Partie 3 - Chapitre 7 - Hector.
Il y
avait longtemps que je n'avais pas passé autant de temps avec quelqu'un. Enfin,
je crois. Je ne suis plus sûr de rien.
- Et oui mon vieux, tu débloques de plus en
plus.
- Je ne
te permets pas !
- Comme-ci ça changeait quelque chose.
Elle m'énerve
quand elle dit ça. Surtout que je sais qu'elle a raison. Mais je ne peux rien
faire. J'ai essayé toutes sortes de méthodes sans rejeter les traitements les
plus avasifs. Rien n’y a fait. Lentement, inexorablement, elle me ronge la tête
mélangeant la réalité à la fiction. Le passé devient le présent, qui lui,
disparait. Parfois, les images de scènes vécues "en tant que passager"
émergent de manière décousue.
- Ça m'amuse, que veux-tu ? Tu verrais la tête
que tu fais dans ces moments-là. C'est à se rouler par terre.
- Rigole
tant que tu peux. J'ai bien l'intention d'accepter sa proposition.
- Parce que tu croies réellement que ça aura
le résultat escompté ?
-
Qu'est-ce que je perds à essayer ?
- Je vais te le dire : dégénérescence hâtive.
-
Pourquoi te croirais-je ?
- T'ai-je déjà menti ?
Elle
marque un point, encore... Pourtant, c'est tentant.
- Franchement, tu me fais pitié.
-
Comment peux-tu parler de sentiment ? Tu n'es qu'une maladie à ce jour
incurable.
- Te prêter à cette expérience hasardeuse va
te faire baisser ta garde. Je ne résisterais pas à ce boulevard. A terme, tu
seras...
- ... À
ta merci.
- Tu es déjà à ma merci, tu seras un légume. Le
peu de conscience qui restera de toi sera prisonnier d'un patchwork d'images de
toutes époques. Tu voudras mourir, mais tu ne pourras pas le demander. Est-ce
cela que tu veux ?
- De
toute façon, je n'ai pas le choix.
- Pourquoi ça ?
- Tu répètes
sans cesse que mon combat contre toi est perdu d'avance. Je ne ferais donc qu'accélérer
l'inexorable. Mais l'idée de faire comme Obi-Wan face à Dark Vador me plait
assez.
- Obi... Qui ?
- C'est
dans ce genre de moment que tu montres tes limites. Tu n'es qu'une garce
inculte. Incapable de montrer la moindre imagination. Tu es tout juste bonne
qu'à torturer tes victimes.
- Là tu jubiles. Mais crois moi, tu n'en as
plus pour très longtemps.
Je ne le
sais que trop. La discussion avec Alicia et Michel me donne vraiment l'espoir
de parvenir à mes fins avant de baisser le rideau. Il a de la chance d'avoir
une femme comme elle. Elle va tout faire pour qu'il revienne.
- Bon,
ça n'est pas tout ça, mais il faut que je me prépare...
- Te
préparer pour quoi ?
- Oui, pour...
Diantre, je ne me souviens pas.
- Ah ah ahah quel misérable !
- Vous
devez vous préparer pour passer quelques nuits à l'hôpital, beau papa.
- NON ! Qu'est-ce qu'elle fait là ?
- Tu ne
t'y attendais pas. J'en suis fort aise. J'arrive encore à te surprendre. Maintenant
il est temps que tu t'endormes.
- Encore des cachets. Tu en prends de plus en
plus. Tu joues mon jeu. Ton corps s'y habitue, bientôt ils ne feront... Plus...
D'eff... Zzzz.
- Alicia,
nous avons peu de temps.
- Alors allons-y.
Le professeur doit nous attendre.
Même
avant la maladie, j'ai toujours été un peu "ours". Plongé dans mon univers
ou se mêle la mythologie et l'histoire. Les gens qui me côtoyaient me qualifiaient
de peu sociable. Il faut dire que la plupart étaient incultes, complètement
privés de la moindre culture générale. Je m'étais doucement habitué à être
traité en ermite. Je crois que j'ai, non intentionnellement, communiqué ce travers
à Éli. Pourtant, en quelques heures, une tornade de gentillesse et de sollicitude
est venue balayer mon caractère de cochon. Elle s'est proposé de m'aider à
préparer mes affaires et m'emmener à l'hôpital. C'est elle qui m'a ramené car
après une demi-heure de discussion, Mégère avait repris le dessus sur mon
esprit. C'est l'inconvénient quand je prends mon traitement. Elle s’endort un
moment pour revenir en furie. A son réveil, elle arrive de plus en plus souvent
à prendre le dessus. Elle s'ingénie à me torturer en me lançant dans des
situations humiliantes. Comme la fois où je me suis retrouvé nu dans une cabine
de douche d'un magasin de bricolage. Vous ne me croyez pas, je peux le
comprendre. Mais dites-vous qu'elle mélange tout dans ma tête. Quand j'ai le
dessus, je sais devoir faire telle ou telle chose. Puis elle prend le contrôle,
s'ingéniant à me faire croire des choses fausses. Là où elle est très forte,
c'est quand elle se sert de chose qui font appel à des souvenirs. Cette cabine
de douche du magasin ressemblait à s'y méprendre à celle que j'avais en Grèce. Ce
jour-là, il faisait chaud, elle en a profité.
