Partie 4 - Chapitre 8 - Éli
Delphes. Enfin, nous arrivons
dans cette ville magnifique. Berceau de l'oracle d'Apollon, elle reste bien
défendue contre les attaques incessantes des monstres. Malheureusement, c'est
au prix de nombreuses vies. J'aime à croire qu'en réduisant en ruines les camps environnants
de ménades et autres satyres, nous avons contribué à lui donner un répit.
L'allée principale est longée de statues
à l'effigie des dieux grecs. Nous gravissons doucement la volée de marches qui mène
à la place principale. Elle est bondée de monde. On reconnaît aisément les paysans des environs venus trouver refuge derrière les murs d'enceinte. Il
y a aussi les carrioles des marchands qui, en temps normal, sillonnent le pays. L'un
d'eux harangue les badauds tentant de faire contre mauvaise fortune, quelques
affaires. Je m'approche de son étal. Il vend principalement des armes et
armures en tout genre. Je lui cède les quelques plus beau trophées trouvés par-ci
par-là. Je vois au regard d'Alcinoa, qu'elle voit une armure. Elle est
particulièrement ouvragée. Je me mets à marchander, comme les temps sont
durs, je parviens à l'obtenir pour un bon prix. Le marchand me déclare qu'elle
fait partie d'une panoplie. D'autres pièces doivent exister. Il me raconte
l'avoir trouver sur un soldat sous le mont parnasse, juste avant que le cyclope
ne s'y installe. Je le laisse m'expliquer l'endroit sans trop croire de pouvoir
le retrouver.
Alcinoa s'est écarté du groupe
dès que j'ai commencé à m'intéresser à l'armure. Elle a les yeux rivés sur un bâtiment
de pierres blanches. Basile m'explique que c'est le temple de l'oracle. Je
m'attendais à tout sauf à ça. La religion grecque antique faisait la part belle
à ce personnage. Une femme bien souvent et généralement belle d'apparence. Mais
pourquoi Alcinoa s'y intéresse telle ? Je lui pose la question. Elle me répond
qu'elle aimerait la voir. Je ne comprends pas très bien pourquoi mais nous lui
emboîtons le pas. A l'entrée, une servante de l'oracle nous demande si nous
avons une offrande. Devant notre négation, je pensais rebrousser chemin. Mais
la porte du temple s'est ouverte devant une seconde servante.
- Approchez ! L'oracle veut vous
voir.
Allons donc, nous avons une
audience. J'ai toujours été réfractaire à ce que je considérais comme de la
mythologie. Je suis le mouvement, l'esprit obtus. Faut dire que j'ai été déjà
bien bousculé avec ce qui s'est passé la nuit dernière. A peine avais-je repris
des forces suite à la blessure de la chimère, que je me retrouvais à effectuer
mon tour de garde. Alcinoa a mis du temps à s'endormir mais les émotions des
derniers jours ont fini par lui fermer les yeux. Peu de temps après, des mots
ont été écrit dans la poussière devant moi. "Éli, mon fils, il faut te
réveiller". J'ai du me pincer pour être sûr de ne pas mettre endormi. Une
fois assuré que je ne rêvais pas, il s'en est suivi une conversation, une suite
de questions :
- Qui es-tu ?
- Je suis ton père.
A ces mots m'est revenue l'image
d'un guerrier en armure noir dont le casque dissimulait le visage. J'ai
continué mes questions tandis que j'attendais de lire les réponses dans la
poussière.
- Pourquoi ne puis-je pas te voir
?
- Je ne sais pas, seule la fée peut
me distinguer.
- Que me veux-tu ?
- Te dire tout ce que je n'ai pas
pu durant ma vie.
- Pourquoi maintenant ?
- Parce que je vais bientôt
perdre mon dernier combat.
- Je ne comprends pas, quel
combat ?
- Celui contre la maladie qui me
ronge de l'intérieur.
- N'y-a-t-il rien à faire ?
- Voilà trente trois ans que je lutte.
Je sens mes forces m'abandonner.
- Comment puis-je t'aider ?
- En te réveillant avant qu'il ne
soit trop tard.
- Je ne comprends toujours pas.
- Ce que tu vis ici est un rêve.
- Tu parles, un cauchemar plutôt
!
- Réfléchis à tes souvenirs.
- Ceux que je reçois de Stauros ?
- Oui ! Ils représentent ta vraie
vie.
- Impossible ! Tu cherches à
m'embrouiller ! Tu es un sbire des anciens du peuple des fées. Tu veux sous séparer
!
