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samedi 7 décembre 2013

Partie 2 - Chapitre 5

Chapitre 5 : Michel Stauros.
Je voulais en apprendre davantage sur Eliot Guerreor. Bien sûr, son épouse m'avait fourni un grand nombre de précieux renseignements, mais j'avais l'impression de n'avoir qu'une version. Un peu comme-ci je n'avais qu'une face d'une pièce. Il était maintenant temps de voir le côté face de mon patient.
C'est le coup de téléphone que j'avais reçu hier qui m'en a donné l'idée. Curieusement, cet homme qui se dit être un ami d'Eli, m'a fait réfléchir. Pourquoi ne pas aller voir son père ? Alicia m'en avait dressé un portrait plutôt lugubre. Je me devais, en tant qu'homme de science, d'explorer tout les aspects de la question.
J'arrête ma voiture devant les grilles de la propriété de Monsieur Hector Guerreor. J'appuie sur le bouton du boîtier se trouvant à hauteur de ma vitre avant. Le portail s'ouvre sans même que l'on me demande de me présenter. J'avance en suivant le chemin tout en regardant le parc magnifique que je découvre à mesure. Un petit bois encadre un étang large d'une vingtaine de mètres et long du double. 

Au milieu de l’arrondi le plus proche de la maison, il y a un ponton en bois vermoulu par le temps et l'humidité. La villa est une grande maison de pierre de trois étages si je me fis aux fenêtres donnant sur le parc. Je stoppe devant le perron, sors de mon véhicule et gravis les quatre marches qui me mènent à la double porte en chêne massif. Au moment où je m'apprête à frapper, la porte s'ouvre. J'écarte le lourd battant, entre en appelant.
L'intérieur est déroutant. Je m'attendais à découvrir un hall d'entrée assortit au style de la demeure, avec escalier en marbre et lustre suspendu. Au lieu de ça, c'est une grande pièce à colonnes auxquelles sont fixés des chandeliers de cuivre. Chacun a un cierge qui brûle projetant sur le sol une ombre dans la direction d'un des points cardinaux. Le seul meuble se trouve face à l'entrée. C'est un ancien secrétaire que l'on ouvre en soulevant le rideau de bois. Au dessus, accroché au mur, il y a un cadre arborant la photo d'un homme et d'un garçon posant devant des ruines antiques. De chaque côté de ce meuble, se trouve une porte en chêne. Personne n'est là pour m'accueillir. J'appelle une première fois. La curiosité me fait m'approcher du cadre. Je ne m'aperçois pas que mes pieds foulent un tapis. Soudain je sursaute en entendant :
- STOP ! On se déchausse sur le tatami.
Je recule rapidement vers l'entrée en me confondant en excuse. Mon hôte me fait face, surgissant de l'ombre d'une colonne. Il est vêtu de la tenue des pratiquants des arts martiaux, un kimono à la veste blanche et au pantalon noir tenu par une ceinture de la même couleur. Son visage est marqué par le temps. Ses sourcils broussailleux sont blancs, comme sa barbe et ce qu'il lui reste de cheveux. Il me salut, les bras le long du corps, en se penchant en avant sans pour autant me quitter des yeux. L'idée qu'il voit en moi un possible adversaire me traverse l'esprit. Mais j'avoue être plus à mon aise sur un green que sur un tapis de combat. Il s'assoit sur les talons et me fait signe de faire de même. Je retire mes chaussures maladroitement en me remerciant d'avoir mis mes plus belles chaussettes. Je croise mes jambes devant moi, tentant la position du lotus que je n'ai plus employé depuis les cours de gym de l'école.
Nous restons à nous regarder de longues minutes, quand, n'y tenant plus, je finis par me présenter :
- Je suis Michel Stauros, professeur à...
- Je sais qui vous êtes. Mais je m’interroge sur le motif de votre venue.
Je repense à la façon dont Alicia m'a présenté son beau-père. J'ai du mal à voir dans cet homme, quelqu'un de diminué par la maladie d'Alzheimer.
- Je m'occupe de votre fils, Eliot. Il est un de mes patients et je pensais... J'espérais que vous pourriez m'en apprendre davantage sur lui.
- Eliot est à l'université. Vous devez faire erreur.
Là, je comprends mieux ce qu'elle m'avait dit. Il va me falloir la jouer fine s'il ne se souvient pas d'autre chose que d'un lointain passé.
- Dans quelle université est-il ?
- Celle où il étudie l'histoire ancienne.
- Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ?
- Lors des dernières vacances, il a régressé. C'est sa petite copine qui l'empêche de continuer à s'entraîner.
- Aux arts martiaux ?
- Non, au tricot... Bien sûr, à l'aïkido, il devrait déjà avoir passé son deuxième dan.
Ça se complique. Je n'y connais rien dans cette discipline. Je ne vois pas très bien comment m'en sortir. Je décide donc de changer de sujet.
- Il étudie l'histoire ancienne pour vous aider dans vos recherches ?
Il sourit de coin. Je dois avoir mis le doigt sur un désaccord familial. Autant continuer dans cette voie.
- Vous êtes bien archéologue, non ? Donc l'étude de l'histoire d'ancienne civilisation sera un atout précieux.
- Ai-je l'air d'avoir besoin d'un assistant auquel on aura farcit l'esprit de toutes sortes de fariboles !
Il monte en pression. Faut que je trouve un moyen de l'amener à me parler de son fils. Mais comment faire ? Il me tend la perche.
