Partie 3 - Chapitre 8 - Basile.
Je ne
m'attendais pas à ça. Quand je suis entré dans cette grotte, je voulais prouver
à cet entêté que j'étais fiable. Seulement, maintenant, qu'est-ce qui va lui
permettre de se fier à moi ?
La
grotte s'ouvre sur une vaste salle ou la roche n'a pas choisit entre la voute
et le sol. L'odeur est particulièrement forte, mélange d'excréments et de sueur,
saupoudré d'une once de moisi. On s'attendrait à devoir trouver rapidement un
moyen pour voir où l'on met les pieds. Pas la peine, la grotte est illuminée.
Je m'avance jusqu'au premier gros rocher. J'espère être rejoint par Éli et
Alcinoa, mais je ne veux pas revenir en arrière comme un lâche. Non, je vais de
l'avant jusqu'à ce que... Je découvre un spectacle horrible: plusieurs créatures
humanoïdes velues regroupées autour d'un corps. Le bruit émis est significatif.
Elles sont en train de dévorer leur encas. J'ai soudain l'impression que le
sang de chaque membre de mon corps s'évapore. Une boule nauséeuse se forme à mi
chemin entre mon estomac et ma bouche.
Oh, bien
sûr, je sais ce que vous vous dites : Il a du faire bien pire quand il était le
basilic. Tout d'abord, je n'avais pas conscience de ce que la bête faisait
quand elle prenait le contrôle. Ensuite, c'est une chose de faire quelque
chose, c'en est une autre de le voir faire en version gore.
J'ai dû
déglutir un peu trop fort car l'une des bêtes relève la tête. Elle hume l'air
pour analyser les effluves. Je prend conscience que je suis entre l'entrée de
la grotte et leur festin. Donc le souffle de l'extérieur doit rabattre sur eux l'odeur
de ma peur. Ils sont plusieurs à hésiter entre se retourner et continuer leur
repas. Leur choix va être déterminant. S'ils abandonnent leur place pour se
lancer à la recherche de l'odeur qu'ils viennent de relever, plus moyen de "revenir
à table". Leur place sera prise par d'autres. Oui, je comprends ce que vous
vous dites : Pourquoi ne sont-ce pas les autres qui se lancent à ma
poursuite ? Peut-être ne sont-ils pas guerriers ? Dans ce moment de flottement,
on croit qu'on peut faire tout un tas de chose car, dès que la décision est
prise, tout se précipite.
Je me
redresse et fais demi-tour tout en tentant de ne pas perdre de vue les trois hommes-rats
bondir dans ma direction en dégainant. Leurs couinements résonnent dans la
grotte. Mais mon cri supplante tout les autres bruits. Je ne cherche plus à
regarder derrière, je fonce droit devant. La lumière de l'extérieur vacille
pour découper une silhouette que je reconnais de suite. Sans hésiter je plonge
vers le sol. J'entends le gladius d'Éli tournoyer à toute vitesse pour se figer
avec un bruit sourd dans le premier de mes poursuivants. Tout en continuant à
avancer, Éli effectue quelques moulinets qui stoppent net l'élan des guerriers.
Seulement pour chaque rat qui tombe, deux prennent la place. Je reste médusé de
voir Éli tantôt assommer trois assaillants d'un coup de bouclier, tantôt en occire
un ou deux d'une passe fatidique. Soudain son cri me sort de ma torpeur :
-
T'attend quoi pour m'aider ?
Je me relève,
dégaine mon arme juste à temps pour parer une attaque dirigée sur moi. Tant que
j'étais au sol, tous se dirigeaient vers Éli, alors que maintenant, le flot se
divise en deux. Le problème réside dans le fait que je ne suis pas aussi rompu
au combat que lui. Il m'en coûte de le dire, mais c'est la vérité. Visiblement,
les rats doivent s'en apercevoir, de plus en plus me chargent. Éli doit s'en
rendre compte, pourtant il ne fait rien.
Non, ça
y est, j'y suis, il le fait exprès. Je me fais "poutrer" par les rats,
comme ça il est débarrassé du boulet sans se salir les mains. Quand les pièces
se mettent en place dans mon esprit, je sens monter la colère. Celle dans
laquelle j'étais lors de notre premier combat n'est rien à compter de celle qui
monte. A mesure que je sens chaque fibre de mon être fulminer, je suis beaucoup
plus percutant face à mes assaillants. Je finis par me rendre compte que je
suis en train d'imiter chaque mouvement d'Éli. N'ayant pas de bouclier, je me
sers néanmoins de mon bras, poing serré, comme d'une massue.
Combien
peut-il en avoir ? Même si j'ai pris du retard, le tas de poussière noire autour
de moi commence à être impressionnant, et il en arrive toujours. Je n'ai pas le
temps de ramasser un bouclier, pourtant il le manque cruellement. Si, dans un
premier temps ce sont des fantassins qui nous ont chargés, maintenant nos
assaillants sont plus organisés. En première ligne, il y a les hoplites, petite
lance et bouclier, ainsi que les combattants dit "CAC", corps à
corps. Ces derniers ont un armement hétéroclite qui va de la dague à l'espadon
en passant par la hache. Si leur technique de combat est de loin inférieure à
la mienne, c'est leur nombre qui peut faire la différence. À moins que ça ne
soit les secondes lignes. Archers et autres manipulateurs élémentaire. La
première salve de flèches m'a pris au dépourvu. Je crois bien que j'allais lâcher
mon arme quand, à travers le nuage de poussière, j'ai vu les archers décocher. J'ai
dû sursauter quand la plupart se sont figées dans le bouclier qu'Éli a dressé
devant nous.
Moi qui croyais
qu'il voulait ma mort, ça m'a rassuré d'une force. Jusqu'à ce qu'il dise :
- Prend
un bouclier ! Je t'interdis de mourir autrement que de ma main !
Donc, il
veut me voir mort, mais il veut le faire lui-même. Ce n'est pas le genre à me
planter dans le dos, non, c'est en duel, celui commencé à Mycènes.
Tandis
que nous continuons à faire face, un cri féminin suivi de celui d'une bête qui hurle
retentie. Je lis dans le regard farouche d'Éli qu'il me tient pour de ce qui
ressemble à la capture d'Alcinoa. L'avantage de la situation est que les
flèches ne pleuvent plus. A l'instar de mon partenaire, je rengaine mon arme.
N'ayant pas un bouclier épique sur lequel les traits s'éclatent, je laisse
tomber le mien qui ressemble à un hérisson emplumé. Les homme-rats n'ont pas le
temps d'avancer. A peine Éli a-t-il récupérer son gladius lancé au début du
combat, qu'il fait un geste circulaire de la main comme s'il voulait arracher
la voute de la grotte. A cet instant, un craquement effrayant figea sur place nos
adversaires qui n'eurent pas le temps de lever les yeux. Ils furent ensevelis
par un éboulement monumental qui souleva un nuage dense de poussière. Pourquoi
Éli n'a-t-il pas fait cela avant ? A croire qu'au plus il est en colère, au
plus il est puissant. La dernière chose que j'ai vu avant d'être submergé par
le nuage, c'est Éli, l'arme au poing, partir en courant vers la sortie. Instinctivement,
je retiens ma respiration et lui emboite le pas. Ce que je le vois faire dès
que je parviens à l'air libre, le rend encore plus terrible à mes yeux. On
pourrait penser que l'effondrement de la voûte soit un mouvement de colère. Mais
c'est en le voyant émerger subitement devant le colosse qui retient Alcinoa que
l'on prend la mesure de sa stratégie. Je suis certain qu'il est consumé par la
rage à mon encontre, mais il garde le contrôle. En deux mouvements très
rapides, il saisit d'une main la lame sous la gorge de la fée et plante son
arme à la base du cou de son adversaire. Alcinoa se retrouve recouverte de
poussière noire. Il se retourne vers moi et me claque un "protège-la"
qui ne souffre pas d'être contesté. Il reste neuf homme-rats. Deux archers qui
bandent déjà leurs arcs. Un chaman qui manipule l'eau de la mer dressant une
vague de plus en plus haute. Et six guerriers, non cinq, trois... Bref, Éli est
tellement rapide, qu'il arrive même à briser les flèches avant qu'elles ne
soient tirées. La vague qui devait s'abattre sur nous retombe dans un
grondement sourd. Il n'y a plus personne pour la faire déferler.
