Vu par

mardi 1 octobre 2013

Chapitre 3

Chapitre 3 : Alcinoa.
Comment pourrais-je décrire le sentiment qui m’étreint le cœur ? Je me sais en présence de l’être qui compte le plus au monde pour moi. Je sais que nous ne sommes pas de la même espèce, mais il a su me séduire par tant d’attention, de tendresse et de force. De force…Il lui en a fallut pour braver les interdits, à commencer par cet amour entre un humain et une fée. Il s’est opposé à mon clan et à mon père, a relevé tout les défis qu’ils lui ont imposé, tant est si bien qu’ils finirent par reconnaître l’intensité de notre passion. Ce qui n’a pas été suffisant pour autoriser notre union. Nous avons donc pris la décision qui nous a conduits dans cette situation. Renoncer à mes sens ne faisait pas parti de notre plan tout comme le fait qu’Eli perde la mémoire. C’est d’ailleurs le peu de choses que Stauros a bien voulu me dire quand il m’est apparu hier. Le sentiment qui m’a envahit était paradoxale. La joie de savoir mon amour à mes côtés mêlé à la tristesse d’apprendre qu’il m’avait oublié.
Grâce aux éléments, je peux le discerner par moment. C’est la seule chose qui me fasse tenir le coup, qui m’empêche de devenir folle, privée de toutes sensations. Le pire cauchemar d’une fée : être privé de son interaction avec la nature qui l’entoure. Je ne vois rien, même avec les yeux grand ouvert. Je n’entends rien, pas même le clapotis de l’eau ou le pépiement des oiseaux. Je ne sens rien, aucune fragrance, le comble pour une fée florale. Je ne ressens rien, ni le souffle du vent, ni la chaleur ou le froid. Ce que je mange n’a aucune saveur. Je m’en remets à celui qui place la nourriture dans ma main et la guide jusqu’à ma bouche. J’ai des ailes dans le dos, devenu inutiles faute de ne pouvoir me diriger. Nous avons essayé, en soirée, tandis qu’Eli tentait de maîtriser l’air. Il a placé mes bras autour de son cou puis m’a porté délicatement. J’ai commencé à apercevoir ces traits se dessiner quand il a laissé l’air couler en lui. Nous nous sommes élevés bien au dessus de la cime des arbres mais il avait des difficultés à stabiliser sa position. J’ai cru, qu’en prenant ses mains et en battant des ailes, cela nous aurait permit de voler ensemble jusqu’à notre destination, sans craindre les créatures qu’il avait dû affronter. Mais il a tellement été subjugué de me voir voler qu’il a perdu sa concentration et nous nous sommes écrasés au sol. J’ai voulu lui redonner confiance en lui, seulement il n’a pas accepté, par peur de me blesser. Même dans cette situation, il est bouleversant. Il a tout oublié, il ne sait plus rien de ce qu’il est, de ce qu’il aime ou déteste. Mais il pense avant tout à mon bien-être.
Je crois que ce qu’il ne tolère pas, c’est la difficulté qu’il a à communiquer. Il ne maîtrise le son que quand il est en colère. Au début, j’ai eu du mal à comprendre pourquoi de simples questions étaient dites sur un ton cassant. J’ai fait le lien avec ses combats dans lesquels il a fait usage des éléments grâce à sa hargne. Maintenant je ne m’offusque plus. Il ne me parle que par petites phrases mais nous nous comprenons.
La nuit dernière, nous ne pouvions dormir. Nous avons décidé d’avancer en suivant la rivière. Nous avons atteint le village d’Hélos. Eli s’est joint aux quelques malheureux gardes pour repousser une attaque de satyres. Il ne savait pas ce qu’était ces monstres jusqu’à l’entendre de la bouche des habitants. Leurs cultures sont ravagées. Ne voulant pas me faire courir de risque, Eli m’a demandé de rester au village. Il m’a placé dans un endroit isolé et m’a recommandé d’attendre son retour. J’ai peur, car il est parti prêter main forte aux villageois. Je suis seule, sans la moindre possibilité de savoir combien de temps s’écoule. Que se passerait-il s’il venait à mourir ? Non, il faut que je chasse cette pensée. Il est fort, il l’a prouvé à ma famille. Il a triomphé des trois épreuves que mon père et les anciens de mon clan lui ont imposées. Cela n’a pas été facile pourtant. Je me rappelle la tête qu’il a fait quand il a vu le monstre qu’il devait affronter. Elle s’appelait Cékane la Sombre, une harpie hideuse. 