Vous
vous demandez sans doute pourquoi Alicia m'emmène à l'hôpital. C'est une idée
folle. Je ne sais pas si elle me permettra d'atteindre mon but, mais je crois
que je m'en voudrais si je n'essayais pas. Michel n'étais pas chaud du tout,
seulement, quelque chose l'a convaincu. Il a dit que cela avait à voir avec la
réaction d'Éli à ce que je lui ai dit. Enfin, je crois, car Mégère ne m'a pas
épargné depuis.
Le principal
effet secondaire des cachets que je prends est la baisse de l'inhibition. Ça
engendre parfois des complications, comme poser une question qu'on aurait tue
en temps normale.
-
Alicia, pourquoi n'avez-vous jamais donné d'enfants à Éli ?
L'art du
combat m'a appris une chose : quand on fait mouche, l'adversaire ne peut pas le
cacher. Elle n'est pas un adversaire, mais son visage ne peut retenir le
passage d'un masque de tristesse. Est-ce parce que je me suis montré indélicat
? Ou parce qu'elle m'en a déjà parlé et que je ne m'en souviens pas ? C'est
comme le débranchement d'Éli. Pourquoi je ne me souviens pas d'une décision
aussi grave ? Pourtant, je peux la comprendre. Je n'aimerais pas être maintenu
artificiellement en vie. C'est sans doute ce qui m'a poussé à valider cet
accord. Quelque part, heureusement qu'elle a fait cette demande. Sans quoi, Éli
serait sous respirateur menant une vie assistée qu'il n'aurait pas choisi.
Nous
arrivons à l'hôpital. Hier encore, Éli faisait une attaque. Aujourd'hui, il va
recevoir une visite à laquelle il ne s'attend pas. Michel Stauros me fait
signer un tas de papier censé le protéger. C'est le comble de l'histoire, c'est
moi qui risque ma vie, mais lui protège sa réputation. Hormis Alicia qui
pourrait porter plainte s'il m'arrivait malheur, personne d'autre n'est à
redouter. Je n'ai qu'un seul enfant, et ni frère ni sœur encore de ce monde. Stauros
me voit sourire, pourtant il choisit de ne rien dire. Il doit avoir l'habitude.
Tant qu'on ne tend pas le bâton, pas de raison de se faire battre. Il me
rappelle les risques, avc, arrêt cardiaque, ou simplement échec de l'expérience.
Après tout, ça reste de l'expérimental.
Je
pénètre dans la chambre d'Éli. Je me dirige vers le cabinet de toilette afin de
me mettre en tenue. Une fois habillé de papier crépon, je prends place dans le
lit qu'on a installé à côté de celui de mon fils.
- Qu'est-ce
tu fous là ? Dans quoi tu nous as encore fourrés, vieux malade ?
- Salut
Mégère, je vois que tu reviens juste à temps.
Elle
tente de reprendre le contrôle, mais Ophélie, la plantureuse infirmière, m'a
déjà sanglé au lit. Décidément, à chaque fois que je la rencontre, elle embaume
à dix lieues à la ronde.
- Qu'est-ce-que tu as fait ? Pourquoi es-tu
attaché à côté de ton fils ? Non... NON... Tu ne vas pas faire ça ! C'est déloyal
! Tu triches !
Mégère
envahit mon esprit en vociférant. Néanmoins, elle ne parvient pas à m'occulter.
Je garde rageusement une part de moi ancrée sur l'espoir de revoir Éli. Je
regarde fiévreusement le liquide serpenté dans la perfusion. On me demande de
compter. Je ne me souviens pas du dernier chiffre prononcé audiblement.
Ah, sacrée Mégère! J'aime vraiment bien ce combat intérieur...Un don Quichotte moderne face aux moulins de la maladie!
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