- J'ai tout fait pour le mettre en garde sur ce que l'on apprend dans ce type d'établissement. Il a appris bien plus de choses à mes côtés durant les dix premières années de sa vie que depuis qu'il est partit.
- Pourquoi est-il partit ?
- C'est une longue histoire.
- J'ai tout mon temps. (C'est un pieux mensonge, mais il ne peut pas le savoir).
Il se met à me raconter sa version. Comment il a élevé son fils en le trimbalant d'un site de fouilles à un autre. La façon dont il utilisait chacun pour lui enseigner l'histoire. Dans le même temps, il lui apprenait l'aïkido, discipline nécessitant de la rigueur, de la concentration, de la connaissance de soi et des faiblesses de ses adversaires. Puis le fameux jour de la rencontre avec celle qui devint sa maîtresse. Je mets un certain temps à comprendre qu'il ne parlait pas d'une femme mais de sa maladie. Doué d'une grande intelligence, Hector Guerreor a deviné, dès les premiers symptômes, qu'il ne serait plus jamais à même d'exercer ni son travail, ni son rôle de père. Avec un grand déchirement, il a fait le sacrifice ultime de se séparer de son fils, pour son bien. Il l'a envoyé dans un pensionnat afin qu'il puisse recevoir la meilleure éducation possible. Certes, pas aussi bonne que celle qu'il aurait reçu en restant à ses côtés, mais une qui ferait de lui un adulte accompli. Soudain, il se lève d'un bon, se met à se battre contre des adversaires imaginaires. Poussant des cris à chaque assaut, je commence à craindre pour mon intégrité. Hésitant à me lever pour fuir, je me risque à poser une nouvelle question :
- Comment a-t-il pris la chose ?
Après quelques moulinets des bras, il pousse une longue expiration en tendant le bras vers moi puis se rassoit.
- Pas très bien au début. Il s'est fait des ennemis parmi les autres élèves. Grâce à mon enseignement, il a triomphé de pratiquement toutes ses peurs.
Je lève un sourcil interrogateur sans avoir à formuler mes pensées car il enchaîne :
- Il s'est imposé comme le meilleur de sa catégorie, seulement il n'a jamais triomphé de son pire cauchemar.
Encore une fois, je dois afficher une expression d'incompréhension car il précise :
- Le basilic l'a toujours terrorisé. Se réveillant la nuit en sueur dans d'horribles cris, j'ai toujours regretté de l'avoir mêlé à ma déchéance.
Il me fait part de sa théorie sur la destruction de Mycènes. Comment les scientifiques de l'époque l’avaient tourné en dérision. Cela avait profondément marqué son jeune esprit au point qu'il en rêvait la nuit. Je note dans un coin de ne pas oublier de me faire confirmer cela par Alicia. J'écoute à moitié les explications farfelues qu'il me donne sur la disparition de cette puissance grecque. Est-ce la réalité ou les divagations d’un homme diminué par la maladie. Je suis plongé dans mes pensées, me disant que j'avais peut être exagéré en plaçant ce monstre en obstacle pour l'obtention du deuxième sens. Quand je réalise qu'il ne dit plus rien. Son regard pénétrant me scrute de sorte que j'ai l'impression d'être transparent. Je lui souris espérant que cette marque amicale pourra mettre un terme à ma visite. C'est sans compter sur sa curiosité. Brillant d'une lucidité que je n'avais pas encore perçue, il m'interroge :
- Vous avez dit qu'Eliot était votre patient. De quoi souffre-t-il ?
Les traits de son visage témoignent d'une profonde lassitude similaire à celle d'un combattant lassé de se battre. Se pourrait-il qu'il s'efforce de lutter contre sa maladie comme si elle était un adversaire redoutable ? Quelque part, ce n'est pas très loin du traitement que j'administre à son fils. Je joue donc la carte de sa vérité. Je lui raconte l'accident, le coma depuis dix ans et ma tentative de résilience. Il m'écoute sans m'interrompre durant toute ma digression. Quand je mets un point à mon récit, il reste prostré. Je laisse passer quelques interminables minutes de silence puis me redresse doucement en expliquant qu'il me faut le laisser. Je suis abasourdi par sa réponse :
- Je vous en prie, sauvez mon fils. Si je peux vous être utile, n'hésitez pas à me solliciter.
Je le salue de la même manière que lui lorsqu'il s'est présenté. Je vois un sourire se dessiner sur ses lèvres. Il s'évanouie rapidement pour laisser la place à un regard effrayant. Je fais les quelques pas qui me sépare de la porte que j'ouvre et referme précipitamment derrière moi. En entendant ses cris, je devine qu'il s'est à nouveau lancé dans un combat que je sais perdu d'avance.

5 commentaires:

  1. Je suis un peu à la bourre... je n'ai pas pris le temps de me relire... Je reprendrais mon texte bientôt en espérant le faire avant que vous ne vous aperceviez de quelque chose...

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  2. Et bien pour un texte rapide, c'est un très bon texte!!
    J'ai été absorbé par l'histoire, j'étais avec Stauros face au père d'Eli, je vivais les sentiments qu'il ressentait...Bref que du bon!
    Bravo!

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  3. Suspens... faudra attendre et rester fidèle pour le savoir... ;)p

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