il reprenne connaissance sous peu. Je prends une chaise et m'assoie
à proximité. Je souffle en m'adossant. Qui a dit que les médecins avaient une
vie tranquille ?
Il faut que j'arrive à joindre
Alicia. Je choisi de lui envoyer un texto, il est quand même deux heures du
matin. Je vais devoir veiller toute la nuit.
Tandis que je laisse mon esprit
vagabonder, Éli entre dans une phase de rêve. Il s'agite sur son lit. Sa tête
tourne d'un sens puis d'un autre. Qu'est-ce qu'il voit ? Il a dû arriver à Athènes.
À moins qu'il ne soit en train de traverser, les lignes ennemies. Non, j'ai
remarqué que quand il combat, ses poings se crispent. Ce n'est pas le cas. Je
me lève pour m'approcher. Sa tête s'immobilise. Son pouls s'accélère à nouveau.
Je m'approche. Au moment ou je tends la main vers son visage pour soulever une
de ses paupières, il le saisi le bras fermement. Je sursaute.
- Stau....ros...
- Éli, vous m'entendez ?
- O... Oui !
- Excellent ! Savez-vous ou vous
êtes ?
- Athènes...
- Oui, enfin, non, ici,
savez-vous où vous êtes ?
- Jarkore... Qui est...
- Éli, Athènes est un rêve. Là,
vous êtes dans le monde réel.
La pression de sa main se relâche.
A-t-il compris ce que je lui ai dit ? Alors que j'essaie de me dégager, l'étau
se resserre.
- Stauros... Je vous haïe.
La prise se rompt. Il laisse
tomber son bras sur le lit. Sa dernière phrase m'a glacé le sang. Alors qu'il
me tenait le poignet, ses paupières se sont ouvertes. Il m'a toisé d'un regard
absent mais particulièrement méchant. C'est dingue ! Je jurerai qu'il était
aveugle. Ce constat signifie qu'il n'a pas encore récupérer la vue. Par contre,
il faut à tout pris que je parvienne à lui implémenter des pensées moins
belliqueuses à mon égard.
Il faut que je retourne à mon
labo. Que je prépare la dernière phase. Autant dire que j'ai intérêt à être
convaincant ! Je jette un œil vers Hector. Ses constantes sont régulières.
- Je peux continuer à le surveiller
du bocal.
Je me précipite vers mon bureau
afin de ne pas rompre la surveillance trop longtemps. J'entre, referme la porte
derrière moi et m'assoit devant mon écran. En voyant une silhouette en reflet,
je percute qu'il y a quelqu'un derrière moi. Je n'avais pas fermé quand je suis sorti voir Hector.
Trop tard !
Ma dernière sensation est une
horrible douleur à la tête.
Tout devient noir...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire