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dimanche 29 décembre 2013

Partie 2 - Chapitre 8

Chapitre 8 : Alcinoa
C'est la première fois depuis que nous avons franchi le portail que je rencontre une créature féerique. Une dryade, une nymphe de l'eau. 


Elle est apparue non loin de la source qui alimente le village de Tégée. Les habitants ont demandé à Éli de les aider. Beaucoup étaient malades. Leurs symptômes correspondaient à un empoisonnement. Comme à chaque fois, il n'a pas pu refuser. Les hommes encore valides arrivaient avec peine à protéger leur villages des attaques de plus en plus courantes.
Nous avons donc pris le chemin de la source car l'herboriste nous a indiqué que les plantes étaient également touchées. Avant d'y arriver, Éli a dû se frayer un chemin à coup d'épée parmi les araignées de taille humaine. C'est curieux de voir Éli se battre. Enfin quand je dis "voir", vous me comprenez. Je ne discerne que les brassards, l'épée, le bouclier et les jambières. C'est comme si ces objets étaient animés par une volonté propre. Quel soulagement de voir enfin quelqu'un d'autre que Stauros. Je ne sais pas pourquoi, mais je vois la dryade comme elle me voit.
Ondine nous apprend que la grotte, dans laquelle la rivière qui alimente le village prend sa source, est infestée d'arachnéen. 


