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dimanche 19 janvier 2014

Partie 3 - Chapitre 1


 Partie 3 : Le toucher


Chapitre 1 : Alicia.
Comment expliquer ce que j'ai ressentit à son dernier souffle ? C'est une chose de le vivre, c'en est une autre de le faire comprendre. Michel Stauros m'avait appelé pour la seconde expérience cognitive. Il m'avait demandé de mettre le parfum en question, Odissey.
J'étais toute tremblante à l'idée de devoir embrasser à nouveau Éli. Je sais, vous allez me trouver stupide, c'est mon mari. Mais ce n'est pas parce que vous avez embrassé ces lèvres des milliers de fois que, lors d'occasions particulières, vous ne puissiez ressentir des sentiments intenses. Sans compter que l'un des derniers baisers qu'il a reçu lui a arrêté le cœur. Je n'ai pas franchement envie de renouveler cet "exploit". Quelque part, j'ai toute mes chances puisque le mien lui a fait retrouver le goût.
Mon patron s'est arrangé pour que je puisse avoir ma journée sans poser de congés. Il faut dire que j'avais accumulé pas mal d'heures sup. Craignant les embouteillages, j'ai opté pour le métro. Je me suis levée suffisamment tôt pour éviter les heures de pointe. Du coup, je suis arrivée en avance. Le professeur était déjà là. Seulement l'atmosphère était à couper au couteau. Il m'a à peine salué. Un sourire crispé puis il a remis la tête dans ses fichiers informatiques. J'ai bien essayé d'entamer la conversation mais rien n'y a fait. Je me suis tournée vers Ophélie, là encore, choux blanc. Seulement, elle ne semblait pas à l'aise. Faut dire qu'à notre dernière rencontre je l'ai quasiment comparé une droguée. Ce n'est pas ma faute si Éli ne supporte pas la nicotine. En même temps, se faire embrasser par un cendrier, c'est plutôt moyen pour retrouver un sens.
Je tente une dernière approche alors qu'Ophélie rentre de sa pause toxico.
- Le professeur Stauros a l'air particulièrement tendu. Y aurait-il un problème ?
- Probablement dans son esprit torturé. A force d'imaginer des histoires, il fit par "psychoter".
- Que voulez-vous dire ?
Alors que la porte du bocal s'ouvre, elle élude la question et s'y précipite. Je reste sur ma faim. C'est la vie de mon mari qui est en jeu, il me faut des réponses. Michel s'avance vers moi me tendant la main. Il ne se souvient pas de m'avoir salué à mon arrivée. Je tente le coup :
- RE-bonjour, Michel. Que se passe t-il, vous avez l'air soucieux ?
- Ah bon, vous trouvez ? Je m'efforce de faire revenir la conscience de votre mari alors que cela fait dix ans qu'elle est je ne sais où ! Vous ne pensez pas que ça puisse me causer des migraines ?
Je dois faire une drôle de tête car il reprend de suite :
- Excusez-moi Alicia. Vous n'y êtes pour rien, je suis désolé. Est-ce qu'il vous est déjà arrivé d'avoir l'impression qu'on ait touché à vos affaires ? Comme quand vous laissez une chose à un endroit et dans une certaine position et que vous la retrouvez ailleurs et rangé autrement ?
- Si ça concerne Éli, vous m'inquiétez Michel.
- Ophélie me prend déjà pour un fou. Elle est la seule à travailler dans le bocal avec moi et elle m'assure que j'imagine des choses. Mais c'est plus fort que moi. Je me souviens très bien comment j'avais laissé mes dossiers, mes fichiers et autres notes. On dirait que quelqu'un les a parcouru puis a essayé de remettre les choses en place sans y parvenir totalement.
- Pouvez-vous dire avec exactitude quel dossier n'a pas été remis à sa place ?
