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dimanche 30 mars 2014

Partie 3 - Chapitre 9 - Alicia

Partie 3 - Chapitre 9 - Alicia.
Comment j'ai pu lui faire ça. Pour la première fois depuis que je travaille chez lui, je suis en retard. Je me mords la lèvre inférieure de dépit. Il faut dire que cette matinée a été haute en couleur. En fait, ce sont les dernières vingt-quatre heures qui furent complètement folle.
Entre la psychose de Michel qui est convaincu que quelqu'un intervient dans son expérience ; Hector qui débarque, bourré de médicaments pour garder les idées claires et Ophélie qui me snobe depuis que je l'ai fait voler sur les fesses, je sature d'émotions. Il ne manquerait plus qu'un David un peu trop pressant et je craque. Heureusement, je travaille, enfin je travaillais. Parce que la seule chose que mon patron ne tolère pas, c'est le retard. Pour ne rien arranger, c'est jour de marché, ce qui signifie moins de places pour se garer, voir carrément pas. Du coup, je n'ai pas pris ma voiture. Vous allez me dire que je le fais exprès : ne pas prendre un moyen de transport plus rapide alors qu'on est en retard, c'est aggraver son cas. Mais non, car toute l'avance que l'on peut avoir en se déplaçant plus vite, on la perd à chercher une place pour se garer.
Qu'est-ce qui m'a mis dans cette fâcheuse position ? Déjà, j'ai dû passer la nuit chez Hector. Il a insisté pour me faire dormir dans la chambre d'Éli. J'ai cédé parce qu'il ne se rend pas compte de ce qu'il me demandait. Nous avons passé les premières semaines de notre union dans cette chambre. Une foule de souvenirs sont remontés.
Après notre retour de l'hôpital, il a disparu dans ses appartements. Elsa, son aide à domicile, a préparé le repas puis m'a appris que je mangerais seule. C'est une femme extraordinaire. Elle n'interfère en rien dans l'existence d'Hector, mais il ne pourrait pas survivre une semaine sans elle. Depuis son embauche, condition sinéquanone à son maintien à domicile, elle sait qu'elle doit officier dans la plus grande discrétion. Elle s'occupe du linge, de l'entretien des locaux, des repas, des courses, bref de tout ce dont une maison a besoin. Il n'est plus en mesure de s'en occuper. Et puis, il a toujours eu des assistants, même quand il était sur le terrain avec Éli. Du coup, il a toujours été dépendant. Quand il est en pleine possession de ses moyens, il le reconnaît volontiers. Il en a usé des majordomes et autres bonnes à tout faire. Elsa est celle qui résiste le mieux. J'espère pour lui qu'elle ne le lâchera pas. Sinon il aura du mal à en trouver une aussi efficace.
Pour l'instant on n’en est pas là. La deuxième raison pour laquelle je suis en retard, c'est qu'il m'a fallu batailler pour l'admission d'Hector à l'hôpital. Tous les papiers qu'il faut fournir pour entrer, c'est la folie. Trouver des papiers chez soi, c'est facile quand on a un minimum d'organisation. Trouver les papiers d'Hector, dans son bazar, une vraie partie de plaisir. Une fois l'admission officialisé, je n'ai pas pu lui dire "au revoir". Il était plongé dans un coma artificiel au côté de son fils. Et pour finir de me rassurer, Michel qui reste évasif sur les chances de réussite de l'expérience : "Tout est expérimental, Alicia. Comment voulez-vous que je me prononce alors qu'il n'y a aucun précédent".
A ce moment précis, j'ai regardé ma montre. J'ai du blêmir car Michel m'a demandé si tout allait bien. Non seulement je ne lui ai pas répondu, mais je l'ai planté là. Il me fallait passer chez moi, me changer et foncer au boulot.
Quand je tourne dans la rue, je suis surprise de voir deux voitures de police et le "SAMU" devant le restaurant. Je sens mon sang se figer. Mon esprit s'emballe, tout comme mon pas. Un gardien de la paix m'empêche d'avancer plus. Mais un inspecteur remarque mes vêtements portant le logo du restaurant, il le fait signe de venir à lui.
- Que s'est-il passé ? Est-ce que tout le monde va bien ? Ou est Pierre ?
Visiblement agacé de ne pas être celui qui pose les questions, il me somme de me taire et de répondre à ses questions, du genre : "quelles sont vos relations avec M. Vouet ?" et "ou étiez-vous entre hier et aujourd'hui ?" Je ne comprends toujours pas ce qui est arrivé quand j'entends derrière moi une voix familière :
- Il y a eu un braquage peu avant l'ouverture. Ton patron est aux urgences, il a pris deux balles. Des drogués en manque, vraisemblablement.
- Inspecteur Égala !
Voilà quelques années que je n'avais pas vu l'inspecteur qui avait été le premier sur les lieux de notre accident. Depuis le temps, il avait perdu des cheveux et pris quelques kilos. Néanmoins, je distingue dans son regard la même étincelle. Cette curiosité qui fait qu'il possède un des meilleurs taux de réussite dans ses enquêtes. Après l'accident, il avait pris régulièrement nos nouvelles. Même s'il lui était quasiment impossible d'extérioriser ses sentiments, je savais qu'il compatissait à ma douleur. Subitement, je n'ai plus eu de nouvelles de lui jusqu'à ce que j'en comprenne la raison dans les journaux. Il avait démantelé un réseau de drogue. Au moment d'appréhender la tête de la filière, il avait glissé sur la poudre blanche répandu au sol. Le plus extraordinaire fut que dans sa chute, il dévala les escaliers jusqu'à s'amortir sur celui qu'il poursuivait. Ça reste, à ce jour, la plus incongrue des arrestations. Il en était sorti avec la jambe cassée, les ligaments sectionnés, mais il avait atteint son but. C'est sa coéquipière qui l'emmena à l'hôpital. Un mois après l'opération, il avait encore la cuisse droite deux fois plus grosse que l'autre. Ça lui a valu le surnom de "Strad".
