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dimanche 6 avril 2014

Partie 3 - Chapitre 10 - Eli

Partie 3 - Chapitre 10 - Éli
L'eau me fait du bien. Je me suis toujours senti à l'aise dans l'eau. Découvrir les fonds marins en apnée est un réel plaisir. Je n'ai pas le temps de me prélasser. Je suis en quête des sens d'Alcinoa. J'avais besoin de me laver de toute cette poussière mélangée. Entre celle soulevée par l'éboulement que j'ai provoqué et celle laissée par les monstres, il me fallait me décrasser.
D'après Basile, Mégare n'est plus qu'à une demi-journée de marche. Nous avons besoin de repos. Nous allons dormir un peu à l'abri de la falaise et repartirons dès l'aube. C'est l'avantage d'être trois, je peux me reposer. Même si je dors d'un œil, le simple fait de m'allonger et de somnoler me requinque.
Je m'allonge en calant ma tête sur mon sac. Alcinoa se love contre moi. En la voyant prendre place, on douterait de son handicap. Mais à force de faire le même mouvement chaque soir, elle en a pris l'habitude. Le bâton dont elle se sert à la particularité de soigner les blessures, mais aussi de dynamiser. Si l'apport d'énergie n'est pas utilisé de suite, il s'évapore afin de permettre au corps de se reposer. La différence est telle qu'il n'y a pas besoin se faire bercer. On ferme les yeux et c'est parti. Quand je ferme les miens, je me retrouve dans mes souvenirs.
Je suis sur le ring, le combat que je livre contre mon sempiternel adversaire est plus rude que d'habitude. On pourrait croire qu'à force de se faire exploser, il apprendrait en tenant compte de ses échecs. Mais ce n'est pas le cas. C'est moi qui ne donne pas le maximum. Pourquoi ? Un solide crochet à la mâchoire me fait tourner sur moi même. Je me retiens dans les cordes pour ne pas tomber. C'est à ce moment que je la voie. Alcinoa, elle est à la fois effrayée et heureuse. Je comprends pourquoi quand, à la fin du premier round, elle s'approche et me souffle :
- Tu as tenu parole alors maintenant, gagne.
Le reste du combat fût épique. Arthur avait dû faire de gros progrès pour me tenir tête jusqu'au gong final. A moins que le premier round m'ait plus affecté que prévu.
Il y a tout de même quelque chose qui me chiffonne. Je reconnais bien le ring de Saint Joseph, mais je suis plus âgé. Les années collège sont derrière moi et je ne suis pas encore marié. Donc, ce souvenir se situe entre mes 15 - 20 ans. Ce n'est pas normal. Ça me prend tellement la tête que je me réveille. J'ai du mal à émerger. Mes yeux cherchent encore à faire le tri dans le paradoxe pictural. Le feu de camp fume encore du fait de quelques braises erratiques. Basile est adossé à la falaise, la tête penché vers le sol, il dort. Le ressac des vagues a un effet soporifique. Alcinoa s'est tourné de sorte qu'elle n'est plus sur moi. J'en profite pour me lever. Je m'étire, mon épaule craque. Basile ronchonne mais ne se réveille pas. Tu parles d'un garde. Je devrais le balancer dans l'eau, ça lui remettrait les idées en place.
Pourquoi mon rêve mélange t-il mes souvenirs ? Je n'ai rencontré Al... Non, ce n'est pas possible. Qu'est-ce-que c'est que ce malaise ? Alicia... Pas Alcinoa. Je me retourne. Je la regarde dormir paisiblement dans cette position dite du fœtus. Sa respiration est calme. Parfois, elle geint, elle rêve. Elle est bien réelle, mais elle est différente de celle de mon rêve. Ici, c'est une fée, là-bas, une femme. Même visage angélique, même physique élancé, même courbes généreuses. Se pourrait il que je me mélange les crayons ? Que je commence à mettre des personnes à des époques différentes, ou dans des contextes différents. Après tout, n'avez-vous jamais rêvé d'une personne que vous connaissez évoluant dans une autre situation ? C'est le propre du rêve, raconter des histoires improbables dans lesquelles on a souvent des pouvoirs. Seulement là, c'est différent. Cette fille, Alicia, elle n'a jamais été à Saint Joseph. Et ce combat, il a bien eu lieu, mais pas de cette façon. On dirait qu'un de mes souvenirs émerge sans que Stauros ne me le restitue. À quoi est-ce dû ?
L'Aurore découvre à mes yeux le paysage alentour. La mer reste noire d'encre tandis que les falaises semblent soulignées d'un trait lumineux. On bouge plus loin. Des mouvements désorganisés qui se rapprochent. Je suppose que mon exploit d'hier n'a pas suffit à enterrer la hache de guerre... Sans mauvais jeu de mot. Je réveille Basile qui se justifie immédiatement. Je lui mets la main sur la bouche :