Alors qu'il répond par la négative d'un signe de tête, Ophélie me regarde et hausse les épaules jetant vers le plafond une œillade d'exaspération. Michel remarque que je regarde par dessus son épaule et comprend que son assistante continue à le prendre pour un psychotique. Lâchant l'affaire, il me demande si je porte bien le parfum requis. Ma confirmation a l'air de le détendre un peu. Ne voulant pas prendre de risque, il demande à Ophélie de "préparer" Éli. Voyant que je fronce les sourcils, il m'explique qu'il va le mettre torse nu afin d'être prêt à recevoir un choc en cas de défaillance cardiaque.
- Je préfère me parer à toute éventualité - explique-t-il en souriant légèrement.
- Ça devrait bien se passer, je suis là - dis-je sur un ton ironique.
- Bon, c'est pas tout ça, on a du boulot. Techniquement votre mari doit avoir récupéré le sens de l'odorat. Donc, à mon signal, vous entrez dans sa chambre, vous l'embrassez en vous arrangeant pour qu'il puisse sentir votre parfum.
- Et... ?
- Et, on examine sa réaction. Elle peut ne pas être immédiate. Ne faites rien de plus que ce que nous avons prévu.
J'ai bien quelques kilos en plus sur les épaules quand j'ouvre la porte de la chambre. Je ne m'attends pas à l'odeur qui vient flatter mes narines. D'habitude, dans un hôpital, il y a toute sorte d'effluves. Là, le parfum de femme qui embaume la pièce est bien présent. Je fais le lien avec celui du bocal : Ophélie. Ce n’est pas possible de sentir comme ça, elle doit se rouler dedans. Patchouli ! A croire qu'elle ne se rend pas compte que l'on va faire une expérience sur l'odorat. J'espère qu'Éli discernera le mien. Je fusille du regard Ophélie. Bien sûr, je ne la voie pas car elle est dans le bocal, derrière la vitre sans teint. Mais je sais ou elle est assise. De plus j'ai la conviction qu'elle me regarde. Oulala, je me mets à psychoter comme Michel. Pourquoi m'en prendre à cette femme qui ne fait que son travail ? Sans doute parce qu'elle est l'archétype du fantasme masculin, blonde infirmière belle de sa personne. Ou est-ce parce que je lui en veux d'avoir embrasser mon mari ? Elle n'y est pas pour grand chose, elle n'a fait qu'obéir aux directives de son supérieur.
C'est dingue la vitesse à laquelle on réfléchit. Je suis entrée, j'ai franchit les cinq pas séparant le lit de la porte. Puis j'ai contourné le lit afin de ne pas être dans le passage s'il y a intervention d'urgence. Maintenant, je m'assoie sur le bord du lit. Je me penche dirigeant mes lèvres frémissantes vers celles de mon amour. Je les presse en un baiser qui se veut passionné. Aucune réaction. Qu'est-ce que j'espérais ? Qu'il allait répondre en me faisant chavirer comme la première fois que nous nous sommes embrassés ? Je m'en souviens comme-ci c'était hier. Il venait de me demander pour sortir avec moi. J'avais fait la fille indécise, qui lui donnerait sa réponse après réflexion. Il m'a embrassé sur la joue en me disant "à demain" puis à tourner les talons. En le voyant s'éloigner, j'ai senti une pulsion monter en moi, je l'ai appelé. Quand il s'est retourné, j'avais déjà parcouru les quelques mètres nous séparant pour me jeter à son cou. Nos lèvres se sont trouvées toutes seules. J'avais déjà embrassé un garçon mais jamais avec une telle passion.
Non, ce baiser n'a rien à voir. Éli n'y répond pas. Ses lèvres sont sèches et tièdes, sans saveur. J'approche ma bouche de son oreille pour lui souffler :
- Éli, mon amour, reviens à la maison. J'ai besoin de toi.
