Chapitre 2 : Professeur STAUROS.
Le brouillard s’estompe à mesure que le jour s’installe.
Debout devant la fenêtre de mon bureau, j’admire la statue de Daphné, la nymphe
changé en laurier rose, qui trône dans le jardin. Quelle ironie ! Cette
jeune femme, poursuivie par les ardeurs du dieu Apollon, alors qu’elle-même
était dégoûtée par l’amour, fut contrainte d’être transformée pour lui
échapper.
Mais je ne peux pousser la réflexion plus avant car j’entends ma secrétaire m’annoncer mon premier rendez-vous. Je l’autorise à la faire rentrer. La porte s’ouvre sur une femme d’une quarantaine d’année rongée par le chagrin et le désespoir. Je ne suis pas étranger à la rougeur de ses yeux, bien que j’espère leur redonner bientôt l’éclat que ces deux émeraudes méritent. Elle est loin d’être repoussante malgré la négligence évidente qu’elle affiche. Trop peu de temps pour prendre soin d’elle. Trop occupée à chercher ce qui l’a conduite dans mon bureau.
Mais je ne peux pousser la réflexion plus avant car j’entends ma secrétaire m’annoncer mon premier rendez-vous. Je l’autorise à la faire rentrer. La porte s’ouvre sur une femme d’une quarantaine d’année rongée par le chagrin et le désespoir. Je ne suis pas étranger à la rougeur de ses yeux, bien que j’espère leur redonner bientôt l’éclat que ces deux émeraudes méritent. Elle est loin d’être repoussante malgré la négligence évidente qu’elle affiche. Trop peu de temps pour prendre soin d’elle. Trop occupée à chercher ce qui l’a conduite dans mon bureau.
- Bonjour Madame Guerreor* (*Signifie
Guerrier en ancien Français), je suis le professeur Stauros, Michel
Stauros. Je vous remercie d’être venue à notre second rendez-vous. Comme vous
vous en doutez, il est un peu précoce pour établir un quelconque diagnostic.
Néanmoins, j’aimerais vous réconforter en vous apprenant que nous avons décelé
la première réponse positive à la thérapie.
- Il a bougé ? (Elle s’agite, nerveuse) Pourquoi ne
m’avez-vous pas appelé immédiatement ?
- Calmez-vous Mme Guerreor… Je vous aurais personnellement
fait venir si cela avait été le cas. Vous n’êtes pas sans savoir que ma
spécialité est le cerveau. Alors quand, après des années de mutisme, celui d’un
patient montre des signes de réactions cognitives, j’appelle cela une réponse
positive.
- Excusez-moi professeur (elle se renfrogne). Depuis que
vous m’avez contacté pour obtenir mon accord, je ne sais plus comment je vis.
- Mme Guerreor (je m’assois sur mon bureau et m’efforce de
prendre un ton calme et détaché car il est courant chez les proches, éprouvés
psychologiquement par l’état du malade, de ne pas assimiler toutes les
informations d’une situation qui les dépasse), essayez-vous de me faire
comprendre que vous regrettez d’avoir signé l’autorisation ?
- Non, enfin, vous (elle balbutie), vous comprenez, voilà
des années que je n’espère plus rien pour lui hormis parfois qu’il parte en
douceur. Mais depuis votre appel, l’espoir, aussi maigre soit-il, me
culpabilise d’avoir eu ce genre de pensée.
- Ne nous emballons pas. Je ne vous ai rien promis en terme
de résultat. C’est une première mondiale. Soumettre quelqu’un, dans l’état de
votre mari, au processus de résilience n’a jamais été réalisé. Je n’aime pas les
conjectures, je m’attache aux faits. Dans le cas qui nous concerne, ils sont
les suivants : 1/ Votre mari n’avait aucune réaction cérébrale aux suggestions
depuis près de dix ans. 2/ Après une semaine de bombardement d’images
soigneusement sélectionnées, nous avons décelé une réaction dans une zone du
cerveau particulièrement réactive quand nous rêvons.
- Qu’est-ce que cela veut dire ?