J'ai haussé le ton. Alcinoa s'est
réveillée. Les mots ont arrêté de se former dans la poussière. Quelques
secondes ont suffit pour qu'elle reprenne ses esprits. Elle s'est mise à
regarder tout autour de notre camp. Après s'être assuré qu'il n'y avait personne,
elle s'est tournée vers moi pour le demander pourquoi j'avais parlé si fort.
- J'ai dû m'endormir et parler
dans mon sommeil.
Elle a feint de me croire sans
doute. Elle a posé sa tête sur mes cuisses pour tenter de s'endormir à nouveau.
Je ne crois pas qu'elle y soit parvenue. Les mots de mon soi-disant père
tournaient dans ma tête. Sans parler de la réaction d'Alcinoa. Qu'est-ce qui peut
pousser une aveugle à chercher du regard quelque chose ou quelqu'un ? Je n'ai
trouvé qu'une réponse : Ce que le vieil homme m'a dit à son propos est vrai. Dès
lors, pourquoi le reste ne le serait-il pas ?
L'intérieur du temple est
entièrement fait de marbre blanc. Les soubassements sont sculptés. Les socles
des colonnes sont recouverts d'or. Il y a des braseros dans lesquels fume de
l'encens rendant l'atmosphère entêtant. Au fond de la salle, quatre marches
mènent à un trône. Une femme aux longs cheveux noirs de jais nous scrute. Si
Alcinoa est heureuse de se trouver là, Basile montre des signes de nervosité. Je
dois être le seul incrédule de nous trois. Visiblement, cette femme nous voit
tous. Son regard passe de l'un à l'autre sans montrer la moindre expression. Arrivés
devant le trône, elle se lève. Elle est vêtue d'une longue robe blanche faite
d'une seule pièce. Une fine ceinture d'or lui entoure les hanches. Elle nous sourit
en ouvrant la bouche :
- Bienvenus étrangers. Je vous
attendais.
Devant ma moue dubitative, elle
me regarde et s'adresse à moi :
- Il te reste encore des épreuves
avant de te réveiller, dormeur.
Je suis médusé. Basile étouffe un
rire moqueur tandis qu'Alcinoa est plongée dans un grand désarroi. L'oracle continue
en s'adressant à Alcinoa :
- Tu es liée au dormeur mais pas comme
tu l'imagines. Tes sens t'aideront à comprendre ce que ton esprit rejette
jusqu'à maintenant.
Nous sommes deux à froncer les
sourcils, incapable de saisir le sens de ces paroles.
- Quand à toi, tu es le parasite.
Tu ne devrais pas être là. Ton objectif t'es à jamais refusé car tu ne peux
diviser ce qui n'est qu'un.
À ces mots, je sens la colère
monter en moi. Parasite = le basilic ! Depuis le début, il joue un rôle en se
faisant passer pour ce qu'il n'est pas. Alors que ma main s'approche de la
garde de mon arme, l'augure se tourne à nouveau vers moi.
- Dormeur, ce n'est pas ainsi que
tu vaincras. Garde ta fougue pour les gardiens qu'il te reste à affronter. Même
si sa présence ne s'explique pas, il participera à votre victoire. Car celui
qui l'a amené parmi vous ne peux plus l'affecter.
Je comprends mieux pourquoi les
oracles étaient si prisés. Ils ont de belles paroles que chacun peut interpréter
selon ses aspirations. Seulement, je n'étais pas au bout de mes surprises.
- Il vous faudra trouver l'endroit
où est retenu Chiron. Il est le seul dont les conseils vous permettront de
vaincre Polyphème. La reine des ménades le retient prisonnier dans son repaire
au nord. C'est à une demi-journée de Delphes.
- Pourquoi est-il prisonnier ?
Un sourire se dessine sur les
lèvres de l'oracle suite à ma question.
- Ainsi, tu accordes du crédit à
mes paroles, Dormeur. Il est celui qui forme les héros. Ceux-là même qui
défendent cette cité. Plus de héros, plus de résistance. Va, maintenant. Et
quand tu auras délivré Chiron, amène-moi le sceptre de la reine.
L'oracle s'assoit sur son trône. Son
visage ne montre plus aucune expression. Je sens bien qu'Alcinoa aimerait en
apprendre davantage, comprendre ce qu'elle lui a dit. Mais l'entretien est terminé
et notre offrande sera le sceptre. Je tourne les talons conscients que toutes
velléités envers Basile ont disparues. A peine sommes-nous sortie du temple que
nous entendons au loin, vers le nord, un rugissement que nous connaissons bien.
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