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dimanche 13 avril 2014

Partie 3 - Chapitre 11 - Michel Stauros

Partie 3 - Chapitre 11 - Michel Stauros.
Je n'aurais pas dû accepter. Je ne me sens pas à l'aise. Faut dire que ça fait tellement longtemps que je ne me suis pas retrouver au restaurant avec une femme. Je veux dire, dans un autre cadre que celui professionnel. Encore que, je me demande bien de quoi nous parlerons. Je n'ai qu'à partir puis je lui laisse un message. Au moment où je me décide enfin, elle entre dans la salle.
C'est la première fois que je la regarde autrement que comme la femme d'un patient. On dirait qu'elle s'est préparée pour ce déjeuner. Ses cheveux sont rassemblés en queue de cheval. Elle porte un jeans près du corps qui galbe ses longues jambes. Un chemisier couleur violine boutonné juste ce qu'il faut pour ne pas être provoquant ni austère. Elle est maquillée. Pas le pot de peinture qui veut qu'on la remarque, non, c'est subtil, chaque touche souligne ce qu'il faut. Je ne l'ai jamais vu aussi femme qu'aujourd'hui. Pour un peu je pourrais presque lui voir des ailes dans le dos. Je reviens à la réalité quand elle me dit :
- Fermez la bouche Michel, on dirait que vous ne m'avez jamais vu.
Je réponds un peu gêné que c'est un peu le cas. Du coup elle sourit alors que ses joues s’empourprent légèrement. Je me mets à balbutier des remerciements pour l'invitation. Décidément, j'ai vraiment du mal. C'est vrai quoi, d'habitude, je pose des questions ou j'explique des cas cliniques. Rien qui ne ressemble à la conversation à tenir avec une femme. Oui, d'accord, vous allez me dire que ça explique mon célibat. Peut être. Elle prend soudain les devants et met les pieds dans le plat.
- Michel, j'avais besoin de me confier à quelqu'un que je pourrais considérer comme un ami.
Ce terme me fait l'effet d'une lame de guillotine. Pourquoi me suis-je mis à m'imaginer que les choses pourraient évoluer différemment ? Je n'en sais rien. Je pense que n'importe quel homme, célibataire, aurait envisagé cette option. Je dois afficher une légère déception, car elle juge bon de préciser qu'elle ne sera jamais la femme d'un autre homme, tant qu'Éli a une chance de s'en sortir. Au moins les choses sont claires. Qu'est-ce qui l'a dynamisé de la sorte ? On est loin de la femme en larme, les yeux bouffis par la fatigue et la tristesse. Elle est sûre d'elle, en tout cas, c'est l'impression qu'elle donne.
Soudain, elle rentre dans le vif du sujet. Elle évoque l'agression de son patron, l'infiltration dans mon labo et la participation d'Hector à l'expérience. Elle émet l'hypothèse que tout pourrait être lié. Je l'écoute me parler d'un hypothétique personnage manipulant les événements pour qu'Éli ne revienne pas. En temps normal, j'aurais mis cette tendance paranoïaque sur le compte du stress. Seulement, il est effectivement troublant qu'un grand nombre de "bizarreries" se produisent dans son environnement. Je retiens notamment le point concernant les caméras. Entre celle de mon labo et celles dans la rue du restaurant, quelqu'un cherche à ne pas laisser de traces.
C'est bien beau tout ça, mais je reste un scientifique. Je m'appuie sur des faits, non sur des présomptions. La vraie question est comment faire la part entre le vrai et le faux. Même si je suis flatté qu'elle voit en moi un ami, un confident, ne m'a telle pas choisie sciemment ? Surtout depuis qu'elle sait pour mon labo.
- Il faut que nous gardions la tête froide Alicia. Ce que nous avons ne pourrait pas convaincre quiconque.
- Je ne suis pas de votre avis. Ce flic, l'inspecteur Égala, il pourrait nous aider.
- Je n'ai pas vraiment envie de voir un flic fourrer son nez dans mon labo.
- Pourtant, vous n'avez rien à cacher.
Ce n'est pas ça le problème. Je n'aime pas qu'on regarde par dessus mon épaule. J'ai déjà à supporter de devoir faire régulièrement un rapport de mes travaux. Si en plus, il faut que je m’abaisse à rendre des comptes à un fonctionnaire.
- Même si cela veut dire trouver qui pollue votre expérience ?
Raaaah, elle a raison. Ça me gave depuis que je m'en suis aperçue. Ça ne s'est pas reproduit depuis, mais je ne sais pas quel impact il y a eut sur Éli. Je compte un peu sur Hector pour m'expliquer comment son fils vit la situation. Seulement, j'ai l'impression de jouer à la roulette russe. Un barillet six coups, une seule balle, une chance sur six de s'exploser la tête. Je n'ai pas pu refuser ses doléances. C'est qu'il est vachement au courant des progrès de la science pour un vieil archéologue qui perd la boule. Je lui ai donné quarante huit heures. Après, je le réveille. Je ne sais pas ce qui reste le plus aléatoire. Pouvoir compter sur une cohérence de ses propos lors de son réveil, ou tabler sur la réussite de l'entreprise.
- Vous pourriez m'y envoyer ?
Ben tiens. Je l'attendais cette question. Elle est légitime de sa part vu que maintenant elle sait qu'il est possible de "connecter" deux personnes en rêve.
- Ça ne serait pas prudent.
- Pourquoi ? Parce que je suis plus jeune qu'Hector ?