Depuis toujours les harpies sont nos pires ennemis. Elles se nourrissent de la pestilence. Les différentes subtilités des parfums de nos fleurs leur sont insupportables.
Il avait trois handicaps. Premièrement, en tant qu’humain, il ne pouvait pas voler, contrairement aux harpies. Deuxièmement, son arme, un gladius magnifiquement décoré, ne lui procurait peu d’allonge face à la lance de son adversaire. Enfin, il était, est toujours d’ailleurs, dénué de tromperie. Cékane, quant à elle, avait enduit la pointe de son arme d’un poison. Il n’était pas mortel, mais il paralysait ce qu’il touchait.
Les membres de mon clan avaient convaincu la harpie de régler leur différent dans un combat à mort. D’abord frileuse à l’idée, elle s’est vite ravisée quand elle a vu celui qu’elle devrait affronter. En temps normal, un humain lambda ne peut discerner le peuple féerique. Pour y parvenir, il faut une grande imagination saupoudrée d’un sentiment puissant, l’amour, la haine ou la peur. Eli m’avait expliqué qu’il arrivait souvent que les enfants humains, débordant d’imagination, parvenaient à voir des créatures dans le noir, ce qui alimentait leur nyctophobie. Quant à lui, c’est l’amour qui lui permettait de nous voir. Un amour empreint d’une fascination à toute épreuve, comme si notre monde était celui auquel il rêvait d’appartenir.
Quand le combat a débuté, Cékane ne faisait que rire car il ne pouvait l’atteindre. Elle s’amusait à descendre sur lui en piquet et le rosser avec la hampe de sa lance. Très vite, son rire se changea en agacement, car Eli avait réussi à attraper son arme et à frapper. Il était parvenu à verser le premier sang. Comprenant que son adversaire était moins inoffensif que prévu, elle a repris son mode d’attaque, mais cette fois en piquant Eli avec la pointe de sa lance. Il perdit très vite l’usage de son bras droit. Étant gaucher, il s’en servait pour se protéger. Ensuite, elle s’acharna à lui faire perdre l’usage de ses jambes. Avec un vice dont elle jouissait, elle passa de l’une à l’autre sans laisser à son adversaire de riposte possible. Je me souviens la terreur qui étreignit mon cœur quand je la vis plonger pour ce qu’elle pensait être le coup de grâce. Il gisait à genoux, la tête baissé. J’ai cru le voir embroché comme un fétu de paille. Mais il m’apprit une leçon importante : exploite ta faiblesse pour en faire une force. Trop confiante, elle s’est mise à parader comme si le combat était déjà finit. Elle se croyait hors d’atteinte, mais Eli lança son arme qui lui perfora la poitrine. Elle s’effondra au sol sans avoir compris ce qui lui arrivait.
Il y eut de grandes réjouissances pour fêter la mort d’un ennemi coriace telle que Cékane. Ce qui donna l’idée de l’épreuve suivante. Un seul tour de table suffit pour que tous soient d’accord sur le nom du prochain adversaire : Ishil l’arachnoïde. 