Si Éli n'a pas réussi à me convaincre de rester au village, il parvient à me demander de rester en compagnie d'Ondine. J'accepte facilement, ce qui étonne mon partenaire. Forcément, il ne sait pas que je la voie. Une fois informé, il nous laisse pour pénétrer dans le bastion arachnéen.
Je profite de pouvoir discuter avec elle pour aborder ce qui me trotte dans la tête. Je sens bien qu'elle est soucieuse. Elle ne m'écoute qu'à moitié. J'essaie de la rassurer en lui vantant les mérites d'Éli. Elle me remercie puis me pose une question qui me déstabilise :
- Vous n'êtes pas de ce monde, pourquoi êtes-vous là ?
Je ne peux répondre puisque je ne le sais pas. Cette fois j'ai son attention. Je lui explique notre histoire, le portail, la perte des sens et de la mémoire. Ondine m'écoute religieusement. A mesure que le temps passe, elle me donne l'impression d'aller mieux, d'être moins abattue. Ce dit-elle qu'il y a pire que ce qu'elle subit ? Non, elle doit être liée à la source. Le fait qu'elle aille mieux ne peut signifier qu'une chose : Éli remplit sa part du marché.
Il ne tarde pas à apparaître. Je devine à l'expression de la nymphe qu'il a réussit, mais à quel prix. Elle lui demande de se plonger dans la rivière. Il doit tituber, la démarche de ses jambières est mal assurée. Je me saisie de mon bâton. Ondine m'indique que cela ne sera pas nécessaire. L'eau recouvre Éli de sorte que je le vois, comme la fois où il avait utilisé l'air. Il a l'air épuisé. Je constate avec horreur les plaies sur ces membres. L'eau alliée à la maîtrise élémentaire d'Ondine referme les estafilades. En quelques minutes de ce traitement, il est métamorphosé. Il bondit hors de l'eau. Tandis que l'élément s'écoule, attiré par le sol, ses traits s'effacent peu à peu. Malgré ses réticences, Éli finit par accepter trois fioles contenant l'eau de la source. Bien plus efficace que n'importe quelle potion, je suis rassurée. Il en aura sans doute très vite l'usage.
Nous traversons à nouveau le village de Tégée. Le chef tient également à nous remercier. Éli refuse l'or argumentant qu'il leur sera utile pour renforcer les défenses du village. Par contre, il accepte le morceau de relique qu'il lui tend. Il n'a pas besoin de me regarder pour savoir que je jubile. C'est le deuxième tiers. Il rapproche les deux morceaux qui émettent une lueur diffuse et se soude. Après nous être restaurés, nous reprenons la route en direction de Mycènes. Éli est plus taciturne que d'habitude. Je me doute qu'il appréhende ce qu'il va avoir à affronter. J'essaie d'aborder le sujet. Mais il élude en prétextant qu’il ne laissera rien entraver la quête.
Cette pugnacité m'a toujours plu chez lui. Seulement aujourd'hui, elle me fait peur. Il est capable de s'infliger les pires tourments pour atteindre son but. Je me demande ce que Stauros lui a rappelé. Après tout, n'a-t-il pas récupéré une part de sa mémoire ? Il ne m'en parle pas. C'est-il fait rouler ? A moins qu'il estime que je ne pourrais pas comprendre. A mesure que nous avançons, il me donne l'impression d'être de plus en plus à cran. Chaque adversaire qu'il affronte ne fait pas long feu. Il manipule les éléments de mieux en mieux. Maintenant, il arrive à créer une vague de feu qui tourne autour de lui. Nul ne peut lui porter un coup sans subir des brûlures. Ça devrait les dissuader, pourtant ils semblent atteints d'une frénésie. Même si je ne vois aucun d'eux, je discerne chaque mouvement d'Éli. Ils sont de plus en plus rapides, plus agressifs aussi. Il ne s'embarrasse plus de technique de défense. Il attaque encore et encore. Ça doit payer car je ne fais plus usage de mon bâton. Entre chaque combat, je lui demande s'il en a besoin. A chaque fois, il refuse. Il ne s'arrête plus pour se reposer. Tant est si bien que je suis obligée de lui suggérer. Alors qu'il nous installe dans une grotte pour la nuit, je n'y tiens plus :
- Éli, tu me fais peur. Tu n'es plus pareil depuis que tu as récupéré une partie de ta mémoire.
Après une réponse évasive sur le ton de l'irritation, je sens de la lassitude dans sa voix :
- Je suis désolé... Je suis perdu...
- Comment ça ?
- Je ne suis pas sûr que tu comprennes.
- Ça ne risque pas si tu ne m'en parle pas.
Éli se met à m'expliquer ses souvenirs. Les questions qu'il se pose sont profondes. Il avait raison sur le fait que je ne comprendrais pas. Comment peut-il avoir l'impression de connaître ces contrées ? Nous les découvrons à mesure de notre voyage. Tout en l'écoutant me parler, les paroles d'Ondine me reviennent à l'esprit. Elle avait vu juste en disant que nous n'étions pas de ce monde. Pour elle, le portail était la clé. Seulement, le fait qu'il est disparu après notre passage n'était pas logique. C'est à ce moment que j'ai compris que nous ne l'avions pas réellement cherché. Éli me regarde avec attention en répétant sa phrase :
- Alors, qu'en penses-tu ?
Je baisse les yeux. Ce n'est pas un mouvement volontaire. Plus une habitude que l'on a quand on ne sait pas quoi dire. Bien sûr, quand on est privé de la vue, ça doit faire bizarre.
- Tu vois... Je ne voulais pas t'en parler par soucis de te préserver.
- Éli, ce n'est pas parce que je n'ai plus mes sens que je ne peux pas t'être utile. Je suis certaine que le simple fait d'en avoir parlé t'a fait du bien.
Je me lance dans le court récit de ma discussion avec Ondine. Éli m'écoute, lançant parfois quelques commentaires. Par exemple, il est certain que le portail se soit fermé après notre passage. Je dois avouer que n'étant pas privé de ses sens, je ne suis pas surprise. Il lui a été plus facile de le remarquer. Mais quand je lui demande si nous avons été les seuls à le franchir, il reconnaît avoir été comme assommé. D'où la question : s'il n'était pas conscient, comment être sûr que d'autres créatures ne l'ont pas utilisé ? Il me rappelle que la seule créature qu'il y avait était un dragonien. Comme il n'en a pas profité pour nous tuer, il n'est pas passé. Je lui répète la phrase d’Ondine : Vous ne savez pas depuis combien de temps il était ouvert, ni ce qui l'avait déjà traversé.
" Un point pour la nymphe" déclare Éli sur un ton qui en dit long. Il est perplexe, néanmoins il ajoute :
- Je ne vois pas le rapport avec le fait que je sois déjà venu ici à une autre époque...
- Parce ce que tu en es convaincu ?
- Je ne vois pas d'autre explication.
Effectivement, je ne peux pas trouver d'arguments logiques à y opposer. Si Éli voit des lieux verdoyants devenus érodés par le temps, le portail doit avoir un pouvoir temporel. Dans ce cas, l'absence de mes sens handicape encore plus que je ne l'imaginais.
Nous décidons de prendre un peu de repos avant de nous remettre en route. Enfin, je dois me reposer, car Éli monte la garde. Même à l'abri dans cette grotte, il n'est pas tranquille. Il ne veut pas que je sois encore la cible d'une quelconque attaque. Je crois qu'il s'en veut que la harpie m'ait atteinte. Je lui souffle :
- Ce n'est pas de ta faute.
Je ne suis pas en mesure de le sentir, mais je m'endors convaincue qu'il passe ses doigts dans mes cheveux.


2 commentaires:

  1. Tout le mystère s'épaissit et prend forme en même temps! Bien,bien...

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  2. Un peu de retard pour la suite... Le dernier chapitre est plus long, donc prochaine parution le week-end prochain...

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