- Non, ça n'a rien à voir avec l'âge. Je vous ai créé dans son rêve. Si je vous y envoi, vous serez en double. Il est fort possible que son esprit rejette cette possibilité.
- Qu'est-ce que cela provoquerait ?
- Difficile à dire. Mais il y a un gros risque qu'il se ferme complètement et s'enfonce dans un coma encore plus profond.
Elle a un petit rire grinçant. C'est vrai qu'après dix ans de mutisme, c'est compréhensible. Je lui explique que si nous perdons son esprit, il est fort probable qu'il meurt faute de se battre.
- A l'heure actuelle, il se bat pour sauver une fée qui vous ressemble. Ça lui donne l'énergie nécessaire pour rester parmi nous.
Cette fois, elle lève les yeux au ciel. Le serveur venu prendre notre commande interrompt momentanément la discussion. Elle prend du saumon aux épinards et pomme dauphine, tandis que je choisis plutôt un pavé de bœuf saignant avec sa garniture. A peine a-t-il tourner les talons qu'elle revient à la charge.
- Je ne serais pas réellement en double. Dans votre histoire, la fée ressemble à ce que j'étais à 19 ans. Il me suffirait de me couper les cheveux et de faire une couleur, les 26 ans d'écart feraient le reste.
Je reste songeur. Il serait assez simple de la faire passer pour un membre de la famille d'Alcinoa. Ça expliquerait la ressemblance. Mais il reste un problème de taille :
- Vous arriveriez à supporter de voir votre mari dans les bras d'un de vos clones plus jeune ?
J'ai marqué un point indéniable. Je la voie réfléchir pendant que le serveur dispose les assiettes. Le fumé met en appétit. Je me rends compte que j'ai faim depuis un bon moment.
- Comment rencontre-t-on votre inspecteur ?
- J'ai sa carte, il me suffit de l'appeler. Êtes-vous certain de vouloir le faire ?
- Le fond du problème est que je n'en ai pas encore parlé au directeur de l'hôpital. Je ne suis pas certain qu'il appréciera. Mais je ne peux rien faire sans son accord préalable. Et comme il n'y a pas eu vol, il ne verra pas l'utilité de la police.
- La seule intrusion ne peut pas justifier une petite enquête ?
- Vous connaissez le paradoxe de la police, non ? Au plus vous avez d'agents de police, au moins vous vous sentez tranquille. C'est idiot, mais c'est une réalité. Et il en suffit d'un pour que vous ne soyez plus naturel. Ce qui n'est pas naturel semble suspect. La suspicion engendre la crainte qui amène à l'erreur. Cette dernière provoque la sanction.
- Vous êtes un vrai "bout en train" Michel.
- Je suis réaliste, mais je suis d'accord avec vous sur un point. Si votre inspecteur est aussi efficace que vous le pensez, il aura peut être une idée qui nous aidera.
Je remarque à l'instant qu'elle a déjà fini son assiette. C'est plutôt rare chez une femme de manger vite. Sauf que c'est moi qui parle, donc il est logique que je sois en retard. Nous fixons rendez-vous à l'inspecteur à 14 heures, ce qui nous laisse le temps de prendre le dessert et le café. Comme nous nous retrouvons à mon bureau, je demande à mon directeur de venir me rejoindre à la même heure. Il est intrigué par le mystère que je laisse planer mais accepte. Comme nous nous attendons à répondre aux questions de l'inspecteur, nous nous questionnons à tour de rôle.
- Pourquoi penser que quelqu'un en veuille à votre mari ?
- Pour plusieurs raisons. Premièrement, quelqu'un est entré dans votre labo pour interférer dans votre expérience. Deuxièmement, Éli a toujours été un sportif. Il n'a jamais souffert de problème cardiaque. Or, il a fait deux arrêts en quelques jours. Comment ne pas en venir à cette conclusion ?
- Oui, bon, c'est juste, mais en même temps, ça ne prouve rien. Le taux de stress consécutif à l'expérience peut expliquer un pic de tension provoquant un arrêt cardiaque.
- Ok, Sherlock, pourquoi pensez-vous qu'on en veuille à mon mari ?
- En réalité, le fait que ce soit votre mari n'est que pure coïncidence. J'aurais choisi un autre patient que ça serait pareil. Les deux mamelles du crime sont le sexe et l'argent. Je ne pense pas que le sexe soit en cause, il ne reste donc qu'une question d'argent.
- Admettons, mais à qui profite l'échec de votre expérience ? Et que vient faire l'agression de mon patron dans l'histoire ?
- Sauf votre respect, vous êtes l'arbre qui cache la forêt. Vous êtes celle qui attire les soupçons, qui détourne l'attention.

Nous avons continué ce petit jeu jusqu'à nous retrouver dans mon bureau. L'inspecteur et le directeur nous attendaient déjà. J'ai été surpris de décoder un regard entendu entre eux. C'est alors que j'ai compris que je pouvais faire un bon suspect également. Après tout, on peut très bien imaginer que, conquis par la femme de mon patient, je sois prêt à saborder mon expérience pour l'avoir…

2 commentaires:

  1. Oui,oui,oui...le suspens est à son comble...Allez, je me lance: Le fameux David, le grand copain devant l'éternel mais qui lorgne sur Alicia...Il aurait pas un rôle moins glorieux et plus...sombre?

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  2. Intéressante théorie... Tiens, c'est vrai que ça fait un moment qu'on entend plus parler de lui ^^

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