Impressionnant, c'est le mot qui convient. En regardant autour de moi, je ne
vois que de la poussière noire et les armes et armures hétéroclites de nos
assaillants. Je m'attendais à ce qu'Éli me bouscule, mais il semble exténué. La
colère a laissé place à une grande fatigue. Il est debout, les bras pendant le
long de son corps. Sa tête est dirigée vers le sol. Alcinoa avance vers lui
avec le pas hasardeux qui témoigne de son handicap. Je n'entends pas ce qu'il
se dise mais je devine qu'elle le rassure. Elle n'a aucune blessure. Moi par
contre, je me rends compte que je ne suis pas sorti indemne de l'affrontement. J'ai
plusieurs estafilades qui saignent plus ou moins. Éli est dans le même état
avec une flèche logée dans le mollet droit. Vu la position d'entrée, je dirais
qu'il a dû la recevoir quand il m'a protégé. Je le regarde casser la pointé en grimaçant
puis la retirer. Tandis qu'Alcinoa utilise son bâton pour le soigner, je ne
sais pas comment je dois prendre ça. Il est évident qu'il a plus qu'envie de m'éliminer.
C'est le jugement d'Alcinoa qui le retient. Il a l'occasion de laisser à d'autres
de le faire, pourtant, il me protège. Pourquoi ? La question doit transparaitre
sur mon visage car Éli y répond en plongeant son regard bleu pénétrant dans le mien
:
- Si le basilic
est toujours en toi, tu mourras de ma main. Sinon, tu mérites autant qu'un
autre d'être protéger, même si tu m'horripiles. Par contre, il va falloir que
tu t'expliques sur ce que tu as fait durant le combat.
Je saisie
tout de suite à quoi il fait allusion. En même temps, c'est compréhensible. Un
combattant de mon niveau ne progresse pas en un affrontement. Or j'ai été
capable de copier le moindre mouvement d'Éli pour me défendre. Le problème,
c'est que si je suis honnête, il va me tuer. Je ne peux pas lui dire que j'ai
cette capacité mimétique. Sinon comment lui prouverais-je que je ne suis plus
le Basilic ? A la réflexion, je me rends compte que quelque soit ma réponse, il
ne me croira pas. Il a fait de moi l'homme à abattre. Pourquoi cette haine ?
C'est
Alcinoa qui me libère du poids de la réponse :
- Il
faut croire qu'il a un bon maître d'arme. Maintenant, Basile, détends-toi et
laisse l'eau s'infiltrer en toi. Le phénomène de guérison peut être légèrement
désagréable.
L'explication
est reportée. C'est ce que je décrypte de l'expression d'Éli. Heureusement
qu'elle a dit que ça serait "légèrement" désagréable. Outre la brûlure
des plaies qui se referment, l'insinuation de l'eau provoque des envies de se
gratter au sang. A mesure que le traitement fait effet, les démangeaisons
laissent la place à une sensation difficile à expliquer. C'est comme-ci vous sortiez
d'une douche froide revigorante. La surface semble endormie, alors qu'en
profondeur, le tonus est indéniablement présent. Je remercie Alcinoa pour son
soutien. Elle sourit en coin et se permet une confidence tandis qu'Éli est
parti se décrasser dans la mer :
- Je ne
pourrais pas toujours t'éviter de répondre à ses questions. Et s'il s'avère que
tu n'es pas honnête, je ne m'opposerais pas à sa vengeance.
Ça a le
mérite d'être clair. A moi de définir comment je vais la jouer. J'ai une alliée
qui peut faire pencher la balance, mais c'est à double tranchant. Si je me plante,
je passe direct dans la catégorie "éliminable". Ça met la pression.
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