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lundi 17 mars 2014

Partie 3 - Chapitre 7 - Hector

Partie 3 - Chapitre 7 - Hector.
Il y avait longtemps que je n'avais pas passé autant de temps avec quelqu'un. Enfin, je crois. Je ne suis plus sûr de rien.
- Et oui mon vieux, tu débloques de plus en plus.
- Je ne te permets pas !
- Comme-ci ça changeait quelque chose.
Elle m'énerve quand elle dit ça. Surtout que je sais qu'elle a raison. Mais je ne peux rien faire. J'ai essayé toutes sortes de méthodes sans rejeter les traitements les plus avasifs. Rien n’y a fait. Lentement, inexorablement, elle me ronge la tête mélangeant la réalité à la fiction. Le passé devient le présent, qui lui, disparait. Parfois, les images de scènes vécues "en tant que passager" émergent de manière décousue.
- Ça m'amuse, que veux-tu ? Tu verrais la tête que tu fais dans ces moments-là. C'est à se rouler par terre.
- Rigole tant que tu peux. J'ai bien l'intention d'accepter sa proposition.
- Parce que tu croies réellement que ça aura le résultat escompté ?
- Qu'est-ce que je perds à essayer ?
- Je vais te le dire : dégénérescence hâtive.
- Pourquoi te croirais-je ?
- T'ai-je déjà menti ?
Elle marque un point, encore... Pourtant, c'est tentant.
- Franchement, tu me fais pitié.
- Comment peux-tu parler de sentiment ? Tu n'es qu'une maladie à ce jour incurable.
- Te prêter à cette expérience hasardeuse va te faire baisser ta garde. Je ne résisterais pas à ce boulevard. A terme, tu seras...
- ... À ta merci.
- Tu es déjà à ma merci, tu seras un légume. Le peu de conscience qui restera de toi sera prisonnier d'un patchwork d'images de toutes époques. Tu voudras mourir, mais tu ne pourras pas le demander. Est-ce cela que tu veux ?
- De toute façon, je n'ai pas le choix.
- Pourquoi ça ?
- Tu répètes sans cesse que mon combat contre toi est perdu d'avance. Je ne ferais donc qu'accélérer l'inexorable. Mais l'idée de faire comme Obi-Wan face à Dark Vador me plait assez.
- Obi... Qui ?
- C'est dans ce genre de moment que tu montres tes limites. Tu n'es qu'une garce inculte. Incapable de montrer la moindre imagination. Tu es tout juste bonne qu'à torturer tes victimes.
- Là tu jubiles. Mais crois moi, tu n'en as plus pour très longtemps.
Je ne le sais que trop. La discussion avec Alicia et Michel me donne vraiment l'espoir de parvenir à mes fins avant de baisser le rideau. Il a de la chance d'avoir une femme comme elle. Elle va tout faire pour qu'il revienne.
- Bon, ça n'est pas tout ça, mais il faut que je me prépare...
- Te préparer pour quoi ?
- Oui, pour... Diantre, je ne me souviens pas.
- Ah ah ahah quel misérable !
- Vous devez vous préparer pour passer quelques nuits à l'hôpital, beau papa.
- NON ! Qu'est-ce qu'elle fait là ?
- Tu ne t'y attendais pas. J'en suis fort aise. J'arrive encore à te surprendre. Maintenant il est temps que tu t'endormes.
- Encore des cachets. Tu en prends de plus en plus. Tu joues mon jeu. Ton corps s'y habitue, bientôt ils ne feront... Plus... D'eff... Zzzz.
- Alicia, nous avons peu de temps.
- Alors allons-y. Le professeur doit nous attendre.
Même avant la maladie, j'ai toujours été un peu "ours". Plongé dans mon univers ou se mêle la mythologie et l'histoire. Les gens qui me côtoyaient me qualifiaient de peu sociable. Il faut dire que la plupart étaient incultes, complètement privés de la moindre culture générale. Je m'étais doucement habitué à être traité en ermite. Je crois que j'ai, non intentionnellement, communiqué ce travers à Éli. Pourtant, en quelques heures, une tornade de gentillesse et de sollicitude est venue balayer mon caractère de cochon. Elle s'est proposé de m'aider à préparer mes affaires et m'emmener à l'hôpital. C'est elle qui m'a ramené car après une demi-heure de discussion, Mégère avait repris le dessus sur mon esprit. C'est l'inconvénient quand je prends mon traitement. Elle s’endort un moment pour revenir en furie. A son réveil, elle arrive de plus en plus