Chapitre 5 -
Michel Stauros.
Je suis
quelqu'un de méthodique, d'organisé. Quand je subodore qu'on a touché à mes
affaires, ça devient une obsession. Vous allez me dire qu'en travaillant à
plusieurs dans un environnement restreint, il y a plus de probabilités qu'on
touche à mes affaires. En temps normal, je vous donnerais raison, mais là,
l'expérience est tout de même une première mondiale. Vous imaginez-vous le bien
que l'on pourrait faire si on arrivait à sortir les gens du coma ! Je ne vois
pas Ophélie me trahir. Elle a signée une clause de confidentialité très généreuse.
De mon côté, je me suis retenu de faire de la "publicité". Il n'y a
qu'un nombre restreint de personnes qui savent ce que je fabrique ici. Par
contre, est-ce qu'Alicia a parlé ? Il va falloir que je vérifie. Hier, elle avait
l'air à bout. Quand je pense à la manchette qu'elle a flanqué... Oui, il faut
qu'on discute. Avant d'incriminer qui que se soit, passons en revue les dernières
48 heures.
Samedi
matin j'ai travaillé sur le fichier du basilic. Il fallait faire quelques retouches
afin qu'il ne soit pas aussi fort que prévu à l'initial. Difficile de survivre à
quelque chose qui pétrifie tout ce qui bouge dès la première rencontre. Pendant
ce temps, j'ai demandé à Ophélie de compiler tout les éléments concernant Mégare
et sa périphérie. Je n'ai pas vu le temps passé. Elle est partie avant moi
après m'avoir assuré qu'elle avait terminé. C'est une brave fille. Célibataire
malgré une plastique qui ne laisse personne indifférent. Je ne lui connais pas
de liaison, mais c'est vrai que je ne suis pas genre à m'intéresser à ce style
de détail. Quoi ! Oui, bien sûr... J'ai bien pensé sortir avec. Mais mélanger
la bagatelle et le professionnel, c'est jamais bon. Et puis, je crois savoir
qu'elle ne cours pas après les collègues. Plus d'un médecin s'y est cassé les
dents.
L'après
midi, je suis allé me faire un neuf trous. Ça me détend tout en me permettant
de réfléchir. Le premier élément qui me permet de penser qu'il y a eu
intrusion, c'est mon carnet de notes. J'y appose toutes les idées pour
l'histoire que je fais vivre à Eliot Guerreor. Il est organisé par thèmes, les
endroits, les liens avec les souvenirs réels, les monstres implémentés. J'y
fais figurer également tous les personnages qu'il va rencontrer. Comme j'ai
quelques coups d'avance, j'ai été surpris de voir mon carnet s'ouvrir à la page
du basilic. Cela faisait un moment que je ne l'avais pas ouvert à cet endroit,
vu que je travaillais sur le boss gardant l'ouïe. Le second élément concerne le
pc que j'utilise pour le "bombardement" cognitif d'Éli. Le logiciel étant
lourd, il faut attendre quelques minutes avant de l'éteindre, sinon il force
l'arrêt. Et quand ça arrive, la nouvelle ouverture s'initialise au premier fichier
au lieu de reprendre au dernier utilisé. Je suis sûr d'avoir coupé comme il le
fallait.
Quand
j'en ai parlé à Ophélie ce matin, elle a réagit vivement, elle en a rougit. Ce
n'est pas dans son tempérament. En règle générale, elle est sûre d'elle, maître
de ses émotions. Bon faut dire que je m'y suis pris comme un gros lourdaud. Il
y avait de quoi se sentir agressé. Puis je ne vois pas quelle raison elle
aurait. L'argent ? Elle touche un très bon salaire, quasiment le double de ses
collègues du même échelon. C'est vrai que tout le monde a un prix. Mais vu que le
reste de la profession pense mon concept farfelu, je ne vois pas quelqu'un la
payer pour avoir accès à mes notes. L'ambition ? Elle a raté son diplôme de
médecin parce qu'en situation de stress intense, comme une opération, elle ne
gère pas les conflits. Il peut arriver qu'un membre de l'équipe d'intervention
ne soit pas d'accord avec la méthode utilisé. C'est enregistré, pourtant le
responsable doit garder la tête froide et poursuivre. Ophélie perdait ses
moyens en cas de contestation. Ça ne faisait pas d'elle un bon dirigeant. Du
coup, j'ai une subalterne surqualifiée. Seulement, comme mon expérience est
expérimentale, elle sera forcément soumise à la critique. Elle ne le
supporterait pas d'être sous les feux de la rampe. Aucune chance qu'elle veuille
s'approprier mes recherches.
Non, il
faut me rendre à l'évidence, ça ne peut pas être Ophélie. Hormis les parties prenantes
comme Alicia, Ophélie et Hector Guerreor, je n'en ai parlé à personne d'autre
que le chef d'établissement. Même si c'est un ami, il ne va pas risquer la
réputation de l'hôpital. Il en parlera qu'une fois que le succès sera assuré. Donc,
si personne dans mon entourage n'avait accès ou intérêt à accéder à mes
dossiers, il ne reste qu'Alicia. Car je ne crois pas que le vieil Hector ne
puisse poursuivre un but nécessitant une réflexion prolongée. J'ai quand même
du mal à y croire. Quelle serait sa motivation ? Elle aime son mari. Elle
souhaite que l'opération réussisse. Elle sait que toute interférence pourrait
la compromettre. Bien sûr, elle a demandé que son mari soit débranché. Seulement,
elle m'a toujours donné l'impression d'être sous influence. Se pourrait-il qu'il
y est quelqu'un dans son entourage qui ne souhaiterait pas voir son mari
revenir à la maison ? Si c'est le cas, la survie d'Éli a du sacrément le ou la
contrarier. En admettant que je sois dans le vrai, ce qui reste à prouver, comment
avoir accès au labo ? Il faudrait la complicité de quelqu'un à l'intérieur de
l'établissement. Ça fait tout de suite un nombre considérable de suspects.
Le dimanche.
Qu'est-ce que j'ai fait ? Je suis allé voir Hector Guerreor à son domicile. Troublante
rencontre s'il en est. Cet homme en constance lutte contre la fatalité. Que
dire de ses dernières paroles ? Criantes de lucidité et d'espoir. Il n'est pas
possible qu'il soit celui qui influence Alicia. Il a vraiment été surpris
d'apprendre qu'elle avait donné son accord pour le débrancher. S'il a oublié ce
genre de détail, il n'est pas logique de l'incriminer dans un complot risquant
l'intégrité de son fils.
Attend Michel,
tu t'entends parler ? Complot... Alors que tes preuves ne sont que présomptions.
Il y a tout de même le coup de téléphone. Quand j'y repense, il ne s'est pas présenté,
si ce n'est comme un ami des Guerreor. J'ai bien demandé des précisions sur son
identité, mais il a éludé la question en titillant ma curiosité. En me présentant
le vieil Hector comme une mine de renseignements intéressants, j'en ai zappé ce
point. Du coup, cet inconnu m'a éloigné de mon labo. Il était, sans aucun doute,
le seul à savoir que je serais absent ce dimanche. Bon, allez, admettons que je
tienne un suspect. Quel mobile ? Pour le définir, il faudrait que je sache qui
il est. Aussi ce qu'il a bien pu faire. Il faut que je recoupe les résultats.
Il est
22 heures. Personne ne travaille de ce côté, hormis deux personnes : Orlando,
un infirmier de 53 ans qui n'a aucune idée de ce que je fais. Il s'assure de la
santé des patients en effectuant sa ronde. Comme il arrive parfois d'en avoir à
l'isolement, il ne se doute de rien. Puis il y a Solange. C'est une ASH,
comprenez Agent de Service et d'hygiène. Elle est sympa, mais là encore, aucun risque
qu'elle soit liée à mon affaire. Elle est mère de quatre enfants qui ont chacun
un père différent. A la naissance du dernier, il y a eu des complications qui
ont fait qu'elle ne pourra plus en avoir d'autres. En même temps, elle en a eu
plus que la moyenne. De toute façon, ni Orlando ni Solange n'ont accès au labo.
Le ménage est fait dans la journée durant les heures ou il y a quelqu'un.
Je ne
croise personne. Je pianote le code sur le cadran servant de serrure au labo. J'ouvre
la porte pour recevoir en plein poumon les effluves du parfum d'Ophélie. Non seulement
il est entêtant, mais il persiste. Après avoir vérifié les constantes d'Éli, j'ouvre
le dossier des enregistrements du jour. J'affiche la courbe du rythme cardiaque
et l'encéphalogramme. Comme à chaque fois, dès qu'il rentre en phase de rêve,
le cœur accélère. Comme je le pensais, le basilic a eut un effet conséquent. La
seule chose qui a emballé son palpitant de manière plus vive a été la baiser
d'Alicia. J'étais convaincu que son parfum aurait fait le même effet. Partiellement.
Dans les deux expériences, il a fait une attaque. Pourtant, il n'y a aucune
raison. La première fois, son aversion pour la nicotine a joué le déclencheur. Dans
le deuxième cas, ce n'est pas quelque chose dont il a horreur. Au contraire, le
parfum d'Alicia aurait dû voir le même effet que son baiser. Les courbes montrent
bien une réaction, certes, ridicule à côté du festival de la première expérience.
Pourquoi la tension décolle-t-elle de cette manière ? Son cœur fait office de disjoncteur.
Pour protéger le cerveau, il se bloque. Je sais que certains fakirs arrivent à
baisser leur rythme cardiaque jusqu'à simuler la mort. Cela exige un effort
conscient. Ça serait une première mondiale ! Une maîtrise inconsciente d'un
organe majeur. Voilà le passage où Hector lui glisse un mot à l'oreille. Et là,
mon sapin de noël. Le cerveau est un feu d'artifice. Il faut que je passe
l'action au ralenti. J'affiche la vidéo de la chambre. Je coordonne le débit
des deux en diminuant la vitesse de cinquante pourcent. Il approche, se
penche, et...
C'est
bien ce que je pensais. L'expérience est un succès bien qu'elle ne corresponde
pas à ce que j'avais prévu.
Les
caméras, voilà qui va me révéler s'il y a eu intrusion. Bien sûr, je ne verrais
pas l'intérieur du bocal puisqu'elles sont braquées sur Éli. Néanmoins, s’il y
a la moindre lumière dans le bocal, ça se verra sur la fenêtre de la chambre. Voyons
voir, les enregistrements vidéo de dimanche. Voilà, en avance rapide, stop... J'avais
raison ! Il y a bien eu intrusion dans mon labo à 10H23. Tiens, ça n'est pas
normal. Il manque vingt bonnes minutes. Qu'est-ce que c'est que ce bazar ?
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