Partie 3 -
Chapitre 10 - Éli
L'eau me fait du bien. Je me suis toujours senti à l'aise
dans l'eau. Découvrir les fonds marins en apnée est un réel plaisir. Je n'ai
pas le temps de me prélasser. Je suis en quête des sens d'Alcinoa. J'avais
besoin de me laver de toute cette poussière mélangée. Entre celle soulevée par
l'éboulement que j'ai provoqué et celle laissée par les monstres, il me fallait
me décrasser.
D'après Basile, Mégare n'est plus qu'à une demi-journée
de marche. Nous avons besoin de repos. Nous allons dormir un peu à l'abri de la
falaise et repartirons dès l'aube. C'est l'avantage d'être trois, je peux me
reposer. Même si je dors d'un œil, le simple fait de m'allonger et de somnoler
me requinque.
Je m'allonge en calant ma tête sur mon sac. Alcinoa se
love contre moi. En la voyant prendre place, on douterait de son handicap. Mais
à force de faire le même mouvement chaque soir, elle en a pris l'habitude. Le
bâton dont elle se sert à la particularité de soigner les blessures, mais aussi
de dynamiser. Si l'apport d'énergie n'est pas utilisé de suite, il s'évapore
afin de permettre au corps de se reposer. La différence est telle qu'il n'y a
pas besoin se faire bercer. On ferme les yeux et c'est parti. Quand je ferme
les miens, je me retrouve dans mes souvenirs.
Je suis sur le ring, le combat que je livre contre mon
sempiternel adversaire est plus rude que d'habitude. On pourrait croire qu'à
force de se faire exploser, il apprendrait en tenant compte de ses échecs. Mais
ce n'est pas le cas. C'est moi qui ne donne pas le maximum. Pourquoi ? Un
solide crochet à la mâchoire me fait tourner sur moi même. Je me retiens dans
les cordes pour ne pas tomber. C'est à ce moment que je la voie. Alcinoa, elle
est à la fois effrayée et heureuse. Je comprends pourquoi quand, à la fin du
premier round, elle s'approche et me souffle :
- Tu as tenu parole alors maintenant, gagne.
Le reste du combat fût épique. Arthur avait dû faire de
gros progrès pour me tenir tête jusqu'au gong final. A moins que le premier
round m'ait plus affecté que prévu.
Il y a tout de même quelque chose qui me chiffonne. Je
reconnais bien le ring de Saint Joseph, mais je suis plus âgé. Les années
collège sont derrière moi et je ne suis pas encore marié. Donc, ce souvenir se
situe entre mes 15 - 20 ans. Ce n'est pas normal. Ça me prend tellement la tête
que je me réveille. J'ai du mal à émerger. Mes yeux cherchent encore à faire le
tri dans le paradoxe pictural. Le feu de camp fume encore du fait de quelques
braises erratiques. Basile est adossé à la falaise, la tête penché vers le sol,
il dort. Le ressac des vagues a un effet soporifique. Alcinoa s'est tourné de
sorte qu'elle n'est plus sur moi. J'en profite pour me lever. Je m'étire, mon
épaule craque. Basile ronchonne mais ne se réveille pas. Tu parles d'un garde. Je
devrais le balancer dans l'eau, ça lui remettrait les idées en place.
Pourquoi mon rêve mélange t-il mes souvenirs ? Je n'ai
rencontré Al... Non, ce n'est pas possible. Qu'est-ce-que c'est que ce malaise
? Alicia... Pas Alcinoa. Je me retourne. Je la regarde dormir paisiblement dans
cette position dite du fœtus. Sa respiration est calme. Parfois, elle geint,
elle rêve. Elle est bien réelle, mais elle est différente de celle de mon rêve.
Ici, c'est une fée, là-bas, une femme. Même visage angélique, même physique
élancé, même courbes généreuses. Se pourrait il que je me mélange les crayons ?
Que je commence à mettre des personnes à des époques différentes, ou dans des
contextes différents. Après tout, n'avez-vous jamais rêvé d'une personne que
vous connaissez évoluant dans une autre situation ? C'est le propre du rêve,
raconter des histoires improbables dans lesquelles on a souvent des pouvoirs. Seulement
là, c'est différent. Cette fille, Alicia, elle n'a jamais été à Saint Joseph. Et
ce combat, il a bien eu lieu, mais pas de cette façon. On dirait qu'un de mes
souvenirs émerge sans que Stauros ne me le restitue. À quoi est-ce dû ?
L'Aurore découvre à mes yeux le paysage alentour. La mer
reste noire d'encre tandis que les falaises semblent soulignées d'un trait
lumineux. On bouge plus loin. Des mouvements désorganisés qui se rapprochent. Je
suppose que mon exploit d'hier n'a pas suffit à enterrer la hache de guerre... Sans
mauvais jeu de mot. Je réveille Basile qui se justifie immédiatement. Je lui
mets la main sur la bouche :
- Ferme là. On n’est pas seul. Prends tes armes, ne la
réveille pas et reste là.
