Chapitre 3 - Hector.
Je ne me rappelle pas la dernière
fois ou j'ai serré une femme dans mes bras. La sensation est curieuse. Un
mélange de gêne, de fébrilité et de chaleur animale. Même si une infime partie
de moi apprécie ce genre de manifestation, tout le reste de mon être se
contracte. Outre le fait que c'est la femme de mon fils, je ne suis décidément
pas fait pour ça. D'abord il y a cette lutte en moi. Ensuite, j'ai déjà du mal
à savoir pourquoi je suis là alors il ne faut pas qu'elle me perturbe. J'ai
fait de grand sacrifice pour venir jusqu'ici.
- Traître !
- Comment ça ? C'était un coup
régulier. Je n'ai pas à rougir de mon choix. En plus, il fallait que je vienne.
- Tu ne repartiras pas !
- La ferme, Alicia me parle.
Pardon mon enfant, vous disiez ?
- Que faites-vous là, beau papa ?
Oulala que ça m'énerve quand elle
me dit ça. Je lui ai dit cent fois qu'elle devait m'appeler Hector.
- Impossible, tu ne l'as pas vu plus de dix fois en vingt ans.
- Je ne t'ai pas demandé de te
taire ?
- Tu croyais réellement que prendre ces cachets serait utile contre moi ?
- Je ne vais pas me laisser
entraîner dans un nouveau débat avec toi. Je t'ai dit de me foutre la paix
alors CASSE TOI !
J'ai dû dire le dernier mot tout
haut. Alicia se dégage en me regardant avec les yeux rougis. Je me confonds en
excuses tout en n'étant pas fâché que le rapprochement physique soit terminé.
Elle n'est pas en état de s'arrêter sur mes écarts de conduite.
- Je suis venu voir Éli. Vos
larmes me font conclure que je ne me suis pas trompé d'établissement.
Elle bredouille difficilement
quelque chose du fait de son état de nerf. Je comprends néanmoins l'essentiel,
Éli est dans la chambre 123. Je l'embrasse sur le front avec une phrase du
genre : "ça va aller mon p'tit."
Je m'attendais à un couloir noir
de monde avec des internes passant d'un lit à l'autre. Au lieu de cela, rien ne
résonne hormis mes chaussures qui couinent sur un sol nickel. C'est quoi cette
odeur de vestale ? Elle devient de plus en plus forte à mesure que j'approche
de la chambre de mon fils. Je finis par trouver celle qui transforme l'hôpital
en parfumerie. Elle porte une marque rouge sur la joue droite. Elle a dû
recevoir un coup, pas une gifle, il n'y a pas les traces de doigts. Par contre
le professeur, lui, les a bien qui lui zèbre la mâchoire. Mais qu'est-ce qui
c'est passé ici ? Je dois avoir un regard évocateur car il me confirme que ma
bru a bien la main lourde.
Il est très fort ce Stauros. Bien
qu'il soit surpris de me voir, il fait mine de rien en me parlant d’Alicia.
Mais je ne me suis pas drogué pour elle, mais pour lui. Ma tête ayant suivi mes
pensées, je donne un coup de menton en direction du lit de mon fils. Il enchaine :
- Éli a fait un nouvel arrêt
cardiaque. Il a fallu le choquer deux fois pour que son cœur reparte.
- Vous en êtes à enregistrer ce
genre de détail.
Comme il fronce les sourcils, je
m'explique. C'est vrai quoi, un arrêt cardiaque, c'est important. Mais le
nombre de choc électrique ayant servit à le remettre en route... C'est pousser
à l'extrême la recherche de l’exactitude.
Et voilà, encore un qui se
demande ce que je fais là. C'est mon fils qui est allongé là. Quoi de plus
normal pour un père que de venir au chevet de son fils malade.
- Tu n'as pas toujours été là.
- D'autant plus ! Non, mais
attend, je ne vais pas me justifier devant toi. Qu'est-ce que je dois faire
pour avoir la paix ne serait-ce qu'une demi-journée ?
- Il n'y a rien à faire. Tu es un solide d'adversaire, certes, mais tu
fatigues. Même tes drogues ne te permettent plus de m'endormir très longtemps.
Elle a raison. C'est sans doute
pourquoi je suis là. Éli est mon fils. Il est ce que j'ai de plus cher au
monde. J'aimerais lui dire au revoir avant de l'oublier, de m'oublier.
- Il faut que vous le rameniez.
J'ai besoin de lui parler.
- Si cela ne tenait qu'à moi...
Mais ce n'est pas le cas. Votre fils semble égaré.
- Expliquez-moi.
- Il existe plusieurs stades de
coma. Du plus léger, dans lequel il a des réponses aux sollicitations
cognitives. Au plus profond, où la seule chose qui sépare de la mort est bien
souvent un respirateur. A ce stade, le corps n'obéit plus. Votre fils était
sous respirateur avant que je ne m'occupe de lui. Il y a quelques semaines,
Alicia a donné son consentement pour débrancher Éli. Normalement, il aurait dû
s'éteindre. Mais, pour une raison que j'ignore, il s'est mis à respirer sans
assistance. Ça a été un choc pour votre belle-fille. Je crois qu'elle avait
fini par lui faire ses adieux.
- Seriez-vous en train d'insinuer
que ma bru a décidé d'euthanasier mon fils sans me consulter ?
- Je vous ai consulté Hector,
mais vous ne vous en rappelez plus.
- Elle ment ! Elle a voulu
tuer ton fils ! Ensuite, elle s'en serait prise à nous !
Alicia me fait penser à ma
défunte épouse. Pas physiquement bien sûr, sinon Éli souffrirez d'un complexe
d'Oedipe. Moralement, elle a cette fougue pour défendre ceux qu'elle aime. Il y
a quelques minutes, elle était recroquevillée sur elle-même à pleurer.
Maintenant elle se campe derrière moi près à ...
- Tu te rends compte que tout le monde se contre fout de ton histoire.
- Lâche-moi, pas maintenant,
c'est important.
- T'es-tu inquiété de l’important pour moi quand tu as avalé ces cachets
?
- Je suis désolé, laisse moi
encore quelques minutes... Je t'en prie.
- Ah, tu me supplies. Ça ne te ressemble pas. Tu ramollis.
- Hector ! Qu'avez-vous à
répondre ?
- T'es pitoyable. Tu restes
sans voix. Tu m'écoutes ?
Je passe devant Stauros, faisant
fi de toutes ces voix, celle dans ma tête, celle d'Alicia et du professeur. Je
m'assoie sur le lit. Me penche vers l'oreille d'Eli et lui souffle :
- Ne baisse jamais ta garde
petit. Si ton adversaire est plus fort que toi, sois rusé.
A ce moment précis, la main d'Éli
se crispe. Son poing se serre sur le drap quelques secondes puis se détend. Alicia
est médusée. Stauros se précipite vers son bureau qui jouxte la chambre. Je me
tourne vers ma belle-fille le sourire aux lèvres.
- Il m'a entendu... Ne baissez
pas les bras Alicia. Il va revenir.
- T'es content de ton petit effet. Tu n'es même pas médecin, comment tu
peux lui donner de faux espoir ?
- Je t’interdis de dire cela,
vipère ! Déblatère autant que tu veux sur moi, mais ne touche ni à mon fils, ni
à sa femme !
- Comme si tu pouvais m'interdire quoique ce soit...
Elle a raison. Au plus le temps
passe, au plus je sens son emprise sur mon esprit. Même les cachets, qui sont
censé m'aider à fixer la mémoire immédiate, deviennent inefficaces. Éli, il
faut que tu te battes et que tu reviennes avant que je ne perde mon combat.
Encore une fois, j'aime beaucoup la façon dont tu modélises le combat intérieur d'Hector contre la maladie...D'ailleurs j'aime bien Hector en tant que personnage...Il est intéressant!
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