- Tout et rien, c’est trop tôt pour le dire. Il faut être
patient.
- Vous ne pensez pas que j’ai été assez patiente durant ces
dix dernières années ? (Une note d’exaspération pointe dans le timbre de
sa voix).
- Soit nous sommes en présence d’une
« réverbération », c'est-à-dire que le cerveau de votre mari
reproduit les images qui lui ont été présentées. Soit nous avons à faire à une
« intégration ». Les images constituent le chemin qui va guider son
esprit jusqu’à la résurgence.
- La résurgence, ça veut dire le réveil ?
- Pas obligatoirement, mais ce n’est pas exclu. J’aimerais
que vous puissiez me fournir un maximum de documentations concernant votre
mari, photos, vidéos, livres, souvenirs… J’aimerais venir à votre domicile avec
plusieurs de mes assistants. Le but serait de pouvoir hiérarchiser les images
en plusieurs catégories afin de soumettre votre mari à une progression
cognitive.
- Je ne comprends pas, je vous ai déjà fourni un cd contenant
de nombreuses images.
- Certes, mais comprenez moi bien, même si je me suis servi
d’un grand nombre de celles-ci, vous connaissez votre mari mieux que moi. Une
photo sera liée à une histoire. Mais je ne peux définir si cette histoire se
range parmi les souvenirs attachés aux sentiments, à la raison, ou à
l’expérience. Il est plus que nécessaire, si vous souhaitez que votre mari
continu à offrir des progrès, que vous me dévoiliez ce que chaque image
représente pour vous déjà.
- Comment savoir si nos souvenirs seront
« rangés » aux mêmes endroits ?
- Intéressante question ! (Je souris). Effectivement,
notre rendez-vous ne sera pas « rangé » au même endroit pour vous que
pour moi. Dans mon cas, il sera lié à la zone professionnelle, la partie de mon
intellect influencé par mon raisonnement. Dans votre cas, il sera
obligatoirement lié à la partie émotive puisque notre entretien concerne votre
époux. D’où l’importance que je m’immerge dans votre vie et que vous me guidiez
pour y voir clair. Imaginez, si cela peut vous rendre la chose moins difficile,
que je suis l’esprit neutre de votre mari, et qu’il vous faut m’expliquer tout
ce qui a fait votre vie avant qu’elle ne soit interrompue par ce chauffeur de
poids lourds endormi au volant.
- Quand souhaiteriez-vous venir chez nous ?
- Le plus tôt possible, je peux me libérer ce samedi.
- Je m’arrangerais pour obtenir mon après midi.
- Je peux vous fournir une convocation afin de convaincre
votre employeur.
- Je vous remercie, professeur Stauros (elle se lève pour
me tendre la main).
- Merci Mme Guerreor, je vous dis à samedi.
L’inconvénient de mon travail est qu’il est souvent perçu
comme une violation de l’intimité. J’espère qu’elle se prêtera au jeu sinon la
thérapie tournera vite à l’inutile, et j’ai autre chose à faire que de perdre
mon temps… Quelle heure est-il ? Hum, j’ai le temps de me « faire un
neuf ».
Une demi-heure plus tard, je retrouve mon cadet sur le
parcours de Chevry. Pour certains, la musique est un moyen d’évasion. Pour
d’autres, il s’agit du dessin, du cinéma ou d’un quelconque art. Pour moi,
c’est le golf. Marcher sur la pelouse impeccablement entretenue entre deux
coups me fait le plus grand bien. Je remets de l’ordre dans mes idées.
J’envisage les différentes possibilités que m’offrent les choix qui se
présentent. Je ne peux me cacher que mon expérience monopolise beaucoup mes
pensées. La pudeur que Mme Guerreor affiche quand à la suite de l’expérience ne
me laisse pas indifférent. Même si je sais faire la part des choses, dissocier
mon travail de ma vie, je peux comprendre qu’elle ne soit pas enthousiaste à me
laisser pénétrer dans leur jardin secret. Seulement, si l’on prend le temps d’y
réfléchir, il est plutôt en friche, non ? (je souris).