Je n'écoute pas ses arguments. Il est toujours en train
de se plaindre dès qu'il faut faire quelque chose d'un peu risqué. Je m'enfonce
dans l'eau, c'est le meilleur endroit pour se planquer et surprendre les
agresseurs. Alors que j'attends de voir à quoi nous aurons à faire, mon esprit
me projette à nouveau l'image de cette femme. Son visage est tout proche du
mien, elle me sourit tout en pinçant ses lèvres inférieures avec ses dents. "Je
t'aime" me souffle telle avant de se dissoudre sous une vague. Je frotte
l'eau qui me dégouline dans les yeux pour voir Basile en train de livrer un
combat contre des ichtians. Ils sont trois combattants, pas de chaman aux
alentours, ni de renfort. Comme je deviens de plus en plus habile dans le
lancer de gladius, je fais tomber en poussière deux des assaillants. Basile
parvient à occire le dernier d'un coup de mon bouclier suivi d'un fendu à
l'abdomen. Encore une passe qu'il m'a vu faire. Je n'y tiens plus.
- Tu voulais que je t'entraine, alors maintenant que tu
es chaud, voyons ce que tu vaux. Garde le bouclier, j'attaque à deux armes.
- On va réveiller Alcinoa.
- Tu oublies qu'elle est sourde. On s'arrête au premier
sang.
Ma première attaque s'écrase sur le bouclier avec force. Il
ne peut pas riposter, seulement reculer pour garder l'équilibre. J'enchaîne les
attaques, tantôt rapides mais doubles, tantôt seule et plus appuyée. Il reste
protégé par son bouclier. Je suis surpris de le voir parvenir à le placer
exactement comme il faut pour parader.
- On ne gagne pas un combat qu'en se défendant. Il faut
que tu attaques.
- J'attends que tu fatigues.
J'éclate de rire. Comme-ci le fait de se défendre ne lui
coutait aucune énergie. Pourtant cinq minutes plus tard, je ne l'ai toujours
pas touché et il semble toujours aussi vaillant. Je vais utiliser une vieille
ruse. Je continue à le rouer de coups, son bouclier résonne à chaque impact. Je
fais mine d'être essoufflé. Ça marche car il passe à l'attaque. Nos armes
s'entrechoquent pour la première fois. Je joue la carte de la difficulté à
repousser son enchainement. Il prend de l'assurance, commence à se servir du
bouclier comme d'une arme. Il frappe de toutes ses forces mais manque son coup.
L’égide me passe qu'à quelques millimètres de la figure. Là, à ce moment, il
comprend son erreur, trop tard. Ma lame lui ouvre un sillon dans la cuisse. En
voyant la fine ligne se gorger de sang, il lâche arme et bouclier pour geindre en
comprimant la plaie. Je réveille doucement Alcinoa et lui explique la
situation. Elle ne dit pas un mot. Seul son visage émet un rictus de
mécontentement. En deux secondes, l'estafilade n'est plus qu'un souvenir. Hormis
la tâche de sang, rien ne laisse à penser qu'il a été blessé.
Après avoir avalé quelques fruits, nous nous mettons en
route avec comme destination Mégare. En chemin, nous rencontrons notre lot
d'adversaires. Basile ne m'a toujours pas expliqué comment il arrive à
reproduire mes gestes. Quand je lui ai demandé, il m'a mis en boite en
prétextant une technique kinestesiste. Toujours est-il qu'il devient plus
efficace quand nous devons combattre. Il m'irrite toujours autant, mais je dois
reconnaître qu'il est plus sympa de faire front à deux. Je finis par le ranger
à l'avis plein de sagesse d'Alcinoa : on le tient à l'œil, mais on lui accorde
le bénéfice du doute. C'est à ce moment qu'une idée me traverse la tête. Le mimétisme
est une capacité reptilienne. Comment est-ce que j'ai fait pour ne pas m'en
rappeler avant ? Ce n'est pas le moment de faire un scandale, nous entrons dans
Mégare. La garde de la ville nous dévisage sans un sourire. Pas de bienvenue
pour les inconnus. Je demande à Basile d'aller vendre ce que nous avons ramassé
d'armes et d'armures et de revenir avec des vivres. J'attends qu'il soit
disparu dans la populace pour faire part de mes soupçons à Alcinoa. Contre
toute attente, elle m'écoute sans me reprocher mon animosité envers Basile. Ça
me surprend. Elle s'en rend compte et m'explique :
- La nuit passée, j'ai fait un rêve étrange.