- Ferme là. On n’est pas seul. Prends tes armes, ne la réveille pas et reste là.
Je n'écoute pas ses arguments. Il est toujours en train de se plaindre dès qu'il faut faire quelque chose d'un peu risqué. Je m'enfonce dans l'eau, c'est le meilleur endroit pour se planquer et surprendre les agresseurs. Alors que j'attends de voir à quoi nous aurons à faire, mon esprit me projette à nouveau l'image de cette femme. Son visage est tout proche du mien, elle me sourit tout en pinçant ses lèvres inférieures avec ses dents. "Je t'aime" me souffle telle avant de se dissoudre sous une vague. Je frotte l'eau qui me dégouline dans les yeux pour voir Basile en train de livrer un combat contre des ichtians. Ils sont trois combattants, pas de chaman aux alentours, ni de renfort. Comme je deviens de plus en plus habile dans le lancer de gladius, je fais tomber en poussière deux des assaillants. Basile parvient à occire le dernier d'un coup de mon bouclier suivi d'un fendu à l'abdomen. Encore une passe qu'il m'a vu faire. Je n'y tiens plus.
- Tu voulais que je t'entraine, alors maintenant que tu es chaud, voyons ce que tu vaux. Garde le bouclier, j'attaque à deux armes.
- On va réveiller Alcinoa.
- Tu oublies qu'elle est sourde. On s'arrête au premier sang.
Ma première attaque s'écrase sur le bouclier avec force. Il ne peut pas riposter, seulement reculer pour garder l'équilibre. J'enchaîne les attaques, tantôt rapides mais doubles, tantôt seule et plus appuyée. Il reste protégé par son bouclier. Je suis surpris de le voir parvenir à le placer exactement comme il faut pour parader.
- On ne gagne pas un combat qu'en se défendant. Il faut que tu attaques.
- J'attends que tu fatigues.
J'éclate de rire. Comme-ci le fait de se défendre ne lui coutait aucune énergie. Pourtant cinq minutes plus tard, je ne l'ai toujours pas touché et il semble toujours aussi vaillant. Je vais utiliser une vieille ruse. Je continue à le rouer de coups, son bouclier résonne à chaque impact. Je fais mine d'être essoufflé. Ça marche car il passe à l'attaque. Nos armes s'entrechoquent pour la première fois. Je joue la carte de la difficulté à repousser son enchainement. Il prend de l'assurance, commence à se servir du bouclier comme d'une arme. Il frappe de toutes ses forces mais manque son coup. L’égide me passe qu'à quelques millimètres de la figure. Là, à ce moment, il comprend son erreur, trop tard. Ma lame lui ouvre un sillon dans la cuisse. En voyant la fine ligne se gorger de sang, il lâche arme et bouclier pour geindre en comprimant la plaie. Je réveille doucement Alcinoa et lui explique la situation. Elle ne dit pas un mot. Seul son visage émet un rictus de mécontentement. En deux secondes, l'estafilade n'est plus qu'un souvenir. Hormis la tâche de sang, rien ne laisse à penser qu'il a été blessé.
Après avoir avalé quelques fruits, nous nous mettons en route avec comme destination Mégare. En chemin, nous rencontrons notre lot d'adversaires. Basile ne m'a toujours pas expliqué comment il arrive à reproduire mes gestes. Quand je lui ai demandé, il m'a mis en boite en prétextant une technique kinestesiste. Toujours est-il qu'il devient plus efficace quand nous devons combattre. Il m'irrite toujours autant, mais je dois reconnaître qu'il est plus sympa de faire front à deux. Je finis par le ranger à l'avis plein de sagesse d'Alcinoa : on le tient à l'œil, mais on lui accorde le bénéfice du doute. C'est à ce moment qu'une idée me traverse la tête. Le mimétisme est une capacité reptilienne. Comment est-ce que j'ai fait pour ne pas m'en rappeler avant ? Ce n'est pas le moment de faire un scandale, nous entrons dans Mégare. La garde de la ville nous dévisage sans un sourire. Pas de bienvenue pour les inconnus. Je demande à Basile d'aller vendre ce que nous avons ramassé d'armes et d'armures et de revenir avec des vivres. J'attends qu'il soit disparu dans la populace pour faire part de mes soupçons à Alcinoa. Contre toute attente, elle m'écoute sans me reprocher mon animosité envers Basile. Ça me surprend. Elle s'en rend compte et m'explique :
- La nuit passée, j'ai fait un rêve étrange.
