Partie 4 - Chapitre 3 - Michel
Stauros.
Quel crétin
! Mais qu'est-ce qui m'a pris d'accepter que ce flicaillon vienne fourrer son
nez partout. En plus, il est perclus de préjugés. Il ne peut pas être objectif.
Sans compter qu'il m'a foutu dans une mouise pas possible. Daniel est parti
furibond. Il n'a pas apprécié que je ne l'informe pas pour Hector. C'en est même
étrange. J'ai trouvé sa réaction disproportionnée. Tous les papiers ont été faits,
l'hôpital ne risque aucune attaque. Pourtant il m'a semblé nerveux. Surtout
quand nous avons visionné la vidéo. Il devrait être celui qui souhaiterait le
plus que l'on fasse la lumière sur les intrusions dans son établissement.
Et
Alicia ! Elle m'invite au restaurant pour me planter là. Elle se barre avec le
flic. Durant tout le temps de l'entretien, elle est restée muette. Ce n'est
qu'à la fin qu'elle intervient. Pour quel résultat ? Je vous le donne en mille
! Se faire passer pour une femme instable. Et par voie de conséquence, je
deviens nigaud de la croire. En temps normal, je n'accorde pas beaucoup
d'importance à ce que pense les autres de moi. Mais il y a des limites, j'ai ma fierté.
Je n'ai
pas trop le temps de m'appesantir sur mon sort. Il se trouve qu'Éli progresse
plus vite que je ne le pensais. Pourquoi ? Peut être est-ce la présence de son
père. En suivant le programme que j'avais instauré, il devait acquérir le sens
du toucher. La particularité de ce sens est qu'il est double. Il y a le toucher
direct et l'indirect. Pour m'assurer de ce dernier, j'avais branché un
ventilateur. Tourné vers le lit, il doit me permettre de déceler une réaction
capillaire à la fraîcheur. Je suis agréablement surpris de constater la
"chair de poule" qui parcoure le bras de mon patient. Reste le direct
à tester. Rien de plus simple, une plume qui remonte à fleur de peau sur la
face intérieure de l'avant bras.
Je fais
un bond quand la main d'Éli se referme sur mon poignet. Je n'aurais jamais cru
qu'après dix ans dans le coma, il puisse encore avoir une telle poigne. Ça n'a
duré qu'une seconde, mais j'ai ma preuve que la sensibilité tactile est bien
revenue. Je souris en reposant sa main le long de son corps. Il n'a pas fait
d'arrêt cardiaque. Enfin des résultats qui ne mettent pas sa vie en danger.
Même
s'il y a de quoi être on ne peut plus satisfait, je suis inquiet. Je n'avais
pas prévu qu'il aille si vite. J'avais passé du temps à créer le scénario. Il
aurait dû galérer plus. Ça me donne l'impression qu'il a un soutien. S'il
s'avère que j'ai raison, il va me falloir revoir le niveau de difficulté. Je ne
me suis pas lancé dans cette aventure pour risquer une réussite partielle. Et
s'il continue à cette vitesse, il arrivera peut être à sortir du coma, mais
pour combien de temps. Il faut que je me remette au travail.
Le
prochain sens est l'ouïe. Le monstre que j'ai prévu pour le garder s'appelle
Polyphème. C'est un cyclope haut de plus de trois mètres et armé d'un gourdin
gros comme une branche de chêne. D'après les notes d'Éli, il serait le gardien
d'un troupeau de moutons. La légende raconte qu'il habiterait une île. J'ai
fait une petite entorse en le plaçant sous le mont Parnasse. En quittant la
ville de Delphes, il sera obligé de traverser les grottes de ce mont pour
rallier Athènes. Si Éli a trouvé un allié, il est légitime que j'apporte un
soutien à mon gardien. J'ai un faible pour les hommes sangliers. Ils sont
brutaux, résistants et capables de les occuper pour qu'ils soient moins
fringants face à mon cyclope. La mythologie dit que les cyclopes travaillaient
dans les forges du dieu Héphaïstos. Ils doivent donc être capables de réaliser
des ouvrages de métal, comme des pièges. Je pense qu'il pourrait manipuler le
feu. Ça accentuera le danger vis à vis d'Alcinoa. Bien, je n'ai plus qu'à
synthétiser tout ça et à l'implémenter dans le programme.
-
Chercherais-tu à le tuer ?
La
question m'a fait faire un bond. J'étais tellement concentré que je n'ai pas
entendu la porte de mon labo s'ouvrir.
- Non,
pas vraiment Daniel. Je lui rends simplement la tâche plus ardue.
- Dans
quel but ?
- Au
plus il peinera pour atteindre le but, au plus il augmentera ses chances de s'y
accrocher.
- Tout
de même, ça le donne l'impression d'être disproportionné.
- Depuis
quand es-tu spécialiste dans ce domaine ?
Je
regrette immédiatement le ton sarcastique employé. Mais Daniel a la sagesse de
ne pas relever. Je tente de changer de sujet :
-
Pourquoi es-tu là ?
- Disons
que je veux suivre de plus près tes travaux.
- Tu ne
me fais plus confiance ?
- Je
veux me prémunir d'autres surprises, mauvaises surprises.
- Écoute
Daniel, je te l'ai déjà dit. Je suis désolé de ne pas t'avoir mis au courant
pour Hector, mais...
- Pas de
ça avec moi Michel !
Je vais
encore prendre une soufflante. Il faut que je parvienne à le rassurer, je ne
veux pas l'avoir sur mon dos constamment.