Elle m'explique qu'un vieil homme à l'air complètement
fou lui est "tombé" dessus. Alors qu'elle marchait sur la plage, il a
surgit de l'eau marchant en titubant, harassé d'avoir dû nager longtemps. Dans
son rêve, elle n'avait pas besoin de bâton pour guérir, juste en appliquant ses
mains. Alors que l'homme reprenait son souffle, une autre créature est sortit
de l'eau pour s'envoler dans le ciel. L'homme a blêmit. Il a juste répété deux
fois la phrase suivante :
- Prend garde à celui qui t'accompagne.
Je n'ai pas pu en savoir plus car il a sauté sur ses
pieds et, après avoir escaladé le pan le plus bas de la falaise, il a disparu
dans la forêt.
Rêve des plus étranges, d'autant que l'inconnu ne lui rappelle
personne. Chez les fées, les rêves sont importants. C'est le moyen de l'esprit
pour nous communiquer ce que nous ne voulons pas entendre quand nous sommes
éveillés.
- Si nous partions maintenant. On le laisse ici.
- Si Basile est vraiment le monstre que tu crois, il va
mettre cette ville dans le même état que Mycènes.
Elle marque un point. Sans compter qu'il connait notre
destination. Alcinoa suggère de faire semblant de rien. Si nous ne changeons
pas notre attitude, il ne se doutera pas que nous l'avons percé à jour. Ainsi,
je continue à être désagréable et soupçonneux et Alcinoa garde son rôle
temporisateur.
À peine est-il de retour que je me mets à lui râler
dessus. Je prétexte qu'il aurait pu attendre d'être avec nous pour commencer à
manger. Le simple fait de l'avoir vu avec une pomme m'a donné cette idée. Le
sourire qu'il affichait à quelques mètres de nous s'est envolé immédiatement. Alcinoa
rentre dans son rôle en me répondant que ce n'est pas grave.
Nous abordons la suite de notre voyage. Le troisième sens
d'Alcinoa est censé être à l'extérieur de Mégare. En discutant avec les badauds,
nous apprenons qu'il existe des ruines. Pour les rejoindre, il faut emprunter
la route des collines et traverser le pont. C'est à deux petites heures de
marche sans se presser. Un pécheur nous apprend qu'un bateau a fait naufrage
sur la côte qui suit le pont. Que personne n'a survécu. Qu'il a eut beaucoup de
chance de pouvoir revenir car cette partie est infesté d'ichtians qui chassent
tant sur terre que dans l'eau. Ce bateau transportait de fabuleux trésors dont
les coffres jonchent la plage. A cette mention, les yeux de Basile
s'illuminent. Je hausse les épaules en maugréant que notre but n'est pas de
nous enrichir. Sa répartie me laisse sans voix :
- T'inquiète, on va joindre l'utile à l'agréable, c'est
sur notre route.
- Comment peux-tu connaitre notre route Basile ? Stauros
nous renseigne de la suite de notre périple à chaque victoire.
Alcinoa parvient à jouer son rôle à la perfection. Aucune
intonation d'irritation dans son timbre. La sincérité de sa question ne fait
aucun doute. C'est alors que je comprends l'avantage que nous avons à continuer
notre mystification à l'égard de Basile. Il n'y voit que du feu. Ou alors, il
est encore plus dangereux que je ne l'imagine.
- C'est simple, tous les gardiens d'un de tes sens la
connaissent.
- Désolé, c'est parti tout seul.
Je ne suis pas sincère, je sais. J'ai pris trop de
plaisir à lui décocher ce direct. Comme je l'ai pris par surprise, il en est
tombé sur les fesses. Mes yeux flamboient de colère. Je m'insurge contre son
silence. Il possédait une information cruciale depuis le début et il la sort
naturellement, sans le moindre complexe.
- Je n'ai pas jugé utile de le dire car ça semblait
implicite.
J'ai la main sur la garde de mon épée quand je lui réponds
qu'il y a autre chose d'implicite. Alcinoa devient un as de l'improvisation.
Elle met sa main sur la mienne et me souffle :
- Ce n'est pas ce que nous avions convenu. Dans le fond,
n'est-ce-pas nous qui n'avons pas été suffisamment curieux ?
- J'en ai assez de cette mascarade. Je vais lui prendre
la tête et nous verrons bien si elle repousse.
- Oh, je vois. Tu en es encore à croire que j'ai le
basilic en moi. Tant que tu buteras là-dessus, tu passeras à côté du principal.
- Ah oui, et tu peux être plus précis.
Il répond dans un soupir que si des gardiens ont reçus un
des sens d'Alcinoa, il y a forcément quelqu'un qui leur a donné. S’il y a une
personne qui leur a donné, elle peut sans doute leur reprendre. Ça semble logique,
mais ça ne nous apprend rien. Nous savons déjà que nous sommes dans ce monde
suite à la transgression de l'interdit des anciens du clan d'Alcinoa. En
franchissant le portail, nous avons perdu chacun quelque chose. Elle s'est vue
privée de ses sens et moi de ma mémoire.