Elle m'explique qu'un vieil homme à l'air complètement fou lui est "tombé" dessus. Alors qu'elle marchait sur la plage, il a surgit de l'eau marchant en titubant, harassé d'avoir dû nager longtemps. Dans son rêve, elle n'avait pas besoin de bâton pour guérir, juste en appliquant ses mains. Alors que l'homme reprenait son souffle, une autre créature est sortit de l'eau pour s'envoler dans le ciel. L'homme a blêmit. Il a juste répété deux fois la phrase suivante :
- Prend garde à celui qui t'accompagne.
Je n'ai pas pu en savoir plus car il a sauté sur ses pieds et, après avoir escaladé le pan le plus bas de la falaise, il a disparu dans la forêt.
Rêve des plus étranges, d'autant que l'inconnu ne lui rappelle personne. Chez les fées, les rêves sont importants. C'est le moyen de l'esprit pour nous communiquer ce que nous ne voulons pas entendre quand nous sommes éveillés.
- Si nous partions maintenant. On le laisse ici.
- Si Basile est vraiment le monstre que tu crois, il va mettre cette ville dans le même état que Mycènes.
Elle marque un point. Sans compter qu'il connait notre destination. Alcinoa suggère de faire semblant de rien. Si nous ne changeons pas notre attitude, il ne se doutera pas que nous l'avons percé à jour. Ainsi, je continue à être désagréable et soupçonneux et Alcinoa garde son rôle temporisateur.
À peine est-il de retour que je me mets à lui râler dessus. Je prétexte qu'il aurait pu attendre d'être avec nous pour commencer à manger. Le simple fait de l'avoir vu avec une pomme m'a donné cette idée. Le sourire qu'il affichait à quelques mètres de nous s'est envolé immédiatement. Alcinoa rentre dans son rôle en me répondant que ce n'est pas grave.
Nous abordons la suite de notre voyage. Le troisième sens d'Alcinoa est censé être à l'extérieur de Mégare. En discutant avec les badauds, nous apprenons qu'il existe des ruines. Pour les rejoindre, il faut emprunter la route des collines et traverser le pont. C'est à deux petites heures de marche sans se presser. Un pécheur nous apprend qu'un bateau a fait naufrage sur la côte qui suit le pont. Que personne n'a survécu. Qu'il a eut beaucoup de chance de pouvoir revenir car cette partie est infesté d'ichtians qui chassent tant sur terre que dans l'eau. Ce bateau transportait de fabuleux trésors dont les coffres jonchent la plage. A cette mention, les yeux de Basile s'illuminent. Je hausse les épaules en maugréant que notre but n'est pas de nous enrichir. Sa répartie me laisse sans voix :
- T'inquiète, on va joindre l'utile à l'agréable, c'est sur notre route.
- Comment peux-tu connaitre notre route Basile ? Stauros nous renseigne de la suite de notre périple à chaque victoire.
Alcinoa parvient à jouer son rôle à la perfection. Aucune intonation d'irritation dans son timbre. La sincérité de sa question ne fait aucun doute. C'est alors que je comprends l'avantage que nous avons à continuer notre mystification à l'égard de Basile. Il n'y voit que du feu. Ou alors, il est encore plus dangereux que je ne l'imagine.
- C'est simple, tous les gardiens d'un de tes sens la connaissent.
- Désolé, c'est parti tout seul.
Je ne suis pas sincère, je sais. J'ai pris trop de plaisir à lui décocher ce direct. Comme je l'ai pris par surprise, il en est tombé sur les fesses. Mes yeux flamboient de colère. Je m'insurge contre son silence. Il possédait une information cruciale depuis le début et il la sort naturellement, sans le moindre complexe.
- Je n'ai pas jugé utile de le dire car ça semblait implicite.
J'ai la main sur la garde de mon épée quand je lui réponds qu'il y a autre chose d'implicite. Alcinoa devient un as de l'improvisation. Elle met sa main sur la mienne et me souffle :
- Ce n'est pas ce que nous avions convenu. Dans le fond, n'est-ce-pas nous qui n'avons pas été suffisamment curieux ?
- J'en ai assez de cette mascarade. Je vais lui prendre la tête et nous verrons bien si elle repousse.
- Oh, je vois. Tu en es encore à croire que j'ai le basilic en moi. Tant que tu buteras là-dessus, tu passeras à côté du principal.
- Ah oui, et tu peux être plus précis.
Il répond dans un soupir que si des gardiens ont reçus un des sens d'Alcinoa, il y a forcément quelqu'un qui leur a donné. S’il y a une personne qui leur a donné, elle peut sans doute leur reprendre. Ça semble logique, mais ça ne nous apprend rien. Nous savons déjà que nous sommes dans ce monde suite à la transgression de l'interdit des anciens du clan d'Alcinoa. En franchissant le portail, nous avons perdu chacun quelque chose. Elle s'est vue privée de ses sens et moi de ma mémoire.