- Très
bien. Tu veux que je te transmette toutes les informations, pas de problème. Je
ne ferais rien sans ton aval. Mais je ne peux pas travailler avec quelqu'un qui
regarde par dessus mon épaule.
- Ce
n'est pas ce que je te demande.
- Alors
que veux-tu ?
- Je
veux que tu changes d'assistante.
Je reste
bouche bée. En fait, je ne vois pas le lien. Je fronce les sourcils alors il
enfonce le clou.
- Il
faut que tu trouves une raison, mais tu dois t'en séparer, le plus tôt
possible. Voilà les dossiers de plusieurs candidats pour la remplacer.
-
Attend, tu sais ce que tu me demandes ? Tu veux que je mente à une employée
qualifiée ?
- Non,
tu n'auras pas à mentir. Elle a eu un différent avec Mme Guerreor non ?
- On
peut pas appeler ça un différent.
-
Appelle ça comme tu veux, mais elle a reçu un coup de sa part.
Comment
peut-il être au courant de ça ? Je ne l'ai fait figurer nulle part. Et j'ai
demandé à Ophélie de ne pas en parler. Les vidéos ! J'ai omis d'effacer les
vidéos qui enregistrent toutes les interventions. Il a du les visionner. Je ne
vois que cette explication. Je repars à la charge :
- Te
rend tu compte du temps qu'il m'a fallut pour la former. Elle connaît tout le
programme par cœur. Elle est très efficace dans son travail. Pourquoi me
faudrait-il prendre le risque de tout recommencer avec une autre personne ?
- Parce
que c'est ta seule garantie pour que je ne m'ingère pas plus dans ton travail. C'est
à prendre ou à laisser. Je te laisse libre de la méthode, du moment que ça
vienne de toi.
- Elle
risque de saisir le syndicat.
- J'en
fais mon affaire. Elle ne doit pas savoir que je suis derrière ça. C'est à
cette seule condition que tu auras mon soutien et que tu garderas les coudés
franches.
- Je
n'aime pas ça, Daniel. Tu ne peux pas me demander de faire ça.
- Non
seulement je le peux, mais je le fais. Tu as jusqu'à demain soir. Sur ce, passe
une bonne soirée.
La porte
claque derrière lui en me faisant sursauter. Je reste prostré, réfléchissant
aux raisons qui le poussent à me demander ça. Ensuite, je me torture l'esprit
pour tenter d'imaginer comment je vais procéder. Ne parvenant plus à
travailler, je décide de rentrer. Je referme le labo après avoir pris soin
d'annuler les accès d'Ophélie. Demain va être un très mauvais jour. Il faut que
je trouve une raison valable.
Je
rejoins ma voiture sur le parking. Je suis songeur. Ça ne ressemble pas à
Daniel de congédier un employé pour une telle raison. Si elle avait frappé
Alicia, je pourrais l'admettre. Mais ce n'est pas le cas. C'est même l'inverse.
A moins que ce soit Alicia qui le lui a demandé. Le seul moyen de le vérifier,
c'est l'appeler. Mais si je l'appelle, il va falloir que je lui explique. Elle
fait déjà des plans sur les intrusions alors là, elle aura de quoi
"psychoter". Elle risque d'en parler à l'autre empêcheur de tourner
en rond, voir carrément à Daniel. Je suis pris au piège. Comment vais-je m'en
sortir ?
Je
rentre chez moi. Je suis toujours à retourner cette situation dans ma tête. Je
me sers un "Kavalan", un whisky de 20 ans d'âge. Son feu irradie le
fond de ma gorge. J'essaie d'assembler les différentes pièces du puzzle. Il y a
trop d'événements étranges pour que ce soit des coïncidences. C'est pas vrai...
Je me mets à parler comme Alicia. Décidément elle a une mauvaise influence sur
moi. Pourtant, la curieuse réaction de Daniel durant le visionnage de la vidéo,
sa demande concernant Ophélie, son chantage. Ça fait beaucoup. Mais quel lien
y-t-il entre Daniel et Ophélie ?
Faut que
j'arrête. C'est mon patron, il est en droit de modifier les affectations du
personnel. Peut-être veut-il mettre une personne à lui dans mon environnement ?
Quelqu'un qui lui rendrait compte de mes faits et gestes. Vu qu'il n'a pas
apprécié mes initiatives, ça reste le plus plausible. Je n'aime pas mieux cette
solution. Comment faire confiance à quelqu'un si l'on est persuadé qu'elle joue
double jeu ?
Voyons
les candidatures. Ça me donnera peut être un éclairage nouveau sur les
intentions de Daniel. Il en a sélectionné trois. C'est peu. Trois hommes,
youpi, quelle chance ! Oui je sais, je suis ironique. On va mettre ça sur le
compte de l'apéro qui commence à me chauffer. Je m'en sers un deuxième. En
lisant les cv des candidats, j'ai l'impression d'avoir un copier-coller.
Le
troisième verre me détend complètement. Je me demande ce que Daniel dirait si
je choisissais un candidat en dehors de sa sélection. La décontraction laisse
place à une frustration empreinte de colère. Exaspéré, je balance mon verre qui
éclate au sol. Je bois au goulot. Mes idées s'embrouillent. Je m'effondre sur
mon canapé avec, dans les yeux, Ophélie et Daniel dansant un tango sur une
bouteille de whisky.
Ah ! Grosse surprise de la part de Daniel !!! Serait-il en cause dans ce qui s'est passé ? Après tout, il a accès au bureau de Stauros...bizarre bizarre... Vivement la suite !
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