souvent à prendre le dessus. Elle s'ingénie à me torturer en me lançant dans des situations humiliantes. Comme la fois où je me suis retrouvé nu dans une cabine de douche d'un magasin de bricolage. Vous ne me croyez pas, je peux le comprendre. Mais dites-vous qu'elle mélange tout dans ma tête. Quand j'ai le dessus, je sais devoir faire telle ou telle chose. Puis elle prend le contrôle, s'ingéniant à me faire croire des choses fausses. Là où elle est très forte, c'est quand elle se sert de chose qui font appel à des souvenirs. Cette cabine de douche du magasin ressemblait à s'y méprendre à celle que j'avais en Grèce. Ce jour-là, il faisait chaud, elle en a profité.
Vous vous demandez sans doute pourquoi Alicia m'emmène à l'hôpital. C'est une idée folle. Je ne sais pas si elle me permettra d'atteindre mon but, mais je crois que je m'en voudrais si je n'essayais pas. Michel n'étais pas chaud du tout, seulement, quelque chose l'a convaincu. Il a dit que cela avait à voir avec la réaction d'Éli à ce que je lui ai dit. Enfin, je crois, car Mégère ne m'a pas épargné depuis.
Le principal effet secondaire des cachets que je prends est la baisse de l'inhibition. Ça engendre parfois des complications, comme poser une question qu'on aurait tue en temps normale.
- Alicia, pourquoi n'avez-vous jamais donné d'enfants à Éli ?
L'art du combat m'a appris une chose : quand on fait mouche, l'adversaire ne peut pas le cacher. Elle n'est pas un adversaire, mais son visage ne peut retenir le passage d'un masque de tristesse. Est-ce parce que je me suis montré indélicat ? Ou parce qu'elle m'en a déjà parlé et que je ne m'en souviens pas ? C'est comme le débranchement d'Éli. Pourquoi je ne me souviens pas d'une décision aussi grave ? Pourtant, je peux la comprendre. Je n'aimerais pas être maintenu artificiellement en vie. C'est sans doute ce qui m'a poussé à valider cet accord. Quelque part, heureusement qu'elle a fait cette demande. Sans quoi, Éli serait sous respirateur menant une vie assistée qu'il n'aurait pas choisi.
Nous arrivons à l'hôpital. Hier encore, Éli faisait une attaque. Aujourd'hui, il va recevoir une visite à laquelle il ne s'attend pas. Michel Stauros me fait signer un tas de papier censé le protéger. C'est le comble de l'histoire, c'est moi qui risque ma vie, mais lui protège sa réputation. Hormis Alicia qui pourrait porter plainte s'il m'arrivait malheur, personne d'autre n'est à redouter. Je n'ai qu'un seul enfant, et ni frère ni sœur encore de ce monde. Stauros me voit sourire, pourtant il choisit de ne rien dire. Il doit avoir l'habitude. Tant qu'on ne tend pas le bâton, pas de raison de se faire battre. Il me rappelle les risques, avc, arrêt cardiaque, ou simplement échec de l'expérience. Après tout, ça reste de l'expérimental.
Je pénètre dans la chambre d'Éli. Je me dirige vers le cabinet de toilette afin de me mettre en tenue. Une fois habillé de papier crépon, je prends place dans le lit qu'on a installé à côté de celui de mon fils.
- Qu'est-ce tu fous là ? Dans quoi tu nous as encore fourrés, vieux malade ?
- Salut Mégère, je vois que tu reviens juste à temps.
Elle tente de reprendre le contrôle, mais Ophélie, la plantureuse infirmière, m'a déjà sanglé au lit. Décidément, à chaque fois que je la rencontre, elle embaume à dix lieues à la ronde.
- Qu'est-ce-que tu as fait ? Pourquoi es-tu attaché à côté de ton fils ? Non... NON... Tu ne vas pas faire ça ! C'est déloyal ! Tu triches !

Mégère envahit mon esprit en vociférant. Néanmoins, elle ne parvient pas à m'occulter. Je garde rageusement une part de moi ancrée sur l'espoir de revoir Éli. Je regarde fiévreusement le liquide serpenté dans la perfusion. On me demande de compter. Je ne me souviens pas du dernier chiffre prononcé audiblement.

1 commentaire:

  1. Ah, sacrée Mégère! J'aime vraiment bien ce combat intérieur...Un don Quichotte moderne face aux moulins de la maladie!

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