Eli n’avait pas encore récupéré pleinement que mes pairs se festoyaient en imaginant l’issue du prochain combat. Dans tout les cas ils étaient gagnants. Si Ishil l’emportait, fini les demandes en mariage contre nature. Si Eli renouvelait l’exploit, cela ferait un ennemi notoire de moins.
S’il avait fallu convaincre Cékane à se plier à un combat, il en allait tout autrement pour Ishil. Ce chasseur solitaire n’avait qu’un seul plaisir : la chasse. Et s’il pouvait se vanter d’avoir saigné de nombreuses espèces féeriques, l’idée de goûter de l’humain attisa sa faim. Eli découvrit son adversaire et comprit de suite qu’il était une nouvelle fois désavantagé. Plus de problème avec le vol certes, uniquement une question de mobilité : deux pattes contre huit. Contre toute attente, Ishil remit un bouclier à Eli. Il ne voulait pas s’entendre dire que le combat était inégal, même si tout le monde savait que ce n’était pas un bouclier qui ferait la différence. D’ailleurs, c’est la première chose qu’Eli perdit. Se rendant vite compte qu’une attaque frontale serait du suicide, il entreprit de courir le plus vite possible dans le sens opposé. Ishil le traita de tous les noms qui lui passaient par la tête. Il ne vit pas la ruse venir. Eli se précipita vers un arbre, sauta contre le tronc, prit appui et exécuta un saut pardessus la tête de l’arachnéen. Il décapita le monstre avant d’atterrir sur son abdomen. Ne connaissant pas son adversaire, il présuma qu’il avait vaincu la bête. Seulement les arachnéens peuvent perdre leur tête humaine tant que leur cœur insectoïde continu de battre. Grâce à leurs huit yeux situés à la jonction de la partie humaine et bestiale, ils conservent une vision du combat, même s’il ne s’agit plus que d’une détection de la chaleur. Je me rappelle l’expression d’interrogation qu’Eli arbora ne voyant pas la liesse dans la foule féerique. Quand Ishil pivota, il perdit son équilibre et exécuta une roulade de circonstance pour ne pas s’étendre de tout son long. C’est à ce moment que je compris pourquoi il s’était évertué à creuser le pommeau de son gladius pour y passer la sangle qui lui permit de ne pas le perdre dans son acrobatie hasardeuse. Avec vaillance, Eli repoussa chacun des assauts du monstre qui jouait sur sa masse pour tenter de le déséquilibrer. J’arrivais à sentir la fatigue l’envahir, chaque goutte de sueur qui s’écrasait au sol me percutait violemment les tympans. Je croyais défaillir à chaque fois que le moulinet qu’effectuait Ishil s’abattait sur mon amour. Il finit par comprendre que le feu de camp rendait sa vision moins pertinente. Quitte à être blessé, il conserva la position obligeant son adversaire à faire face aux flammes. Cela lui donna juste la fraction nécessaire à riposter victorieusement. L’une après l’autre, il trancha les pattes qui lui donnaient son avantage et dans un accès de furie il enfonça son épée dans l’abdomen arachnoïde perforant du même coup la partie vulnérable d’Ishil qui mourut dans un râle grotesque en se recroquevillant.
Mon peuple ne lui donna qu’une nuit de repos pour se remettre de son combat. Je passais une partie de la soirée à panser ses blessures alors que lui ne voulait que flirter (elle rougit). Quand ma vieille nourrice s’en aperçu, Eli du finir ses pansements tout seul. Il était tout de même heureux d’avoir senti la douceur de mes lèvres. De mon côté, ce baiser m’avait à jamais sceller à lui. Personne d’autre ne pourrait me faire ressentir cette douce chaleur qui grossissait à chaque battement de mon cœur.
Le lendemain, le simple fait de croiser son regard me colora les joues. Ce fut de courte durée car quand j’entendis la prochaine épreuve, mon sang sembla se retirer de mon visage. Cela donna un indice quand à la nature de la difficulté à Eli qui me vit pâlir encore plus vite que je n’avais rougit. Le nom même fit tressaillir plusieurs dans l’assistance : Kalidon ! C’est l’un des rares monstres qui faisait peur même à Ishil, de sorte que l’arachnoïde ne s’en prenait jamais à son peuple : les Hirudinéas. Si, en pataugeant dans un marécage, on peut retrouver la partie de son corps immergé recouverte de ses cousines les sangsues, Kalidon, lui avale ses proies qui sont dissoutes dans sa panse. Il ne recrache que les éléments indigestes comme les armes et armures. Tôt le matin, mon peuple conduisit Eli vers le marais putride, repaire du monstre infâme. Une nappe de brouillard à l’odeur âcre enveloppait la végétation. Mon héros avançait tant bien que mal dans les eaux vaseuses en criant le nom de son adversaire. Arrivant vers le milieu du bourbier, il parvint à s’extraire de l’eau croupie. Sous ces pas, le sol produisait des craquements lugubres. Plongeant sa main pour comprendre l’origine, il ramena les os brisés d’un crâne de satyre. Pris d’une répulsion, il rejeta la caboche cornue loin de lui. C’est à ce moment que Kalidon décida d’apparaître, se redressant sur le premier tiers de son corps.