Comme je fronce les sourcils, il m'explique que cela fait référence au crabe violoniste,
Strad étant le diminutif de Stradivarius. Je sourie mais il comprend que je m'inquiète pour Pierre. Michaël Égala n'est pas un policier à l'ancienne avec un crayon et un carnet. Non, il est "high tech". Il a un stylo, certes, mais il reste dans la poche de sa chemise. Il fait son office car il enregistre notre conversation. J'explique les dernières vingt quatre heures. Cette fois, c'est lui qui fronce les sourcils sur les mots comme "résurgence" ou "rêve partagé". Il y a une chose qui me tracasse. Je sais pertinemment qu'entre les questions apparemment anodines, il analyse mes réponses. Mais si ce sont des drogués qui ont braqué le restaurant, pourquoi me demande t-il mon alibi. N'y tenant plus, je lui lance au visage :
- Pourquoi j'ai l'impression d'être considérée comme suspect ?
- C'est la procédure, Alicia. Il y a un certain nombre de détails surprenants.
- Comme ?
- Je ne peux rien vous dire durant le déroulement de l'enquête, je suis désolé.
- Pas autant que moi. Dites-moi tout de même si le restaurant peut être ouvert...
- Quand l'équipe d'investigation aura finit, nous enverrons une équipe de nettoyage. Après, je pense que vous pourrez ouvrir de nouveau.
- En terme de temps, ça donne quoi ?
- 48 à 72 heures, en règle générale.
- Et mon patron, ou a t-il été emmené ?
Il me répond de manière laconique qu'il ne me sera pas possible de le voir pour deux raisons. La première est qu'il se trouve en soins intensifs suite à ses blessures. La seconde, qu'il a tué un des agresseurs ce qui le place obligatoirement en garde à vue pour homicide.
Je quitte l'inspecteur sur son accord pour me diriger vers mon appartement. Je pensais prendre un savon monumental du fait de mon retard, j'étais loin d'imaginer ça. Je suis hagarde. Je n'arrive pas à aligner deux pensées cohérentes. J'ai l'impression de porter la poisse. D'abord ma stérilité, ensuite l'accident d'Éli. Maintenant, Hector qui veut rejoindre son fils en rêve et mon patron qui se fait agresser. Il n'y en a qu'un qui s'en sort bien dans mon entourage. Ça va faire quelques jours que je n'ai pas de ses nouvelles. Si ça se trouve, il s'est fait assassiner, et il croupit dans son sang quelque part. Le simple fait d'évoquer cette éventualité, j'en ai la chair de poule. Je devrais peut être l'appeler. Mais si je le fais, je risque de devoir le supporter.
Je me résous à attendre encore un moment, histoire de digérer tout les événements. "Chômage technique» ! J'ai deux ou trois jours devant moi. Michaël m'a promis de m'appeler dès qu'il aurait du nouveau. Tout en m'éloignant du restaurant, je remarque que des policiers inspectent les caméras de certains établissements. Au moment ou je franchis la porte de l'un d'eux, je perçois les mots : "là aussi, chef, caméra hors service". Je m'arrête au coin de la rue, me retourne et prend la mesure du problème. Il semble que toutes les caméras environnantes soient hors d'usage. C'est en tout cas ce que la gestuel des forces de l'ordre m'impose comme conclusion. En laissant traîner mon regard, je finis par croiser celui de l'inspecteur. Pourquoi me dévisage t-il de la sorte ? Qu'est-ce que lui souffle son imagination ? Son insistance me donne l'impression qu'il me croie coupable de quelque chose. Après tout, une femme dont le mari est dans le coma depuis près de dix ans. Une femme qui a dû mal à joindre les deux bouts. Une femme, d'habitude toujours à l'heure, qui se retrouve en retard le jour du braquage du magasin. Ça fait de moi quelqu'un a surveillé.
Faut que j'arrête de délirer. Il me regarde parce que ça fait longtemps que l'on ne s'est pas vu. Que c'est un homme et moi une femme. Je ne peux pas continuer comme ça. Je perds les pédales. Mais à qui en parler ? Vers qui me tourner ? Je n'ai personne, en tout cas, personne vers qui j'ai envie d'aller. Disons que celui vers qui j'irais bien, a ses propres soucis et idées négatives. Peut être que ça nous ferait du bien d'en parler. Lui au moins ne me drague pas. Nous avons des intérêts communs.

J'accélère le pas, maintenant que je sais ce que je vais faire. Je passe chez moi, je me douche et je l'appelle. Après tout, il doit manger aussi, on pourra sans doute déjeuner ensemble.

1 commentaire:

  1. Rhô! Qu'est-ce qu'il est fort; cet inspecteur Egala!!!! C'est lui qui devrait être le héro en fait, non?
    Blague à part, merci beaucoup pour ce clin d'œil, et bravo pour cette intrigue qui continue de s'épaissir! J'imagine ces différents chemins se rejoindre en une apothéose qui promet!

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