- Nianiania... Seulement tes souvenirs ne correspondent pas à ce monde, ni à celui dont tu es censé venir n'est-ce pas ?
Cette fois, c'est lui qui marque un point. Mais comment le sait-il ? Je ne me souviens pas lui en avoir parlé. Il continu son raisonnement en prétextant que quelqu'un, sans doute Stauros, tenterait de me faire croire que je viens d'un autre monde. La raison ? Peut être parce que je représente un danger. La belle affaire.
- Donc les souvenirs que l'on me rend sont faux ?
- Tout à fait. Ils servent à te brouiller l'esprit. C'est pour cela que certains détails te paraissent anormaux.
Je n'aime pas quand il marque des points. Il prend de l'assurance et moi, je deviens fébrile. Pourtant, je n'ai parlé à personne de mon dernier rêve. Celui dans lequel Alcinoa s'appelle Alicia. Comme il note que j'hésite, il surenchéri :
- Si tu ne veux pas que ton ennemis revienne, envoi le ailleurs. Fais lui croire qu'il vient d'ailleurs. Qui aurait le plus intérêt à ce que ne revienne pas au pays ?
- Les anciens de mon clan.
La voix d'Alcinoa était tombée tel un couperet. Il s'en suivit un court silence ou chacun reprenait sa respiration.
- Les anciens de ton clan ont-ils les moyens de manipuler la mémoire et les sens ?
Cette fois, elle reste sans voix, hochant simplement la tête pour marquer l'affirmatif.
- D'après toi, nous serions dans une espèce de rêve. Admettons, dans ce cas, quel est ton rôle ?
- Je suis ta conscience. Celle que l'on fait taire quand ce qu'elle dit ne nous plaît pas. On m'a donné les traits de ton pire cauchemar pour tu finisses par le détruire. Un sujet sans moral est plus facile à manipuler.
- Si tout n'est que rêve, je n'ai qu'à rendre les armes.
- Non ! La mort dans ce monde signifie la perte de ton esprit dans le monde d'où tu viens.
J'ai l'impression d'avoir un joug de plomb sur les épaules. Ainsi je serais un jouet, depuis le début. Ils m'ont fait croire que je pourrais vivre quelque chose avec Alcinoa. Mais leur objectif final restait ma mort. Quitte à la sacrifier puisque chez les fées, si ton amour meurt, tu le suis dans le cycle lunaire suivant. Suivant mon raisonnement, Basile surenchéri :
- Comme tu n'es pas mort face à leur trois principaux ennemis, ils ont imaginé ce plan pour que, soit tu meurs, soit elle meurt.
Tout ça se mélange mal dans la tête. C'est comme-ci je secouais un récipient contenant de l'eau et de l'huile. Même avec la plus grande énergie, ça n'est pas miscible. Je décide de nous remettre en route. Deux heures avant d'arriver au prochain sens, ça me laissera le temps de faire le point. Pour une fois, Basile se tait. Il retient sans doute son souffle tel un parieur qui attend la fin de la course. Il sait qu'il a fait mouche et qu'il est passé de suspect dangereux à irremplaçable allié. Car qui pourrait se passer de son témoin intérieur.
J'aimerais bien savoir ce qui se trame dans la tête d'Alcinoa. Parce que si la version de Basile est juste, elle vient d'apprendre qu'elle a été jugée comme un dommage collatéral.

En tout cas, ils sont super balèzes. Ils arrivent à créer un monde, celui dans lequel nous évoluons, et nous faire croire que l'on vient d'un autre. Le rôle de Stauros devait être de nous maintenir dans l'illusion. Seulement, comme je n'ai pas tué Basile, j'ai dû contrarier leur plan. Maintenant que je suis au courant, que vont-ils encore inventé ? Vont-ils oser renvoyer Stauros ? Je l’attends de pied ferme.

3 commentaires:

  1. Fouilleouilleouille! On se pose pleins de questions, la lecture est fluide et agréable, et les doutes d'Eli nous envahissent! Bravo! (j'ai pleins de théories sur la suite, mais je les garde pour moi pour l'instant^^)

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  2. J'aimerais bien les connaitre, parce que moi je n'en ai qu'une ^^

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  3. Très très intéressant ce chapitre !!! On est en plein 'délire' entre le réel, l'irréel, le rêve et l'imaginaire un truc de fou ><' Mais le suspens est toujours présent et nous prend !! L'attente est vraiment difficile, vivement la suite ! ^^

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