Il dépassait de deux têtes Eli qui, après un temps d’arrêt, attaqua d’un mouvement horizontal. Vainement, car la surface du corps du ver géant fit glisser l’arme sans qu’elle ne lui cause le moindre dommage. Découvrant l’inutilité des coups de tailles, il ne lui restait que des coups d’estoc. Là encore, Eli se rendit compte qu’il ne lui serait pas possible de transpercer cette matière organique élastique. Le seul avantage de l’humain résidait dans sa mobilité. Étant plus rapide, il évitait ce qu’il pensait être la seul arme du ver, sa gueule pourvue de dents acérées. C’est alors qu’il reçu de plein fouet le jet de salive gluant. Son but était d’entraver la course de sa proie. La texture collante gênait le libre mouvement. C’est avec horreur qu’il comprit que le ver allait l’engloutir sans même se servir de ses dents. Il se contracta de sorte qu’il n’avait plus qu’une longueur réduite de moitié, puis il se détendit à une vitesse qui surprit même ceux qui connaissaient cette attaque. Eli disparut à l’intérieur de la masse annelée qui relevait sa gueule vers le ciel pour mieux faire descendre sa proie dans son estomac. Sur le chemin qui menait au marais, je n’avais eut le temps que de prévenir Eli du danger d’être englouti par Kalidon. S’il s’était moqué au début prétextant que cela semblait logique, il se ravisa et me remercia quand il entendit que son espérance de vie se résumerait qu’à une ou deux minutes. Une fois dans l’estomac, le ver libère ses sécrétions gastriques qui dissolvent les chairs en émettant un gaz toxique qui asphyxie la proie de sorte qu’elle meure bien avant d’être réduite en une masse informe. Enveloppé par la membrane extensible de l’estomac du ver, Eli fit la seule chose qui lui restait possible : il asséna une estocade qui déchira l’estomac d’abord puis le corps même de Kalidon. Il poussa un sifflement rauque de douleur, impuissant à empêcher sa proie de l’ouvrir en deux. Tandis que le ver s’affalait de tout son long, Eli plongea dans les eaux fétides du marais pour se débarrasser des acides qui attaquaient ses vêtements. En ressortant de l’eau, il entendit les clameurs du petit peuple féerique, heureux d’être libéré d’un danger permanent.
Il avait remporté les trois épreuves. Mon clan aurait dû accéder à sa demande et avaliser notre union. Même mon père avait changé d’avis à son propos arguant qu’un humain capable de tels exploits devait sans aucun doute avoir du sang féerique dans ses veines. Mais les anciens en avaient décidé autrement. Devant leur refus, mon père prit un énorme risque. Il nous guida jusqu’à la limite de notre territoire, bénit notre union et nous ordonna de fuir, sans nous retourner. Nous avons couru des heures entières craignant de voir surgir les guerriers de mon clan nous rattraper. Soudain, il était là, devant nous, le portail. Un disque vaporeux d’un diamètre suffisant pour tenir debout en son milieu. Nous nous sommes regardés indécis jusqu’à ce qu’un dragonien énorme ne nous laisse d’autre choix que de le traverser. Eli m’a poussé dedans afin de me protéger de la charge du monstre reptilien. Il a dû le traverser quelques secondes après moi de sorte que nous avons été séparés.
Quand j’ai repris mes esprits, j’ai eu un choc. J’avais perdu tous mes sens. J’étais incapable de savoir ou je me trouvais ni même si Eli avait survécu. J’ai crié, avançant au hasard, me heurtant à toutes sortes de choses que j’étais incapable d’identifier. Je croyais devenir folle quand ma main fut entravée par quelque chose. Assaillie par la terreur de ne pouvoir comprendre ce qui retenait ma main, je fus interloqué de discerner un halo lumineux s’approcher de moi. Un être dans la ressemblance d’un homme me parla, déclinant son identité : Stauros. Il m’expliqua que j’avais perdu mes sens en franchissant le portail mais que je n’étais pas seule. Eli était à mes côtés, tout au moins ce qu’il restait d’Eli car il ne gardait aucun souvenir de moi, de notre fuite, encore moins du monde d’où nous venions...
Depuis combien de temps Eli était-il parti ? Je suis incapable de le dire, mais quand je le vis revenir, je compris qu’il avait triomphé.
Je ne vois toujours pas son visage, mais sa quête lui a fait gagner une cuirasse, des brassards et des chausses dans lesquels sont enchâssées des pierres élémentaires. A défaut de me plonger dans l’intensité de son regard, je le distingue et peux désormais le suivre. Il n’a plus besoin de me porter.

Il ne peut toujours pas m’adresser guère plus que de courtes phrases, mais cela a été suffisant pour me redonner confiance. Nous quittons Hélos en direction de Sparte, bien décidé à récupérer le premier de mes cinq sens.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire