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dimanche 25 janvier 2015

Partie 5 - Chapitre 12 - Eli

Partie 5 - Chapitre 12 - Éli.
Jamais il ne m’a été donné d’affronter un tel adversaire. Vif et tout à la fois percutant, il réplique coup pour coup. Nos boucliers résonnent sous les assauts. Nos gladius vibrent dans nos mains, rendant leur prise incertaine. Après quelques minutes, nous sommes tout deux en sueur. Les gouttes dessinent des sillons dans la poussière agglomérée sur notre peau. Aucun de nous deux n’a réussi à percer la défense de l’autre. Pour l’instant, nous alternons les phases de replacement qui permettent de reprendre notre souffle, avec celle d’affrontement violent. 

Je n’ai pas utilisé les éléments. Lui non plus. En est-il capable ? Je n’en sais rien. Je ne peux me permettre de laisser vagabonder mon esprit. J’ai l’impression d’être enfermé dans une pièce minuscule avec un félin en furie. Ce qui me dérange le plus, c’est sa capacité à anticiper mes attaques. Il arrive toujours à effectuer la meilleure parade. Mais je lui rends la politesse. Si c’était possible, je jurerai que nous avons eu le même maître d’arme.

Les minutes s’enchainent. Notre respiration devient rauque. Mon gladius et mon bouclier me paraissent bien plus lourds. Je ne comprends pas qu’aucun de nous ne parvienne à toucher l’autre. Il semble que je ne sois pas le seul à en être agacer. Mon adversaire pousse un hurlement sur un fendant parfait qui passe à quelques millimètres de mon abdomen. Je le comprends, j’ai, moi aussi, eu envie de pester quand mon attaque de taille se révéla vaine. Est-ce là sa faille ? Peut être est-il trop impulsif ? Ou alors, il n’a jamais eu à batailler si longtemps. C’est bien souvent le problème quand on excelle dans un domaine. Quand on affronte un de ses pairs, ce n’est pas la technique qui permet la victoire, mais le mental. Il s’est éloigné de moi et tourne comme un lion en cage. Il cherche l’ouverture que je lui refuse. C’est alors qu’il change de direction. Je le suis du regard, aux aguets. Il avance rapidement, un pas à la limite de la course. Je le fixe tellement que ceux qui nous entourent ne sont que des esquisses estompées. Sans me quitter des yeux, il frappe dans la foule. Car, petit à petit, des monstres sont apparus. Ceux qui nous tenaient en joue. Ils ont formé un cercle autour de nous, vociférant des encouragements à leur maitre. Peu habitué à un combat qui dure, ils sont devenus de plus en plus nombreux. Mais pourquoi frapper l’un des siens. Sauf que, mon œil fait le point. La personne qui l’a blessé n’est pas un monstre. C’est Alcinoa !

Il sait exactement ce qu’il fait. Voir ma fée tenir son ventre duquel sort sa lame me fait l’effet d’un électrochoc. La décharge d’adrénaline me rend furieux. Je ne remarque pas de suite que Basile ne fait rien, si ce n’est, hocher la tête en signe d’assentiment. L’autre éclate de rire, tout en parant ma charge. Il utilise ma force pour me déstabiliser. Et pour la première fois depuis le début du combat, il me touche. Une belle estafilade sur la cuisse, qu’importe, je me tourne vers Alcinoa. L’avantage d’être blessé, c’est que ça remet les idées en place. 

- Ce n’est pas profond, Eli. ATTENTION !

Je roule sur le côté. Son arme s’abat sur le sol en y arrachant des étincelles. En peu de mots, elle a tenté de me rassurer. N’empêche que j’ai du mal à m’enlever l’image des yeux. Mon regard passe de mon adversaire à mon amie. Celle avec qui j’ai traversé une partie de la Grèce. Celle pour qui je fais cette quête. Je ne peux pas me relâcher. Tout ce que nous avons enduré se résumerait à un gigantesque fiasco ? La rage monte à nouveau, mais cette fois elle est retenue. Je regarde l’autre fanfaronnait en faisant des moulinets avec son arme. Il l’a lance de façon qu’elle fasse un tour et il l’a rattrape par la garde. J’attends le bon moment, maintenant !

Je balance mon gladius. Il fend l’air en tournant sur lui-même tel un boomerang. Je suis tombé dans son piège. Il voulait que je lance mon arme afin d’avoir l’avantage. Il donne un coup de bouclier et mon épée bifurque vers le sol. Elle se fige dans la pierre, ce qui arrache un rire au Jarkore.

- Bien, je ne sais pas comment tu as fait pour parvenir à me résister si longtemps, mais maintenant, ça va être vite fini.

Je laisse tomber mon bouclier au sol. Ce qui a l’air de le surprendre.

- On dirait que tu veux que ça aille encore plus vite ! Très bien, tes désirs sont des ordres !

Il attaque. Nous avons maintenant une différence notable en termes de poids. Certes, il a une arme et un bouclier, mais moi, j’ai gagné en rapidité de mouvement. Et, je ne sais pas pourquoi, j’ai des souvenirs de mes combats avec mon père qui émerge. Je nous vois en train de nous affronter, l’un armé et l’autre non. Je sais ce qu’il me reste à faire. J’esquive sa charge et administre un petit coup de pied arrière entre ses omoplates pour accroitre son élan dans le sens opposé. Son rire jaune trahit sa surprise et son énervement. Il ne s’y attendait pas. Si je me débrouille bien, je peux peut être récupérer mon arme. 

Je jette un œil vers Alcinoa, elle s’est assise au sol. La tache rouge rubis s’étend davantage. Elle blanchit à mesure qu’elle se vide. Elle n’y survivra pas. Je la vois marmonner. Je profite d’une nouvelle esquive pour m’approcher. Je ne perçois qu’un bout de phrase :

- … car tu ne peux diviser ce qui n’est qu’un…

Je n’ai pas le temps d’y réfléchir. En tout cas, pas autrement que par saccade, entre chaque attaque. Il est vif le bougre, malgré le poids supplémentaire. Mais il a un gros point faible : il est trop sûr de lui. Depuis le début du combat, nous nous affrontions à armes égales. Je n’ai pas voulu me servir des éléments, je ne sais pas l’expliquer. Une sorte de code d’honneur du combattant, allez savoir. Maintenant, c’est différent. Mes doigts fourmillent sous l’afflux électrique. Pourquoi cet élément ? Parce qu’il me booste. Au moment de son attaque, j’accélère mes mouvements, ce qui me permet de lui administrer un gros coup de point dans le masque… 

Aïe…Un masque en métal. Je vais plus vite, mais je ne suis pas insensible. Alors qu’il se récupère de la violence de mon crochet, je réalise que son masque est au sol. Un grondement se fait entendre dans les spectateurs qui nous entourent. Le Jarkore se rend compte que s’il se retourne, je verrais son visage. Le temps est comme figé, quand soudain, il est déchiré par un cri :

- Eli ! Il faut que l’on fusionne ! Maintenant !

Je me tourne vers Alcinoa, elle est allongée sur un côté, livide presque. Comment pouvons-nous fusionner ? Je n’ai pas le temps d’y réfléchir, elle prononce sans voix :

- Fais comme moi !

Elle met ses dernières forces dans une ultime utilisation des éléments. Elle devient l’air. Toujours allongée au sol, elle m’invite à la rejoindre d’une main tendue vers moi. Je fais un pas vers elle en intimant à mon corps de se muer en fumée. Juste à temps pour voir le gladius du Jarkore me traverser. Il enrage devant l’impossibilité de me faire le moindre mal. Sans me préoccuper de sa rage, je m’approche d’Alcinoa. Ses deux bras sont ouverts, on la dirait voulant me donner une dernière étreinte. Seulement, au moment précis ou nous entrons en contact, un vent violent se met à tournoyer autour de nous. Nous sommes l’épicentre d’une tornade. Alors qu’elle nous décolle de terre, tous ceux qui nous entourent tentent de se protéger les yeux de la poussière et du sable qu’elle soulève. Les membres d’Alcinoa s’enroulent autour des miens. Son corps enveloppe le mien. Le bruit de la tornade est assourdissant, pourtant j’entends ses paroles dans ma tête :

- Tu ne peux diviser ce qui n’est qu’un !

Je suis elle, elle est moi, nous ne sommes que les deux faces d’une même pièce. A l’instant où mon cœur enregistre cette information, elle disparait et le vent cesse. Je suis au sol, enfin, l’un de mes genoux. Mes deux poings sont devant moi. En fait, j’ai la position d’un chevalier qui se fait adoubé. J’essaie de mettre de l’ordre dans mes pensées, dans nos pensées, car je l’entends hurler :

- ATTENTION !

Je me détends en envoyant mon pied en arrière, à l’aveugle, quoique sachant exactement ou frapper. Je touche le Jarkore à l’abdomen, mon talon écrasant le plexus. J’entends arme et bouclier tombé au sol, puis mon adversaire qui s’affale, manquant d’air. Je me redresse doucement. Une fois debout, je fusille du regard tous ceux qui m’entourent. Chaque monstre a un mouvement de recul. Jusqu’à ce que je croise les yeux de Basile. Il a un sourire aux lèvres. Il n’est plus le monstre, ni celui qui me devait la vie. Pourquoi l’ai-je délivré de sa prison de pierre ? Parce que je suis un humain. Comment l’oracle a-t-elle parlé de lui ? Un parasite ! « Même si sa présence ne s'explique pas, il participera à votre victoire. Car celui qui l'a amené parmi vous ne peux plus l'affecter ». Il semblerait que ‘celui qui l’a amené’ a décidé de venir en personne. Tout en gardant son sourire, il se saisit d’une lance et la précipite dans un geste. Je m’écarte prestement, mais je suis surpris par le bruit sourd qui retentit. Je me tourne. Le Jarkore est empalé, la lance en pleine poitrine. C’est à ce moment que je saisi l’horreur du spectacle. Le Jarkore, c’est moi ! Il chancelle, je me tends pour l’empêcher de basculer en avant. Quand mes mains entrent en contact avec sa peau, le décor qui nous entoure s’efface comme un dessin sur le sable. Nous sommes debout, au milieu d’une pièce étrange, une chambre d’hôpital. Le Jarkore, moi, suis allongé dans un lit. A côté de moi, Basile ! Il est relié à moi par une série de câbles. Il est dans ma tête. Un peu plus loin, sur le lit d’à côté, mon père, vivant ! Il tient en respect une… une infirmière ? Mon attention revient sur le Jarkore qui me parle en gargouillant :

- Je viens de te rendre la vue… C’est… la vraie vie… Mais si tu meurs… Tu ne la retrouveras… jam…

Le décor est à nouveau la place au pied des Propylées. Le Jarkore disparaît en poussière. Seule la lance touche le sol dans un bruit qui me transperce. Ainsi, mon père avait raison. Tout ceci n’est qu’un rêve.

- Un rêve dont il faut te réveiller. 

Cette voix dans ma tête, Alcinoa ! Je suis abattue. Toutes ces épreuves, ça n’est que du vent. Pourquoi m’avoir fait endurer tout ce cinéma ? J’ai bien d’autres questions en tête, mais le rire de Basile me ramène à ma réalité : un combat plus âpre encore.

- Alors Eli, comment tu vas ? Ton adversaire est mort, grâce à moi ! Ta fée…, n’est plus de ce monde. En fait, tout ton monde s’écroule. Il ne te reste plus qu’une chose à faire. Comme tout capitaine de navire, tu dois sombrer avec. Tu as donc deux choix : le premier, tu t’agenouilles, je te tue sans que tu ne souffres. Le second : tu veux te battre, et là, et bien, comment dire ? Je ne peux pas te garantir que tu ne souffriras pas. Alors, que choisis-tu ?

Je suis toujours désarmé. J’ai la lance à mes pieds, et mon gladius a quelques mètres. Par contre, Basile est frais comme un gardon, il a son arme à la main et il ne s’attend pas à ça. Il prend mon poing en pleine figure. Mon geste a eu une telle rapidité qu’il en bascule en arrière. Je place mon pied sous la hampe de la lance et je me la redresse pour la saisir tout en répondant à son choix : 

- Je choisis le deux ! Mais je ne vais pas être celui qui va souffrir.

Je crie en grecque ancien aux monstres qui sont toujours autour de nous :

- Il a tué votre maître ! Allez-vous le laisser faire ? Celui qui le tuera aura sa force !

Ce dernier argument fait bouger les choses. Mais c’est sans compter sur la sauvagerie de mon adversaire. A peine est-il sur ses pieds qu’il donne quelques coups aux plus téméraires qui disparaissent en poussière. Du coup, les autres se contentent de le tenir en respect en maintenant le cercle autour de nous. Sans doute me pensent-ils capable d’en venir à bout.

- Bien essayé ! Mais ce ne sont que des animaux. Quand tu poutres les plus courageux, les autres s’écrasent. Maintenant, à nous deux, et comme des hommes.

Contre toute attente, il laisse tomber ses armes et armures. J’ai toujours la lance en main, il ne me faudrait qu’un geste pour en finir. Mais je la plante dans le sol. C’est un combat à mains nues. Je me mets en garde, attendant son attaque.

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