- Nianiania... Seulement tes souvenirs ne correspondent
pas à ce monde, ni à celui dont tu es censé venir n'est-ce pas ?
Cette fois, c'est lui qui marque un point. Mais comment
le sait-il ? Je ne me souviens pas lui en avoir parlé. Il continu son
raisonnement en prétextant que quelqu'un, sans doute Stauros, tenterait de me
faire croire que je viens d'un autre monde. La raison ? Peut être parce que je
représente un danger. La belle affaire.
- Donc les souvenirs que l'on me rend sont faux ?
- Tout à fait. Ils servent à te brouiller l'esprit. C'est
pour cela que certains détails te paraissent anormaux.
Je n'aime pas quand il marque des points. Il prend de
l'assurance et moi, je deviens fébrile. Pourtant, je n'ai parlé à personne de
mon dernier rêve. Celui dans lequel Alcinoa s'appelle Alicia. Comme il note que
j'hésite, il surenchéri :
- Si tu ne veux pas que ton ennemis revienne, envoi le
ailleurs. Fais lui croire qu'il vient d'ailleurs. Qui aurait le plus intérêt à
ce que ne revienne pas au pays ?
- Les anciens de mon clan.
La voix d'Alcinoa était tombée tel un couperet. Il s'en
suivit un court silence ou chacun reprenait sa respiration.
- Les anciens de ton clan ont-ils les moyens de manipuler
la mémoire et les sens ?
Cette fois, elle reste sans voix, hochant simplement la
tête pour marquer l'affirmatif.
- D'après toi, nous serions dans une espèce de rêve. Admettons,
dans ce cas, quel est ton rôle ?
- Je suis ta conscience. Celle que l'on fait taire quand
ce qu'elle dit ne nous plaît pas. On m'a donné les traits de ton pire cauchemar
pour tu finisses par le détruire. Un sujet sans moral est plus facile à
manipuler.
- Si tout n'est que rêve, je n'ai qu'à rendre les armes.
- Non ! La mort dans ce monde signifie la perte de ton
esprit dans le monde d'où tu viens.
J'ai l'impression d'avoir un joug de plomb sur les
épaules. Ainsi je serais un jouet, depuis le début. Ils m'ont fait croire que
je pourrais vivre quelque chose avec Alcinoa. Mais leur objectif final restait
ma mort. Quitte à la sacrifier puisque chez les fées, si ton amour meurt, tu le
suis dans le cycle lunaire suivant. Suivant mon raisonnement, Basile surenchéri
:
- Comme tu n'es pas mort face à leur trois principaux
ennemis, ils ont imaginé ce plan pour que, soit tu meurs, soit elle meurt.
Tout ça se mélange mal dans la tête. C'est comme-ci je
secouais un récipient contenant de l'eau et de l'huile. Même avec la plus
grande énergie, ça n'est pas miscible. Je décide de nous remettre en route.
Deux heures avant d'arriver au prochain sens, ça me laissera le temps de faire
le point. Pour une fois, Basile se tait. Il retient sans doute son souffle tel
un parieur qui attend la fin de la course. Il sait qu'il a fait mouche et qu'il
est passé de suspect dangereux à irremplaçable allié. Car qui pourrait se
passer de son témoin intérieur.
J'aimerais bien savoir ce qui se trame dans la tête
d'Alcinoa. Parce que si la version de Basile est juste, elle vient d'apprendre
qu'elle a été jugée comme un dommage collatéral.
En tout cas, ils sont super balèzes. Ils arrivent à créer
un monde, celui dans lequel nous évoluons, et nous faire croire que l'on vient
d'un autre. Le rôle de Stauros devait être de nous maintenir dans l'illusion. Seulement,
comme je n'ai pas tué Basile, j'ai dû contrarier leur plan. Maintenant que je
suis au courant, que vont-ils encore inventé ? Vont-ils oser renvoyer Stauros ?
Je l’attends de pied ferme.
Fouilleouilleouille! On se pose pleins de questions, la lecture est fluide et agréable, et les doutes d'Eli nous envahissent! Bravo! (j'ai pleins de théories sur la suite, mais je les garde pour moi pour l'instant^^)
RépondreSupprimerJ'aimerais bien les connaitre, parce que moi je n'en ai qu'une ^^
RépondreSupprimerTrès très intéressant ce chapitre !!! On est en plein 'délire' entre le réel, l'irréel, le rêve et l'imaginaire un truc de fou ><' Mais le suspens est toujours présent et nous prend !! L'attente est vraiment difficile, vivement la suite ! ^^
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