Tandis que, je prononce ces quelques mots, mon oreille, au niveau de sa bouche, capte le sifflement de sa respiration lente et régulière. Soudain, un crépitement, un râle émis par ses lèvres entrouvertes. L'alarme de l'écran de contrôle me fait sursauter. Je reste plantée devant le moniteur sans réagir. Le monde s'est arrêté. Ma tête se tourne au ralenti. C'est curieux de voir les choses évoluées à une vitesse divisée par dix. La porte de la chambre s'ouvre laissant entrer un Michel Stauros courant vers le défibrillateur. Il est suivi par Ophélie dont je croise le regard emprunt de pitié. Le plus étrange, c'est l'impression de ne rien entendre. Mon ouïe résonne encore du dernier souffle de mon mari. Je ne réalise pas ce que je fais. C'est comme-ci j'étais spectatrice de ce qui va suivre. Vu que je tiens toujours la main d'Eli, Michel me crie de le lâcher. Je ne réagie pas. Ophélie arrive par derrière, me frappe sur la main en me poussant contre le mur pour m'écarter du lit. Elle atteint son but mais pas tout à fait comme elle le souhaitait. En effet, je lâche Éli pour lui administrer un solide coup de coude en pleine figure qui l'envoie sur les fesses. Michel applique les palets et délivre la décharge. Non seulement il ne redémarre pas le coeur d'Eli, mais il sonne Ophélie. Dans sa chute, elle agrippa la jambe de mon mari par réflexe. Le choc électrique lui arrête le coeur. Bizarrement, on a mis les actions en accéléré. Michel me cri dessus et me gifle, sans doute pour me faire reprendre mes esprits. La réponse est immédiate, je lui en retourne une.
- Bien, content de vous retrouver parmi nous... Si ce n'est pas trop vous demander, allongez Ophélie sur le sol, ouvrez lui son corsage et dégraphez son soutien gorge.
Je reste interdite, il lève à nouveau le ton :
- FAITES-LE ! VITE !
Tandis que je m'évertue à obéir aux consignes, il choque à nouveau Éli qui s'arc-boute. Les larmes coulent d'elles même mouillant le chemisier d'Ophélie que je finis par ouvrir. Je passe les mains dans son dos pour dégager son opulente poitrine. Soudain j'entends le "bip-bip" du moniteur qui contrôle le rythme cardiaque d'Éli. Avec un professionnalisme à toute épreuve, Michel passe de mon mari visiblement tiré d'affaire à sa collaboratrice sans sourciller. Elle reprends connaissance avec une grande bouffée d'air. Elle a beau avoir eu le coeur arrêté, elle raccroche vite les wagons.
- Vous êtes folle ou quoi ! Me crie-t-elle sans se rendre compte de sa demi nudité.
Remarquant que je baisse les yeux sur ses seins avant de la regarder avec insistance, elle renchérit :
- Quoi ! Vous n'avez jamais vu une paire de nénés. Jamais plus vous me touchez, espèce de folle.
Michel Stauros intervient. Il la somme de se rhabiller et d'aller vérifier les enregistrements dans le bocal. Elle s'exécute en bougonnant.
- Ne lui en voulez pas. Après tout, vous lui avez quand mis une sacré manchette. Ça va passer, laisser lui du temps. Bon, en tout cas, Éli est de nouveau parmi nous, si je puis dire.
- Que s'est-il passé ? Pourquoi son coeur s'est-il à nouveau arrêter ?
- J'aimerais le savoir. Je vais analyser toutes les données.
- Quand aurez-vous la certitude que l'expérience a fonctionné ?
Il me répond que ça lui prendra quelques heures tout en se frottant la joue où mes doigts sont dessinés en rouge. J'ai dû y aller plus franchement que lui. Je m'excuse de mon attitude. Il rit argumentant qu'il n'ira pas dans son restaurant ce soir. Je souris gênée. Il m'assure qu'il va gérer la situation avec Ophélie, que je ne dois pas m'inquiéter mais profiter de ma journée de congé pour me reposer. Ça ne va pas être évident car je suis beaucoup plus touchée que je ne le montre. Je franchis la porte de la chambre jetant un regard vers mon mari qui a repris sa respiration tranquille, comme s'il ne s'étais rien passé. Je serre la main de Michel et la met, tremblante dans ma poche. J'ai une boule dans la gorge. Dès que je sors de l'hôpital, je m'effondre en larmes sans même me cacher des regards des gens qui entrent et qui sortent. C'est alors que je sens une main bienveillante se poser sur mon épaule. Je me relève pour m'engouffrer entre les bras consommateurs ouverts devant moi.


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