Mon cadet interprète ce sourire comme une satisfaction
d’avoir réussi à atteindre le « finish » en deux coups. C’est vrai
qu’il m’est possible de faire un « birdie », mais curieusement, je ne
suis pas au jeu. Je l’entends me donner des conseils, m’indiquer la force et le
sens du vent et je le voie me tendre le club adapté à la réalisation du
« putt ». Presque machinalement, je me mets en position, je plie les
genoux légèrement. Mon « roulé » est parfait, je réussi mon point, ce
qui semble réjouir mon cadet.
Je le suis tout en continuant à réfléchir à la suite de la
thérapie. La première séance a été couronnée de succès. J’avais volontairement
choisi de commencer par la partie grecque. M. Guerreor ayant été élevé par son
père, brillant archéologue, dans les plaines de la Grèce actuelle, son enfance
a été bercée par toute la mythologie de cette région. C’est sans aucun doute la
raison qui l’a poussé à obtenir un doctorat d’histoire ancienne. Beaucoup de
photos concernaient leur voyage de noce, en Grèce. J’ai apprécié également la
connivence qu’il y avait entre sa femme et lui. Ils se sont rencontrés sur les
bancs de l’université. Lui, suivant des cours d’histoire, elle, un cursus dans
l’art. Ils avaient un cours commun d’histoire de l’art, ce qui les a
rapprochés. C’est ce rapprochement que je vise, ce fil d’Ariane dont j’espère
qu’il guidera son esprit dans le labyrinthe où il est plongé. Mais je suis
convaincu que le point central est cette photo… Celle où sa femme, encore au
stade de « petite amie », s’était déguisée en fée. On peut lire sur
son visage toute la quintessence des sentiments qui, à ce moment précis, ont
évolué de l’amitié à l’amour. Il ne m’a suffit que de quelques retouches
informatiques pour la faire irradier et je l’ajoutais au bombardement
cinématographique auquel je l’ai soumis. C’est pour cela que j’ai besoin
qu’elle m’en dise plus. Elle seule pourra me faire toucher du doigt la magie de
leur symbiose. Il ne me restera plus qu’à lui injecter pour ébranler son être
au plus profond.
Je me rends compte qu’il me manque quelque chose…Quelque
chose qui alimente sa peur. Une peur viscérale dont je pourrais me servir pour
l’obliger à se battre. Ce ne sont pas les quelques satyres que j’ai glissé
jusqu’à maintenant qui lui causeront des problèmes. Non, il faut du lourd. Un
second fil qu’il lui permette de faire le lien entre son histoire d’amour et la
crainte de la perdre.
Nous sommes arrivés, sans que je m’en rende réellement
compte au neuvième trou. Visiblement, j’ai du faire un score des plus
acceptables. Je sers la main de mon cadet et me dirige vers mon vestiaire. Je
récupère mes effets et me dirige d’un pas alerte vers le parking. Je salue au
hasard des rencontres les personnes qui m’interpellent mais je ne suis plus
avec eux. Il faut que je retourne au bureau. Que je regarde à nouveau toutes
ces photos. Je vais y trouver quelque chose, il le faut. Soudain, mon esprit
s’égare, je me vois des semaines plus tard en train de serrer la main de M.
Guerreor, patient numéro zéro d’une thérapie portant mon nom. Je reprends le
dessus. Certes, cela serait grandiose, mais le chemin est encore long et
parsemé d’embûches. Chaque chose en son temps (mon sourire ne s’estompe pas).
Voilà, j'ai tout lu! Je dois dire qu'à part quelques petites maladresses et quelques petites lourdeurs, l'ensemble se lit très bien et c'est très prenant!
RépondreSupprimerCependant je ne suis pas sûr que de passer si tôt de "l'imaginaire" à la réalité soit une bonne chose...Du coup on devine la trame de l'histoire, la fameuse thérapie et tout...A moins que tu ne fausses volontairement les cartes pour nous emmener là où tu LE décides...
J'aime bien mélanger le réel et le virtuel... et puis à mesure que l'histoire avancera, tu comprendras pourquoi il me fallait très vite mettre les deux plans face à face...
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